La Lettre n°185 de Janvier 2021

Actualités : Dividendes et rachats d'actions au sein du CAC 40 en 2020

Pour la 18e année, nous publions les résultats de notre étude annuelle. Avant d’en livrer les résultats, rappelons trois points au lecteur pour qui les souvenirs des chapitres 38 et 39 du Vernimmen[1] seraient trop lointains :

1/ Pas plus qu’un retrait à un distributeur automatique de billets ne vous a jamais enrichi, dividendes et rachats d’actions n’ont jamais enrichi les actionnaires, dont la valeur de leurs actions baisse mécaniquement du même montant dès le versement du dividende. Pour les rachats d’actions, c’est la valeur des capitaux propres qui baisse du montant du rachat d’actions et la stabilité de la valeur de l’action est obtenue, malgré cela, grâce à la hausse du pourcentage de détention suite à l’annulation des actions rachetées. Sinon on ne comprendrait pas comment les deux hommes les plus riches du monde le sont devenus en étant actionnaires d’entreprises qui ne versent pas de dividendes (Elon Musk et Tesla, Jeff Bezos et Amazon).

2/ Par construction, le CAC 40 regroupe les quarante groupes cotés français ou d’origine française aux meilleures performances. Pas plus que l’on peut juger du niveau en finance des Français en interrogeant les seuls propriétaires d’un Vernimmen, l’on ne peut juger de la bonne santé de l’économie française en se penchant uniquement sur le CAC 40, dont le périmètre évolue au demeurant chaque année pour sortir les moins performants (Accor, Sodexo et TechnipFMC en 2020) et leur substituer des impétrants plus performants (Alstom, Teleperformance et Worldline).

3/ Dividendes et rachats d’actions sont de formidables outils de circulation des richesses permettant de réallouer une ressource rare, les capitaux propres, d’entreprises qui n’en ont plus l’utilité, vers des entreprises nouvelles qui en ont besoin à leur stade de développement actuel. Ainsi, dans nos activités d’investissement, nous côtoyons au capital de la start-up prometteuse Karos un des fonds d’investissement de la famille Arnault, alimenté grâce au troisième payeur de dividendes du CAC 40 qu’est LVMH.

 

Les résultats maintenant !

En 2020, d’après nos compilations, les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 35,9 Md€, dont 7,4 Md€ sous forme de rachats d’actions, soit une baisse de 40 % par rapport au niveau de 2019. C’est la seconde baisse la plus importante depuis le début de notre étude après celle de 2009 (- 50 %).

À notre lecteur qui s’étonnerait que le record de 2009 n’ait pas été battu, nous rappelons trois éléments :

1/ Le CAC 40 de 2020 n’est pas le CAC 40 de 2009 : le poids des entreprises de biens de consommation ou de luxe (LVMH, L’Oréal, Sanofi, Hermès, Kering, Vivendi, etc.), a priori plus résilientes, est beaucoup plus élevé en 2020 qu’en 2009 ; et celui des financières ou de l’industrie lourde (BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, ArcelorMittal, Engie, etc.), a priori les plus impactées, est beaucoup moins élevé en 2020 qu’en 2009. Ainsi, la capitalisation d’ArcelorMittal représentait 150 % de celle de LVMH en 2007 (60 Md€ contre 40 Md€), et non 6 % (sic) comme en 2020 (13 Md€ contre 201 Md€).

2/ Le choc de 2020 a été plus ramassé dans le temps que celui de 2009, et le rebond plus rapide. Ainsi, dès le second semestre 2020, des entreprises qui avaient supprimé le versement de leur dividende au premier semestre l’ont repris (Bouygues par exemple), en mesurant à l’automne que la violence du choc de mars s’estompait pour partie. D’autres, face au même constat, ont préféré faire des rachats d’actions fin 2020 après avoir supprimé leurs dividendes au printemps (Saint Gobain, ArcelorMittal).

