La Lettre n°135 de Octobre 2015

Actualités : Le versement des dividendes enrichit-il les actionnaires ?

Philippe Martinez, Secrétaire général de la CGT, nous a fait l’honneur d’utiliser des données publiées par la Lettre Vernimmen.net dans son entretien au Journal du Dimanche du 25 octobre[1] : « Il (François Hollande) a dit que son ennemi est la finance, mais les dividendes ont augmenté de 60 % en cinq ans ; (…) ».

En effet, le journal Le Monde est allé vérifier les chiffres de Philippe Martinez et a bien constaté[2] que La Lettre Vernimmen.net de janvier 2015[3], dans sa publication annuelle sur le montant des rachats d’actions et des dividendes versés, les établissait à 56 Md€ en 2014 contre 35 Md€ en 2009, soit effectivement une progression de 60 %.

On passera sur le fait que si, au lieu de choisir l’année 2009, Philippe Martinez avait retenu l’année 2008, la progression n’aurait été que de 3 %, ou de - 2 % avec une base de comparaison en 2007. Un syndicaliste n’a pas supposé avoir la rigueur intellectuelle d’un chercheur.

Non, le vrai sujet est l’erreur fréquemment faite d’assimiler versement de dividendes et enrichissement des actionnaires. Rien n’est plus faux.

On peut le voir de trois façons :

Par un raisonnement par l’absurde : Si on s’enrichit en percevant des dividendes, on devrait s’appauvrir en n’en recevant pas. Et les actionnaires de Google ou de Critéo, groupes qui n’ont jamais versé de dividendes, devraient être fort à plaindre. Pourtant leurs cours de bourse a monté respectivement de plus de 1 570 % et de 17 % depuis leur introduction en bourse (en 2004 et 2013) ; et la valeur de leurs capitaux propres est un multiple de 5 fois de leurs capitaux propres comptables apportés par les actionnaires. C’est donc tout sauf un appauvrissement pour les actionnaires !

Par l’observation. Quand une entreprise verse un dividende à ses actionnaires, la valeur de son action baisse mécaniquement d’autant comme l’illustre le dividende exceptionnel de Lagardère en 2014 :

Pour les petits dividendes, il faut peut-être une loupe pour observer la baisse des cours qui peut être masquée par les variations quotidiennes. Mais elle est bien réelle.

Par le raisonnement. En effet l’entreprise qui verse un dividende se sépare d’un de ses actifs (de la trésorerie). Il est donc logique que la valeur des capitaux propres baisse d’autant, puisque l’entreprise en tant qu’entité s’est appauvrie du fait du versement d’une partie de sa trésorerie sous forme de dividende à ses actionnaires.

Autrement dit, au même moment où un virement représentatif du dividende arrive sur le compte en banque de l’actionnaire, qui enrichit celui-ci, l’actionnaire s’appauvrit du même montant par la baisse de la valeur de ses actions. Au total, en termes de valeur, le dividende est neutre pour lui, ce qui est logique puisque la société dont il détient une partie du capital lui transfère une partie de sa trésorerie. C’est donc pour lui poche gauche - poche droite. Il n’y a pas d’enrichissement possible ou de rémunération nette de ce fait.

C’est là où fondamentalement le dividende diffère du salaire, mis à tort sur un même pied d’égalité par la vulgate marxiste. Heureusement pour les salariés que nous sommes, à chaque fois que notre salaire mensuel est viré, nous ne nous appauvrissons pas immédiatement du même montant par ailleurs !

Si le dividende n’enrichit pas l’actionnaire, qu’est-ce qui l’enrichit ?

Le résultat net.

A cette aune, nous avons regardé la progression des résultats du CAC 40 entre 2005 et 2013. Pourquoi 2005 ? Parce que c’est une année assez éloignée maintenant (il faut laisser du temps au temps), moyenne entre les bas de 2002 et 2003 et les hauts de 2007 et 2008. Pourquoi 2013 ? Parce que c’est la dernière année que nous avons étudiée pour les bénéfices, qui donnent lieu à dividende en 2014, dernière année complète à ce jour.

En 2005, les membres du CAC 40 ont réalisé un résultat net cumulé de 78,3 Md€.

