“Commentaire, question ou citation du jour”
Chaque jour de la semaine, nous publions sur les pages LinkedIn et Facebook du Vernimmen, un commentaire de l'actualité financière, une question qui nous a été posée et la réponse que nous avons donnée,
et nous citons les classiques à travers des phrases que nous avons repérées dans nos lectures.
Parfois, la veille du week-end, nous soumettons à votre sagacité un remue-méninges dont la correction est apportée de lundi.
Vous trouverez tous ces billets ci-dessous et si vous voulez suivre la page LinkedIn du Vernimmen, c'est ici,
et là pour la page Facebook au contenu identique.
Et si vous le voulez en anglais, c'est ici.
29-05-2023 : “Comment depuis 2003 les groupes du CAC 40 ont-ils affecté les flux de trésorerie générés par leur exploitation entre les investissements, les impôts payés, les frais financiers et les retours nets aux actionnaires ? ”
C’est l’une des nombreuses questions auxquelles répond l’article d’actualité de La Lettre Vernimmen.net de mai qui est dans votre boîte aux lettres si vous êtes abonnés.
En fait sur un flux de 100, le CAC 40 a versé 18 d’impôt sur les sociétés (en raison d’un taux d’imposition moyen des résultats de 28 % des résultats), 8 de frais financiers, ce qui a laissé un solde librement affectable de 74 dont 51 sont allés à l’investissement (41 en croissance organique et 11 en croissance externe payée en liquidités). 21 a été affecté aux retours nets aux actionnaires. Depuis 2003, fruit des investissements, les immobilisations ont été multipliées par 2,6 contre 2,3 pour le chiffre d’affaires.
Bonne journée

16-04-2023 : “La marge décarbonée de Getlink. ”
Getlink, la maison mère d’Eurotunnel, publie un nouvel indicateur financier qui permet d’intégrer les éléments extra-financiers dans les éléments financiers, en soustrayant de l’EBE une charge fictive correspondant à la valorisation de la totalité de ses émissions de gaz à effet de serre (scope 1, 2 et 3) à un prix de plus du double du coût actuel de la tonne de carbone (197 € contre 94 €). Pour Getlink, qui émet peu de gaz à effet de serre, l’impact sur son compte de résultat est faible avec une réduction de son EBE de 3,3 %. Mais pour ses concurrents ferries qui émettent 73 fois plus pour un même trajet, on vous laisse imaginer… Cela montre aussi toute la transformation à marche forcée que certaines entreprises doivent effectuer à l’horizon 2024-2030, dans un contexte où l’Union européenne va étendre le marché des quotas carbone à de nouveaux secteurs comme le maritime (tiens, tiens…), le bâtiment, les transports routiers, ou réduire le volume des quotas actuellement gratuits, selon le principe du pollueur/payeur. Qui paiera in fine justement ? Le client via des hausses de prix, l’actionnaire via des profits plus faibles, la collectivité pour soulager des secteurs qui ne pourront pas s’adapter assez vite ? À voir. En tout état de cause, et comme nous l’expliquions dans l’introduction du Vernimmen 2021, il est plus aisé pour les investisseurs de prendre en compte les externalités que les entreprises font peser sur la planète si leur coût apparaît dans le compte de résultat, plutôt que dans une annexe, un autre document et chiffré en tonnes, litres, ou kWh, et non en euros. C’est pour cela que nous avions salué le BPA carboné de Danone qui posait un premier jalon en ce sens, même si l’approche de Danone était focalisée sur le taux de croissance de son BPA décarboné 2019, plus élevée que pour le BPA classique puisque le groupe agro-alimentaire avait atteint son pic d’émission de gaz à effet de serre. À notre connaissance, aucun autre groupe n’a embrayé et Danone a cessé de le publier pour 3 raisons : le Covid qui a fait que son BPA décarboné a décru alors plus vite que le BPA classique, la forte hausse du prix des crédits carbone passés de 35 € à 94 € en Europe qui aurait mis en perte le BPA décarboné, et probablement le changement de dirigeant. La marge décarbonée est-elle promise à un meilleur avenir ? Probablement, puisque son promoteur ne risque pas comme Danone d’être pris à contrepied, étant un faible émetteur de gaz à effet de serre ; et parce que le moment où ce coût théorique pourrait bien devenir un coût réel est bien plus proche. Bonne journée

