La Lettre n°187 de Mars 2020

Actualités : Quelques réflexions sur des épisodes de gouvernance récents

Il y a belle lurette que les Bourses ne sont plus des services publics, et que ceux qui y travaillent ne sont plus des officiers ministériels, comme l’étaient les agents de change du temps jadis. La cotation en Bourse des bourses en a fait des entreprises comme les autres qui se concurrencent entre elles pour attirer les entreprises qui souhaitent se faire coter en Bourse, et les investisseurs. Les Bourses sont en fait devenues des entreprises de services informatiques dont la diversification dans la donnée est souvent la principale activité et la plus lucrative.

Face à une désaffection des entreprises pour la cotation à Londres du fait de la montée du private equity[1] et de l’importance grandissante du secteur de la technologie qui privilégie une cotation aux États-Unis, un récent rapport a proposé que la Bourse de Londres réduise ses exigences en matière de gouvernance. Deux principales propositions sont emblématiques et visent spécifiquement les entrepreneurs de la tech : accepter la cotation d’entreprises avec des droits de vote pluraux et une mise en Bourse de seulement 15 % du capital, contre les 25 % aujourd’hui requis à Londres. D’autres mesures plus techniques sont prévues et pourraient trouver à s’appliquer d’ici la fin 2021, en particulier en revenant sur la suspension des cours du SPAC[2] quand celui-ci annonce avoir trouvé sa cible.

Ainsi, les actionnaires contrôlant pourraient-ils céder moins de titres lors de leur introduction en Bourse, ce qui dans un marché haussier est la garantie de pouvoir vendre à un prix plus élevé les 10 % non cédés alors ; et garder le contrôle de leur entreprise grâce à des actions A (un droit de vote) voire C (aucun droit de vote) pour les nouveaux actionnaires, et B (10 droits de vote), ou D (20 droits de vote) pour eux. Toutefois, cette dernière faculté ne serait valable que pendant cinq ans avant de revenir au droit commun : une action égale un droit de vote.

Que la Bourse de Londres ne se leurre pas, ce n’est pas parce qu’elle dégraderait ses standards d’admission qu’elle pourrait regagner du terrain sur New York ou éviter d’en perdre sur Amsterdam. On est malheureusement dans un domaine où la mauvaise monnaie chasse la bonne, comme la Bourse de Hong Kong l’illustre. En ayant refusé à Alibaba des dérogations à ses règles de gouvernance en 2014, Hong Kong a perdu la cotation du géant de l’e-commerce au profit du NYSE. Et quand elle les a ensuite abaissés, elle n’est pas pour autant devenue le centre d’attraction des candidats chinois à la cotation, New York l’est resté compte tenu de niveaux de valorisation plus élevés.

 

Si l’on peut comprendre que le ou les fondateurs d’une start-up ait besoin de se sentir « chez lui », même après plusieurs tours de dilution, pour donner le meilleur de lui-même, et que l’on puisse déconnecter à cet effet droits financiers et droits de vote, on a un peu plus de mal à le comprendre pour une entreprise cotée qui, la plupart du temps, a trouvé son modèle économique. On remarquera d’ailleurs que même pour une start-up non cotée, on ne trouve pas usuellement un système aussi avantageux que des actions à dix ou vingt droits de vote.

Et ce système n’est pas théorique. Si à l’assemblée de Google de 2019, 92 % des titulaires d’actions A ont demandé le retour à la règle une action = un droit de vote, les deux fondateurs de Google détenant chacun entre 5 et 6 % des actions ont voté contre, et devinez quoi ? Avec 51,3 % des voix à eux deux, la résolution a été repoussée. De même en 2020, quand une majorité des investisseurs a estimé qu’une rémunération de 281 M$ pour le PDG Sundar Pichai, certes pour l’essentiel liée à la performance boursière de Google, mais représentant 1 085 fois la rémunération médiane chez Google de 259 000 $, c’était trop. Rémunération néanmoins approuvée grâce aux voix des deux fondateurs détenant 11 % des actions. Sundar Pichai est sans aucun doute un très grand manager. Mais quel est son plus mérite, sinon d’avoir choisi Google comme employeur en 2004, une firme qui a développé et consolidé depuis des années des positions de monopole ou de quasi-monopole lui permettant d’obtenir des profits… de monopole.

 

Et on ne peut pas s’empêcher de penser que de telles rémunérations, qui ne témoignent pas d’un sens de la satiété et de la responsabilité, ne peuvent qu’attiser la frustration, le ressentiment et miner le consensus social dont toute société a besoin.

 

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Les annonces en série par des entreprises d’un changement de leur gouvernance en 2021, avec un PDG qui devient simple Président du conseil d’administration, et la nomination d’un directeur général (L’Oréal, Saint Gobain, Bouygues, Danone) au sein du CAC 40 et en dehors (Valeo, Scor) ne sont pas, à notre avis, une nouvelle tendance, comme parfois présentées, mais le fruit d’hasards de calendrier.

La mutation du PDG en un simple président du conseil pour quelques années est inconcevable au Royaume-Uni, nécessite une vacance de deux ans en Allemagne, mais est une pratique française bien établie. Elle a montré dans le passé qu’elle pouvait être efficace pour rassurer les investisseurs quant à la succession d’un patron emblématique (Thierry Desmarest chez Total, Lindsay Owen-Jones chez L’Oréal, Jean-Louis Beffa chez Saint Gobain, etc.) qui fait monter à la direction générale un personne qu’il a formée, et souvent choisie (Patrick Pouyannet, Jean-Paul Agon, Pierre-André de Chalendar), et qui a vocation aux bout de quelques années à réunir sur sa tête de nouveau les deux fonctions, le Président quittant alors définitivement le groupe.