3/ Si pour bon nombre de groupes, la crise de 2008 a été une crise de liquidité, celle de 2020 n’a pas revêtu cet aspect, car les marchés financiers et bancaires ont toujours été ouverts pour des émetteurs investment grade, comme en témoignent les montants records d’émissions d’obligations et de dettes bancaires[2] enregistrés l’an passé. Dès lors, certains groupes peu endettés ont pu avoir moins de réticences à se priver de liquidités via des dividendes, sachant que l’accès à celles-ci n’a jamais été un problème en 2020, contrairement à 2008.

 

Il est probable que l’an prochain les chiffres que nous publierons seront en rebond, à moins que les vaccins ne trahissent leurs promesses. Le rebond sera-t-il aussi fort qu’en 2010 (+ 32 %) ? Si les trois banques du CAC 40 sont autorisées par la BCE à reprendre le versement d’un dividende (6,7 Md€ en 2019 et rien en 2020), cela paraît probable à ce stade. Mais rendez-vous l’an prochain.

Source : Compilation des informations réglementées publiées par les sociétés.

 

En 2020, les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires font 39 % du volume, contre 28 % l’an passé : Total (6,4 Md€), Sanofi (4,8 Md€) et Vivendi (2,8 Md€). Les deux premiers sont des entreprises à maturité, ce qui est logique puisque les entreprises à maturité génèrent de nouveaux capitaux propres importants, que leur faible croissance rend inutiles en leur sein. Il est plus sain de les reverser à leurs actionnaires, plutôt que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs de trésorerie, et de priver ainsi de capitaux propres d’autres groupes qui en auraient besoin pour se développer et vers qui les dividendes et rachats d’actions de ces mastodontes seront réinvestis.

En ajoutant deux autres groupes (LVMH, L’Oréal), la barre des 50 % des fonds redistribués est franchie (52 % pour être précis). Par ailleurs, la dernière moitié du CAC 40 ne fait que 6 % du total. Même au sein du CAC 40, les inégalités sont criantes ! Il est vrai que 2020 est une année un peu exceptionnelle.

 

En 2020, les entreprises du CAC 40 ont procédé à 7,4 Md€ de rachats d’actions, soit 0,5 % de leur capitalisation boursière moyenne. On ne comparera pas ce chiffre à celui des années précédentes, car cela ne ferait pas sens, puisque les rachats d’actions sont discrétionnaires et n’impliquent, contrairement aux dividendes, aucun engagement implicite de récurrence.

Ce montant s’explique à hauteur de 29 % par Vivendi (2,2 Md€) pour qui il s’agit de rendre des liquidités suite à des cessions d’actifs (10 % de Universal Music pour 3 Md€) et de conforter ce faisant la position du minoritaire contrôlant (Bolloré). Ensuite, on trouve six groupes, dont seulement un de l’an passé (Total), ce qui souligne bien le caractère discrétionnaire des rachats d’actions, qui ont consacré de l’ordre de 400 M€ à 800 M€ chacun aux rachats en 2020 : Sanofi, Pernod Ricard, Capgemini, Saint Gobain, ArcelorMittal et donc Total. Outre la substitution à un dividende supprimé, certains ont choisi ainsi de neutraliser l’augmentation du nombre d’actions due à des plans d’actionnariat salariés (Total, Cap Gemini) ou d’une augmentation de capital (ArcelorMittal).

Au total, seize groupes, comme l’an passé, ont procédé à des rachats d’actions significatifs (au moins 100 M€) en 2020. 

 

Côté dividendes, 28,6 Md€ ont été versés en 2020. Quatorze groupes les ont supprimés. Certains pour de bonnes raisons (forte incertitude conjoncturelle comme pour les constructeurs automobiles), illustrant ainsi que le niveau d’un dividende dépend non seulement des résultats de l’année écoulée (2019, qui étaient bons), mais aussi des perspectives de l’année en cours au moment où son montant est décidé (entre février et mai 2020). Renault qui est, à notre connaissance, le seul groupe du CAC 40 à avoir sollicité et obtenu un PGE, n’a pu logiquement verser un dividende cette année, les deux étant logiquement antinomiques. Quelques groupes ne se sont pas grandis en cédant au politiquement correct dans un pays où les connaissances financières de base sont rarement maîtrisées par les citoyens, invoquant « un souci d’exemplarité vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes du groupe » pour baisser ou supprimer un dividende, comme si verser un dividende était une initiative honteuse, même pour une société florissante sans problème de trésorerie. Tout au contraire, c’était priver l’État de recettes fiscales (les dividendes sont
imposés) au moment où ses dépenses montaient en flèche, sans pour autant apporter un masque ou un respirateur de plus aux hôpitaux.

