La Lettre n°16 de Janvier - Février 2003

Actualités : Faut-il modifier la fiscalité des dividendes ?

Les Etats-Unis ont annoncé vouloir supprimer l’imposition des dividendes au niveau des actionnaires afin d’éviter la double imposition des bénéfices, d’abord au niveau de l’entreprise qui les dégage, puis de l’actionnaire qui les reçoit partiellement ou totalement sous forme des dividendes.

Après cette réforme, seuls le Luxembourg, la Suisse et les Pays Bas au sein de l’OCDE, garderont un mécanisme de double imposition. Les autres pays ont le plus souvent un mécanisme de déduction au niveau des actionnaires : en Allemagne, seule la moitié des dividendes est imposée chez l’actionnaire ; au Japon et en Suède, le taux d’imposition des dividendes est plus faible que le taux d’impôt sur le revenu ; en France, l’avoir fiscal (1) conduit à une imposition de 25 % (pour l’actionnaire imposé marginalement à 50 %), hors cotisations fiscales et assimilées. La France réfléchit toutefois à abandonner cette technique coûteuse (certains non-résidents, donc non imposés en France, bénéficient du remboursement de l’avoir fiscal : 1,5 Md€ en 1999) pour adopter un système comparable à celui de l’Allemagne d’imposition partielle du dividende.

En fait, il existe deux voies pour réduire ou éliminer la double imposition :

  • exonérer partiellement (France, Allemagne) ou totalement (projet américain) l’actionnaire personne physique d’imposition sur le dividende reçu ;
  • rendre déductible au niveau de l’entreprise le versement de dividendes. Fiscalement le dividende est alors considéré comme une charge au même titre que les frais financiers ou les salaires. Parallèlement le dividende doit alors être normalement imposé, sans exonération, réduction ou avoir fiscal, chez l’actionnaire.

Cette dernière solution nous paraît présenter pour l’entreprise, et donc pour l’économie en général, plus d’un avantage.

Certes elle choque à prime abord celui qui considère, avec un point de vue juridique ou comptable, le dividende comme une répartition du bénéfice après impôt. Mais si l’on prend le point de vue financier, le dividende est une partie de la rémunération d’un pourvoyeur de fonds, l’actionnaire ; pourquoi celle-ci serait- elle non déductible du bénéfice imposable alors que la rémunération de l’autre pourvoyeur de fonds, le créancier, est déductible ? Deux poids, deux mesures ?

Quelles seraient les conséquences d’un tel changement ?

Premièrement, le mythe de l’avantage fiscal de la dette, grâce à la déductibilité des intérêts, tomberait puisque les dividendes seraient aussi déductibles. Or ce mythe conduit bon nombre d’entreprises à favoriser systématiquement l’endettement sur les capitaux propres oubliant la contrepartie de l’avantage fiscal de la dette : une augmentation du risque de l’entreprise et de la volatilité de ses cash-flows puisque l’endettement génère des débours de trésorerie fixes (frais financiers et remboursement) contrairement aux capitaux propres dont les charges de trésorerie sont variables et non contractuelles. C’est souvent trop tard, dans une conjoncture économique mauvaise, que la prise de conscience du caractère dangereux de cette illusion s’effectue.

Les choix de structures financières pourraient alors être effectués plus sainement en fonction de critères réels : flexibilité, niveau de risque accepté, ….

Deuxièmement, cette déductibilité totale des dividendes du bénéfice imposable en poussant les entreprises à distribuer la totalité de leur bénéfice (pour bénéficier de l’économie d’impôt maximum) résoudrait bon nombre des problèmes classiques d’agence (2) entre les actionnaires et les dirigeants. Plus de fonds laissés oisifs dans l’entreprise provenant de bénéfices non distribués, rapportant le taux du marché monétaire, c’est à dire détruisant de la valeur. Plus de tentatives de diversification ou de réinvestissement destinés à mieux utiliser ces fonds et qui se terminent le plus souvent par un échec financier. Au contraire, de régulières augmentations de capital permettant aux actionnaires d’apprécier la rentabilité prévisionnelle des investissements proposés avant de dire oui ou non aux dirigeants. Peut-on trouver mieux en matière de corporate governance ?

Troisièmement, plus besoin de faire des rachats d’actions actuellement mieux traités fiscalement que le dividende pour l’actionnaire (fiscalité de la plus-value et non du dividende). Ils se sont progressivement substitués (3) en tout ou en partie aux versements de dividendes, alors que leur fonction première est de rendre une partie des capitaux propres apportés par les actionnaires lorsque le risque de l’actif économique diminue.

Enfin, plus de pénalisation des groupes français qui ont brillamment réussi hors de nos frontières et qui veulent verser une part de leurs bénéfices sous forme de dividendes supérieurs à la part des profits d’origine française dans le total des profits. Aujourd’hui, ils sont conduits soit à y renoncer, soit à prévoir des mécanismes ad hoc de transfert géographique de profits, soit à payer un impôt inique, le précompte, dont la seule justification est l’avoir fiscal.