 

Il présente probablement moins de risques de blocage de la gouvernance qu’un schéma où un DG et un président qui ne se sont pas choisis doivent travailler ensemble, surtout si le président entend dans les faits ne pas se limiter à la présidence du conseil d’administration (Engie).

Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, beaucoup dépend du tempérament des hommes et des femmes en cause et de la force et détermination des administrateurs. Raison de plus d’être pragmatique et de mettre toutes les chances de son côté, pour faire face à un changement que le passage du temps rend inévitable, en pouvant choisir entre plusieurs modalités, sans que l’une soit nécessairement la règle qui s’impose dans toutes les situations.

 

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Un lecteur naïf pourrait s’étonner que deux fonds d’investissement détenant l’un 3 % et l’autre moins de 5 % du capital de Danone aient pu obtenir un changement de gouvernance aussi fort que celui de confier la direction opérationnelle du groupe à un manager à recruter à l’extérieur, pour la première fois depuis la création du groupe en 1919, et au départ du PDG en poste depuis 2017.

En fait, ces deux fonds ont dit haut et fort ce que beaucoup d’autres investisseurs pensaient depuis un certain temps sans oser critiquer publiquement « la cathédrale de Chartres »[3]. Ce n’est pas une attaque en règle des investisseurs anglo-saxons contre la première entreprise du CAC à avoir adopté un statut d’entreprise à mission[4]. Adoption votée à plus de 99 % par les actionnaires l’an passé, dont probablement par ces investisseurs qui n’hésitent pas à se faire entendre, comme ils en ont le droit, sans pour autant chercher à déstabiliser l’entreprise par des manœuvres déloyales comme d’autres fonds activistes.

C’est une critique contre des performances opérationnelles (moins de croissance, marges plus faibles, acquisition payée trop cher) qui, dans la durée, sont moins bonnes que celles de Nestlé et Unilever, et qui posent naturellement des problèmes de gouvernance et de choix du pilote. Quand la critique vient d’un fonds d’investissement fondé par l’ancien PDG de Bulgari qui, de l’introduction en Bourse à la cession à LVMH, a fait croître les ventes de 28 % par an pendant seize ans et a délivré un TSR de 17 % par an à ses actionnaires, elle a plus de chance de porter que si elle venait d’un financier lambda. Depuis la nomination d’Emmanuel Faber à la direction générale de Danone en octobre 2014, le cours de Nestlé a progressé de 42 %, celui de Unilever de 37 % et celui de Danone de 0 %, tous les trois avec un taux de rendement du dividende de 3 % l’an environ. Sans émettre d’avis sur les performances du management, nous considérons comme sain que les actionnaires puissent s'exprimer dessus et exercer leur droit d'orienter la gouvernance.

Pour reboucler avec le sujet précédent, proposer la dissociation des fonctions de directeur général et de président du conseil et confier ces dernières à l’ancien PDG n’a de sens, nous semble-t-il, que lorsque celui-ci peut se targuer d'un parcours et de performances sans reproches et d’un âge qui ne laisse pas de doute quant à sa capacité à prendre le recul nécessaire et à ne plus vouloir être dans l’opérationnel. À défaut, c’est l’assurance de problèmes à venir, situation que le conseil d’administration de Danone a mis quinze jours à comprendre avant de trancher dans le vif, heureusement avant qu’ils ne se produisent concrètement. Parfois, faire des changements compliqués nécessite de s’y prendre (volontairement ou involontairement) à deux fois. 

Terminons en saluant l’élégance d’Emmanuel Faber qui n’a pas voulu encombrer son départ des tartufferies trop souvent lues dans les communiqués de presse les annonçant (« départ pour convenances personnelles ») et qui avait renoncé de longue date à des indemnités de départ et à une retraite chapeau que l’on espère être d’un autre âge.

 

[1] Voir le chapitre 43 du Vernimmen 2021 ou les Lettre Vernimmen.net de juin et juillet 2020, nos 180 et 181.

[3]  « Danone, c'est la cathédrale de Chartres, et on n'achète pas la cathédrale de Chartres », affirmait son fondateur, Antoine Riboud. 

 



Tableau : La taille des émissions obligataires des deux côtés de l'Atlantique

Publié initialement par le Financial Times, ce graphique montre, depuis la crise financière de 2008, des divergences dans la taille des émissions obligataires de part et d'autre de l'Atlantique, qui peuvent s'expliquer de plusieurs manières :

- un taux de croissance plus fort de l'économie américaine et une propension, depuis 2015, des grands groupes américains à être en moyenne plus endettés que les groupes européens[1] ;

- une part très importante du financement des entreprises européennes assurée par les banques en Europe (80 % dans la zone euro contre 35 % aux États-Unis)[2] ;

- un coût du crédit bancaire beaucoup moins cher en Europe en raison d'une intensité concurrentielle nettement plus élevée[3], comme le montrait l'article de recherche de décembre dernier disponible ici.



Recherche : L'impact des fonds activistes sur les politiques d'acquisitions et cessions

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

Le succès croissant des fonds passifs depuis vingt ans a mis en question le rôle disciplinaire des actionnaires dans la gouvernance d’entreprise. Durant cette même période, les fonds activistes se

sont développés et ont joué ce rôle, visant le plus souvent des entreprises performantes, mais dont le potentiel n’était pas suffisamment exploité. L’article que nous présentons ce mois[1] s’intéresse à une dimension particulière de ce rôle disciplinaire : les politiques d’acquisitions et de cessions des entreprises. Il montre que les fonds activistes parviennent à infléchir ces politiques dans un sens favorable à la création de valeur actionnariale.