26-03-2023 : “Orpéa : la paille et la poutre ”
Dans notre billet du 26 février, nous avons vu comment les analystes actions avaient été trompés par la norme IFRS 16, en surévaluant l’EBE d’Orpéa et donc sa solidité financière. Dans le dernier numéro de la lettre Vernimmen, nous notons que les analystes dettes ne commettent pas cette erreur et raisonnent pré-IFRS 16. Ils ont cependant, à quelques rares exceptions près, commis une autre erreur de raisonnement. La dette financière et bancaire d’Orpéa est classiquement composée d'une dette immobilière sécurisée par des garanties prises sur les biens ainsi financés, et d'une dette non sécurisée, en blanc. La pratique quasi générale est d’apprécier l’importance de cette dernière en la divisant par le solde de l’EBE duquel on retire un intérêt notionnel de 6 % de la dette immobilière. On raisonne donc comme si l’entreprise avait vendu suffisamment d'actifs immobiliers pour rembourser la totalité de sa dette immobilière, actifs maintenant loués pour un loyer de 6 % de leur valeur ; et on regarde l’importance de cet endettement résiduel. C’est une logique opco/propco. Les structures financières de Korian et Orpéa ne semblent pas significativement différentes si on les compare avec ces ratios retraités : 3,7 pour Orpéa contre 3,4 pour Korian à mi-2021. La conclusion est cependant bien différente si l’on regarde les ratios non retraités : 11,4 pour Orpéa et 5,7 pour Korian. En effet, Orpéa détient une part plus importante de son immobilier que Korian (47 % contre 24 %) ; et l’immobilier d’Orpéa est financé avec plus de dettes que celui de Korian : le montant de dettes immobilières par rapport à la valeur des actifs atteint 81 % pour Orpéa, alors qu’il n’est que de 55 % chez Korian. Si en termes de ratios retraités les deux groupes sont proches, le créancier non sécurisé d’Orpéa passe derrière des créanciers sécurisés beaucoup plus importants, et ayant eux-mêmes pris beaucoup plus de risques que ceux de Korian. Juger la situation financière d’Orpéa à l’aune du ratio endettement net/EBE retraité de 6 % de la dette immobilière, c’est se focaliser sur environ 1 Md€ d’endettement net sur 7,4 Md€ d’endettement net total, et oublier 6,4 Md€ de dettes immobilières finançant 7,9 Md€ d’immobilier. C’est donc prendre le risque de voir la paille, et pas la poutre. Les investisseurs en dettes non sécurisées ne devraient pas oublier la leçon, eux qui ont perdu entre 70 et 80 % de leurs prêts. Le raisonnement en opco/propco a conduit, pour Orpéa comme dans des exemples similaires (Europcar), à des situations de surendettement (dette nette / EBE de 11,4 en juin 2021, le double de Korian), alors qu’en apparence tout allait bien (3,7 contre 3,4). Les analystes dettes devraient, nous semble-t-il, se contenter d’outils conventionnels (endettement bancaire et financier net total / EBE total, hors IFRS 16), sans aller dans les hautes sphères de l’ingénierie financière, sauf à prendre le risque de terminer comme Icare. Bonne journée

22-03-2023 : “Brain storming de la journée, ou à mettre de côté pour le week-end ”
Bonjour, C’est l’examen de mi-parcours que nous venons de donner à nos étudiants d’HEC en master 1. Il couvre l’analyse financière, l’évaluation et les fondements conceptuels de la finance d’entreprise. Vous le trouverez sur : http://www.vernimmen.net/Entrainement/Examen_intermediaire_HEC.php Le corrigé est donné sur la même page. Et si vraiment vous vous ennuyez trop en ce moment, il y a aussi les énoncés et les corrigés des 11 examens précédents. Que du bonheur ! Bonne journée