Raison de plus de saluer le comportement des trois petits nouveaux du CAC 40 de cette année qui nous paraît exemplaire, compte tenu de leurs situations : Alstom et Worldline n’ont pas versé de dividendes pour contribuer à financer leur forte croissance organique et externe ; et Teleperformance a, sans faux états d’âme, augmenté le sien de 26 % dans la foulée d’une hausse de son activité de 21 % et de 28 % de ses résultats. Avec un endettement représentant un peu plus de deux fois son EBE, Teleperformance peut se le permettre.

Quelques-uns ont choisi de payer leurs dividendes pour partie en actions, pour des montants qui ne figurent pas dans nos chiffres cités plus haut, car ne correspondant pas à des débours de trésorerie. Total y a eu recours de nouveau. Le dividende en actions lui a ainsi permis de continuer à maintenir constant son dividende, malgré les variations erratiques du prix du pétrole, satisfaisant ainsi ses actionnaires, fonds de pension américains et britanniques, très attachés psychologiquement aux dividendes réguliers (le dividende de Total n’a pas été réduit depuis 1981) pour payer les pensions qu’ils doivent. Carrefour, Publicis et Vinci y ont aussi eu recours. Ce sont autant de débours de trésorerie évités pour des groupes soucieux de ne pas mettre sous tension leur structure financière ou de préserver intacte leur capacité à financer des opérations de croissance externe.

Le taux de distribution des entreprises du CAC 40 dans cette année totalement atypique (enfin espérons-nous) tombe à 29 %, contre 53 % l’an passé. En tenant compte des rachats d’actions, on passe à 35 %, contre 59 % l’an passé. Soit les niveaux les plus bas depuis que nous reportons ces chiffres. Ce n’est naturellement pas une surprise compte tenu de la baisse de 40 % des retours aux actionnaires enregistrée en 2020. Que ceux qui, par démagogie ou ignorance, réclament régulièrement une hausse des salaires similaire à celle des dividendes quand ceux-ci progressent, se rassurent ; il n’y aura pas de baisse des salaires de 40 % !

 

Au total, dividendes et rachats d’actions en 2020 illustrent bien que le dividende n’est ni une idole, ni un tabou !

 

La source des tableaux est la compilation par les auteurs des informations réglementées publiées par les sociétés.

[1] Dont les résumés sont consultables ici et .

 



Tableau : Les principaux taux d'impôt en France en 2021

Comme chaque année ; un grand merci à Benoît Dambre pour sa relecture

 

Voici les principaux taux d’impôt sur les bénéfices, les plus-values, les dividendes et intérêts reçus par les sociétés et les personnes physiques (hors régimes spéciaux et plus-values immobilières), en application de la loi de finances pour 2021 (exercices ouverts en 2021).

 

Ces taux ne tiennent pas compte, pour les entreprises, des cotisations sociales, taxes, cotisations et prélèvements divers, en particulier liés à la fiscalité locale, qui s’ajoutent aux impôts répertoriés ci-après.

(1)          Les sociétés, pour être qualifiées de PME au sens de l’article 219 I, b du CGI, doivent avoir un chiffre d’affaires (CA) hors taxes inférieur à 10 M€ et leur capital doit être entièrement libéré et détenu pour au moins 75 % par des personnes physiques (ou des sociétés qui satisfont elles-mêmes à ces conditions pour bénéficier du taux réduit de 15 % sur les premiers 38 120 € de résultat imposable. La loi de finances pour 2021 a rehaussé, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021, le plafond de CA permettant aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés de bénéficier du taux réduit de 15 % prévu à l’article 219 I b du CGI dans la limite de 31.120 € de bénéfice imposable par exercice. Ce plafond était antérieurement de 7,63 M€.

