La Lettre n°144 de Novembre 2016

Actualités : Le calcul du coût du capital dans un pays émergent : le cas de la Côte d'Ivoire

Nos lecteurs connaissent l’importance du coût du capital à la fois :

  • pour évaluer une entreprise dans une approche indirecte (valeur des capitaux propres comme différence entre la valeur de l’actif économique et la valeur des dettes nettes et éléments assimilés[1]),
  • pour choisir des investissements que le coût du capital soit le taux d’actualisation retenu pour établir une valeur actuelle nette de l’investissement ou le taux minimum que doit franchir le TRI pour que l’investissement soit considéré comme financièrement intéressant[2].

Ce calcul nécessite 3 données principales :

  • le taux le taux de l’argent sans risque,
  • la prime de risque que l’on va rajouter au taux de l’argent sans risque car le projet ou l’entreprise étudiés ne sont pas sans risque,
  • et le coefficient bêta qui traduit la volatilité relative de l’investissement par rapport à la volatilité du marché dans son ensemble. Ce bêta est alors multiplié par la prime de risque précédente, puis on ajoute au produit résultant le taux de l’argent sans risque pour former le coût du capital :

On retrouve ainsi la formule du MEDAF[3] appliquée, non à des actions comme la plupart du temps, mais à un actif économique. D’où le terme  qui n’est pas le coefficient bêta des actions, mais le coefficient bêta de l’actif économique, d’où le « e » en indice. Il est parfois appelé par les spécialistes de ce terme hideux : bêta déléveragé.

C’est ce que l’on appelle le calcul du coût du capital par la méthode directe. Certains calculent le coût du capital par la méthode indirecte où le coût du capital est la moyenne pondérée du coût des capitaux propres et du coût de la dette, pondérés par leur importance relative dans la structure financière en valeur. Et on a alors cette formule :

Les deux formules de calcul du coût du capital donnent le même résultat, pourvu que les calculs soient correctement effectués. Nous avons une nette préférence pour l’approche directe car notre expérience nous a montré que les occasions d’erreurs y sont nettement moins nombreuses[4].

 

Dans les pays à maturité, où il existe des études et des bases de données très vastes, où des milliards de données financières sont observées, stockées depuis plus de 100 ans, aucune des 3 données nécessaires au calcul ne pose en soit de problèmes majeurs pour un analyste rigoureux, bien formé et ayant accès aux bases de données financières idoines.

Dans les pays émergents, où il n’existe pas des études et des bases de données très vastes, où des milliards de données financières ne sont pas observées, ou stockées depuis plus de 100 ans, chacune des 3 données nécessaires au calcul pose en soit des problèmes majeurs.

Il est toutefois possible de résoudre ces difficultés et, cerise sur le gâteau, en raisonnant sans ethnocentrisme.

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Commençons par le taux de l’argent sans risque, qui est une notion somme toute relative dans beaucoup de pays émergents (voire développés depuis peu . . .). En Côte d’Ivoire, c’était la guerre civile il y a encore 6 ans. Coup de chance pour nous, la république ivoirienne a émis des obligations en euros, en dollars et dans sa monnaie, le franc CFA, et en émet régulièrement de nouvelles. Ainsi 50 MdFCFA (soit 76 M€) en septembre 2016 à 7 ans et avec un taux actuariel de 5,82 %. Elle est notée B+ par Moody’s, Ba3 par Moody’s et A- par Bloomfield (pour ses emprunts en francs CFA). A défaut de taux d’emprunt disponibles, il aurait fallu retenir le taux de rentabilité des obligations d’Etats notés comme la Côte d’Ivoire et aux caractéristiques économiques proches.

L’existence d’une dette en francs CFA, avec des émissions régulières (6 émissions en 2016 à ce jour), sous forme d’adjudication, permet d’obtenir régulièrement un prix de marché pertinent, à défaut de marché secondaire actif.