19-03-2023 : “Appât du gain et myopie ”
Dans un article récent paru dans Les Echos intitulé « Comment les jeunes pousses doivent gérer leurs finances », nous avons lu le témoignage de deux entrepreneurs confiant : "Quand vous avez au moins 1 ou 2 millions en trésorerie, vous pouvez les placer en Bons du Trésor américain. En ce moment ils sont rémunérés à 5 % ! Cela vous fera du runaway gratuit ». « Nous avons acheté des bons du Trésor américain il y a un moment. Il y a peu de chance que le Trésor américain fasse défaut. Sinon, le monde aura de gros problèmes ». Nous ne contestons pas que le monde aurait de gros problème en cas de défaut du Trésor américain, et que ceci est très peu probable. Nous trouvons, avec notre double casquette de pédagogues et d’investisseurs, y compris en jeune pousse, une très mauvaise idée pour une start-up européenne de placer sa trésorerie en dollar. Le seul cas où ceci pourrait faire sens est celui de la jeune pousse qui a une dette en dollars ou fait des achats significatifs libellés en dollars, de sorte à constituer ainsi une couverture naturelle contre le risque de change, ce qui ne doit pas en concerner beaucoup puisque des jeunes start-up européennes sont rarement endettées, et encore moins en dollars ! Pourquoi est-ce une mauvaise idée ? Parce que pour avoir du 5 % sur les bons du Trésor américain, il faut aller chercher du papier à deux ans, qui d’ailleurs ne rapporte que du 4,4 % alors que le Trésor français rapporte actuellement du 2,7 %. Donc pour un écart de taux de 1,7 %, l’entreprise prend un risque de change sur le dollar. Il suffit que celui-ci baisse en un an de 1,7 % contre l’euro pour que le gain de rémunération du bon du Trésor en dollar contre celui de même maturité en euro soit effacé. Une baisse de 1,7 %, c’est l'euro qui passe de 1,06 $, cours actuel, à 1,08 $. Quand on sait que le dollar a évolué entre 0,96 et 1,4 depuis 10 ans, on se dit qu’une variation d’au moins 1,7 % en une année est du domaine du possible . . . sinon de la certitude. Mais il n’y a pas que le risque de change, il y a aussi le risque de taux d’intérêt. Si dans un an, les taux d’intérêt américains à un an sont passés à 6,2 %, parce que finalement l’inflation est plus forte que prévue et que notre start-up a besoin des fonds, elle vendra ses bons du Trésor avec une moins -value, à taux de change constant, effaçant l’écart de taux de rendement. Nous souhaitons bonne chance et beaucoup de courage à ces apprentis trésoriers pour aller annoncer à leur comité de gouvernance leur géniale idée, voire le moment venu l’éventuel désastre d’une trésorerie qui aurait perdu 10 % de sa valeur avec un dollar à 1,17, surtout dans le contexte d’un bras de fer qui monte entre les démocrates et les républicains sur le relèvement du plafond de la dette de l’État américain. . . En tout cas, nous, nous avons conseillé aux start-ups qui nous ont fait confiance en nous accueillant à leur capital et à leur comité de gouvernance, de placer sagement en euros et de se focaliser sur l’opérationnel. Bonne journée

12-03-2023 : “Les grands groupes poussent-ils l'inflation à la hausse ? ”
Nous ne le pensons pas en Europe, mais ne dirions pas la même chose aux États-Unis. Si les grands groupes, que l’on résume au CAC 40 en France, nourrissaient l’inflation en augmentant plus fortement leurs prix de vente que ne le justifie la hausse de leurs coûts de production et le maintien de leurs marges, on devrait voir leurs résultats progresser plus vite que leur chiffre d’affaires, témoignant ainsi d’une hausse des marges. Or quand on regarde les résultats 2022 des 38 sociétés du CAC40 (qui clôturent au 31 décembre), les 2/3 d’entre elles ont une croissance des résultats inférieure à la croissance du chiffre d’affaires, impliquant une baisse de leurs marges : ainsi, à titre illustratif pour des produits qui concourent à la vie quotidienne des consommateurs qui peuvent avoir ce soupçon : Carrefour : + 16 % pour le chiffre d’affaires et + 8 % pour les résultats, Danone + 14 % et + 1 %, Crédit Agricole : + 3 % et -7 %, Michelin : + 20 % et + 9 %. Parmi les 13 groupes dont les résultats ont progressé plus vite que les ventes, on trouve par exemple Hermès : + 29 % et + 38 %, Safran + 25 % et + 55 %, Dassault Systèmes : +17 % et + 20 %, dont les activités ne font pas partie du panier des ménages, ni de loin ni de près, et ne sont donc pas susceptibles de gonfler l’inflation significativement. Aux États-Unis, où la pression concurrentielle s’est amoindrie depuis les années 2000, voir La Lettre Vernimmen.net de janvier 2020, et où par exemple, un forfait téléphonique mensuel coûte de l’ordre de 60 € contre 20 € en France, avec 3 opérateurs nationaux contre 4 en France, la situation a des raisons d’être différente. Bonne journée.