Une diminution progressive du taux normal de l'impôt, auparavant fixé uniformément à 33,1/3 %, est en cours depuis 2017. Elle a pour objectif de ramener ce taux à 25 % d'ici à 2022 pour toutes les entreprises et pour la totalité de leurs bénéfices (hors taux réduit de 15 % sur les premiers 28.120 € de résultat imposable pour les PME).

(2)          La contribution sociale de 3,3 % est assise sur l’IS « brut » de référence, sous déduction d’un abattement de 763 000 € par période de 12 mois (lorsqu’un exercice est différent de 12 mois, l’abattement est ajusté en conséquence). Les taux affichés dans le tableau ci-dessus supposent que l’IS de référence est supérieur à 763 000 €.

(3)          Pour simplifier le tableau, seul est pris en compte l’IS au taux normal. Des taux réduits s’appliquent dans certains cas sous conditions (fiscalité des FCPR, des fonds professionnels de capital investissement, plus-value de cession de locaux professionnels destinés à être transformés en logements, etc.).

(a)          Bénéficient du régime des plus-values à long terme les cessions de titres de participation détenus depuis au moins deux ans qui revêtent ce caractère au plan comptable, ainsi que ceux considérés comme tels par la loi fiscale : (i) titres ouvrant droit au régime des sociétés mères, voir b), prévu aux articles 145 et 216 du CGI si inscription à une subdivision spéciale d’un compte de bilan correspondant à leur classification comptable (ii) actions acquises en exécution d’une OPA ou OPE par l’entreprise initiatrice.

La moins-value constatée lors de la cession de titres de participation détenus depuis moins de deux ans à une société liée est mise en suspens. Le régime et la date d’imposition de ce résultat dépendent du maintien ou non des titres dans le groupe économique.

Un régime spécifique, profondément remanié par loi de finances pour 2019, s’applique désormais sur option aux produits nets de concession de brevets, d’inventions brevetables (pour les PME) ou de procédés de fabrication, ainsi que les plus-values y afférentes. Ce régime – qui s’applique également aux logiciels protégés par le droit d’auteur - prévoit en substance un taux préférentiel de 10 % sous conditions : il est réservé aux revenus de la propriété industrielle issus d’activités de R&D réalisées par le contribuable lui-même (approche « nexus ») et établit un lien entre les dépenses engagées, les actifs détenus permettant d’accorder un avantage fiscal proportionnel aux gains tirés de ces actifs et que procurent ces dépenses.

Sont taxables au taux réduit de l’IS de 19 %, les cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière cotées qui ont le caractère de titres de participation détenus depuis au moins deux ans. Celles provenant de titres non cotés sont taxables au taux normal de l’IS.

Les cessions de titres de sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif ou « ETNC » ne relèvent pas du régime long terme.

(b)          Participation d’au moins 5 % du capital conservés pendant au moins deux ans. Concerne aussi les titres dépourvus de droit de vote (actions de préférence) si la société mère détient globalement au titre de cette participation au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice. Sont exclues de ce régime les participations dans des sociétés non soumises à l’impôt sur les sociétés (notamment SIIC pour les dividendes prélevés sur des bénéfices exonérés, SICAV…). De même, le régime mère-fille n’est pas applicable aux distributions réalisées par les sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI.

 (c)         Les moins-values subies au cours d’une année par les personnes physiques sont imputables sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année et des 10 années suivantes.

(d)          La Contribution exceptionnelle sur les Hauts Revenus ou « CHR » de 3 ou 4 % (selon le revenu fiscal de référence) est susceptible de s’appliquer en sus.