En 2013, les membres du CAC 40 ont réalisé un résultat net cumulé de 72,9 Md€, soit un recul de 7 %.

Et on n’oubliera pas que par construction les membres du CAC 40 regroupent les meilleurs élèves de la classe à quelques exceptions près. Que dire alors du reste des entreprises françaises ?

A côté de brillantes progressions des résultats (+ 100 % pour Schneider Electric, + 131 % pour LVMH, + 483 % pour Gemalto), on a des effondrements spectaculaires (- 48 % pour la Société Générale, - 52 % pour Lafarge, -59 % pour Renault), ArcelorMittal est lui passé de 6,6 Md€ de résultat net à – 1,7 Md€. Même en le retirant de l’échantillon, la progression des résultats nets du CAC 39 n’est que de 4 % sur 8 ans.

Et les investisseurs ne s’y trompent pas, eux qui valorisent aujourd’hui le CAC 40 à son niveau de fin 2005 :

Nous n’aurons pas la facétie de faire remarquer à Monsieur Martinez, comparant ce qui est comparable, c’est-à-dire l’enrichissement des uns (les salaires) avec l’enrichissement des autres (les résultats nets), que le recul des résultats nets du CAC 40 se compare avec une progression des salaires sur cette période. L’opposition du capital au travail fait partie des dogmes heureusement tombés en désuétude comme le démontre tous les jours les entreprises les plus performantes.

Rappelons enfin qu’une bonne politique de dividendes se juge à l’aune du taux de rentabilité marginal des investissements[4] et qui si une entreprise n’a plus d’opportunités d’investissements rentable, il ne sert à rien d’investir pour investir. Ce serait un gaspillage d’une denrée rare, l’argent, qui pourrait être beaucoup mieux utilisée ailleurs, dans d’autres entreprises ou dans d’autres secteurs, par exemple dans l’innovation et la croissance future comme nous le rappelle les jeunes pousses qui se créent tous les jours. Il lui vaut mieux donc distribuer ces liquidités excédentaires comme vient de le comprendre Google qui annonce un programme inaugural de rachats d’actions pour 5 Md$.

Ni totem, ni tabou, le dividende participe à une réallocation saine, via le système financier, des capitaux propres au sein de l’économie, de ceux qui n’en ont plus besoin au profit de ceux qui en ont besoin.



Tableau : Multiples d'acquisition des LBO et leviers

Les conditions de financements des LBOs réalisés en Europe à ce jour en 2015 sont à mi-chemin entre les extrêmes de 2007 (point haut) et de 2009 (point bas) : les dettes représentent 5 fois l’EBE (contre 4,1 et 6,3), les capitaux propres contribuent à 45 % du financement (contre 34 % à 54 %).



Recherche : Un seul coût du capital au sein d'une entreprise ?

En 1993, une étude[1] conduite auprès de 100 entreprises parmi les firmes américaines du Fortune 500 révélait que 93 % d’entre elles utilisaient un taux d’actualisation unique pour valoriser leurs projets d’investissement, quelle que soit l’activité en jeu, et que seules 35 % d’entre elles mettaient en œuvre des taux différents selon les divisions. On apprend pourtant, dans les grandes écoles et universités, que le taux d’actualisation doit dépendre du risque de marché de l’investissement. C’est dans le Vernimmen depuis sa première édition de 1974 ![2]

 Choisir un taux unique est simple et évite bien des discussions sur le coût du capital à appliquer. Mais quel impact cette pratique a-t-elle sur les investissements qui ne sont pas réalisés parce qu’on les a considérés, à tort, pas assez porteurs, ou sur ceux qu’on a cru rentables et qui ont finalement fait perdre de la valeur à l’entreprise ?

Ph. Kruger, A. Landier et D. Thesmar[3], ont mesuré l’impact de la méthode d’évaluation choisie en observant les décisions d’investissement des conglomérats américains et en les comparant à celles des entreprises opérant dans un seul secteur d’activité. Dans les conglomérats au sein desquels l'activité risquée est dominante, les autres divisions qui se trouvent dans des secteurs plus sûrs pâtissent d’un sous-investissement lié au taux d’actualisation unique élevé choisi par la maison-mère, réduisant artificiellement la valeur de leurs projets. Le contraire n’est pas vrai : les groupes dont l’activité principale est relativement préservée des secousses du marché n’ont pas tendance à surinvestir dans leurs filiales plus risquées.