08-03-2023 : “8 Mars 2023 - Spécial Journée des Droits des Femmes - Le site Vernimmen continue sa galerie de portraits. ”
Découvrez dans la rubrique Lire les nouveaux portraits de 3 femmes qui ont réussi dans la finance. Ces femmes ont réussi à briser le plafond de verre dans des métiers encore masculins. En outre, nous organisons un jeu concours. 3 exemplaires du Vernimmen dédicacés (en français ou en anglais) sont à gagner. Pour cela, il suffit de liker le post sur nos pages Facebook ou LinkedIn, s’abonner à la page, et commenter en taguant 2 ami(e)s passionné(e)s de finance. Une gagnante sera tirée au sort le 9/03 à minuit.

01-03-2023 : “Berkshire Hathaway doit-il verser des dividendes ? ”
Berkshire Hathaway est la société d’investissements de Warren Buffett (92 ans) et Charlie Munger (99 ans), dont on rappelle que le cours a progressé depuis 1964 (date de sa prise de contrôle par Warren Buffet) de 3.787.484 % (sic) contre "seulement" 24.708 % pour l’indice S&P 500 dividendes réinvestis, soit une progression moyenne de 19,8 % par an pendant 58 ans, soit le double exact de l’indice (9,9 % par an) sur la même période. Berkshire Hathaway n’a jamais versé de dividende, et a donc toujours réinvesti ses résultats, avec le succès rappelé plus haut, encore en 2022, où son cours a progressé de + 4 % contre - 18 % pour l’indice S&P 500 dividendes réinvestis. Au 31 décembre 2022, le cash net des dettes était de 30 Md$, et 153 Md$ en brut des dettes. Un actionnaire a déposé la résolution suivante soumise au vote des actionnaires : « Considérant que la société a plus d'argent qu'elle n'en a besoin et que les propriétaires, contrairement à Warren, ne sont pas multimilliardaires, le conseil d'administration doit envisager de verser un dividende annuel significatif sur les actions. » Cette résolution n’est pas passée avec 98 % de votes contre, et seulement 2% pour, dans la catégorie des actions B détenus par des centaines de milliers de petits porteurs, le score étant de 99 % contre pour les actions A. Une leçon à méditer pour tous ceux, nombreux parmi les hommes politiques, syndicalistes et journalistes, qui pensent que les actionnaires sont comme des sangsues avides de dividendes, et ignorent ou oublient qu’une politique de retour aux actionnaires se juge à l’aune du taux de rentabilité marginal que les dirigeants sont capables de trouver et de réaliser. Dès lors que des opportunités d’investissement rentables (rapportant plus que le coût du capital) existent, et que le management a démontré sa capacité à les mener à bien, les actionnaires sont prêts à se passer totalement de dividendes. C’est une décision on ne peut plus rationnelle, sans aucune passion derrière, comme l’illustrent les actionnaires de Berkshire Hathaway qui n’ont pas à regretter de n’avoir touché aucun dividende depuis 1964. Bonne journée