Le problème de gouvernance mis ici en avant est connu sous le terme de empire building : la tendance des dirigeants à vouloir accroître la taille de leur entreprise, par une motivation financière (lorsque leur rémunération est positivement liée à la taille) ou de prestige. Cette tendance peut détourner les dirigeants de l’intérêt des actionnaires, par la réalisation d’acquisitions destructrices de valeur, ou par le refus d’effectuer des cessions opportunes.

L’étude porte sur la période 1995 à 2011 aux États-Unis. Les auteurs de l’article constatent que les entreprises ayant effectué des acquisitions lors des trois dernières années ont presque deux fois plus de chances d’être ciblées par un fonds activiste. À l’inverse, les entreprises qui ont réalisé d’importantes cessions ont moins de chances d’être ciblées. Une fois l’activiste entré au capital, la probabilité pour l’entreprise d’effectuer une acquisition lors des trois prochaines années est réduite d’un tiers. Bien entendu, l’ensemble des résultats de l’article doivent être compris « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire que les auteurs ont comparé les entreprises ciblées avec un groupe d’entreprises non ciblées mais aux caractéristiques identiques, selon des méthodes statistiques reconnues.

Le résultat principal de l’article concerne la rentabilité obtenue sur les acquisitions effectuées. Pour les entreprises non ciblées, sur l’échantillon étudié, elle apparaît négative (mais statistiquement très proche de zéro)[2]. L’arrivée d’un fonds activiste fait augmenter cette rentabilité moyenne d’environ 2,3 %, et la rend donc positive. L’effet est observé aussi bien pour les acquisitions payées en actions que pour celles payées en cash, il n’est donc pas attribuable à un choix de structure financière, mais bien à la politique d’acquisitions. Sur un plan qualitatif, les auteurs remarquent que les activistes conduisent surtout à réduire les acquisitions précédemment identifiées comme destructrices de valeur par les analystes, ainsi que celles effectuées lors des grandes vagues sectorielles de fusions, souvent payées trop cher.

Concernant les cessions, les effets identifiés sont moins marqués mais confirment l’idée de départ. Les cessions sont plus nombreuses et plus créatrices de valeur après l’arrivée d’un activiste. Aussi, elles sont plus fréquemment associées à une réduction du nombre de secteurs sur lesquels opère l’entreprise. L’ensemble de ces résultats confirme que les fonds activistes jouent un rôle disciplinaire en limitant l’empire building des dirigeants.

Très complet, l’article va un peu plus loin en étudiant de quelle manière les fonds parviennent à ce résultat. Les auteurs montrent notamment que les dirigeants ayant effectué au moins une acquisition destructrice de valeur depuis trois ans voient leur probabilité de perdre leur poste multipliée par cinq si un activiste entre au capital !

La contribution de l’article à la compréhension du phénomène activiste est double. D’une part, il confirme le rôle disciplinaire joué par ces fonds, vu sous l’angle des politiques d’acquisitions et de cessions. D’autre part, il identifie l’une des méthodes par lesquelles les activistes parviennent à créer de la valeur actionnariale. Un article utile sur un sujet d’actualité !

 

[1] N. Gantchev, M. Sevilir et A. Shivdasani, « Activism and empire building », Journal of Financial Economics, 2020, vol. 138-2, p. 526 à 548.

[2] La rentabilité des acquisitions a été l’objet de nombreuses études, sans que la question de la création de valeur (pour l’acquéreur) ne soit définitivement tranchée. Voir à ce sujet « Les fusions-acquisitions sont-elles créatrices de valeur ? », Lettre Vernimmen n°119, novembre 2013.

 



Autre : 8 mars 2021 : Cinq portraits de femmes professionnelles de la finance (1/2)

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen le portait de cinq femmes dont la réussite dans une carrière financière est éclatante. En espérant que cela aide nos jeunes lectrices à faire le bon choix !

Voici les trois premiers de ces portraits, les deux autres paraîtront dans le numéro d’avril, mais vous pouvez d’ores et déjà les retrouver ici, ainsi que ceux des années précédentes.

Victoire Aubry

Directrice Financière et membre du Comité Exécutif d’Icade, en charge des Finances, du Juridique et des SI

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

 

J’ai débuté mon parcours en 1989 par un stage au sein du groupe Caisse des Dépôts, que je n’ai jamais quitté depuis !

Après le DESS 203 « Marchés financiers – Marchés des matières premières » à Dauphine, j’ai commencé comme trader en marché obligataire chez CDC Ixis, la banque d’investissement du groupe. Une expérience qui vous donne rapidement le sens des responsabilités avec beaucoup d’autonomie. Très vite les enjeux de P&L sont importants !

Puis, de 2000 à 2005, j’ai rejoint la Direction Générale du groupe CDC, en tant que directrice des activités financières concurrentielles, avec le pilotage d’un dossier phare alors : la cession de notre banque d’investissement, CDC Ixis, au groupe des Caisses d’Epargne : opération M&A d’envergure de plus de 16 Md€ avec une forte dimension politique et stratégique pour le groupe CDC. Une formation accélérée aux techniques de négociation et au pilotage d’enjeux financiers complexes.

Sélectionnée en tant que cadre à haut potentiel, j’ai eu l’opportunité de suivre une formation Executive MBA à HEC en vue d’une prise de poste de cadre dirigeant au sein du groupe. C’est donc avec une très grande motivation que j’ai rejoint CNP Assurances, en 2005, comme Directrice du Pilotage de la Performance : une première expérience de management et ma première sensibilisation aux filiales cotées du Groupe Caisse des Dépôts. Sept années riches et passionnantes, avec de gros enjeux là encore de pilotage financier avec la crise des subprimes en 2008, impactant le monde financier et donc la CNP avec son bilan alors déjà de plus de 350 Md€…

Puis en 2012, le groupe me propose un nouveau challenge avec des responsabilités croissantes : rejoindre la Compagnie des Alpes, société cotée dans le secteur des loisirs, en tant que membre du Comité Exécutif en charge des Finances, des Risques, du Juridique et des Systèmes d’Information. Une belle opportunité pour élargir mon champ de compétences, avec les responsabilités larges d’un directeur financier de société cotée et des responsabilités élargies à des domaines nouveaux : les risques, le juridique, l’IT ; qui plus est, un nouveau secteur pour moi qui venait du monde de la banque et de l’assurance. Nouvelles rencontres, nouvelles expertises à partager !

