“Commentaire, question ou citation du jour”

Chaque jour de la semaine, nous publions sur les pages LinkedIn et Facebook du Vernimmen, un commentaire de l'actualité financière, une question qui nous a été posée et la réponse que nous avons donnée, et nous citons les classiques à travers des phrases que nous avons repérées dans nos lectures.
Parfois, la veille du week-end, nous soumettons à votre sagacité un remue-méninges dont la correction est apportée de lundi.

Vous trouverez tous ces billets ci-dessous et si vous voulez suivre la page LinkedIn du Vernimmen, c'est ici, et pour la page Facebook au contenu identique.
Et si vous le voulez en anglais, c'est ici.

27-04-2024 : “New-York deviendra-t-elle la principale place de cotation de TotalEnergies ? ”

Il s’agit à ce stade d’une réflexion, annoncée hier, comme les dirigeants des entreprises se doivent d’en avoir, sans que forcément qu'elles se concrétisent.
Au cas particulier, l’écart de multiples entre les majors américaines et européennes est impressionnant et peut tenter des dirigeants qui se diront qu’une cotation principale à New-York pourrait permettre d’aligner le multiple de TotalEnergie sur celui de ses pairs américains : Exxon est valorisé à 6,4x l’EBE 2024, Chevron 6,1x, contre 4,3x pour Total (Shell est à 4,1 et BP  3,2). Cet écart est d’autant plus saisissant que TotalEnergies fait partie des majors les mieux gérées, si ce n’est la mieux gérée. On peut donc comprendre que des actionnaires américains qui détiennent plus de 40 % de son capital poussent à la roue, d’autant que leur pourcentage s'accroît du fait du dégagement d’actionnaires européens plus sensibles aux enjeux de la transition énergétique. Ce n'est pas le moindre des paradoxes alors que TotalEnergies est la plus avancée des majors dans ce domaine, et qu’elle n’a pas réduit ses ambitions, contrairement à Shell et BP. 
Mais le niveau des multiples ne dépend pas que de la place de cotation, il dépend aussi des caractéristiques de risque et de croissance. A cette aune, une entreprise cotée aux États-Unis, mais avec une part américaine de ses actifs moindre que celle de ses concurrents, pourrait être décotée par rapport à eux. Le transfert de la principale cotation ne se décrète pas, il s’observe en fonction des volumes de transactions. Pour que New-York devienne sa place principale de cotation, TotalEnergies devrait probablement faire un placement de titres important aux États-Unis, où il n'est pour l’instant coté que sous la forme d’ADR. Une cotation directe (full listing) serait sans doute requise. Si un tel mouvement devait advenir, et si TotalEnergies était ainsi mieux valorisée, son coût du capital se réduirait, puisqu’à flux de trésorerie disponible constants, le taux d’actualisation requis pour faire égaler ces flux à la valeur serait plus faible ; et les salariés verraient leurs participation et intéressement investis en actions de leur employeur se revaloriser. Les habituels contempteurs de TotalEnergie ne manqueront pas de parler de trahison, d’autres regretteront cette évolution si cette réflexion se concrétisait. Mais on ne peut pas à la fois : - Refuser de créer des fonds de pension, dont la création avait été votée en première lecture en 1997 avant que la dissolution n'envoie aux oubliettes ce texte qui n’en est pas ressorti malgré l’alternance politique ; - Accorder des avantages fiscaux sans limite de montant aux fonds en euros de l’assurance-vie, c’est-à-dire des titres de dettes ; et les limiter pour les PEA investis en actions ; - Et se lamenter de la moindre profondeur de notre marché action, se traduisant dans un certain nombre de cas par des moindres valorisations.   