26-02-2023 : “Orpéa, un train peut en cacher un autre ”
Comment les analystes actions sur Orpéa, à qui on peut difficilement reprocher de ne pas avoir vu les maltraitances scandaleuses, les détournements de fonds au détriment des organismes de sécurité sociale, ont-ils pu ne pas voir l’endettement écrasant d’Orpéa qui explique beaucoup la chute du cours de 97 % (pour l’instant) que le scandale lui-même ? Ils étaient 11 sur 13 à recommander l’action à l’achat en janvier 2022, et les 2 autres étaient à Conserver. C’est la question que nous nous nous sommes posée dans la première partie d’un article publiée par La Lettre Vernimmen.net de février qui doit être dans votre boite aux lettres si vous êtes abonnés. En fait la règle de comptabilisations des loyers en IFRS 16, appliqué depuis les comptes 2019, y est beaucoup car elle conduit à gonfler l’EBE du locataire des loyers qu’il paie, mais ne gonfle la dette financière que du montant actualisé des baux sur leur durée, soit 9,3 ans dans le cas d’Orpéa. Or à l’échéance de ses baux, Orpéa va soit les prolonger ou en négocier de nouveaux équivalents pour continuer de pouvoir employer son personnel et héberger ses clients. Sinon son activité va chuter. Il y a donc une contradiction interne à la norme IFRS 16, contre laquelle nous avions lutté en vain et sur laquelle nous avons mis en garde. Si l’on veut rajouter la dette de location à la dette bancaire et financière nette, c’est par un calcul à l’infini qu’il faut le faire et non sur la durée juridique des baux comme le prône l’IFRS 16. Pour Orpéa, ce n’est pas 3 Md€ qu’il fallait ajouter mais 12,6 Md€, faisant passer le ratio Dettes nettes / EBE de 10, lourd même dans l’immobilier, à 19,7, soit un ratio écrasant. À défaut, et c’est notre préconisation, mais aucun des 13 analystes actions suivant Orpéa n’a fait ce travail, il convient de détricoter IFRS 16, pour avoir un EBE qui est un vrai EBE et pas avant loyers payés par Orpéa. Et ce faisant, on ne peut pas manquer de s’apercevoir que l’EBE d’Orpéa va s’affaisser à l’avenir sous l’effet d’un changement bien opportun de sa politique immobilière, consistant à céder des murs de ses établissements pour les louer, lui permettant de dégager des plus-values non récurrentes afin de maintenir l’EBE constant et de compenser des revalorisations significatives post-covid des salaires de son personnel. Dès lors que l’EBE ne peut pas être considéré comme pérenne, on porte le regard vers ce qu’il approxime, le flux de trésorerie d’exploitation. À 294 M€, comment peut-il supporter un endettement net 25 fois plus élevé à 7 435 M€ ? Indépendamment du scandale dénoncé par le livre Les fossoyeurs, Orpéa aurait connu de sérieuses difficultés financières en 2022 ou 2023 avec la remontée des taux et la fin de sa fuite éperdue en avant avec une rentabilité économique dérisoire (2%) et un endettement écrasant. Bonne journée

23-02-2023 : “Le Japon est un autre monde. ”
Kyocera est un groupe industriel japonais diversifié (céramiques industrielles, composants pour semi-conducteurs, pièces pour l’automobile, imprimantes, panneaux solaires) qui détient une participation de 15 % dans le groupe de télécom KDDI, sans probablement beaucoup de synergies entre les deux. Mais cette participation représente 55 % de la capitalisation boursière de Kyocera, qui est bien sûr pénalisé en bourse par cette structure baroque. En effet, le groupe n’est valorisé que 4,7 fois son résultat d’exploitation, pour autant que l’on valorise ses activités industrielles sans prendre de décote sur la somme des parties. Ce qui montre bien a contrario qu’il y en a une, puisqu'un groupe industriel de cette taille n’est pas valorisé 4,7 fois son résultat d’exploitation. Kyocera a une situation d’endettement particulièrement saine puisque c’est lui qui prête aux banques, de l’ordre de 2,8 Md€. Son conseil d’administration est composé de 13 membres, tous nés avant 1963 à une exception près, avec 8 managers et 5 administrateurs indépendants, alors que l’actionnariat de Kyocera est fait d’investisseurs institutionnels ; pas un administrateur étranger et une seule femme. Au niveau de KDDI, pas un administrateur indépendant pour tenir compte des 85 % du capital détenus par des tiers, pas un étranger au conseil d’administration et une seule femme ; 14 membres, tous nés avant 1966, dont 9 managers et 5 représentants de Kyocera. Aux actionnaires qui demandaient une amélioration de la gouvernance de Kyocera et la cession de la participation dans KDDI, le président répond qu’il n’est pas possible de céder la participation dans KDDI car elle va servir de garantie à un prêt à taux réduit du fait de la garantie apportée par les actions KDDI, prêt de 3,5 Md€ pour financer des investissements. De surcroît, comme les dividendes versés sont plus élevés que les intérêts du prêt, ceci est bon pour les actionnaires, d’autant que vendre la participation dans KDDI nécessiterait de payer des impôts sur la plus-value. On est en plein dans l’illusion comptable de l’effet de levier, et on oublie l’essentiel qui est la valeur de KDDI, dont les variations peuvent être bien plus importantes que l’écart entre le taux de rendement du dividende et le taux d’intérêt de la dette. Tant que les dirigeants raisonneront ainsi, il est peu probable que la décote par rapport aux actifs disparaisse. Bonne journée.