 

On peut donc calculer un coût du capital pour une entreprise qui examine un projet en Côte d’Ivoire avec des flux en francs CFA. On verra plus loin, de façon accessoire, comment faire pour traduire ce coût du capital qui s’applique à des francs CFA en un coût du capital ivoirien qui s’appliquerait à des flux convertis en euros par exemple.

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Regardons maintenant le coefficient bêta de l’actif économique. Dans des pays développés, on dirait simplement qu’il suffit de faire un choix parmi les nombreux comparables, de régresser la rentabilité des actions en question contre celles de l’indice. Qu’ayant ainsi trouvé le bêta des actions, on calcule ensuite le bêta de la dette (si elle est significative) comme le spread de la dette divisé par la prime de risque du marché. On peut alors calculer le bêta de l’actif économique qui est la moyenne pondérée de ces deux bêtas pondérés par l’importance relative de la dette et des capitaux propres dans la structure financière en valeur de l’entreprise[5]. Ayant ainsi obtenu le bêta de l’actif économique pour une entreprise, on répète l’opération autant de fois que l’échantillon compte de membres. Puis, on fait la moyenne des bêtas des actifs économiques ainsi obtenus des sociétés comparables pour obtenir le bêta de l’actif économique de notre projet ou de notre entreprise.

S’il y a bien une bourse en Afrique de l’Ouest, la BRVM, qui regroupe 41 sociétés cotées des 8 pays de l’UEMOA avec des capitalisations boursières cumulées de 11 Md€, la plupart des sociétés sont peu liquides : le volume des transactions mensuelles est, depuis le début de 2016, de 50 M€ par mois, soit en moyenne 55 000 € par valeur et par jour de bourse Les secteurs couverts sont peu nombreux une fois les banques éliminées (une dizaine).

Autrement dit, il n’est pas raisonnablement possible à l‘heure actuelle de faire ce type de calculs comme nous le faisons sur les bourses d’Europe, d’Amérique du nord ou d’Asie. La bonne nouvelle est que lorsque l’on réfléchit aux déterminants du coefficient bêta de l’actif économique : sensibilité du secteur à la conjoncture, partage des coûts fixes et des coûts variables, visibilité du secteur[6], il n’existe pas de raison de penser que ces facteurs différent fondamentalement d’un pays à l’autre, d’une zone géographique à une autre.

Autrement dit, le tableau que nous publions chaque année dans le Vernimmen, et que nous reproduisons plus haut enrichi de secteurs économique supplémentaires, trouve à s’appliquer quelle que soit la zone géographique (voir page précédente).

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Reste maintenant le plat de résistance, la prime de risque du marché action, l’écart de rentabilité entre le marché actions et le taux de l’actif sans risque en Afrique de l’Ouest. Disons-le sans barguigner, son calcul est tout simplement impossible. Que ce soit pour la prime de risque historique ou pour la prime de risque prospective qui a notre nette préférence[7], les données ne sont tout simplement pas disponibles. Et elles ne seront pas disponibles avant un certain temps en Afrique de l’Ouest malgré son développement accéléré depuis plusieurs années.

En effet, une prime historique n’a de sens que calculée sur une période très longue puisqu’elle revient à calculer la performance moyenne de l’indice boursier, en gommant ainsi l’impact des booms et des krachs, et à lui soustraire la performance de l’actif sans risque sur la même période. En dessous de cinquante ans, ce n’est pas raisonnable, certains de nos collègues académiques diraient avec rigueur 100 ou 150 ans.

Une prime prospective suppose pour être extraite des niveaux de cours actuels que l’on ait une vision à peu près claire des prévisions faites par les investisseurs en matière de flux futurs. Jouable quand des courtiers publient des notes d’analyses et de prévisions. A défaut, c’est illusoire.

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Que faire donc ?