25-04-2024 : “Voyageurs du monde rachète 20 % de ses actions ”

Non, les rachats d’actions ne sont pas « le symbole d’un capitalisme qui ne tourne pas rond, version libéralisme échevelé », comme l’écrit une journaliste du Monde, à propos du projet de Voyageur du Monde annoncé hier de racheter 20 % de ses actions pour les annuler. C’est au contraire la preuve d’un capitalisme qui tourne correctement en réallouant, via les investisseurs, une ressource cruciale, les capitaux propres, d’entreprises qui en ont trop du fait de leurs résultats et de leurs perspectives de croissance, vers d’autres qui en ont besoin pour financer leur développement.
Laissons la parole à son PDG, Jean-François Rial en reproduisant in-extenso les phrases de son interview au Monde, car on ne peut pas dire mieux les choses : 
« Quand une entreprise traite bien ses salariés et qu’elle conserve des capacités d’investissement, le rachat d’actions n’a rien de scandaleux. Cela permet de réallouer le capital. La vitesse de circulation du capital est d’ailleurs la grande force de l’économie américaine. 
En 2021, pendant la crise du Covid, nous avons levé 130 millions d’euros afin de constituer des réserves financières, alors que notre chiffre d’affaires avait plongé de 85 % en 2020Cet argent a alimenté notre trésorerie. Mais le redressement de l’activité s’est opéré beaucoup plus vite que prévu, nous permettant de financer notre développement grâce à nos résultats. Par ailleurs, nous avons procédé à quelques acquisitions, mais nous n’avons pas trouvé de cible de taille importante. Autrement dit, cet argent levé en 2021 est placé en sicav monétaires et non pas dans l’appareil productif : il ne sert à rien et il est normal qu’on le rende à nos actionnaires qui pourront l’utiliser pour investir dans des entreprises qui ont besoin de capital. 
 Et nous avons distribué à nos salariés 18 millions d’euros en 2023, sous forme de participations, intéressement et autres primes, à comparer à un résultat net de 44 millions d’euros.
Si vous respectez ces critères, c’est absurde de taxer les rachats d’actions. Ce serait même contre-productif. Les financiers ne sont pas des philanthropes : si les rachats d’actions sont pénalisés, ils hésiteront à apporter du capital en premier lieu. Dans un tel environnement punitif, en 2021, nous n’aurions pas réussi à réunir des fonds. »
Précisons qu’après ce rachat d’actions de 130 M€, Voyageurs du Monde disposera d’une trésorerie nette de toutes dettes bancaires et financières de plus de 100 M€ pour un groupe qui fait 694 M€ de chiffre d’affaires et 44 M€ de résultat net, et que Jean-François Rial est présenté par Le Monde comme « enfant de la deuxième gauche ».
Si après cela, on continue de lire que les rachats d’actions sont « le symbole d’un capitalisme qui ne tourne pas rond, version libéralisme échevelé », c’est que le dogmatisme empêche de réfléchir posément aux faits, mais la pédagogie finira par éclairer ceux qui cherchent à comprendre !
 

13-04-2024 : “L'étrange comptabilité des plus-values sur cession partielle des filiales consolidées. ”

