La Lettre n°193 de Décembre 2021

Actualités : Table ronde sur les SPAC

Emmanuel Hasbanian, managing director chez Deutsche Bank, participait à la table ronde organisée par Francis Lefebvre Formation pour le lancement du Vernimmen 2022. Voici la transcription de ces échanges.

 

L’équipe Vernimmen

Les SPAC (« Special Purpose Acquisition Company ») prennent-ils une place laissée vacante entre l'introduction en Bourse classique et le private equity ?

 

Emmanuel Hasbanian

La finance est un sujet qui évolue. Les SPAC sont une de ces nouveautés, même si le produit est assez ancien, il prend aujourd'hui le devant de la scène. Donc je suis ravi de pouvoir en parler.

 

Il se trouve que c'est un produit que l'on « vend » beaucoup chez Deutsche Bank depuis de nombreuses années. Sur l'année 2020-2021, Deutsche Bank a dirigé plus de 80 opérations de SPAC dans le monde. Il a eu 6 SPAC en France sur ces dernières années, nous avons eu la chance d'en diriger les deux tiers. C'est un sujet qui nous intéresse beaucoup et c'est un sujet qui évolue sans cesse. Alors la question est très intéressante parce qu’on se demande un peu pourquoi ce produit-là apparaît sur le devant de la scène aujourd'hui. Est-ce qu'il répond à des besoins qui n'étaient pas couverts avant ? Ou est-ce juste une évolution du marché ?

 

Avant de répondre, je vais redonner la définition du SPAC C’est une Special Purpose Acquisition Company. C'est en fait une société nouvellement créée qui n'a pas d'activité opérationnelle et qui entre en Bourse pour lever de l'argent en vue de réaliser une ou plusieurs acquisitions de sociétés qui, au moment de la cotation en Bourse du SPAC, ne sont pas clairement identifiées.

On a donc deux temps dans cette définition. On a le temps de la cotation en bourse du véhicule coquille vide, on va l'appeler comme cela ; et le moment de l'acquisition, ce qu'on appelle la business combination. Je pense que pour répondre à la question, il faut bien avoir en tête les deux temps, et notamment le deuxième qui est tout aussi important, voire plus important que le premier. Et finalement, un SPAC qui réussit, ce n'est pas juste une cotation, c'est aussi un despacking. Du point de vue du cédant, de celui de l'actionnaire de la société qui va être vendu ou qui va fusionner avec le SPAC, on a finalement un processus d'introduction en Bourse et donc on touche bien au marché boursier, on touche bien aux investisseurs publics dont on parle. La société cédée au SPAC est une société qui devient un objet coté. On est donc bien dans le monde de l’introduction en Bourse (IPO).

 

Néanmoins, le processus que va suivre le cédant, l'actionnaire de la société cédée, s'apparente davantage à un processus de fusion-acquisition (M&A) qu'à un processus d’IPO. En fait, des discussions bilatérales vont avoir lieu entre le cédant et les sponsors du SPAC. Il y a des due diligences, il y a des négociations, on est donc véritablement dans un processus de M&A.

 

C'est en ce sens que l'on peut considérer le SPAC comme un élément appartenant au continuum entre les sociétés cotées, le capital privé, les échanges privés, le M&A privé.

 

L’équipe Vernimmen

Les détracteurs du SPAC mettent souvent en avant que c'est finalement un contournement des contraintes réglementaires à l'introduction en Bourse, au travers d'un véhicule qui se cote sans aucune contrainte de présentation de l'activité, puisqu’il y en a aucune, et derrière, réalise une acquisition qui permet de se coter en bourse sans avoir l'historique de comptes et tous les prospectus à réaliser.