 



Recherche : Le rôle des créanciers dans l'allocation interne des ressources

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

La théorie financière s’intéresse depuis longtemps aux relations entre actionnaires et créanciers. Celles-ci sont le plus souvent perçues comme essentiellement conflictuelles : les actionnaires recherchent la création de valeur par l’optimisation du couple rentabilité/risque, tandis que les créanciers sont soucieux de limiter les risques, quitte à renoncer à des projets créateurs de valeur. Le problème devient saillant lorsque l’entreprise est en difficulté, car alors la nature des décisions prises peut entraîner des transferts de richesse entre actionnaires et créanciers[1].

Pourtant, plus récemment, quelques publications ont montré que le rôle accru des créanciers en période de crise pouvait paradoxalement avoir des effets vertueux favorables aux actionnaires[2]. L’article que nous présentons ce mois[3] s’inscrit dans cette lignée. Il montre que le pouvoir obtenu par les créanciers, lorsque les clauses des contrats de prêt ne sont pas respectées (covenant violations), favorise une allocation des ressources dans l’entreprise qui bénéficie également aux actionnaires.

L’idée générale est la suivante. Lorsqu’une clause de contrat de prêt n’est pas respectée (typiquement, parce que l’entreprise connaît des difficultés), le créancier obtient le droit de se faire rembourser. S’il réclame le remboursement, il accroît bien entendu les difficultés de l’entreprise. Généralement, au lieu d’activer la clause, il utilise cette menace pour peser sur les décisions de l’entreprise et imposer une réallocation des ressources internes. Le danger pour les actionnaires est alors que les créanciers imposent la cessation des activités risquées, même lorsqu’elles sont créatrices de valeur. Il existe toutefois une autre source de conflit dans la prise de décisions : celui qui oppose les actionnaires aux dirigeants. Les auteurs de l’article expliquent que certains créanciers arrivent, par leur influence, à imposer aux dirigeants des décisions favorables à tous les investisseurs, mais que les actionnaires seuls n’étaient pas capables d’obtenir. Il s’agit en particulier de la fermeture d’activités à la fois risquées et peu performantes, et des licenciements qui accompagnent ces fermetures.

Les auteurs utilisent un échantillon d’entreprises américaines ayant connu une violation de clause de contrat de prêt entre 1996 et 2009[4]. Ils constatent que ces entreprises ont tendance à se recentrer sur leur activité principale et à renoncer aux activités secondaires. Cet effet peut être bénéfique : la recherche en finance a montré que des dirigeants mal contrôlés par les actionnaires avaient tendance à développer à l’excès les activités périphériques, soit parce qu’ils poursuivent une ambition personnelle (empire buiding), soit, pour les jeunes dirigeants, parce qu’ils manquent d’expérience dans l’activité principale. L’hypothèse des auteurs est que ce recentrage est la conséquence (favorable) de la pression exercée par les créanciers.

Concernant l’emploi, les bris de covenants entraînent une baisse du nombre de salariés de 2,6 % dans l’activité principale et de 8,9 % dans les activités secondaires. Les licenciements sont observés exclusivement sur les activités secondaires risquées[5] : 15,4 % de baisse du nombre de salariés, alors qu’aucune variation significative n’est pas observée pour les moins risquées. Ce résultat semble confirmer que la réallocation des ressources a pour objectif la réduction du risque. Mais les variations sont particulièrement significatives pour les activités à la fois risquées et peu productives, cette réallocation bénéficie donc vraisemblablement aussi aux actionnaires.

Enfin, les auteurs présentent en fin d’article un résultat qui nous paraît crucial dans l’interprétation des résultats. Ils observent que les effets identifiés ne sont significatifs que lorsque les créanciers disposent d’une expérience particulière dans les secteurs concernés. Ainsi, plus que d’un alignement des intérêts entre actionnaires et créanciers, il s’agit davantage de bénéficier d’une expertise supplémentaire (celle des créanciers) pour réagir en cas de difficultés financières.