La semaine passée, Wendel a cédé en Bourse pour 1,1 Md€ 9 % du capital de Bureau Veritas, réduisant sa participation de contrôle de 51 % à 42 % des droits de vote. La plus-value dégagée a été de 800 M€, sans qu'elle n'apparaisse au compte de résultat consolidé, ce qui heurte un peu le sens commun. Ce faisant, Wendel ne fait que suivre les principes comptables IFRS, et qui prévoient que tant que l’actionnaire de contrôle le reste, les plus-values dégagées par des cessions de blocs n’apparaissent pas au compte de résultat consolidé. En effet, dans cette logique d’une poursuite de la consolidation par intégration globale, tous les actifs et les passifs de Bureau Veritas restent consolidés dans le groupe Wendel, seules la part des intérêts minoritaires et celle du groupe Wendel dans le résultat et dans les capitaux propres sont affectées. Le seul changement dans le bilan consolidé de Wendel est l’apparition de 1.100 M€ de cash dont la contrepartie pour respecter l’équilibre bilantiel est un ajustement (accroissement) de 1.100 M€ des capitaux propres, sans que la plus-value de 800 M€ ne passe en résultat ou en résultat global (OCI). Si les règles comptables considéraient que la plus-value de 800 M€ devrait apparaître, il suffirait alors de la faire passer en tant que telle au compte de résultat et de n’ajuster les capitaux hors résultat que de 300 M€. Lorsque Wendel, en cédant un nouveau bloc, tombera en dessous d’un seuil de droit de vote ne lui assurant plus le contrôle de Bureau Veritas, la plus-value sur ce bloc apparaîtra alors au compte de résultat, ainsi que la totalité de la plus-value latente sur sa participation résiduelle. Cette dernière sera inscrite dans les comptes consolidés de Wendel sur la base de sa valeur de marché du moment avec le passage d’une consolidation par intégration globale à une consolidation par mise en équivalence. Et les fluctuations de la valeur de cette participation pourront alors apparaître chaque année au compte de résultat (c'est une option). On a donc cette situation qui échappe au sens commun d’une plus-value concrétisée la semaine passée qui n’apparaît pas au compte de résultat, et d’une autre à venir qui apparaîtra au compte de résultat en raison du changement de méthode de consolidation, alors même que la participation n’aura été que partiellement cédée. Certes, les normes comptables IFRS et américaines se sont détachées du carcan du droit et de la fiscalité pour avoir une lecture plus économique des situations, mais au cas particulier, il ne nous semble pas que ceci corresponde à la vie économique ou financière réelle. Comprenne qui pourra ! Heureusement, cette situation est rare car les groupes industriels ou financiers, quand ils cèdent une filiale, cèdent la plupart du temps 100 % de leur participation. Par ailleurs, dans le cas de Wendel, société d’investissement, le compte de résultat a moins d’importance pour apprécier sa performance qu’une évaluation extra comptable de son patrimoine.  

06-04-2024 : “Kering et les prix de l'immobilier milanais ”

Kering aurait-il dû s’abstenir d’acquérir pour 1,3 Md€ un magnifique immeuble à Milan, Via Montenapoleone, l’avenue Montaigne ou le New Bond Street milanais ? Certes le prix de ces 11 800 m2 est de 110 000 € le m2 (sic), mais le rendement correspond apparemment à un rendement de marché à 3,85 % dans la seconde ville la plus chère du monde, au moins pour le commerce de luxe. C’est la thèse du Financial Times qui estime que la rentabilité de cet investissement sera loin d’égaler la rentabilité économique du groupe, de 11,7 % en 2023 (goodwill inclus).

Malgré toute la sympathie que j'ai pour le quotidien d’origine britannique, le raisonnement qu’il expose ne tient pas la route d’un point de vue financier. En effet, considérer qu’un investissement est mauvais à chaque fois qu’il rapporte moins que la rentabilité dégagée par l’entreprise est un sophisme, c’est-à-dire un raisonnement erroné qui a l’air juste. Il ne convient pas de rapporter la rentabilité prospective d’un investissement à la rentabilité comptable dégagée actuellement par l’entreprise, mais au coût du capital de cet investissement. En effet, si vous avez une rentabilité économique de 20 % et un coût du capital de 8 %, tout investissement rapportant du 12 % réduira la rentabilité comptable dégagée qui s’établira alors entre 12 et 20 % ; mais sera néanmoins créateur de valeur si les prévisions effectuées s'avèrent justes, car rapportant plus (12 %) que son coût du capital (8 %). 

Le second piège à éviter serait de comparer la rentabilité de cet investissement immobilier (un peu moins de 4 %) au coût du capital de Kering (environ 8,5 %). Ce ne serait pertinent que si le risque de cet immeuble était identique à celui du reste des activités de Kering. Or on sait tous que le coût du capital d’une société foncière est bien inférieur à 8,5 % en raison d’un risque bien moindre que celui d’une activité industrielle, fût-elle du secteur du luxe. Avec un taux de rendement en ligne avec celui du marché pour cette acquisition milanaise, il ne saute pas aux yeux que cet immeuble ait été surpayé.