Par ailleurs, prendre part à un Comex mixte, avec plus de 50 % de femmes, m’a définitivement convaincue que la mixité induit un partage de compétences et de visions indispensables à la performance d’une entreprise.

En 2015, je prends la responsabilité des Finances d’Icade, la filiale immobilière cotée du Groupe Caisse des Dépôts, qui venait de nommer son nouveau Directeur général, Olivier Wigniolle, lui-même très sensible aux sujets de diversité et de mixité. J’ai ainsi rejoint à nouveau un Comex, profondément renouvelé, où siégeaient déjà plus de 50 % de femmes. Nouveau secteur, nouveaux challenges, enjeux financiers encore plus importants… et de nouvelles rencontres passionnantes…

 

En synthèse, j’ai eu une chance extraordinaire, le Groupe Caisse des Dépôts, par la diversité de ses activités et grâce au suivi attentif des cadres dirigeants, m’a offert un parcours professionnel riche et plein de challenges. Sans jamais avoir le sentiment que mon genre ne soit d’ailleurs un sujet, j’ai pu acquérir et consolider mes compétences tout en accédant régulièrement à des postes à responsabilité croissante.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?

 

Comme toute mère et femme dirigeante, j’ai toujours eu à cœur de concilier ces deux passions que sont mon job et ma vie de famille : l’éducation de mes deux enfants, leur équilibre et leur bonheur a toujours été et est encore pour moi, même s’ils sont adultes aujourd’hui, une priorité !

Je tiens à ce qu’il en soit de même dans mes équipes. Être mère est un moteur et une source d’équilibre et non un problème, un frein. Si vous placez la qualité de vos travaux et le respect des échéances qui vous sont données en priorité, peu importe votre temps de présence effectif au bureau. Une fois les compétences reconnues, et la confiance établie avec votre hiérarchie, c’est à vous d’imposer votre organisation du travail, dans le respect des règles de l’entreprise, bien sûr.

En tant que manager, j’apporte une attention particulière à promouvoir une organisation du travail agile et adaptée aux situations. La confiance envers mes collaborateurs prime. La flexibilité des horaires, le temps partiel, le télétravail (nous l’appliquons chez Icade depuis 2017) et, bien sûr, l’équilibre vie privée et professionnelle sont au service de la dynamique et du succès partagé. Je veille surtout à cette flexibilité pour mes collaboratrices et collaborateurs. Et je serai toujours une fervente défenseuse du partage des tâches dans la sphère privée !

D’ailleurs, je pense que les hommes devraient davantage être invités à se libérer dans leur choix d’équilibre vie professionnelle et vie privée.

Car il n’y a pas forcément de bonnes solutions, tout est une question d’organisation. Je pense également qu’il ne faut pas céder à la culpabilité que la société peut vouloir faire porter aux femmes, à qui on reproche de ne pas être assez présentes du fait de leur carrière : la régularité et la qualité – plus que la quantité – des moments passés auprès de nos enfants, c’est le plus important pour eux !

Bien organiser son agenda et gérer ses priorités pour aller à l’essentiel est donc la clé selon moi. Bien sûr, pour maintenir cet équilibre, il faut aussi savoir faire preuve de souplesse et bâtir la confiance au sein de son équipe, être cash et transparente avec elle. Cela nécessite parfois d’arriver à gérer les tensions sans les répercuter sur son équipe ou sa famille et de se reconcentrer sur son cœur de mission, sa vraie valeur ajoutée, lorsque la pression environnante vous envahit.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Il faut savoir se faire entendre, défendre ses décisions, avoir confiance en soi et en ses équipes. 

Avec les chiffres – et c’est ça qui est passionnant – on voit tout, ils sont redoutables : ils sont un marqueur de la performance de l’entreprise et donc de tous !

On ne peut bien comprendre les chiffres si on ne comprend pas bien les métiers et le terrain.

Pour ma part, compte tenu des changements de secteurs d’activité au cours de mon parcours, j’ai dû me reposer sur des compétences financières solides, mais aussi m’intéresser rapidement à la compréhension des métiers pour apporter de la légitimité à mon action ; et dans chacune de mes expériences, mon regard neuf, parfois même ma façon d’analyser et d’appréhender les sujets financiers un peu différemment ont été de réels plus pour l’entreprise, qui est trop souvent composée de profils d’expertises similaires : la diversité est là aussi, pas seulement à travers le genre ou la couleur de peau !

La matière financière est donc transversale, et concerne tous les secteurs. Elle doit être exercée avec une parfaite connaissance du métier pour être pleinement valorisée : nous sommes des business partners et non un simple support, ou encore des contrôleurs, nous apportons des éclairages stratégiques et des solutions qui peuvent s’avérer extrêmement puissants dans la gestion d’une entreprise.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

 

J’ai croisé beaucoup de femmes extraordinaires au cours de ma vie professionnelle. J’ai beaucoup observé les difficultés rencontrées, les comportements parfois incroyables des hommes, souvent dominants dans les réunions ou les organismes de direction. Il faut une énergie, une confiance en soi et beaucoup de travail pour s’imposer et assoir sa légitimité.

Tout cela s’estompe avec la présence de plus en plus importante des femmes au plus haut niveau de décisions : je pense que pour la génération de nos enfants, les femmes auront une voie mieux tracée.