 

Emmanuel Hasbanian

C'est une interrogation qui est légitime. Mais qui je pense n'est pas fondée. Moi, je préfère présenter le SPAC comme une autre façon de se coter en Bourse, plutôt que comme un contournement d'une législation. Déjà, sur la législation, je dois dire que le produit SPAC est parfaitement bien régulé. On a la chance en France, grâce à l’AMF qui a été à la pointe de toutes ces questions, d'avoir un environnement de travail, et un cadre légal qui est parfaitement bien balisé.

 

L’AMF, évidemment, ne laisserait pas se coter des véhicules qui seraient là uniquement pour profiter d'une faille de marché et se coter en Bourse sans passer au travers des fourches caudines d'une cotation normale. Effectivement, lorsque la société se cote, c'est une coquille vide. Elle n'a pas de comptes à présenter, elle n'a pas d'activité à évoquer. Et donc, bien évidemment, il y a beaucoup de choses que l'on s'attendrait à voir dans un prospectus d'une société cotée qui n'apparaissent pas dans le prospectus d'un SPAC, par définition.

 

Mais comme je disais tout à l'heure, l'étape importante finalement dans le SPAC, ce n'est pas tant la levée de fonds, que le despacking. Et c'est à cette occasion-là que l'information est donnée. Sur ce point, l’AMF (je parle du marché français, mais c'est vrai dans les autres juridictions) est particulièrement regardante sur la transparence, la sincérité, l'exhaustivité de l'information qui donnée. Donc, l'argument qui est de dire « on cote en Bourse une société qui n'aurait pas réussi à entrer en Bourse par les voies naturelles » n'est pas un bon argument, puisque ça reste un exercice d'offre et de demande. C'est-à-dire que, si les investisseurs ne souhaitent pas voir l'objet coté, non seulement les investisseurs présents dans le SPAC ont la faculté de demander le remboursement de leurs titres, et peuvent donc sortir du SPAC, mais par ailleurs, pour les remplacer, il faut lever du capital. Si l'objet qui a vocation à être coté n'est pas désirable, n'est pas à la bonne valorisation, on aura du mal à trouver des investisseurs pour remplacer ceux qui sortent. Et donc, on a bien, in fine, un exercice d'offre et de demande qui ne peut avoir lieu que si la demande est là. Et pour que la demande soit là, il faut que l'information soit complète, exhaustive, bien présentée. Et donc ce n'est pas un contournement de la loi. Clairement pas, mais plutôt une autre façon de faire une IPO.

 

L’équipe Vernimmen

Est-ce un produit d’investissement pour les petits porteurs ?

Emmanuel Hasbanian

J'ai un avis très arrêté sur la question et heureusement, le cadre législatif va dans ce sens. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un produit pour les petits porteurs. Et d'ailleurs, si on regarde les IPO de SPAC qui ont lieu en France, elles ont lieu sur le compartiment professionnel de la Bourse de Paris pour des tickets minimum d'un million d'euros. Donc, on s'adresse à des investisseurs qualifiés et le petit porteur n'est pas invité à participer au SPAC au moment de la cotation. Et ce parce que c'est un produit complexe, un produit d'ailleurs un peu nouveau. Ce n’est pas un produit de diversification, de bon père de famille, sur lequel on va mettre les économies d'une vie. Non, c'est vraiment un véhicule financier qui va avoir une vocation industrielle, opérationnelle, etc. Mais avant tout, au préalable, un produit financier particulièrement technique, et donc le petit porteur se doit d'être protégé. Et il ne participe pas, en tout cas en France, à la levée de fonds.

 

L’équipe Vernimmen

Sur l'effet mode ou pas, on a deux dynamiques assez différentes aux Etats-Unis, avec un marché qui semble moins chaud ou en tout cas peut potentiellement caler. À l'inverse, en Europe, on a relativement peu d'opérations. On en a un peu plus cette année avec six fois plus que ce qu'on a eu jusqu'à présent.

Quelle dynamique des SPAC dans le marché? Est-ce une mode qui passe ou est-ce simplement un recalage du marché qui a été trop actif aux États-Unis ?