Cet article a le mérite de montrer que les créanciers, lorsqu’ils disposent d’une expertise, peuvent aider les actionnaires à contrôler les dirigeants. Comme le remarquent avec justesse les auteurs, les entreprises concernées (celles qui ne respectent pas les clauses de prêt) sont très différentes des cibles potentielles des fonds activistes. Les activistes ciblent le plus souvent des entreprises génératrices de flux de trésorerie, souvent performantes, et les contraignent à rendre les liquidités excédentaires aux actionnaires. À l’inverse, les créanciers usent de leur influence dans les entreprises en difficulté afin d’améliorer leur solvabilité.

 

[2] Notamment G. Nini, D.C. Smith et A. Sufi, « Creditor control rights, corporate governance, and firm value », Review of Financial Studies, 2012, vol. 25-6, p. 1713 à 1761.

[3] N. Ersahin, R.M. Irani et H. Le, « Creditor control rights and resource allocation within firms », Journal of Financial Economics, 2021, vol. 139-1, p. 186 à 208.

[4] Une partie de leur base de données provient de l’article de G. Nini et al., précédemment cité.

[5] Les auteurs utilisent ici le risque opérationnel, mesuré par la variabilité des marges d’exploitation. C’est peut-être une limite de l’article, car il ne s’agit pas d’un risque de marché permettant d’évaluer la création de valeur pour les actionnaires.

 



Q&R : Qu'est-ce qu'une entreprise à mission ?

Traditionnellement, les entreprises ont pour but la maximisation de l’intérêt de leurs actionnaires/ associés. La théorie classique nous dit que la maximisation de l’intérêt des actionnaires, c’est-à-dire la recherche de la maximisation des profits générés par l’entreprise sur la durée, permet d’optimiser l’efficience de l’entreprise et donc, par un raccourci (un peu rapide), son utilité dans la société.

Mais tout comme la main invisible d’Adam Smith ne permet pas une auto-régulation parfaite de l’économie, on ne peut se reposer sur le fait que l’optimisation des profits sera le garant de la vertu d’une entreprise. Ainsi, la loi PACTE a marginalement modifié l’objet de toute entreprise en insérant[1] les concepts d’enjeux environnementaux et sociaux : « gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

La loi PACTE permet d’aller plus loin en proposant aux entreprises une nouvelle qualité, celle d’« entreprise à mission ». Leur objet social s’accompagne d’une « raison d’être » générale déclinée sur des objectifs environnementaux et sociaux précis. Cette modification juridique est importante car, jusqu’à présent, une société commerciale qui faisait passer au second plan l’intérêt de ses actionnaires pour d’autres enjeux de société pouvait théoriquement être attaquée pour non-respect de son objet social (bien que ce ne soit jamais arrivé à notre connaissance).

L’entreprise à mission fixe donc une raison d’être inscrite dans ses statuts (sans changer de forme juridique) et formalise des objectifs environnementaux et/ou sociaux mesurables.

L’entreprise définit également la gouvernance pour le suivi des objectifs fixés. Pour les entreprises de plus de 50 salariés, un comité de mission, indépendant de la gouvernance classique de l’entreprise doit être mis en place.

La définition de la raison d’être, la fixation des objectifs et la gouvernance de la mission sont inscrites dans les statuts, ce qui nécessite donc la tenue d’une assemblée générale extraordinaire. Pour une décision si importante, il est tout à fait normal que les actionnaires soient interrogés directement.

La réalisation des objectifs est également vérifiée par un organisme tiers indépendant accrédité, au minimum tous les deux ans. Si l’entreprise ne joue pas le jeu, ce qui implique de se donner les moyens financiers et humains de remplir la mission, sa qualité d’entreprise à mission est retirée…

Il existe aujourd’hui en France plus de 60 entreprises à mission, dont certaines de taille importante : Danone, Yves Rocher, CAMIF, MAIF, Mirova…

Certains mettent en avant que retenir la qualité d’entreprise à mission peut agir comme une poison pill pour éviter les OPA. Nous ne le pensons pas, tout d’abord, car l’entreprise à mission doit malgré tout soigner ses performances financières. Les non-performantes ne pourront sur le long terme assurer leur mission. Par ailleurs, abandonner la mission est encore plus simple que l’adopter…

 

[1] Article 1833 du Code Civil.