La personnalité qui m’a le plus inspirée est Christine Lagarde, Présidente de la Banque Centrale Européenne. Elle a occupé des postes éminemment stratégiques et a su s’imposer tout en se faisant respecter par les hommes, voilà qui force l’estime !

Elle est l’exemple même que l’on peut gagner les plus hauts niveaux de responsabilité, avec respect et une certaine douceur. Une main de fer dans un gant de velours !

 

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

Les femmes n’osent clairement pas encore s’affirmer suffisamment.

Les femmes ont pourtant des atouts indéniables pour accéder à des postes de responsabilité : flexibilité, empathie, détermination… La société n’est pas encore totalement prête, mais la tendance est au changement : les nominations au féminin fleurissent, y compris au profit de jeunes profils !

Je pense que c’est avant tout une question de confiance en soi, que les femmes doivent apprendre à assumer leur vie privée et même la mettre en avant pour en faire une force ! Et ne pas être impressionnées par la concentration, qui est encore une réalité, des cadres dirigeants masculins !

Alors comment concrètement avancer : je ne suis pas très à l’aise avec la notion de quotas, mais force est de constater que la loi Coppé-Zimmerman a fait très positivement évoluer la composition des conseils d’administration, ce qui n’est pas encore le cas au sein des comités de direction et des comités exécutifs, pour lesquels il faudrait peut-être envisager de recouvrir à un dispositif similaire.

Il faudrait aussi que les femmes dirigeantes nomment plus de femmes à leurs côtés, et toujours sur la base de leur performance bien sûr, c’est clé ! C’est par la démonstration de leur réussite que les hommes auront envie de recruter des cadres dirigeantes.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

Les femmes sont « naturellement » très agiles avec les chiffres. Au cours de mon parcours, j’ai côtoyé de nombreuses femmes brillantes en contrôle de gestion, salle des marchés, assurance et banque. Leur mode de raisonnement et leur comportement sont de réels atouts pour l’univers de la finance. Alors, aux jeunes générations, rejoignez cet environnement riche et challengeant !

Un conseil ? Ayez confiance en vous, de l’ambition et restez toujours axées sur la performance et la rigueur. Ne ressentez aucun frein, ni complexe.

L’image du monde de la finance, avec des plages horaires très denses, chez les banquiers conseil mais aussi dans les entreprises, avec les clôtures comptables par exemple, sont sûrement des freins pour les jeunes femmes désireuses aussi de construire une vie personnelle équilibrée : j’ai envie de leur dire : le secteur de la communication ou encore celui du marketing ou de la vente, est-il beaucoup plus souple en horaires ? Je ne le pense pas : nous vivons dans un monde où tout s’accélère ; avec la digitalisation de nos outils de travail et demain le déploiement plus massif du télétravail, la frontière vie privée / vie professionnelle est de plus en plus difficile à faire, et ce quel que soit le secteur : il va être encore plus capital de bien s’organiser J.

Et chasser toutes les idées préconçues : j’ai envie de dire à toutes ces jeunes femmes qui arrivent sur le marché du travail et veulent rentrer dans la finance : si vous aimez la matière chiffrée, allez-y, foncez ; vous êtes autant légitime que votre frère ou votre cousin ! Et même demain avec votre rôle de mère.

Et si vous trouvez votre voie, que vous aimez votre travail, vous serez épanouie et performante : c’est un cercle vertueux !

 

Pouvez-vous nous raconter un épisode où vous avez pu surmonter une situation de crise ou de difficultés ? En expliquant les difficultés que vous avez rencontrées et votre façon d’y faire face

 

Lorsque j’étais à la CNP, nous traversions une période avec de forts enjeux financiers sur fond de crise financière en 2007 et 2008. Ainsi, j’ai élaboré des outils de pilotage pour la Direction Générale de la CNP afin de l’accompagner dans ses prises de décision en période de fortes turbulences.

Mon défi en tant que Directeur du pilotage de la performance était d’autant plus important dans ce contexte que j’ai pris la tête d’une équipe de 80 personnes, sur des missions stratégiques de pilotage financier, alors que je n’étais pas issue du secteur de l’assurance, pas issue du « sérail » ! Et là, nous ne parlons pas de genre, mais de profils d’expertise !

Avec détermination et motivation, tout est possible ! Il faut oser apporter son regard personnel, trouver sa bonne place et ne pas hésiter à montrer ses idées et démontrer sa valeur ajoutée.

Mes premiers mandats ont été aussi riches en expérience : seule femme au début de mon mandat dans la société AFL, vous êtes forcement observée davantage : vous avez encore moins le droit à l’erreur ! Mais je dois dire qu’en cinq ans les choses ont, là aussi, beaucoup évolué.

 

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

 

En une génération, les choses ont très vite évolué : les femmes ont aujourd’hui une place de plus en plus importante dans le monde actif et en particulier aux niveaux décisionnels : le train est parti et il roule à grande vitesse !

Maintenant, ce sont les compétences et la réussite des enjeux relevés qui portent un individu. Pour bâtir son parcours professionnel, il faut beaucoup de travail et aussi un petit peu de chance; des opportunités se sont présentées à moi et des dirigeants m’ont fait confiance : en déployant beaucoup d’énergie et en démontrant sa capacité à réaliser ses missions, on provoque la chance et on est repérée !

Comme je le dis à mes enfants, on récolte ce que l’on sème…

 

 

Anne-Christine Champion

Co-responsable mondial de la Banque de grande clientèle de Natixis et membre du comité de direction générale de Natixis.

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ?