 

Emmanuel Hasbanian

Je pense que le SPAC a souvent été associé au terme de bulle. Et quand on voit les volumes qui ont pu être levés sur ces dernières années, je pense qu'il est assez légitime de se poser la question. Alors sur la question : « est-ce qu'il s'agit d'un phénomène de mode » ? En fait, le SPAC existe depuis plusieurs décennies[1], on le connaît moins en Europe parce que c'est un produit essentiellement nord-américain.

 

Mais c'est un produit qui existe de longue date et qu'on a vu. Je vais encore utiliser le terme de bulle qu'on a entendu notamment au moment de la bulle dotcom au début des années 2000, où pas mal de SPAC ont été cotés en Bourse pour justement amener en Bourse des sociétés de cette bulle dotcom. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un phénomène de mode, mais effectivement, les volumes observés aux Etats-Unis ont été colossaux sur ces dernières années.

 

Je crois qu'en 2020, il y avait à peu près 80 milliards de dollars d'émissions. Ces 80 milliards, on les a retrouvés en 2021, dès le mois de mars, et on est aujourd'hui à 130, 140 ou 150 milliards levés aux États-Unis. J'ai arrêté de compter. Donc oui, il y a énormément d'argent qui a été levé dans les SPAC. C'est en ce sens qu'il y a peut-être un ralentissement. C’est-à-dire ? Qui dit argent levé, dit (et je reviens toujours sur l'idée qu'un SPAC se joue en deux temps), dit nécessité de trouver des investissements à mettre en face de cet argent levé. Et donc, il y a de la part des investisseurs la volonté aujourd'hui de voir cet argent utilisé, et utilisé sciemment. Et donc, c'est en ce sens qu'il y a un ralentissement. Les volumes sont très conséquents, donc on ne peut pas parler de calage du marché. Mais il y a néanmoins un petit ralentissement aux États-Unis, avec une presse parfois négative sur certains aspects qui apparaît parce que certains SPAC ont contre-performé. Mais ça vient du fait que les investisseurs, avant de redéployer du capital pour une partie d'entre eux, veulent récupérer ce qu'ils ont pu mettre dans les SPAC existants ou en tout cas, voir des histoires de despacking.

 

En Europe, on n’en est pas là. En Europe, on est encore dans la phase d'investissement avec des volumes qui sont aussi beaucoup plus faibles. Il y a déjà eu des despackings en Europe mais on est un petit peu plus en amont des Etats-Unis.

 

L’équipe Vernimmen

Le marché européen va-t-il se développer ?

 

Emmanuel Hasbanian

Je le vois se développer. Et dans les discussions que nous avons avec des émetteurs potentiels, on voit clairement ce marché-là se développer. Il va se développer lorsque l'alignement d'étoiles sera bon, et il est bon en France avec un cadre posé par l’AMF qui est très clair. L’AMF qui a été en amont et continue à suivre ce marché de très près. On a un vivier d'entreprises en France non cotées qui est particulièrement important, donc il y a un nombre de cibles très important.

Il ne faut pas oublier qu’une société qui se déspacke, je disais tout à l'heure, rentre en bourse et elle rentre en bourse sur le marché où existe le SPAC. Autrement dit, quand un SPAC vient se coter à Paris, les sociétés qui se déspackent en se vendant ou en fusionnant avec un SPAC vont de facto être cotées à Paris, et donc il faut regarder les cibles en France. En France, on a un vivier d'investisseurs, un vivier de sociétés, un vivier de fondateurs qui est particulièrement conséquent. On a ce cadre législatif, ce cadre réglementaire qui est particulièrement porteur. Et donc, je pense que le produit SPAC en France, et en Europe en général, va continuer à se développer.