Est-ce faire un rêve éveillé que de suggérer le retour à la neutralité fiscale face à la décision de financement ? Nous ne le pensons pas ; la fiscalité des sociétés immobilières ne vient-elle pas d’être modifiée dans un sens proche en prévoyant, sur option, une exonération d’impôt sur les sociétés à condition de distribuer au moins 85 % du résultat net en dividendes ?

Des pouvoirs publics audacieux et cohérents pourraient aussi unifier au niveau des individus la fiscalité des différents revenus de l’épargne en supprimant le choquant avantage dont bénéficient les intérêts des dettes imposés à 25 % au maximum compte tenu du prélèvement libératoire et en les soumettant, comme les dividendes, à l’impôt sur le revenu au taux marginal. Si la fiscalité n’a pas à orienter les choix de financement des entrepreneurs, elle n’a pas non plus à biaiser le choix des épargnants au profit de la dette qui augmente le risque de l’entreprise et accentue, par défaut, la part des actionnaires étrangers dans le capital.

Si nous n’avons pas les moyens de mesurer l’équilibre budgétaire de ces dispositions, la forte réduction du produit de l’impôt sur les sociétés sera à mettre en regard avec la hausse du produit de l’impôt sur les dividendes et les intérêts (effet assiette et taux). D’autant que techniquement les dividendes reçus de filiales étrangères seraient distribués tels que et ne bénéficieraient naturellement pas de la déductibilité les distributions aux organismes exonérés d’impôt en France (sociétés bénéficiant du régime mère-fille, fonds de pension étrangers …).

Certes, nous serions les premiers au niveau international à adopter cette position. Mais il faut toujours un premier, pourquoi pas nous puisque les Etats-Unis n’ont pas osé ce choix ?

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La société EFE organise le mercredi 26 mars une journée de séminaire animé par Pascal Quiry consacrée aux points complexes de l’analyse des comptes des sociétés et au décryptage du rapport annuel. Pour plus de détails voir : www@efe.fr

(1) Voir chapitre 44 du Vernimmen 2002.
(2) Voir chapitre 35 du Vernimmen 2002.
(3) Voir la Lettre Vernimmen.net de septembre 2001 et celle du mois prochain.


Tableau : Les taux d'impôt en France

La suppression de la contribution additionnelle, ramenée à 3 % en 2002, qui avait été programmée à compter de 2003 n’ayant pas eu lieu, les taux d’impôt en France pour 2003 seront de :

(1) 15,45 % sur les premiers 38 120 € de bénéfice imposable ;

(2) 34,33 % sur la fraction d’IS inférieur ou égale à 763 000 € ;

(3) 19,57 % sur la fraction d’IS inférieure ou égale à 763 000 €.

(a) Sociétés dont le chiffre d’affaires hors taxes est inférieur à 7,630 M€ et dont le capital, entièrement libéré, doit être détenu pour au moins 75 % par des personnes physiques (ou des sociétés qui satisfont aux conditions).

(b) Participation de plus de 5 %, titres détenus sous forme nominative, souscrits à l’émission ou acquis avec un engagement de conservation de 2 ans minimum.



Recherche : Les faillites dans le monde

Les différences de juridictions nationales sont telles que la recherche comparative sur les procédures de faillites, leur utilisation et leurs effets sont peu nombreuses. L’internationalisation des groupes, la dégradation de la conjoncture et les faillites retentissantes qu’elle a provoquée ont rendus ce sujet à nouveau d’actualité. Deux travaux de recherche analysent les typologies des procédures existantes et leurs implications économiques.

G. Recasens met en avant le fait que deux grandes philosophies s’opposent dans la prévention et la résolution des faillites :

  • la première approche favorise la continuité de l’entreprise afin de sauvegarder l’emploi et ne pas déstabiliser le système économique. C’est en particulier le cas en France (1) où la législation met clairement en avant comme premiers objectifs le sauvetage de l’entreprise et l’emploi. Cette approche est également celle retenue aux Etats-Unis où le chapter 11 laisse une grande marge de manœuvre au débiteur pour se restructurer ;
  • la seconde approche consiste à prendre le parti du créancier. Dans ce type de système, le créancier dispose d’un large pouvoir dans la façon dont la procédure est menée. La logique est alors d’avoir une réglementation plus sévère pour l’entreprises et ses dirigeants qui agit alors avec un effet dissuasif pour prévenir les faillites. Le système britannique entre clairement dans cette catégorie.

L’article de G. Recasens (2) se fonde sur les tests empiriques et les analyses cliniques existantes et tend à mettre en évidence que les procédures plus strictes pour les débiteurs sont les plus efficientes d’un point de vue économique. Cette conclusion repose principalement sur la comparaison du système américain (pro-débiteur) et du système canadien (pro-créancier) sur la base des critères suivants :

  • durée de la procédure et coûts de liquidation,
  • taux de récupération des créances suivant leur rang de priorité,
  • le risque de laisser se redresser une entreprise non viable ou de liquider une entreprise viable.

L’auteur constate également que les systèmes pro-créanciers favorisent l ’offre de dette. En effet, il est logique que l’offre de crédit soit plus faible dans les pays où les créditeurs sont moins bien traités dans les procédures de faillite.