17-02-2023 : “Des délais de paiements qui continuent de traduire des rapports de force ”
La dernière étude annuelle de la Banque de France montre que les délais de paiement ont repris en 2021 leur chemin à la baisse : 42 jours en 2021 en moyenne pour les paiements aux clients versus 51 jours en 2006, et 48 jours pour le paiement aux fournisseurs contre 62 jours en 2006, ce dont on ne peut que se réjouir, les entreprises n’ayant pas vocation à servir de banquiers à leurs clients. La Banque de France montre aussi qu’une entreprise paie d’autant plus vite ses fournisseurs qu’elle est de petite taille, c’est-à-dire sans beaucoup de pouvoir de négociation : près de 3/4 des PME paient leurs fournisseurs en moins de 60 jours, respectant ainsi la limite européenne ; mais les ETI ne sont déjà plus qu’un peu moins de la moitié à respecter la loi. Quant aux grandes entreprises, le chiffre tombe à 39 %. Ou autrement dit, si les PME paient en moyenne leurs fournisseurs à 48 jours, les ETI sont à 64 jours et les grandes entreprises à 71 jours. On pourrait se dire que les grandes entreprises commerçant plus fréquemment avec l’étranger que les PME, ces délais de paiement plus longs sont à mettre sur ce compte. Mais il n’en est rien, la corrélation entre la part des ventes à l’export et les délais de paiement étant peu significative et plutôt négative. C’est ainsi 12 Md€ de trésorerie dont sont indûment privées les PME. Pour les grandes entreprises, c’est une captation indue de 16 Md€ de trésorerie, soit plus 7 Md€ par rapport à 2020 où la plupart des grands groupes avaient eu des comportements responsables en accélérant leurs paiements. Cette augmentation de 7 Md€ est à mettre sur le compte de 5 grandes entreprises qui améliorent ainsi, non seulement leur liquidité, mais aussi la valeur de leur capitaux propres à une époque où les entreprises sont évaluées sur la base d’un multiple de l’EBE ou du résultat d’exploitation moins l'endettement bancaire et financier net. La Banque de France tait le nom de ces 5 groupes. Dommage. Nommer pour faire honte est souvent un remède efficace. Bonne journée

09-02-2023 : “L'étrange communication de la Société Générale sur sa politique de retour aux actionnaires ”
A l’occasion de la publication de ses résultats 2022, SG annonce une politique de distribution aux actionnaires avec un dividende de 1,7 € par action et un programme de rachat d’actions de 440 M€, "équivalent à environ 0,55 € par action". Curieux pour le moins, et à notre avis pas honnête intellectuellement, de mettre sur le même pied, en € par action au titre d’une "politique de distribution aux actionnaires", un dividende de 1,7 € reçu par tous les actionnaires et 0,55 € par action de rachat d’actions que ne toucheront pas les actionnaires. En effet, même les actionnaires qui vendront leurs actions et qui seront acquises par SG, sans qu’ils ne le sachent et par hasard (vu les volumes d’échanges enregistrés quotidiennement sur cette action), ne toucheront pas 0,55 €, qui est un chiffre qui n’a pas de signification financière car c’est diviser des choux par des carottes ! Il est bien sûr plus sympathique d’annoncer 1,7 € + 0,55 € = 2,25 €, calcul que ne donne pas SG qui se contente de pousser implicitement le lecteur de son communiqué à le faire, que simplement 1,7 €. Mais il y a des limites au pouvoir des communicants, au risque d’entamer sa crédibilité. Le seul chiffre qui compte dans ce domaine est la somme totale en M€ des dividendes et des rachats d’actions, soit 1,8 Md€. Et là, les investisseurs ont été pris à contre-pied car SG laissait anticiper un taux de retour aux actionnaires d’au moins 50 % comme l’année précédente. Et comme les résultats 2022 étaient meilleurs qu’en 2021. . . Rapporté à un résultat net récurrent 2022 part du groupe de 5,6 Md€, le compte n’y est pas d’un milliard. Non pas que les actionnaires soient assoiffés de dividendes ou de rachats d'actions, tels des sangsues, mais ils savent que la rentabilité marginale des capitaux propres réinvestis, au-delà des niveaux requis par les normes prudentielles, est actuellement 2 %, soit le taux du marché monétaire, et largement inférieure au coût du capital de SG. Or SG dispose d’un ratio CET 1 de 13,5 %, au-dessus de ces minimum, BNP Paribas est à 12,3 %. SG cotant le tiers de ses capitaux propres comptables (22 Md€ contre 66 Md€), le milliard non distribué par SG, ne se traduira pas par une progression de sa valeur de 1 Md€, mais de simplement 333 M€, soit une destruction de valeur de 666 M€. On comprend alors mieux pourquoi, malgré de bons résultats, le cours de SG a reculé hier de 5 %, le plus fort recul du CAC 40, dans un marché stable. Une bonne leçon pour ceux qui ont oublié qu’une politique de retour aux actionnaires se juge naturellement à l’aune de la rentabilité des investissements marginaux que peut faire l’entreprise. Bonne journée.