 

Il se trouve que tous les marchés européens n’ont pas été aussi en avance que la France sur l'acceptation, la compréhension du produit SPAC. L'autre marché qui marche bien en Europe, c'est le marché d'Amsterdam. La Bourse de Londres, on pourrait penser, parce que c'est quand même un grand pays anglo-saxon qui a une culture financière très importante, pourrait être un bon marché pour les SPAC. Eh bien, non, il n'y a pas de SPAC en Grande-Bretagne, parce que la réglementation, jusqu'à une date récente, faisait que le produit SPAC ne pouvait pas fonctionner. C’est en train d'évoluer. Ce genre d'évolution devrait faire en sorte que le produit va continuer à se développer.

 

Je suis assez confiant, parce qu'il répond à un intérêt réel. C'est une autre façon de faire des IPO. C'est une façon accélérée de faire des IPO. Ça donne des accès à certaines sociétés qui pourraient avoir d'autres difficultés par ailleurs. Je pense que c'est un très bon produit.

L’équipe Vernimmen

Un des reproches que l'on a faits au SPAC, surtout récemment, c'est de contribuer à la hausse des valeurs technologiques. L'engouement sur les SPAC est responsable ou contribue-t-il à la bulle des valorisations technologiques qu'on peut avoir en ce moment ?

 

Emmanuel Hasbanian

Je pense que l'inflation des valorisations est « accross the board », comme on dit. Elle touche à peu près tous les secteurs d'activité. Il y a eu une introduction en Bourse aux Etats-Unis d'une société automobile dont peut être vous avez entendu parler, qui s'appelle Rivian, qui s'est introduite en Bourse par le biais d'une IPO tout à fait classique, dont la capitalisation boursière aujourd'hui est de plus de 140 Md$. Ce qui place Rivian, qui produit des véhicules électriques, après Tesla et Toyota, et devant toutes les autres sociétés automobiles dans le monde. Vous n'avez pas vu de voitures Rivian dans la rue. C'est normal, vous ne pouvez pas en voir, parce que Rivian pas vendu la moindre voiture. 140 Md$. Donc, je ne pense pas que le SPAC soit le fautif dans l'inflation des valorisations aujourd'hui.

 

Là où je pense que le SPAC peut être utile, c'est dans l'établissement d'une valorisation un peu objective. Et là, je vais prendre un peu de recul et parler du processus d’IPO versus le processus de despacking. Dans une IPO, le management d'une société a, en gros, une fois une heure, ou deux fois une heure, ou deux fois 45 minutes pour convaincre différents investisseurs qu'ils vont rencontrer en roadshow, de la pertinence de son marché, de son equity story, de son modèle, pour espérer, sur cette base-là, que l'investisseur va placer un ordre.

 

L'investisseur va devoir sur la base de deux fois 45 minutes, ou une heure, et sur la base du travail qu'il va pouvoir faire par ailleurs, se forger une opinion non seulement sur le marché sous-jacent, sur l'activité de la compagnie, sur le management, etc. mais aussi sur sa valorisation, et donc on demande aux investisseurs d'avoir un avis relativement tranché sur une question qui est éminemment complexe. Et elle est complexe, d'autant plus qu'on va parler de sociétés qui n'ont pas de sociétés comparables dans le marché, qui sont sur des nouveaux marchés en devenir, qui ont des perspectives de croissance très fortes. Et donc, on ne peut pas se fonder sur les performances historiques. Très compliqué pour un investisseur de se faire une opinion là-dessus.

 

Pourquoi je dis qu'un SPAC permet de mettre une valorisation sur ces sociétés-là ? En fait, le processus de despacking s'apparente davantage à un processus de M&A. Et comment va se passer l’IPO de la société dont je viens de parler dans le cas de despacking ? En fait, ce qui va se passer, c'est que le cédant va parler avec les sponsors du SPAC. Si le SPAC est bien fait, les sponsors sont normalement des gens qui connaissent l'industrie en question, ou en tout cas l'écosystème autour de cette industrie.