Demander tout simplement aux investisseurs qui investissent en Afrique de l’Ouest, quel est le niveau de la prime de risque qu’ils exigent. C’est pragmatique, simple et efficace. Il se trouve que PWC le fait tous les deux ans dans les principales zones de l’Afrique, dont l’Afrique de l’Ouest. Dans la dernière livraison de son étude[8], PWC chiffre la prime de risque entre 7,1 % et 10,2 % compte tenu de l’intervalle des réponses des 61 investisseurs interrogés (dont tous ne sont pas actifs en Afrique de l’Ouest). Comme l’enquête date de l’automne 2014, la prochaine étude ne devant plus tarder à être publiée. Nous aurions tendance à retenir aujourd’hui le bas de la fourchette (7 %). En effet, il nous semble que la situation de l’Afrique de l’Ouest en terme de climat économique et politique se soit plutôt améliorée que dégradée, d’où une baisse probable de la prime de risque

 

Et PWC va même plus loin puisqu’il interroge aussi les investisseurs sur le type de prime de taille ou d’illiquidité qu’ils demandent en fonction de la taille de l’entreprise. Il est en effet évident qu’une entreprise de petite taille présentera un risque de marché plus élevé qu’une entreprise de grande taille et de ceci, la formule du début de cet article ne rend pas compte. On retrouve ici les approches APT ou de Fama French[9].

Voici les primes à ajouter au coût du capital pour les investisseurs interrogés par PWC, selon la valeur de l’entreprise :

Au total on pourrait ainsi évaluer le coût du capital d’une entreprise ivoirienne de distribution pharmaceutique valant environ 250 M$, en reprenant le coefficient bêta de l’actif économique de ce secteur (0,75 dans le tableau précédent) : 5,9 % + 0,75 x 7 % + 2,8 % = 14 %. Et d’une entreprise ivoirienne de production d’électricité valant plus de 1000 M$ : 5,9 % + 1,0 x 7 % + 1,1 % = 14 %.

A titre d’illustration, on pourra remarquer que le groupe européen le plus investi en Afrique de l’Ouest, Bolloré, utilise dans son rapport annuel un coût du capital de 11 % pour ses flux dans cette zone, convertis en euros. Compte tenu d’une inflation de l’ordre de grandeur de 2 % en 2016 en Côte d’Ivoire contre 0 % en zone euro, ce taux de 11% en euros équivaut à un taux d’environ 13 % en francs CFA. Assez cohérent avec ce que nous venons de voir dans cet article.

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Cet article est un résumé de la conférence donnée par l’un de nous à Abidjan à l’invitation des membres ivoiriens de l’ICCF@HEC Paris et dont le support est disponible sur le site vernimmen.net et de l’ICCF@HEC Paris.



Tableau : Durée des procédures d'insolvabilité et taux de recouvrement des créances en Europe

Publié par la Communauté européenne, ce graphique met en évidence que le temps a de la valeur !

Plus la procédure d’insolvabilité est longue, moins le taux de récupération par les créanciers est important : les exemples de la Roumanie et de la Hongrie en contraste avec ceux du Royaume-Uni et de l’Allemagne sont sans appel.

Ceci est conforme aux travaux des chercheurs[1], par exemple G. Recasens, qui ont démontré que les droits de la faillite pro-créanciers (au Royaume-Uni, en Allemagne) étaient plus efficaces que les droits pro-entreprise comme en France ou en Italie qui ont pour objectif premier la sauvegarde de
l’emploi[2]. Ceci relève d’une bonne intention, mais quand on constate un taux de chômage en France et en Italie double des taux allemands ou anglais, on peut se demander si les bonnes intentions suffisent…

Morale finale : les hommes politiques et les législateurs devraient davantage écouter les chercheurs, et les chercheurs devraient davantage se mobiliser pour que leurs travaux servent la société et pas seulement la communauté des chercheurs.http://www.vernimmen.net/Lire/Lettre_Vernimmen/Lettre_16.html

[2] Voir La Lettre Vernimmen.net n° 16 de janvier 2003.