Ensuite, il est vrai que les prix de l’immobilier à Milan sont particulièrement élevés, ce qui explique pourquoi depuis des années mes étudiants italiens à HEC me disent qu’ils ne veulent pas aller travailler dans la capitale économique de la Botte, car les salaires des jeunes diplômés y sont nettement plus bas qu’à Paris. Et comme ceci dure depuis longtemps, vous avez ainsi l’un des raisons qui font qu’aujourd’hui les 20 premières capitalisations italiennes ne totalisent que 431 Md€ contre 5 fois plus pour les 20 premières capitalisations boursières françaises (2 148 Md€) pour une population à peu près similaire. Quand un pays perd ses jeunes les mieux formés et les plus agiles, l’économie ne peut qu’en souffrir. Félicitons-nous que sur les Champs-Élysées, les prix ne dépassent pas les 50 000 € du mètre carré !

04-03-2024 : “Pourriez-vous rejoindre l'IASB et devenir régulateur comptable ? ”

Vous auriez toutes vos chances si vous répondez correctement à ces 3 questions par VRAI ou FAUX sur la distinction dettes/capitaux propres traitée par la norme IAS 32 sur laquelle l’IASB a publié un exposé sondage :
1/ Une dette perpétuelle, ou hybride en franglais, doit être comptabilisée en capitaux propres même si, dans l’immense majorité des cas, l’émetteur procède à son remboursement anticipé au bout de quelques années pour éviter de devoir supporter une forte hausse du taux d’intérêt, contractuellement prévue pour le conduire à rembourser par anticipation l’obligation perpétuelle (ce qui ne manquera pas de vous faire sourire). 
2/ Une obligation remboursable en actions (ORA) se comptabilise en IFRS en capitaux propres, à l’exception de la valeur actualisée des intérêts versés avant d’être remboursée en actions qui est comptabilisée en dettes financières. Cependant, si la parité de remboursement de l’ORA (3 actions contre une ORA par exemple) est variable (contre 3 actions, ou 4 ou 2 selon un critère donné), alors l’ORA doit être comptabilisée comme une dette.
3/ Plus difficile maintenant. Vous avez accordé à des minoritaires dans une filiale que vous contrôlez une option de vente leur permettant de vous céder leurs actions. Le montant que vous pourriez devoir débourser si les actionnaires minoritaires exercent leur option de vente est une dette financière dont la constitution se compense (pour que le bilan reste équilibré) par un prélèvement sur les capitaux propres part du groupe de même montant, et non par un prélèvement sur les capitaux propres part des minoritaires.
Eh bien, si vous avez répondu 3 fois VRAI, vous avez toutes vos chances de réussir à l’IASB qui tient ces positions dans l'exposé sondage mentionné plus haut. Mais vous n’avez guère de chances d’être un bon financier.
Les capitaux propres ont une telle importance dans une entreprise, dont ils sont la pierre angulaire de l’existence et du développement, qu’en ce domaine il faut appeler un chat un chat et être particulièrement rigoureux. Une dette qui se rembourse, fût-elle abusivement appelée perpétuelle, est une dette, pas des capitaux propres. Une ORA, à parité fixe ou variable, et qui n’entraîne par définition aucun débours de trésorerie, puisqu’elle est remboursée en actions de l’émetteur, est un titre de capitaux propres, justement parce qu’elle ne se rembourse pas en cash ou en titres de dettes. Quant au put sur les minoritaires, c’est la double peine que propose l’IASB. Pourquoi pas créer une dette au bilan à l’égard des minoritaires ; mais où est la cohérence de prélever son montant sur les capitaux propres part du groupe, et non ceux des minoritaires dont on vient de supposer qu’ils exerçaient leur put en inscrivant son montant en dettes ?
Quand l’IASB se rendra-t-il enfin compte, qu’à force de proposer des dispositions tellement éloignées du sens commun, il discrédite les normes comptables dont il devrait être le gardien intelligent et scrupuleux ?
 