 

Si on parle d'une boîte de tech, ils vont avoir un degré de sensibilité à ces questions-là qui va être très fort. Ils vont faire des due diligences sur le marché, sur le management, sur la société. Ils vont avoir accès à beaucoup plus d'informations que l'investisseur dans une IPO. Ils vont se faire aider de tiers, de conseil externe, divers et variés et c'est sur cette base-là qu'ils vont négocier avec le cédant une valorisation. Lorsqu’un accord est trouvé, il est présenté aux investisseurs. Du point de vue de l'investisseur à qui l’on pose la question de suivre ou de ne pas suivre ce despacking, la prise de décision est grandement facilitée par le fait que la due diligence a été faite par un management compétent. Et donc je ne sais pas si ça participe de l'inflation des valorisations. Je dirais plutôt que ça permet d'objectiver ou de mettre une valorisation sur des objets qui auraient par ailleurs une difficulté peut-être plus forte de trouver une valorisation objective dans un processus d’IPO classique.

 

L’équipe Vernimmen

À quoi sert le management du SPAC ? puisque le SPAC a vocation à acquérir ou à fusionner avec une société qui a déjà un management et qui donc pourrait techniquement ne pas avoir de couche supplémentaire. Donc, finalement, le management du SPAC ne sert qu'à cette phase de due diligence et de négociation ?

 

Emmanuel Hasbanian

Il sert essentiellement à cette phase d’origination, de diligence et de négociation. Mais il peut apporter ensuite une compétence incrémentale au management en place. Parfois, il se substitue au management aussi, c'est-à-dire qu'on peut avoir des sociétés qui viennent en Bourse avec un management qui était absolument parfait tant que la société était privée, et qui a besoin de sang neuf, de compétences nouvelles au moment du despacking. Alors le management du SPAC peut se substituer au management de la cible. Néanmoins, on a des cas de figure où le management ne se substitue pas au management de la cible. Effectivement, c'est le management de la cible qui va conduire l'histoire boursière de la société, mais les sponsors du SPAC peuvent rester en place, soit en qualité d’administrateurs, soit pour accompagner la société, en apportant des compétences complémentaires. Bien souvent, on voit dans les sponsors des personnes qui elles-mêmes ont des compétences complémentaires. On voit quelqu'un qui a un profil plus entrepreneurial que d’autres avec des profils plus financiers, plus deal maker, enfin des gens qui ont des compétences plus managériales. C'est cette juxtaposition ou cette synergie de compétences qui fait qu'on arrive à sourcer des deals, à faire des bonnes diligences et ensuite à accompagner l'histoire.

 

L’équipe Vernimmen

Mais est-ce qu’avec certains sponsors de SPAC avec des profils plus médiatiques que financiers (Serena Williams, Jay-Z, Shaquille O'Neal, etc.), on n'atteint pas les limites de l'exercice ? avec avant tout la médiatisation du SPAC qui est plus importante que son sponsor.

 

Emmanuel Hasbanian

Je trouve que c'est une évolution qui est particulièrement négative du SPAC et qui contribue à donner une mauvaise image du SPAC. Il ne faut pas confondre la mode, le buzz, avec ce marché. Le sponsor doit apporter quelque chose au SPAC. Si Serena Williams ou je ne sais qui veut monter un SPAC, la question que doit se poser l'investisseur (et avant cela, la banque qui prend le mandat) c'est : « qu'est-ce que cette personne-là apporte au SPAC ? » Si elle apporte juste son nom et la capacité à fédérer des offres, à attirer des offres sur la base de son nom, je considère qu'il y a dol. Il y a dol, parce que l'investisseur vient mettre de l'argent sur la tête de Serena Williams, sur la tête de Jay-Z, avec la promesse que ces gens-là vont les rendre riches, ce qui n’est absolument pas l'idée du SPAC. Si cette personnalité, au contraire, monte un SPAC, parce qu'elle a une capacité à sourcer des deals par son réseau, par ses compétences diverses et variées, que d'autres investisseurs n'auraient pas la capacité de sourcer, et que, par ailleurs, ils sont entourés de gens connaissant les marchés financiers, le monde de la finance et de l'entreprise, alors pourquoi pas ?