22-01-2023 : “Très intéressants résultats trimestriels de Procter and Gamble ”
Procter and Gamble vient de publier les résultats de son trimestre clos le 31 décembre qui montrent un recul du chiffre d’affaires trimestriel de 1 %. Mais on aurait bien tort de s’arrêter à ce chiffre, car sa décomposition est très illustratrice de la conjoncture économique actuelle. Le - 1% résulte de 3 effets principaux : Un effet prix de prix de + 10 %, car P&G a augmenté ses prix peu ou prou de l’inflation compte tenu de la force de ses marques. Un effet volume de - 6 %, car les consommateurs ont réduit leur consommation de produits P&G, probablement pour acheter des produits moins chers comme ceux des marques de distributeurs. D’ailleurs la baisse en volume est la plus forte dans les divisions Fabric & Home Care (Ariel, Cash, Lenor), et Grooming (Braun et Gillette), - 7 et -8 %, là où les hausses de prix ont été le plus fortes : 13 et 11 % respectivement. Un effet devise de - 6 %, compte tenu de la force du dollar depuis un an. On notera un taux effectif d’impôt sur les sociétés de 18 %, venant de 19%, qui laisse songeur, quand on sait que les principaux pays où P&G exerce son activité ont tous des taux d’impôt sur les sociétés à des taux supérieurs, et que son principal concurrent, L’Oréal, était à 22,5 % au premier semestre 2022. À cette aune et sur un an, c’est environ 1 Md$ qui est perdu par les administrations fiscales du monde, au titre du seul P&G. Bon début de semaine.

19-01-2023 : “Renault Nissan : divorce au fond de la classe ”
Présenté comme un nouveau départ de l’alliance entre Renault et Nissan, les termes du nouveau partenariat s'apparentent, nous semble-t-il, à un divorce entre deux acteurs qui, d’un point de vue financier, se sont marginalisés au cours du temps, avec des capitalisations boursières respectives de 11 et 13 Md€, à comparer à 4 fois plus pour Stellantis (Peugeot, Fiat, Chrysler), 46 Md€, et 14 fois plus pour Toyota (180 Md€).
Au classement 2021 des ventes de voitures, l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi apparaît 3ème mondiale avec 7,7 M de véhicules vendus, versus 10,5 M pour le 1er (Toyota) et 8,9 M pour Volkswagen. Sur cette base, Renault, seul, va pointer à la 10ème place, et Nissan à la 8ème, plus en rapport avec leur capitalisation boursière.
Certes, en vendant progressivement 28 % de Nissan, Renault peut récupérer au cours actuel un peu moins de 4 Md€, mais ce n’est que le sixième du flux de trésorerie d’exploitation de Stellantis en 2022…, et bien sûr, un montant non récurrent.
La triste morale de cette histoire est double. Des schémas alambiqués et des gouvernances bancales conduisent rarement à des réussites industrielles, et encore moins financières. Trop compliqués, synergies non dégagées, prés carrés protégés, susceptibilités nationales entretenues par la coexistence de deux entités. Par ailleurs, il fait rarement bon d’être actionnaire aux côtés de l’État quand celui-ci est en direct, comme les Agnelli ont eu l’intelligence de le comprendre en cassant une négociation avancée de fusion avec Renault pour se marier avec Peugeot et créer Stellantis, face aux atermoiements de l’État, premier actionnaire de Renault.
Quant à ceux qui s’inquiètent pour comprendre comment Renault va remplacer la fraction des dividendes de Nissan qui vont disparaître de son résultat, qu’ils se rassurent. Ce n’est pas le sujet. Le sujet est industriel avant tout. Le produit de la vente des 28 % sera réinvesti dans les activités de Renault et générera des résultats supérieurs à la quote-part des dividendes perdus, si les investissements entrepris rapportent leur coût du capital.
Bonne journée