 

J’ai débuté chez Natixis en 2002, dans l'équipe ingénierie financière constituée d’une dizaine de personnes et spécialisée dans les infrastructures. Depuis, cette équipe a grandi avec le groupe et compte désormais une centaine de collaborateurs. L’équipe agit comme conseil financier et arrangeur de financements dans les secteurs de l’énergie, des ressources naturelles, des transports et des télécoms. J'ai démarré comme associate et j'ai ensuite pris des responsabilités managériales sur la France, puis l'Europe et en 2012 sur le plan mondial.

En 2016, j’ai pris la responsabilité de créer une équipe de gestion du portefeuille de crédits de la banque. Ce fut une approche innovante de gestion active de nos crédits en primaire et en secondaire, en risque et en rentabilité. Début 2019, j’ai pris la responsabilité du métier « Real Assets » en supervisant la stratégie de la Banque dans les secteurs de l’Aviation, de l’Immobilier, des Infrastructures et de l’Énergie. L’équipe est composée de 220 banquiers dans le monde et intervient en Advisory, Investment Banking et financements pour les clients de ces secteurs. Depuis novembre 2020, je suis co-responsable mondiale de Natixis CIB (Corporate & Investment Banking) et membre du comité de direction générale de Natixis.

 

Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

Ma formation initiale (normalienne agrégée) m'orientait plutôt vers le secteur public, dans la recherche ou dans l’enseignement. J’ai toujours été attirée par la création, l’innovation. J’ai cependant décidé de rejoindre le secteur privé pour être dans l’action. Ce choix de rejoindre le secteur privé a été décisif, car c’est de là que sont nés ma vocation et mon intérêt pour les financements des infrastructures, backbone de l’économie. J’ai ainsi rejoint Natixis en 2002 et y ai débuté ma carrière dans la banque.

Je n’ai pas rencontré de difficultés liées au genre dans mon évolution professionnelle. Certains métiers dans la banque restent encore très masculins et il peut être moins aisé de prime abord de s’y faire une place, mais être une femme n’a pas été un obstacle.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

 

Articuler ces trois aspects n’est pas facile, mais quand le défi est relevé, cela apporte beaucoup de satisfaction. J’ai toujours eu la conviction que je pouvais avoir à la fois une carrière professionnelle dans la finance et une vie de femme et de famille. Il existe un équilibre entre les trois qui peut être challengé, voire rompu à certains moments, c’est le cas lors d’un congé maternité ou d’une promotion. En ce qui me concerne, les retours de mes trois congés maternité ont toujours été marqués par une progression et la plus importante a été pour mon dernier enfant où j’ai pris la responsabilité mondiale de l’activité à mon retour. Le congé maternité est prévisible ; en anticipant et en s'organisant, l'entreprise et la collaboratrice peuvent gérer cette situation au mieux. Quant aux promotions, cela nécessite une implication très forte. Mon conjoint comprend et soutient mes choix, et cela contribue de manière très importante à la vie de famille.

Toujours rétablir cet équilibre et ajuster son organisation est essentiel. Cela demande donc de la volonté, de la détermination et de garder le cap, il faut avoir envie !

 

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

Le sujet de la mixité dans l’entreprise fait partie plus globalement de la problématique de la diversité. Comme pour un organisme vivant, je suis convaincue qu’une entreprise constituée de collaborateurs aux profils diversifiés est mieux à même d’évoluer et de s’adapter à son environnement qu’une entreprise constituée de profils similaires. Or, notre environnement (commercial, réglementaire, financier) est beaucoup plus instable que par le passé. L’agilité et la capacité à s’adapter sont d’autant plus importantes. 

 

Par ailleurs la diversité et la mixité permettent à l’entreprise d’avoir accès à l’ensemble du vivier de talents qui existent sur le marché. Le développement de la diversité suppose cependant que les manageurs sortent de leur zone de confort. Le penchant naturel est souvent de recruter un profil identique au sien, car la communication et la compréhension de l'autre sont plus simples et plus rapides, c’est donc plus facile. Il faut avoir conscience de ce biais naturel au moment des recrutements.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

Même si le secteur est historiquement constitué d’une majorité d’hommes, la tendance évolue positivement. C’est un secteur passionnant qui offre de nombreuses opportunités et la possibilité d’avoir de l’impact sur notre environnement et sur la construction du monde de demain. La finance a par exemple un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique, en soutenant les acteurs de la transition énergétique et dans le développement de la tech avec notamment les fonds de capital-risque.

Aux femmes d’aujourd’hui et des générations futures qui souhaitent se lancer dans la finance, foncez ! Faites preuve d'audace, identifiez les personnes qui à un moment donné pourront jouer un rôle décisif et construisez votre carrière professionnelle sur le long terme et en vous faisant plaisir !

 

Marie-Odile Lavenant

Directrice Financière et membre du Comité Exécutif de Voltalia

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

 

Étant une bonne élève, j'ai eu un parcours classique, mis à part un bac technique qui m'a permis de découvrir l'atelier et les machines-outils. Une école préparatoire à Reims, puis une grande école d'ingénieur. Un début de carrière plutôt technique comme ingénieur, et ensuite une évolution vers le management m'ont amenée à prendre la responsabilité d’une activité et d’un compte de résultat. Un différend managérial m'amène à prendre conscience que j'avais atteint mon potentiel maximum en tant que manager, il me manquait le sens commercial et la vision stratégique. Par contre, mes capacités d'analyse, ma connaissance des organisations faisaient de moi un excellent numéro 2. J'ai choisi de réorienter ma carrière pour me tourner vers la finance, que j'avais déjà explorée auparavant. Ce qui me plaisait le plus dans la finance, c’était la proximité des centres de décision, la technicité et le fait qu’une indépendance d’esprit était une qualité et non un défaut. Ce genre de virage surprend toujours, et nombreux sont ceux qui ne l'ont pas compris. Mais nombreux sont aussi ceux qui m'ont donné ma chance, et notamment ont pris le risque de me confier mon premier poste de Financial Controller, ma première étape dans cette nouvelle carrière. Mon chemin s'est écrit un peu tout seul ensuite, mais toujours avec beaucoup de travail et d'apprentissage, notamment pour mon master de Compta Gestion.