 

Mon instinct initial serait quand même particulièrement méfiant sur ces profils-là. Il ne faut pas transformer le SPAC, qui est un véritable produit financier complexe, en phénomène de mode pour faire parler de soi ou pour avoir une tribune, ou pour avoir des likes en plus sur Instagram, ou je ne sais où.

 

L’équipe Vernimmen

Pour revenir à un côté plus positif, les SPAC sont-ils un moteur de l'innovation et de la croissance ?

 

Emmanuel Hasbanian

Oui, je pense qu'ils peuvent l'être, en amenant du capital. Puisque l’on parle de levée de fonds au moment du SPAC, et souvent au moment du despacking, car la société qui est acquise est très souvent bien plus importante que les fonds levés à l'occasion du SPAC. Donc en amenant des fonds. Deuxièmement, en amenant des compétences. Ce que je disais tout à l'heure sur les compétences des équipes managériales qui, finalement, peuvent apporter une autre façon de voir les choses, complémentaires des équipes.

 

Et c'est aussi un facteur d'innovation dans le monde de la finance. Quelque part, même si le produit, on le disait tout à l'heure, est ancien, il évolue en permanence. Chaque SPAC qui se lève vient changer un petit peu les termes des SPAC précédents et donc amène de l'innovation dans la finance. C’est quelque chose qui amène les entreprises elles-mêmes à se poser des questions et à évoluer. Je pense que, tout comme la liquidité fait que le monde de la finance est un peu plus à l'équilibre lorsqu'il y a une bonne offre et une bonne demande, quand il y a de l'argent qui est déployé sur des thèses d'investissement nouvelles pour accompagner les sociétés, etc. on peut contribuer à l'innovation.

 

L’équipe Vernimmen

Les SPAC sont-ils réservés à ces sociétés innovantes ? Le brick and mortar, les bonnes vieilles sociétés avec des cash-flows, peuvent-elles contribuer au monde du SPAC ?

 

Emmanuel Hasbanian

Le SPAC, encore une fois, c'est vraiment le réceptacle d'une société cotée. Et donc, toute société qui peut devenir un bel acteur de la Bourse a vocation à intégrer un SPAC. C'est juste une autre façon de se coter.

Je n’ai plus exactement les volumes, mais je pense qu'on doit être à 15-20% de sociétés tech dans les despacking ou dans les cibles de SPAC. On doit être à 10 % pour la pharma, donc tout le reste, ce sont des activités potentiellement plus traditionnelles. Là où le SPAC va néanmoins peut être intéresser davantage des sociétés non brick and mortar, de la nouvelle économie, etc., c'est dans cette capacité qu'ont les équipes de management pour faire le travail en amont, à la place des investisseurs et les diligences.

 

Et c'est vrai que pour une boîte brick and mortar, une société qui fait des véhicules à moteur thermique par exemple, il y a suffisamment de comparables dans le marché pour qu'une équipe classique d’investisseurs puisse se forger une opinion, etc. et finalement, que cet objet-là trouve preneur par la voie d'une IPO classique.

 

Si on est sur un modèle totalement disruptif, complètement nouveau, de façon de penser le véhicule de demain (je ne suis même plus dans la voiture électrique), même s'il y a des investisseurs pour cela en Bourse, on est sur une niche. On est sur un marché beaucoup plus pointu, et c'est là où le SPAC va potentiellement aider la mise en relation d'investisseurs et d'équipes de management. Le SPAC est le facilitateur de la rencontre entre ces deux marchés.