 



Recherche : Créances clients et risque de faillite : le cas des entreprises de camionnage

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine

Le 5 janvier 2006 a été mise en œuvre en France une réforme portant sur les délais de paiement dans les contrats impliquant un vendeur du secteur du transport routier. 90 % de ces entreprises sont des entreprises de camionnage. Concrètement, après la réforme, le délai de paiement prévu au contrat ne peut plus dépasser 30 jours. Dans le cas contraire, le camionneur comme le client sont passibles d’une amende d’un montant maximum de 75 000 €. Cette réforme résulte d’un amendement parlementaire sur une loi plus générale, et ne faisait pas partie de la proposition initiale ; elle n’a donc pas pu être anticipée par les acteurs concernés. Elle présente ainsi toutes les caractéristiques d’une décision politique que les chercheurs se plaisent à exploiter : celles d’un choc exogène non anticipé.

L’article que nous présentons ce mois[1] utilise cet événement pour mesurer les conséquences des délais de paiement sur le risque de faillite. L’idée générale, qui d’ailleurs motive ces évolutions législatives, est que des délais de paiement trop longs pénalisent les petites entreprises qui sont soumises à des contraintes de liquidité. C’est dans cet esprit qu’a été adoptée plus récemment (16 février 2011) la Directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, limitant à 60 jours les délais de paiement inter-entreprises pour tous les secteurs (avec quelques exceptions).

Un événement de ce type permet de recourir à une technique fréquemment utilisée en recherche empirique, l’approche dite « difference-in-differences ». Il s’agit de comparer l’évolution de paramètres concernant l’échantillon étudié (en l’occurrence, les entreprises de camionnage), et l’évolution des mêmes paramètres sur la même période pour des entreprises comparables (qui constituent un « groupe de contrôle »), mais qui ne sont pas soumises au choc exogène (la nouvelle loi). Ceci permet de mesurer précisément l’effet de la loi sur l’échantillon en le distinguant d’une évolution générale concernant toutes les entreprises qui pourrait avoir lieu au même moment (sans que la nouvelle loi en soit la cause). Concernant l’article présenté, le groupe de contrôle est constitué d’entreprises dont la position dans la chaîne de valeur est comparable à celle des entreprises de camionnage, mais qui ne font pas partie de ce secteur.

Dans un premier temps, l’auteur montre que cette réforme a fortement réduit les délais de paiement effectifs dans ce secteur (une baisse de 15 %). Les créances clients moyennes sont passées de 19 % des ventes à 16 % des ventes entre début 2006 (mise en place de la réforme) et fin 2007. Ils s’intéressent ensuite à l’évolution du risque de défaut des entreprises de camionnage. Il s’agit du principal résultat de l’article : leur risque de défaut diminue de 60 points de base, soit un quart de leur niveau de risque avant la réforme. Cet effet est particulièrement marqué pour les entreprises petites, récentes, très endettées, et à faible taux de distribution de dividendes ; autrement dit, celles qui ont le plus de chances d’être contraintes financièrement. Aucune tendance de ce type n’est identifiable avant la réforme. Il ne s’agit donc pas d’une tendance générale, mais il semble bien que la nouvelle législation en soit la cause. De plus, le fait que cette réforme soit déjà ancienne permet à l’auteur de vérifier que l’effet persiste dans les années qui suivent (le risque de défaut ne remonte pas).

Il serait envisageable que les entreprises les plus faibles compensent les longs délais de paiement imposés par leurs clients en pratiquant des prix plus élevés, afin de couvrir leur risque de liquidité. Les résultats de l’étude ne vont pas dans ce sens : la baisse des créances clients après la réforme n’est pas accompagnée par une baisse des prix. Enfin, l’auteur montre une augmentation du nombre de nouveaux entrants dans le secteur du camionnage après la réforme.