In fine, la trame de mon parcours a été la curiosité, la prise de risque, le naturel et la confiance en moi et en les autres.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?

 

Une carrière, si prenante soit-elle, ne peut pas remplacer une vie personnelle ou familiale, et les priorités étaient pour moi très claires.

Sortie de l'école en 1988, les entreprises déroulaient encore le tapis rouge pour les diplômés. Mais en 1990 la situation s'est retournée, et de VIP vous êtes devenu un employé lambda facilement remplaçable. C'est le principe d'un contrat de travail ; il a un début et une fin, a contrario de votre vie qui continue. Cela été ma première leçon : un travail se perd et se retrouve alors qu’une famille c’est pour la vie. Cela m'a servi de guide, en fixant des règles : ne pas travailler le week-end, avoir toujours un parent le soir pour le repas et ne pas hésiter à sécher une réunion en cas d'urgence familiale. Mais en contrepartie, retravailler le soir quand le conjoint est en déplacement et que les enfants sont couchés, être toujours efficace et organisée, jongler pour les voyages. J'ai été aidée par une bonne santé, une nounou fantastique à la maison pour gérer quatre garçons et un conjoint pour partager les plannings et la logistique (et bien d'autres choses aussi).

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Mis à part le goût du travail et la curiosité, il n'y a pas de qualité particulière pour être financière, il faut juste aimer cela. Comprendre comment les activités de chacun se transforment en espèces sonnantes et trébuchantes, et maîtriser la langue comptable. Car in fine, la comptabilité n’est ni plus ni moins qu’une langue et un moyen de communication où les numéros de compte remplacent les verbes, les classes comptables remplacent les sujets, et les états financiers un rapport de dix pages résumé en une seule. La qualité intrinsèque des bons financiers : savoir traduire dans les deux sens entre français et comptabilité.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

 

Les modèles et les réseaux sociaux ne font partie de mon univers que depuis quelque temps. La technologie n'était pas disponible et le temps me manquait pour surfer. J'ai donc plutôt suivi mon instinct et la chance plutôt que des modèles. Et j'ai écouté les conseils de ma mère, qui avait décidé que toutes ses filles auraient un métier qui leur permettrait d'être indépendante, et de faire ce qu’elles voudraient de leur vie. Elle avait fait un autre choix et elle n’en a jamais souffert, mais elle avait eu autour d’elle trop de femmes à la vie gâchée par l’absence d’un vrai métier, au sens rémunérateur du terme. Elle ne voulait pas cela pour nous.

 

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

Cette question de la place des femmes ne me parle pas. On a parfois tendance à se cacher derrière cette étiquette pour se résigner et se mettre des barrières imaginaires. Personnellement, j'ai toujours évolué dans un milieu très masculin, et ce depuis la classe de seconde où nous n'étions que deux filles dans notre classe. Cela m'a valu d'avoir été considérée comme un point singulier, dont les personnes se souvenaient. Mais j’ai surtout été remarquée par mon caractère et mes capacités, plus que par le fait d'être une femme. Et aujourd'hui cette étiquette « femme » s'apparente à une attitude communautaire où on est défini par son apparence physique. Il faut travailler pour l'égalité des chances et la diversité en général, non sur des quotas communautaires. C’est pour cela qu’il est important aussi de sensibiliser et d'aider les jeunes filles à se lancer, et à ne pas avoir peur d’une certaine forme de pouvoir, et à ne pas s'enfermer dans les schémas révolus (telle la fable de l’éléphant enchaîné). On peut avoir le plaisir de faire une carrière et d'être épanouie au sein de sa famille, malgré tous les clichés de « mauvaise mère » que l'on vous colle. 

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

La finance amène à des métiers très variés : proches des opérationnels en contrôle de gestion, plus proche des directions sur les financements, et enfin plus technique en comptabilité et consolidation. Il est difficile d'être très performant dans un domaine, sans avoir une petite idée des autres. Savoir parler des trois sujets (contrôle de gestion, financement & valorisation, comptabilité & consolidation) est un vrai plus qui permet de prendre plus facilement des responsabilités. Ajoutez à cela le management d'équipe et la gestion de projets, qui sont des domaines peu enseignés dans nos métiers, qui feront toute la différence dans votre carrière. Enfin, le besoin de compréhension et la proximité avec les autres équipes, vous permet de constamment découvrir les différents métiers de l’entreprise, ce qui constitue un tremplin non négligeable si vous souhaitez changer de direction.

 

Pouvez-vous nous raconter un épisode où vous avez pu surmonter une situation de crise ou de difficultés ? En expliquant les difficultés que vous avez rencontrées et votre façon d’y faire face.

 

En 2016, Voltalia a fait l'acquisition d'une société deux fois plus grosse, et dans la foulée a décidé de faire une augmentation de capital avec appel à l'épargne publique, le tout en 4 mois et avec une clôture annuelle en prime. Pour moi qui venais tout juste de rejoindre le groupe, les enjeux étaient de comprendre la société acquise, faire une consolidation à la main, sortir un prospectus avec des comptes pro forma dans des délais impartis et soumis à la validation de nos commissaires aux comptes. Ma méthode était simple : aucune méthode, simplement se concentrer sur la prochaine échéance à venir en mode « assiettes chinoises », tout en faisant le maximum de simplifications que les commissaires aux comptes pouvaient accepter.