 

27-02-2024 : “La lettre 2024 de Warren Buffett à ses actionnaires ”

Warren Buffett rappelle dans cette lettre que ce qui crée de la valeur est la capacité d’une entreprise à réinvestir ses profits à un taux de rentabilité supérieur au coût du capital. A contrario, une entreprise qui réinvestit ses profits à un taux de rentabilité inférieur à son coût du capital détruit de la valeur. C’est qui explique que le cours de ces entreprises bondisse quand leurs dirigeants promettent des retours significativement plus élevés. 
Ainsi Barclays qui vient de promettre de rendre à ses actionnaires 10 Md£ sur les 3 prochaines années (pour une capitalisation boursière de 23 Md£). Le cours a bondi de 10 %. Non pas que les actionnaires soient des sangsues assoiffées de dividendes. Mais simplement, ils savent compter. Pour le comprendre, il faut se rappeler que les capitaux propres de Barclays de 71 Md£ ne valent que 23 Md£ en Bourse, sanction d'une rentabilité des capitaux propres de Barclays (7,3 % en 2023) inférieure à son coût du capital depuis des années. D'où une décote de 68 %, et une destruction de valeur de 48 Md£. 
10 Md£ de dividendes versés, c’est 10 Md£ de cash qui arrivent sur les comptes des actionnaires et qui valent 10 Md£. C’est aussi des capitaux propres comptables qui baissent de 10 Md£ ; soit à décote constante à 68 %, une valeur des capitaux propres qui baisse de seulement 3,2 Md£. En net, + 10 - 3,2 = + 6,8.
De l’autre côté, 10 Md£ de résultats réinvestis, c’est une progression du montant comptable des capitaux propres de 10 Md£, et une hausse de leur valeur, à décote constante à 68 %, de 3,2 Md£. 
+ 6,8 Md£ si Barclays restitue 10 Md£ aux actionnaires, versus + 3,2 Md£ si Barclays réinvestit les 10 Md£ dans son activité dont la rentabilité marginale est inférieure au coût du capital conduisant à des destructions de valeur ; la comparaison est vite faite. Pas étonnant que les actionnaires applaudissent à deux mains. D’autant qu’un effet de second tour pourrait se produire, car au moins 60 % des retours prendront la forme de rachats d’actions, conduisant ipso facto à accroître les capitaux propres par action, et à décote constante, à accroître le cours d’autant.
De l’autre côté de l’Atlantique, cette année encore, les actionnaires de Berkshire Hathaway voteront à une écrasante majorité l’absence de dividende, préférant le réinvestissement, confiants dans la capacité de son dirigeant à dégager des rentabilités supérieures au coût du capital.
Cela dit, Warren Buffett prévient que du fait de la taille atteinte par Berkshire Hathaway (900 Md$), ses performances futures ne pourront plus être aussi exceptionnelles que celles du passé. 
Le jour où Berkshire Hathaway versera des dividendes n’est plus très loin ; sans doute après le décès de son fondateur, comme Apple a attendu le décès de Steve Jobs pour s’y livrer, tant est forte l’empreinte de ces hommes d’exception.

17-02-2024 : “Uber et les rachats d'actions ”

À l’occasion de la publication de ses résultats 2023, les premiers à montrer un résultat net positif (1,9 Md$), Uber a annoncé le lancement d’un plan de rachat d’actions de 7 Md$.

Pourquoi initier des rachats d’actions alors que le groupe a encore un endettement net de 5,8 Md$, soit 3 fois l’EBE (ou 1,5 fois si l’on considère les rémunérations payées en actions et passées au compte de résultat comme des charges non cash) ? Certes, Uber annonce des taux de croissance pour les 3 ans qui viennent entre 15/20% et une croissance des flux de trésorerie deux fois plus forte, ce qui rend non pertinent le doute sur sa capacité à faire face à ses dettes.

Ce n’est donc pas pour rendre des capitaux oisifs et excédentaires comme chez Apple ou Google. Ce n’est pas non plus que l'action soit nettement sous-évaluée, cela ne saute pas spontanément aux yeux à 50 fois les flux opérationnels moins les investissements corporels. Ce sont là les deux motifs les plus fréquents du rachat d’actions. Le sujet est plutôt celui de la croissance du nombre d’actions.