Au total, cette étude indique qu’une réduction (imposée par la loi) des délais de paiement semble favoriser l’entrée et la survie des petites entreprises soumises à des contraintes financières. Ceci est conforme aux objectifs visés par le législateur (en droit interne et communautaire). Toutefois, comme le souligne à juste titre l’auteur, ce résultat ne suffit pas à prouver que ces réformes sont positives pour l’économie dans son ensemble. En réduisant les possibilités contractuelles, elles affectent l’ensemble des entreprises. La question centrale reste ouverte : le niveau moyen des créances clients en l’absence de législation contraignante est-il excessif ?

 

[1] J.N. Barrot (2016), Trade credit and industry dynamics: evidence from trucking firms, Journal of Finance, vol. 71-5, pages 1975-2016.



Q&R : Pourquoi les fonds de LBO recourent-ils aux lignes de crédit revolving ?

Il s’agit d’une technique récente qui permet aux fonds de LBO d’améliorer leur TRI et par conséquent de majorer le carried interest[1] des dirigeants des fonds.

Ces lignes de crédit revolving ne doivent pas être confondues avec la dette qui est contractée par la holding contrôlant l’entreprise sous LBO ou par cette dernière, dont une partie peut avoir un caractère revolving. Cela n’a rien à voir.

Le fonds de LBO décale les appels de fonds aux investisseurs (les limited partners) de quelques trimestres et finance son investissement dans la holding de LBO en tirant sur sa ligne de crédit revolving qui sera remboursée quand les investisseurs apporteront leurs parts du financement capitaux propres de la holding.

La ligne de crédit revolving est aussi utilisée pour accélérer la remontée du produit de la vente d’investissements aux investisseurs entre la signature d’une cession (signing) et sa réalisation (closing). Il peut s’écouler quelques mois entre ces deux dates quand l’opération ne pose pas de problème anti-trust. Le fonds, qui n’anticipe pas de difficulté pour transformer une signature en une réalisation, peut tirer sur sa ligne revolving, verser le produit de la cession non encore perçu aux investisseurs dès la signature du contrat de vente et rembourser sa ligne revolving une fois réalisée la cession quelques mois après.

Ainsi, les investisseurs versent plus tardivement leurs engagements et reçoivent plus rapidement  leurs retours. D’où l’augmentation du TRI de leur investissement.

Globalement, on met un peu plus de dettes dans l’opération de LBO, soit à un moment où l’entreprise sous LBO n’a encore rien démontré ou soit à un moment où la valeur de l’investissement apparaît clairement puisqu’un tiers a signé un contrat pour acquérir l’investissement. Dans le premier cas, les prêteurs de la ligne revolving prennent d’abord le risque que les investisseurs dans le fonds de LBO renient leurs engagements, ce qui est un risque diversifié (il a plusieurs investisseurs) et très peu fréquent car un investisseur qui procéderait ainsi ruinerait sa réputation. Dans le second cas, le risque est celui d’un problème non anticipé entre la signature et la réalisation, avec un actif qui s’est désendetté et sur lequel un prix vient d’être affiché. Ce n’est pas sans risque, mais ce n’est surement pas le concours bancaire le plus risqué qui puisse se trouver.

Du levier supplémentaire en période de taux d’intérêt très bas et avec un niveau de risque nettement plus faible que celui d’un LBO. C’est donc très tentant pour les fonds de LBO comme pour les prêteurs, d’autant que cette pratique reste, pour l’instant, modérée.

Elle n’a rien à voir avec l’equity bridge pré 2007, où les banques prêteuses du LBO garantissaient alors une partie des capitaux propres du montage dans l'attente d'une syndication de ces actions auprès d'autres fonds de LBO. On trouvait difficilement mieux pour augmenter le risque des prêteurs !