Avec la petite équipe que nous étions, passer les obstacles les uns après les autres, en se félicitant et en s’encourageant à chaque fois de chaque étape franchie. Et puis rapidement, afin de ne pas être toujours en mode pompier, lancer les sujets de fond : gestion du cash, ERP, consolidation, etc.

 

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

 

Professionnellement, je pense que « quand on n’avance pas on recule ». Tout évolue trop vite autour de vous : les personnes, les mentalités, les outils, vos enfants qui grandissent et vous dépassent. Et pour ne pas reculer, il suffit simplement de rester curieux, de toujours être au maximum de ses possibilités et assoiffé de nouvelles expériences. C’est votre meilleur passeport pour un job à vie.

Et la bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas d’âge pour être curieux.

 

 



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière, des réponses à des questions qui nous sont posées ou des citations.

 

Shell soumet son plan Zéro émissions nettes de carbone en 2050 au vote de ses actionnaires

Si de plus en plus de groupes annoncent des plans pour réduire leurs émissions nettes de carbone à zéro en 2050, y compris dans l’utilisation de leurs produits qu’en font leurs clients, peu comme Shell incluent les émissions des produits négociés par sa division de trading ; et encore moins le soumettent aux votes de leurs actionnaires. Si l’issue du vote ne fait pas de doute, le vote permet d’associer les actionnaires à la stratégie suivie, de l’ancrer solennellement dans la durée et de creuser l’écart dans la perception des investisseurs vis-à-vis de concurrents qui auront du mal à prendre un tel engagement rapidement (les pétroliers américains, Aramco, etc.). Comme en Europe, la moitié des investisseurs dit suivre des critères ESG dans leur choix de portefeuille, il est important de ne pas être dans les 15 ou 20 % derniers d’un secteur qui seront éliminés du champ des sociétés investissables pour plus de 50 % des investisseurs.


La lettre annuelle de Warren Buffett

Nous y avons trouvé trois réflexions intéressantes d’un point de vue financier :

Toujours aussi bluffante, la comparaison depuis 1965 de la performance annuelle moyenne d’un placement dans l’indice boursier (10 % par an) et dans son holding d’investissement (20 %), qui conduit dans le premier cas à une multiplication par 235 du patrimoine investi et par… 28 106 pour les investisseurs qui ont fait confiance à Warren Buffett en 1965. Il n’y a pas de coquille, vous avez bien lu par 28 106, soit 120 fois plus que pour un « simple » doublement de la performance annuelle. C’est la puissance des intérêts composés dans la durée, ici 55 ans.

Il est vrai que traiter ses actionnaires comme des partenaires et associés, et non des clients à qui on facture des commissions de gestion et éventuellement de performance, change beaucoup de choses en termes de gouvernance et d’incitations.

Une analyse détaillée du mécanisme et des conséquences sur le patrimoine des actionnaires des rachats d’actions auxquels s’est livré Berkshire Hathaway en 2020. Nous ne sommes pas des inconditionnels des rachats d’actions. Nous pensons que c’est un outil stupide pour les entreprises qui sont capables de trouver régulièrement des investissements rapportant plus que leur coût du capital, et un outil pertinent pour celles qui n’y arrivent plus. Comme il se trouve que le cash s’accumule dans Berkshire, de l’ordre de 140 Md$ placés en bons du Trésor américain, soit 24 % de la capitalisation boursière, sans que ses gestionnaires ne trouvent des investissements pertinents, 25 Md$ ont été rendus aux actionnaires en 2020, à charge pour ceux d’entre eux qui ont ainsi vendu leurs actions de faire mieux que l’équipe de Warren Buffett.

Enfin, une analyse des performances financières des conglomérats, qui est à la fois une défense et une illustration du mode d’investissement de Warren Buffett. Comme les entreprises qui excellent dans leur secteur, pensez par exemple à L’Oréal, Apple ou l’Air Liquide, n’ont aucune envie de perdre leur indépendance, un conglomérat est condamné à acquérir des entreprises de second ordre, et donc à ne pas être le meilleur véhicule d’investissement que l’on puisse imaginer. Alors que Berkshire Hathaway peut prendre des participations minoritaires de nature financière et de longue durée dans ces créateurs massifs de valeur. Ainsi, la participation de 5 % dans Apple acquise depuis 2016 pour 31 Md$ et qui en vaut aujourd’hui 120 Md$.

 

Quand la cupidité se conjugue avec l'incompétence

Vous avez la situation d’un certain nombre d’entités publiques allemandes qui avaient déposé 500 M€ de leur trésorerie auprès de la banque Greensill, car contrairement aux autres banques allemandes, Greensill Bank ne facturait pas les dépôts à - 0,5 %. Mais comme cette banque est maintenant en faillite et que les dépôts des entités du secteur public déposés auprès des banques du secteur privé ne sont plus couverts par le système public de garantie des dépôts depuis 2017, c’est probablement autant d’argent disparu à jamais. Bref pour économiser 0,5 % par an, certains ont pris le risque de perdre 100 % du capital.

Ne répétera-t-on jamais assez que, lorsqu’une banque rémunère les dépôts au-dessus du taux du marché, ce n’est pas pour vous faire plaisir, mais c’est parce qu’elle n’arrive pas à s’endetter au prix du marché, et donc qu'elle présente un risque plus élevé. Pas besoin d’en faire l’analyse financière, ni de vérifier son rating, FUYEZ ! Quand le taux de l’argent sans risque est à - 0,5 %, tout ce qui rapporte au-dessus, y compris à - 0,2 % contient une part de risque plus ou moins importante. C’est dans le Vernimmen depuis plusieurs décennies. 

Un prix spécial à la ville de Monheim, Rhénanie du Nord-Westphalie, 42 000 habitants, et 38 M€ déposés auprès de Greensill Bank…

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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