 

Donc, ce n'est pas étonnant qu'on voie un pourcentage, comme je citais tout à l'heure, un peu élevé sur des boîtes « un petit peu plus compliquées », mais le produit reste tout à fait pertinent pour des brick and mortar.

L’équipe Vernimmen

Alors, le SPAC n'est pas encore très connu du grand public et on entend parfois des entrepreneurs qui disent non, je n’ai pas envie de faire de SPAC parce que moi, j'ai envie d'une vraie introduction en Bourse. Est-ce honteux de venir en Bourse par un SPAC ?

 

Emmanuel Hasbanian

Non, ce n’est pas du tout honteux. Les deux sont pertinents et la façon dont la question est posée donne la réponse. Finalement, il y a des gens qui disent « je préfère le faire par la voie classique », ce qui est une autre façon de dire : « je préfère aller me confronter très directement moi-même, porter l'histoire et faire ce travail-là de conviction des actionnaires et avoir finalement un processus de price discovery par la Bourse », etc. C'est une forme d'aventure humaine et industrielle.

 

Le SPAC, c'est une autre façon. C'est plutôt un processus M&A. Il n'est pas du tout rare de voir aujourd'hui dans des processus de cession différentes voies qui sont en concurrence, là où avant, on voyait finalement des dual tracks entre le M&A et l’IPO, qui pouvaient être parfaitement simultanés, ou l'un précédant l'autre. On voit aujourd'hui des dual, voire des triple tracks, avec une voie SPAC. D'abord parce qu'il a beaucoup de SPAC qui se sont levés et qui cherchent à déspacker. Mais aussi parce que certains entrepreneurs, certains managements ne connaissent pas vraiment ce qu'est le SPAC, ont une opinion qui peut être parfois pas forcément transparente, et qui sont ravis de venir rencontrer cette offre-là et se forger leur propre opinion pour finalement peut-être faire une IPO, peut-être faire un processus M&A, peut-être faire un SPAC.

 

Donc, il n'y a aucune honte, pas du tout, bien au contraire, à faire des SPAC. Nous, on en parle à beaucoup d'émetteurs. Maintenant, le SPAC n'est pas le produit qui convient à tous. Il faut véritablement des sponsors qui apportent quelque chose. Il faut une thèse d'investissement qui soit particulièrement intéressante. Et donc, nous, en tant que banque, quand on parle à des sponsors qui nous disent : « je veux lever un SPAC », on passe beaucoup de temps sur les sponsors eux-mêmes, à comprendre leur thèse d'investissement et leur pipeline d'acquisition. Est-ce qu'il y a véritablement du marché pour eux ? Et donc, je pense qu'il faut être sélectif pour éviter justement les phénomènes de bulle, pour éviter la médiatisation, la peopolisation, etc. Je pense qu'il faut qu'on revienne un peu aux fondamentaux que tout le monde, les investisseurs, les banquiers, les sponsors eux-mêmes soient sélectifs dans les projets qu'ils portent, et puis les cédants eux-mêmes aient une forme de sélectivité.

 

Quand on est cédant, on apporte son bébé en Bourse, on apporte son bébé à un acquéreur, etc. On veut que ce soit porté par des gens qui ne vont pas laisser tomber l'affaire après l'acquisition ou après cotation. Donc, on ne va pas apporter son entreprise à n'importe quel SPAC.

 

L’équipe Vernimmen

Le SPAC est aussi bien un outil de levée de fonds pour une équipe de management qui cherche une cible, que pour une cible de despacking de manière sélective ?

 

Emmanuel Hasbanian

Absolument. Je le recommande à tous. On en discute, mais c'est un produit auquel je crois et qui, selon moi, devrait continuer à bien se porter en Europe. Je ne sais pas si on aura un rattrapage des volumes américains. C'est rarement le cas, mais en tout cas, je continue à le « socialiser », comme on dit.

 

[1] On vous en parlait déjà dans La Lettre Vernimmen.net d’avril 2008, n° 64.