Dans un second temps, les chercheurs ont analysé le coût de l’erreur d’appréciation des projets d’acquisition. Cette approche permet d’évaluer le coût d’une mauvaise technique de valorisation. Elle présente aussi l’avantage de cibler les acquisitions puisqu’il s’agit de gros projets d’investissement, bien renseignés (en matière de données), et susceptibles d’affecter la valeur de l’acquéreur. Les chercheurs ont observé la réaction du cours de Bourse de l’acheteur à l’annonce de l’acquisition. Là aussi, les données montrent que les marchés réagissent négativement à l’annonce d’une acquisition effectuée par un acquéreur d’un secteur peu risqué (donc à faible coût du capital) dans un secteur risqué (donc à fort taux d’actualisation). Les marchés comprennent que ces acquéreurs ont tendance à surpayer leurs cibles. L’étude montre qu’en moyenne, une acquisition surévaluée génère une perte de 0,7 % sur la capitalisation boursière de l’acquéreur, et d’environ 7 % de la valeur de la société achetée. À l’échelle du marché américain, ce sont des milliards de dollars de valeur qui sont perdus du fait de cette erreur de valorisation.

Phénomène intéressant, les chercheurs constatent que les erreurs d’évaluation diminuent dans le temps. Significatives dans les années 1980, elles se réduisent au point qu’elles ne sont quasiment plus perceptibles à partir des années 2000. C’est que les bonnes pratiques enseignées dans les grandes écoles sont de plus en plus appliquées !

L’étude réalisée par Ph. Kruger, A. Landier et D. Thesmar montre aussi que plus le coût potentiel de l’erreur d’appréciation est élevé, plus elle est évitée. Les gros projets d’acquisition sont passés au crible par une banque d’affaires. Et quand un projet d’investissement concerne un secteur d’activité secondaire qui a un poids important dans la valeur globale du groupe, la direction financière se donne les moyens de mettre en œuvre un taux d’actualisation approprié. C’est aussi le cas quand les conglomérats sont très diversifiés ou quand le dirigeant de l’entreprise détient plus de 1 % du capital : il semblerait qu’il prenne alors davantage le soin de s’entourer d’une direction financière compétente. De sorte que, finalement, les erreurs d’appréciation qui subsistent sont de plus en plus marginales et concernent les projets qui ont le moins d’impact sur l’entreprise. Ce genre de comportement est cohérent avec ce que les économistes appellent la “rationalité limitée”. La capacité des hommes et des organisations à gérer les erreurs cognitives est limitée, et ce sont les erreurs les plus coûteuses qui sont traitées en priorité.

[1] Bierman J.H. « Capital budgeting in 1992 : a survey », Financial Management, vol 2, N°15

[3] Krüger P., Landier A., Thesmar D., « The WACC fallacy : the real effects of using a unique discount rate», Journal of Finance juin 2015, vol. 70, no 3, pages 1253 à 1285.

 



Q&R : Dans le calcul du ratio du BFR/ CA, faut-il prendre le CA en TTC ou en HT ?

Le problème soulevé ici est celui de l’homogénéité entre le numérateur (le besoin en fonds de roulement) et le dénominateur (le chiffre d’affaires). Par construction, les ventes au compte de résultat sont hors TVA, puisque si l’entreprise facture bien la TVA à ses clients, elle la reverse au Trésor Public, la TVA qu’elle collecte ainsi ne lui étant pas acquise. Le besoin en fonds de roulement[1] regroupe des postes du bilan qui sont exprimés hors TVA (HT) comme les stocks (puisque l’entreprise ne les a pas encore vendus ou consommés) et d’autres qui sont TVA inclue (TTC) car l’entreprise est facturée de la TVA sur ses achats (fournisseurs) ou facture avec TVA (clients).