15-01-2023 : “Classements et mensonges ”
N’importe qui travaille en banque d’affaires ou dans les agences de publicité (mais la liste n’est pas exhaustive) sait que les classements publiés sur les opérations de l’année passée sont à prendre. . . pour ce qu’ils sont. Sans parler de choix méthodologiques propres à ceux qui les établissent, bon nombre d’acteurs gonflent d’une façon ou d’une autre leurs chiffres pour apparaître plus haut dans les classements qu’ils ne le sont en réalité. François Derrien et Olivier Dessaint avaient ainsi montré, en 2018, qu’une banque a d’autant plus de probabilité de réaliser des avis d’équité à bas prix, permettant de se faire créditer d’une transaction de fusion-acquisition qu’elle n’a pas conseillée, que sa position à mi-année dans les classements est en baisse par rapport à l’année précédente.
Il n’en n’est pas différemment dans les start-ups comme une étude, dont nous publions le résumé dans La Lettre Vernimmen de janvier, l’établit. Si devenir une licorne suppose de dépasser une valorisation de 1 Md, celle-ci est calculée en prenant le prix d’émission des actions lors de la dernière levée de fonds et en le multipliant par le nombre d’actions en circulation. Quoi de plus normal, nous direz-vous ?
Sauf que dans le monde des jeunes pousses, chaque levée de fonds est différente, au sens où des droits particuliers sont accordés aux nouvelles actions émises dont ne bénéficient pas les actions déjà émises : priorité dans l’appropriation du produit de la vente éventuelle, avec un taux de rentabilité minimum garanti aux derniers investisseurs le cas échéant, droits de veto divers (introduction en Bourse, recrutements au-delà d’un certain niveau, etc.). Dès lors, ces actions valent plus cher que les actions déjà émises, et il est abusif de prendre le prix de ces actions privilégiées pour le prix de toutes les actions. Les auteurs de cette étude estiment qu’en moyenne la valeur de l’entreprise est surestimée de 48 % et que 65 des 135 licornes qu’ils ont étudiées ne sont que des centaures (valeur supérieure à 100 M).
Bonne journée

08-01-2023 : “Etude annuelle 2023 sur les dividendes et rachats d'actions au sein du CAC 40 ”
Nous venons de publier notre étude annuelle sur les dividendes et rachats d’actions au sein du CAC 40. Nous vous laissons la lire sur le site Vernimmen.net si vous ne l’avez pas encore reçue. Nous soulignons en complément 4 éléments : 1/ Une nouvelle fois, les chiffres démontrent la fausseté de l’affirmation à l’emporte-pièce qui voudrait que plus de retours aux actionnaires soit mauvais pour l’emploi. Si les retours à l’actionnaire sous forme de dividendes et de rachats d’actions sont en progression de 75 % depuis 2017, l’emploi des groupes du CAC 40 a progressé sur la même période de 13 % et a franchi la barre des 5 millions de salariés dans le monde. 2/ Les retours aux actionnaires de 80 Md€, au plus haut historique, n’affaiblissent pas les groupes du CAC 40 puisque sa capitalisation boursière moyenne est juste à 3 % de son record historique. Par ailleurs, les groupes français continuent de creuser l’écart avec les 40 premiers groupes allemands cotés (qui valent 17 % de moins) et britanniques (qui valent 36 % de moins). 3/ Si les rachats d’actions en 2022 se maintiennent au niveau de 2021 (24 Md€), sans la répétition de la giga-opération de L’Oréal en 2021 (9 Md€), c’est probablement que face aux incertitudes conjoncturelles, les groupes ont préféré utiliser le rachat d’actions plutôt que de trop augmenter leurs dividendes, afin de n’avoir à les baisser ultérieurement en cas de besoin, ce qui leur serait reproché pour les dividendes où la convention est d’éviter les baisses dans la mesure du possible. 4/ Enfin, sous-produit de notre étude, la réalisation que, pour la première fois, l’homme le plus riche du monde est un Français, qui a su avec ses équipes développer ses affaires au-delà des prévisions les plus optimistes, exploiter tout leur potentiel, et allouer plus que correctement son capital. Mais de cela, en France, nul ne parle. Bon début de semaine