En effet, comme quasiment tous les groupes de technologie, Uber rémunère ses salariés par l’octroi d’actions gratuites, en moyenne pour 58 k$ en 2022, mais probablement beaucoup, beaucoup plus pour les salariés du département clé de R&D et technologie, qui concentre 1 215 M$ de rémunération en actions sur les 1 935 M$ comptabilisés en 2023. Puisque les rémunérations en actions de ces salariés font 38 % des coûts de ce département, la part dans la rémunération de ces salariés doit probablement dépasser la moitié de leur rémunération totale, et donc dépasser le montant de leurs salaires versés en cash.

Un cours qui a doublé depuis l’IPO de 2019 est une bénédiction pour tout le monde (pardon pour les vendeurs à découvert), mais le jour où s’enclencherait une phase baissière, certains feront triste mine dans le département R&D et technologie, et risquent de regarder dehors si l'herbe est plus verte, dès que le mouvement de baisse du cours ne serait pas général, mais propre à Uber.

Le nombre d’actions chez Uber a crû en moyenne depuis l’IPO de 5% l’an sous cet effet et celui du paiement d’opérations de croissance externe en actions. Racheter ses actions permet alors de limiter la croissance du nombre d’actions qui viendrait, sinon, réduire les taux de croissance des paramètres opérationnels et menacer une bonne valorisation. Cela montre une discipline qui plaît aux investisseurs, c’est la force de l’usage de place auquel Uber vient d’adhérer (dans son intérêt bien compris).

PS : pour ceux qui croient que les rachats d’actions font monter les cours. Les 7 Md$ annoncés par Uber, à supposer qu’ils soient intégralement réalisés en 2024, ne feraient que 2,4% du volume quotidien moyen des transactions sur l’action. Pas de quoi, en soi, faire monter mécaniquement et significativement le cours. Et la recherche académique montre que l’idée selon laquelle les rachats d’actions feraient monter les cours est fausse, c'est dans La Lettre Vernimmen.net n°197 d'avril 2022.

16-02-2024 : “Le retrait de cote de Believe, cherchez l'erreur ”

Believe, une major en puissance de la musique indépendante (Jul, Naps…), cotée en Bourse depuis juin 2021, a annoncé hier son projet de retrait de Bourse. Il est vrai que sa vie boursière avait mal commencé avec la fixation d’un prix d’introduction au bas de la fourchette annoncée (19,5€ - 22,5 €), et une cotation au soir de l’introduction en recul de 15 %. Mais Believe avait pu lever à cette occasion 300 M€ dans une opération purement primaire pour financer son développement et capitalisait 1,5 Md€ sur cette base.
Le cours avait progressivement chu à 8 €, puis s’était stabilisé aux environs de 10 €. Hier le management, le principal fonds de private equity actionnaire de Believe (TCV) et un autre fonds de private equity (EQT) ont annoncé une offre à 15 € et un retrait de cote si l’offre réunit plus de 90 % du capital (elle en fédère déjà 75 %). Le fondateur et dirigeant déclare à cette occasion :"Depuis son introduction en Bourse, Believe poursuit une excellente dynamique de croissance, lui ayant permis d’atteindre, deux ans en avance, les objectifs fixés lors de la cotation.»
Et là, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a soit un problème avec le cours d’introduction en 2021, soit avec le prix de sortie proposé en 2024, soit avec la déclaration du président. Éliminons cette dernière option car un tel communiqué est relu par les avocats qui savent faire des comparaisons. Restent les prix. En effet si Believe est en avance de 2 ans  sur son plan d’affaires moins de 3 ans après son introduction, la logique voudrait que le prix de 2024 (15 €) soit plus élevé que celui de 2021 (19,5 €), d'autant que dans l’intervalle la Bourse a été bonne : + 20 % pour le SBF 120 (dividendes réinvestis). D’ailleurs l’investisseur qui a investi dans le SBF120 en juin 2021 dispose d'un équivalent action Believe à 23,4 €, contre un cours à vendredi soir de 12 € et une offre à 15 €.   Donc soit le prix de l’introduction était bon et dans ce cas le prix de sortie est sous-évalué, et on lira avec intérêt le rapport de l’expert indépendant. Soit il n’était pas bon, et le prix de sortie est correct. Ce qui ne serait pas une surprise quand on sait qu’à fin 2022, sur les 139 entreprises qui se sont introduites sur la Bourse de Paris depuis 2014, et encore existantes, 77 % avaient un cours inférieur à leur prix d’introduction.    Quand on parle d’attractivité de la place boursière, et le sujet est loin de se limiter à Paris, on peut se demander si les banquiers introducteurs ne devraient pas se poser des questions sur leur pratiques en matière de conseil sur le prix d’introduction, où la bataille pour obtenir le mandat peut les conduire à surenchérir sur les évaluations et à sur-promettre. Et il est très difficile pour une entreprise de remonter un premier effet très négatif quand, au soir de l’introduction, les investisseurs qui ont souscrit réalisent qu’ils ont perdu en un jour 15 % de leur investissement.  
 