De ce fait, il ne peut pas y avoir de solutions parfaites puisque le BFR regroupe des éléments qui sont HT (les stocks) et d'autres qui sont TTC (clients et fournisseurs). Prendre le chiffre d’affaires en HT en le reprenant tel quel du compte de résultat ou en TTC (c’est-à-dire en le grossissant de la TVA) est de toute façon faux dans les deux cas de figure. Si on voulait être précis et plus rigoureux, mais cela serait plus compliqué, il faudrait regarder qui, entre le solde (clients – fournisseurs) et le poste stocks, est le plus grand et en fonction prendre le CA TTC ou HT au dénominateur.

Mais au total ce n'est pas très important car quand on mesure le ratio BFR/CA, on s'intéresse moins au montant absolu du calcul (qui nécessite pour être juste que l'activité de l'entreprise soit régulièrement répartie tout au long de l'année, ce qui est rare) qu'à une tendance. Et la tendance sera la même que le CA soit systématiquement pris en TTC ou en HT. Bien sûr, quel que soit le choix fait, il faut être consistant et ne pas changer en cours de route son fusil d'épaule !



Autre : NOS LECTEURS ECRIVENT Fable de la finance : Compte noisettes

Par George Fine

 

L’homme a de la Nature une bien fausse idée

Il la voit généreuse, prodigue et sans malice,

Croit la gent animale bien désintéressée

De ce qui fait de l’homme le plus grand délice :

Accumuler du bien, devenir riche en somme,

Montrer ce que l’on vaut et ce que l’on sait faire.

Depuis qu’aux premiers jours il a croqué la pomme

L’homme est toujours content quand il fait…une affaire.

Pourtant, qu’il se détrompe ! Au plus profond de la forêt

La même loi régit les appétits des bêtes

Qui cherchent simplement où est leur intérêt,

 En débattant de la valeur de  leurs cassettes.

 

Entends donc, Ô lecteur le débat qui se tint

Entre deux écureuils jouant au plus malin.

 

Mon cher, je vous invite à voir dans mon grenier

Le gros stock de noisettes que j’y ai serrées

Pour mille glands tout rond ! claironna le premier,

Elles sont joliment dodues et bien pesées,

Admettez que j’ai là un formidable actif

Et qui fructifiera à la fin de saison

Quand je négocierai quinze glands la portion…

Voilà ce que j’appelle être compétitif !

 

Certes, admit le compère, vous voilà bien doté,

Mais avouez que le profit est limité !

Qu’est-ce qu’une poignée de glands quand on pourrait

Avoir le chêne et avec lui une chênaie ?

 

Venez donc voir la bonne affaire

Que j’ai faite l’année dernière !

 

Et nos deux écureuils s’acheminent ensemble

Vers l’endroit où l’actif du second est niché.

C’était une clairière où entre pins et trembles

On pouvait voir pousser un fort beau noisetier.

Mille glands, pas un de plus ! Le voilà le bel actif

Qui devrait bien un jour grossir et embellir

Jusqu’à deux ou trois mille en deux trois ans…au pif !

Jugez, mon cher, que j’ai le temps de voir venir !

 

Certes, reconnut le compère, je vous vois bien doté,

Mais est-il assuré que venu le printemps

Cet actif survivra, qu’il n’aura point gelé

Qu’il aura résisté aux outrages du temps ?

Qu’il vous donnera des noisettes

Pour augmenter votre cassette ?

Les mille glands que j’ai payés

Moi je les aurai conservés !

 

A chacun sa manière !

L’un des deux écureuils entend jouir au présent

De tout son content de noisettes

Tout en s’évitant le tourment

De voir se vider sa cassette.

Et il a payé le prix fort.

L’autre n’a pas dépensé plus

Mais pourrait gagner davantage

Avec les intérêts en sus

…A la condition qu’un orage

Ne s’abattît jamais sur les bois horrifiés

Pour foudroyer à mort le fécond noisetier.

 

Nos deux sylvestres animaux

Ont acquitté le juste prix :

Le premier a payé pour s’éviter le risque

Le second a joué pour gonfler son actif.

Quand ils feront ensemble un festin de noisettes

Ils débattront encore autour de leur cassette.

Mais tous les deux sauront pour l’avoir éprouvé

Qu’il n’est point de repas que l’on ne dût payer !

 

George Fine

 

http://fablesdelafinance.blogspot.fr



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