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière, des réponses à des questions qui nous sont posées ou des citations. Ce mois, nous reprenons des questions d’analyse financière qui nous ont été posées ces dernières semaines, avec leurs réponses bien sûr.

 

Lors d'une évaluation de société, faut-il réintégrer les comptes courants d'associés dans les capitaux propres ou les assimiler à des dettes nettes ?  

En général, on les considère pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire un prêt des actionnaires. Vous ne les considéreriez comme des capitaux propres que s’il y avait un engagement ferme et irrévocable des actionnaires de les intégrer au capital. Dans ce cas, vous tiendriez compte du nombre d’actions supplémentaires à émettre dans le nombre total d’actions de l’entreprise pour être cohérent. 

 

Dans le calcul de la rentabilité des capitaux propres, au numérateur on soustrait les charges exceptionnelles du résultat net, mais pas dans les capitaux propres au dénominateur qui comporte le résultat net impacté par les charges exceptionnelles. N'est-ce pas une aberration d'enlever les éléments non récurrents au numérateur et non au dénominateur ?

Nous ne pensons pas : la plus-value dégagée ne fait pas partie du résultat courant, récurrent de l'entreprise, donc elle doit être sortie du résultat net au numérateur. En revanche, une fois la décision des actionnaires prise de ne pas la verser en dividende et donc de la réinvestir dans l'entreprise, quel que soit son qualificatif juridique ou comptable, elle est devenue des capitaux propres sur lesquels il est normal d'attendre un certain taux de rentabilité, comme sur le reste des capitaux propres. Donc au dénominateur, il n'y a pas lieu de l'extourner.

 

Comment mener l’analyse financière des comptes sociaux d’une société holding ?

L'analyse financière d'une société holding pure n'a pas beaucoup d’intérêt, sauf si elle est endettée auprès de banques ou du marché financier.

En effet, la notion de marge n'existe pas car il n'y a pas de ventes, les investissements hors immobilisations financières sont inexistants, tout comme le BFR. Quant aux rentabilités, elles sont biaisées, car les éventuels dividendes ne reflètent qu'une partie de la rentabilité des sociétés en portefeuille, et les plus-values sont rarement régulières chaque année.

Le seul point d'intérêt, si la société holding est endettée, et il est alors crucial, est d'étudier attentivement comment la société holding peut rembourser cet endettement : dividendes reçus, cession d'actifs, augmentation de capital à souscrire par les actionnaires de la société holding s'ils le peuvent.

Faut-il calculer le point mort par rapport à la production ou par rapport aux ventes ? 

Par rapport aux ventes car produire, si l’on ne vend pas ensuite, ne suffit pas à couvrir ses coûts !

Cela dit, dans la présentation du compte de résultat par nature, et si vous n’avez pas accès à la comptabilité analytique de l’entreprise, il existe un petit biais puisque les charges correspondent, non aux coûts supportés pour réaliser les produits ou les services vendus, mais aux coûts des biens ou services produits. Ce qui ne veut pas dire que le résultat affiché n’est pas celui dégagé sur les ventes mais sur la production, car justement le poste de production stockée en produits vient ainsi indirectement neutraliser, au niveau du résultat, les charges enregistrées dans l’année qui sont à rattacher à des produits ou des services qui seront vendus les exercices suivants.  

La plupart du temps, l’écart est très faible entre production et ventes, même s’il n’est pas nul. D’autant qu'un observateur externe est amené à faire des hypothèses sur le partage des coûts entre ceux fixes et ceux variables qui ont une marge d’erreur nettement plus importante. On n'est donc plus à une petite erreur près.

Formons le vœu, qu’un jour, dans la présentation du compte de résultat par nature, on supprime la production stockée et que les différents composants qui la constituent soient alors déduits des postes de charges dont ils sont issus. Le compte de résultat sera alors plus clair, plus simple. 

 

[1]  Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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