 

[1] Pour plus de détails sur les carried interest, l’intéressement des dirigeants des fonds de LBO, voir le chapitre 50 du Vernimmen 2017



Autre : NOS LECTEURS ECRIVENT : Quand la profession d'acheteur détrônera celle des vendeurs

Par François Meunier

Au sein des entreprises, la profession d’acheteur était jusqu'à récemment un peu négligée, même si la conjoncture présente, qui oblige toutes les entreprises à serrer les coûts, lui redore le blason. Il est bien rare par exemple que le directeur des achats fasse partie du comité de direction. Nous soutenons ici que la tendance s’inverse. Pour des raisons de fond, l’acheteur aura un rôle croissant dans le commerce interentreprises. Il se rapproche, en importance, en prestige interne et en rémunération, du vendeur, aujourd’hui la vedette dans les entreprises. D’où le titre quelque peu hardi de ce billet.

Le coût commercial porte sur le fournisseur

Les relations interentreprises sont marquées par trois traditions très fortes. 1- En général, le fournisseur accepte de se faire payer avec un délai. 2- Le fournisseur assume le coût commercial, qu’on définit ici comme le coût d’appariement entre l’offre et la demande. 3- En revanche, l’acheteur prend ses responsabilités quant à la conformité de la marchandise livrée par rapport à la commande (le caveat emptor de la plupart des droits commerciaux).

Le graphique suivant illustre ces relations :

La logique économique veut qu’il en aille ainsi :

Le commercial vendeur (le « sales » comme on dit à présent) n’est pas dispersé. Il concentre en général son activité sur une seule gamme de produits, et donc en acquiert une assez bonne connaissance. Il est dans la position de l’attaquant. Il cherche à convaincre son possible client, lui offre déjeuner et cadeaux d’entreprise.

Sauf à pouvoir se concentrer sur les achats stratégiques, l’acheteur (on devrait dire le « commercial acheteur ») est dispersé et moins compétent sur le produit, sachant la palette des achats de l’entreprise. Il est obligé de se reposer davantage sur les opérationnels de l’entreprise. Il est plutôt dans la position du défenseur. Il reçoit (parfois dangereusement) invitations à déjeuner et cadeaux.

Le dirigeant de l’entreprise voit dans la force de vente un potentiel de développement de son chiffre d’affaires, éventuellement illimité. Il pense par contre que sa force d’achat, si utile qu’elle soit pour réduire les coûts, n’offre pas un potentiel de gain infini. Il préfèrera à budget identique recruter un « sales » qu’un acheteur.

Ce n’est pas toujours le cas :

Quand le client est le consommateur final (dans les entreprises B2C comme Leclerc ou Carrefour), l’acheteur a un rôle-clé, alors qu’il n’y a pas ou peu de vendeurs, mais simplement des équipes marketing.

Dans beaucoup d’entreprises B2B, l’achat stratégique oblige à recruter ce qu’on appelle des acheteurs amont ou projet, en étroite connexion avec les métiers internes à l’entreprise et donc rapidement très compétents.

Pour certains produits, par exemple le sucre ou le cacao chez Nestlé, le caoutchouc chez Michelin, etc., l’appariement offre / demande passe par un marché de négoce, opéré par des traders de part et d’autre.

Et ce le sera de moins en moins :

Les entreprises encadrent leurs achats par un formalisme plus grand et recourent plus souvent à des appels d’offre. Les vendeurs détestent les appels d’offre et préfèrent – c’est aussi pour cela qu’on les paie – les procédures de gré-à-gré. C’est surtout le cas dans les métiers de service et de conseil, qui pensent toujours que leurs prestations sont à l’écart de rabais sur les prix parce qu’ils vendent « la qualité ». (L’argument ne vaut que si les procédures d’achat ne font pas une place suffisante aux facteurs « hors prix ».)

Notez qu’en cas d’appel d’offre le rôle des vendeurs n’en reste pourtant pas moins aussi important. Mais il change de nature : il s’agit de se muer en responsable d’une équipe chargée de gagner l’appel d’offre. Il s’agit moins de « pousser la butte » agressivement, de rentrer par la fenêtre si la porte est fermée, de « sympathiser », d’offrir des déjeuners et des cadeaux.