31-01-2024 : “La pensée magique en Chine : interdire les ventes à découvert ”

Alors que depuis son plus haut de février 2021, l’indice chinois phare CSI 300 a reculé de 44 % contre une hausse de 51 % pour le DAX, de 53 % pour le CAC40 et de 82 % pour le S&P 500, les autorités boursières chinoises ont recouru ce week-end aux vieilles recettes éculées : l’interdiction de la vente à découvert dans l’espoir magique de soutenir les cours.
Rappelons que la recherche académique a régulièrement démontré que l’impact sur les cours d’une interdiction des ventes à découvert est non perceptible, accroit la fourchette bid-ask et réduit la liquidité des marchés. Autrement dit, elle n’atteint pas son objectif et réduit l’efficacité du marché. Comme nous l’illustrions dans notre précédent billet consacré au 15ème anniversaire de la mort d’Adolf Merckle, vendre à découvert est hautement risqué et ceux qui s’y livrent sont soit des incompétents qui disparaissent rapidement tant le risque est élevé, soit des escrocs qui essaient de manipuler les cours et qui vont vite se heurter aux autorités de contrôle des marchés, ou des investisseurs qui ont fait un travail approfondi et transmettent au marché une information que d’autres n’ont pas perçue (cf. Muddy Waters qui, dès la fin 2015, vend à découvert Casino avec prescience). Vouloir se priver de ce type d’informations, c’est comme interdire les porteurs de mauvaises nouvelles. Ce n’est pas avec cela que vous développez la confiance dans votre marché financier, bien au contraire comme en témoigne le recul de 2,8 % hier et avant-hier de l’indice CSI 300. Si les marchés financiers chinois se portent si mal en comparaison des nôtres, c’est que la primauté n’est plus donnée au développement économique, mais au renforcement du rôle dirigeant du Parti communiste et à des rêves impérialistes, de nature à convaincre les investisseurs d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Même pour un dictateur, il n’est pas possible d’avoir le beurre et l’argent du beurre.

10-01-2024 : “15ème anniversaire du décès d'Adolf Merckle ”

Sauf à nos certains de nos lecteurs germanophones, ce nom ne dira pas grand-chose. C’était celui d’un industriel allemand de 74 ans (HeidelbergCement, Ratiopharm, Phœnix Pharmahandel, etc.) devenu la 5ème fortune de son pays et qui, au petit matin du 5 janvier 2009, a quitté son domicile familial de Blaubeuren pour aller s’allonger sur une voie de chemin de fer proche.
Comment peut-on en venir à cette extrémité ? 
En vendant à découvert des actions Volkswagen dont l’analyse économique et financière démontrait qu’elles étaient fortement surévaluées, mais en ignorant qu’une lutte occulte en cours au sein de la famille fondatrice conduisait certains de ses membres à acheter des titres Volkswagen quel que soit le prix, le faisant ainsi bondir de 211 € à plus de 900 € en deux jours. . . 
Si les occasions théoriques de vente à découvert ont été nombreuses en 2023 (Orpéa, Casino, Atos, etc.), ce triste exemple doit rappeler qu’il s’agit d’une technique d’investissement particulièrement risquée puisque l’on peut perdre largement plus que le montant de l’investissement. Ce n’est pas sans raison que les spécialistes de la vente à découvert la pratiquent rarement sur de longues durées, même s’ils sont convaincus de la surévaluation d’un titre. On se rappelle à ce sujet l'aphorisme de l’économiste J.M. Keynes, dont la fortune devait au moins autant aux fruits de ses habiles spéculations qu’à ses droits d'auteur et à ses cours : « Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable ».