L’étude de S. Claessens et L. Klapper (3) réalisée pour la Banque Mondiale est plus quantitative. Les auteurs analysent dans 35 pays l’impact du système législatif et du développement plus ou moins important des marchés financiers sur la probabilité de devoir faire face à une procédure de faillite. Ils mettent notamment en avant que dans les pays où les marchés sont les plus développés, les procédures de faillite sont utilisées plus fréquemment. Les auteurs en déduisent que la multiplication du nombre et des types de créanciers (dette cotée, dette syndiquée) rend difficile une conciliation spontanée et donc nécessaire un arbitrage judiciaire. Inversement dans le pays où les banques ont des relations plus proches avec les entreprises (comme en Allemagne par exemple), des solutions négociées par anticipation peuvent être mises en place.
Ainsi, les deux articles indiquent que dans un système juridique favorisant les créanciers, un réel effet dissuasif existe : les sociétés prennent apparemment moins de risque. On peut noter que cet effet dissuasif peut conduire à des sous-investissements : des projets à valeur actuelle nette positive peuvent ne pas être entrepris par des dirigeants qui ne veulent pas se rapprocher d’une situation de faillite potentielle. Par ailleurs, les procédures judiciaires menant la plupart du temps à la liquidation, seules les entreprises qui ont entrepris une restructuration avant la procédure judiciaire survivent.

 

Ces analyses revêtent une importance forte alors que les procédures de faillite actuelles se sont structurées ou ont été réformées très récemment et que l’unification du marché européen rend nécessaire une approche cohérente des faillites. La législation européenne qui ne tranche aujourd’hui que sur la juridiction compétente ne permet pas d’offrir une approche unifiée pour les investisseurs. Mais avant de dresser les premières pierres d’une juridiction européenne sur le fond, il est nécessaire d’évaluer l’efficacité des procédures existantes, et c’est là le travail des chercheurs.

(1) Voir le chapitre 54 du Vernimmen 2002.
(2) Faut-il adopter un système pro-créancier de defailance ? Une revue de littérature, Gilles Recasens, Octobre 2002.
(3) Bankruptcy Around the World, Explanations of its Relative Use, Stijn Claessens & Leora Klapper, The World Bank Development Research Group, July 2002.


Q&R : Dette bancaire versus dette obligataire

Quel sont les avantages pour une entreprise d’émettre des obligations plutôt que de solliciter un prêt à un établissement financier ?

Il est vrai que si l’on ne raisonne qu’en coût comptable, c’est à dire en taux d’intérêt facial payé par l’entreprise, on observe que les émissions obligataires coûtent la plus part du temps plus cher que les emprunts bancaires. Mais l’explication de ce surcoût est que les garanties demandées par les banques dans les prêts sont généralement plus importantes que celles exigées par le marché sur les obligations. On retrouve le lien classique entre risque et rentabilité.

Un emprunt obligataire est généralement émis avec des clauses standards, peu contraignantes pour l’entreprise. Par contre les banques exigent que l’entreprise emprunteuse soit soumise à des covenants (clauses de sauvegarde) (1). Ces covenants entravent la marge de manœuvre de l’emprunteur qui doit notamment pour certaines opérations (cessions, acquisitions, versement de dividendes exceptionnels, nouvel endettement ...) obtenir l’accord préalable des banques. La multiplication de ces clauses dans des contrats bilatéraux entre banques et filiales d’un groupe peut s’avérer un vrai cauchemar à gérer.

Notons qu’à contrario, certains types de crédit bancaires comme les lignes de crédit offrent à l’entreprise une flexibilité sur le calendrier pour lever effectivement les fonds que n’offrent pas les emprunts obligataires (qui doivent être émis pour des montant significatifs sans forcément que les besoins de trésorerie soient immédiats).

Réaliser une émission obligataire, pour les entreprises qui le peuvent, conduit également à ouvrir une nouvelle source de financement. Accéder pour la première fois au marché est une opération relativement longue : le plus souvent la société doit avoir de facto obtenu une notation auprès d’une agence de notation, les investisseurs doivent se familiariser avec la société ; en revanche, une seconde émission peut être extrêmement rapide à mettre en place.

Pour certains grands groupes, les lignes bancaires sont limitées par le montant d’exposition qu’une banque peut avoir sur un seul nom (concentration des risque) ce problème est accru avec les concentrations dans le secteur bancaire. Le marché obligataire permet d’accéder à d’autres investisseurs et dans ce cas de maximiser le montant de dette que les groupes peuvent lever.

Par ailleurs, une société faisant appel à la fois à des crédit bancaires et des émissions obligataires maximise ses chances de pouvoir lever la dette à tout moment.

Enfin, mentionnons qu’une émission publique (émission obligataire) permet d’accroître la notoriété de l’entreprise.

Au total, il n’y a pas de choix évident mais plutôt une logique de diversification des risques et de construction d’une relation à terme.

(1) Voir pour plus de détails le chapitre 39 du Vernimmen 2002.


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