L’acheteur procède de plus en plus à une investigation poussée du marché pour mieux en connaître les fournisseurs potentiels et les solliciter. Il lance des RFI (requests for information). C’est d’autant plus facile que se sont multipliées, avec l’avènement d’Internet, les sources d’information sur les fournisseurs.

Il faut prendre la mesure du développement croissant des chaînes de valeur ou supply chains. Elles font rentrer les entreprises dans une logique de co-développement et de prospection R&D. Cela rééquilibre, voire renverse, la relation acheteur / vendeur.

La délégation ou la sous-traitance sont de mieux en mieux acceptées, quand l’acheteur n’a pas la compétence pour acheter (achats rares ou complexes). Par exemple, les courtiers ont acquis désormais une position dominante dans l’achat des produits d’assurance (mais pas trop encore dans l’achat des services bancaires).

L’argument du dirigeant d’entreprise cité plus haut a ses limites. Les gains associés à l’achat sont tout aussi « illimités » que ceux liés à la vente, dès lors que les achats sont un coût variable pour l’entreprise, en proportion du chiffre d’affaires.

Il est certain que le recours à un acheteur professionnel alourdit le process d’achat et fait perdre en flexibilité et en « sur-mesure ». C’est pourquoi l’opérationnel d’une entreprise préfère souvent un gré-à-gré avec le commercial du fournisseur, parce qu’il se sent plus compétent que l’acheteur (c’est le plus souvent vrai sur la compétence technique, moins sur les techniques d’achat et de mise en concurrence). Ajoutons qu’il apprécie ce lien personnel avec le commercial du fournisseur… et les billets pour le Stade de France et autres concerts et de cadeaux de fin d’année qui vont avec. Il y a donc arbitrage entre formalisme et flexibilité. Il ne faut surtout pas en arriver à la lourdeur des procédures de la fonction publique, qui au total nuit gravement à l’Etat. C’est le rôle d’une direction des achats, qu’elle soit centralisée ou au contraire déconcentrée dans les services techniques de l’entreprise, de bien placer le balancier. On note à cet égard que le niveau de recrutement est de plus en plus élevé et que les entreprises arrêtent de mettre dans les directions achat les gens dont elles ne savent pas trop quoi faire ailleurs.

Faisons un test

Êtes-vous d’accord que les qualités type d’un bon commercial sont les suivantes ? 

  1. Bonne communication interpersonnelle (sait se faire des amis).
  2. Centré client
  3. Capacité à prendre des décisions
  4. Négociateur
  5. Influence et persuasion
  6. Résolution de conflits

Eh bien, faux ! Cette liste ne concerne pas les vendeurs mais les acheteurs, selon l’enquête annuelle « World Class Purchaser » conduite par l’université de Floride[1] ! En même temps, vrai ! Les deux métiers sont des métiers de commerciaux, vendeur dans un cas, acheteur dans l’autre.

Il est probable que cette tendance va conduire à revaloriser les salaires des acheteurs (et les exigences qu’on porte sur eux) et déprécier relativement les salaires des vendeurs, notamment l’élément bonus. Pourquoi pas. On peut en effet s’étonner que la rémunération variable des vendeurs soient souvent assise sur le chiffre d’affaires réalisé, alors que dans une entreprise moderne le travail de vente est de plus en plus le résultat d’un effort collectif, impliquant toute une chaîne de spécialistes, quand elle ne provient pas d’une procédure d’appel d’offre. Les acheteurs ne sont jamais payés sur le chiffre d'affaires acheté, et n’ont pas à l’être. Et il est difficile de trouver une métrique telle que l’économie faite par l’entreprise à avoir bien su conduire un processus d’achat. Tout cela conduira dans le futur à une certaine convergence des rémunérations.

[1] Cité dans l’excellent manuel : Bruel, Olivier et Pascal Ménage, 2014, « Politique d'achat et gestion des approvisionnements. Enjeux, problématiques, organisation, changement », Collection: Management Sup, Dunod. Il faudrait ajouter, pour les deux professions : 7.   Capacité à travailler en équipe



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