08-01-2024 : “Dividendes et rachats d'actions en 2023 au sein du CAC 40 ”

Pour la 21ème année, nous publions dans La Lettre Vernimmen.net les résultats de notre enquête sur les rachats d’actions et les dividendes versés au sein du CAC 40 en 2023. 
Témoin de l’excellente santé des groupes du CAC 40, la génération de capitaux propres supplémentaires reversée en 2023 aux actionnaires atteint son plus haut niveau historique à 97,1 Md€, dont 30,1 Md€ sous forme de rachats d’actions. Certains fulmineront par incompétence ou idéologie, en regrettant que cet argent n’ait pas servi à investir. Nous en avons l’habitude. À leur intention, précisons que les investissements du CAC 40 ont atteint en 2022 le record de 94,2 Md€, en progression de 21 % sur 2019 (et de 20 % sur 2021), et que cette progression atteint même 44 % pour les 3 plus grands redistributeurs (TotalEnergies, BNP Paribas et LVMH, 35,6 Md€ à eux trois). À ce niveau de performance, investissements et redistributions de capitaux propres excédentaires ne sont pas antinomiques, d’autant qu’à l’exception de Unibail Rodamco Westfield, ces groupes sont peu endettés.
Ces sommes, qui ne représentent que 4,1 % de la capitalisation boursière du CAC 40 (2 361 Md€), n’ont pas empêché celle-ci de dépasser une nouvelle fois la capitalisation des 40 plus grands groupes cotés à Londres (1 780 Md€) et à Francfort (1 560 Md€).

03-01-2024 : “British American Tobacco déprécie ses marques, ce qui n'est pas sans conséquence sur sa valeur ”

Habituellement la dépréciation de goodwill n’a pas de conséquences significatives sur les cours de Bourse, car tout simplement la dépréciation des goodwills vient sanctionner une situation de perte de rentabilité qui a déjà été intégrée par le marché, la comptabilité étant naturellement en retard par rapport à la réalité économique et financière.
Quand BAT a annoncé déprécier de 25 Md£ ses marques de cigarettes (Pall Mall, Newport, Camel, etc.) le 6 décembre, pour 31 % de leur montant comptable, sa valeur boursière s’est réduite de 8 % en une séance, baisse qui n’a pas été compensée depuis, même partiellement, et c’est pour cela que nous avons attendu avant de vous en parler. La raison est que cette annonce s’est accompagnée de la décision d’amortir à l’avenir ces marques sur 30 ans considérant que, vu l’évolution des habitudes de consommation de ses clients, ces marques dans 30 ans n’auraient plus de valeur et que cette activité, sous cette forme, aurait disparu. Et c’est cette perte de valeur dans 30 ans n’avait pas été anticipée par les investisseurs, qui ont dès lors réduit leurs anticipations des flux de trésorerie disponible, provoquant la chute du cours de Bourse de BAT. En effet, les marques des nouveaux modes de consommation du tabac, sont des marques nouvelles pour BAT (Vuse, Velo, Glo) et non les historiques.
Coïncidence ou pas, la dépréciation de 25 Md£ a réduit le montant des capitaux propres comptables à peu ou prou celui de la capitalisation boursière, ce qui fait dire au dirigeant qu’il s’agissait d’un rattrapage comptable par rapport à la réalité, surestimant la capacité des investisseurs à appréhender au mieux celle-ci. Ce qui laisse présager d’autres décrochages de ce type dans des secteurs où des évolutions fortes pourraient être difficiles à chiffrer correctement, et l’on pense naturellement aux effets de la transition énergétique.