Tableau : Les courbes de taux d'intérêt dans le monde

Où sont les craintes d’inflation durable ? Sûrement pas en Suisse, où même à 50 ans d’échéance, hors de notre graphique, les taux d’intérêt des emprunts d’État sont encore négatifs (- 0,02 %).

Et ailleurs, on ne la voit pas, à ce stade, dans les courbes des taux d’intérêt toujours aussi faiblement pentues.



Recherche : La prise en compte du risque carbone par les investisseurs

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

Les modèles d’évaluation des actifs financiers sont construits sur la relation entre rentabilité et risque. Il en est ainsi notamment des modèles appliqués au marché des actions. La rentabilité espérée dépend de l’exposition de l’action à différents facteurs de risque : principalement le risque lié aux fluctuations du marché (le bêta du MEDAF), et accessoirement les risques liés à des caractéristiques spécifiques à l’entreprise (taille, ratio book-to-market…)[1]. Généralement, ces modèles ne prennent pas en compte le risque lié aux émissions de carbone.

Pourtant, le réchauffement climatique est devenu une préoccupation majeure de l’Humanité et les principaux acteurs du monde de la finance se sont engagés à participer à la lutte contre ce phénomène lors de la COP21. En 2013, l’ancien vice-président américain Al Gore avait expliqué que le risque carbone devait être « incorporé dans la valorisation des capitaux propres et des dettes » des entreprises. L’article que nous présentons ce mois[2] montre empiriquement que ce risque est effectivement intégré par les investisseurs dans la valorisation des actions.

Il existe trois explications possibles au fait que le risque carbone puisse influer sur la rentabilité des actions. La première est l’hypothèse d’une prime de risque carbone. Les entreprises fortement émettrices sont soumises à la fois au risque réglementaire (hausse du coût des émissions carbone ou limitation des émissions en volume) et au risque technologique (baisse du prix des énergies renouvelables). Il en résulte naturellement une exigence de rentabilité supérieure de la part des investisseurs.

La deuxième explication est l’hypothèse d’une inefficience de marché. Les investisseurs (et les analystes financiers) ne prendraient pas suffisamment en compte les conséquences à long terme des émissions de carbone dans leurs prévisions de flux ; en conséquence, les entreprises faiblement émettrices auraient tendance, toutes choses égales par ailleurs, à être sous-évaluées (donc plus rentables). Une étude récente[3], citée par les auteurs, montre d’ailleurs qu’un portefeuille acheteur d’actions à faibles émissions et vendeur d’actions à fortes émissions obtient une rentabilité anormalement positive.

Enfin, la troisième explication possible est l’hypothèse du désinvestissement. Elle signifie simplement que les investisseurs se détournent des entreprises fortement émettrices pour des raisons éthiques. En conséquence, ces entreprises sont sous-évaluées et, similairement à l’hypothèse d’une prime de risque carbone, la rentabilité exigée sur les actions est plus élevée pour les entreprises fortement émettrices.

L’étude porte sur des données américaines entre 2005 et 2017. L’observation principale est l’existence d’une prime carbone, c’est-à-dire d’une rentabilité supérieure pour les actions des entreprises fortement émettrices, toutes choses égales par ailleurs. Une augmentation d’un écart-type des émissions directes de CO2 se traduit par une hausse de la rentabilité (annualisée) comprise entre 1,8 % et 3,1 %. La hausse est du même ordre de grandeur pour les émissions indirectes (via les fournisseurs).

Lorsque l’on rentre dans le détail de l’étude, un résultat apparaît assez surprenant. La prime de carbone est liée au niveau total des émissions, et non à leur intensité (rapportée à la taille de l’entreprise). Autrement dit, l’effet est très faible sur les petites entreprises polluantes. Une raison possible est que beaucoup de réglementations portent sur le montant total des émissions et non sur leur intensité. En conséquence, ce sont surtout les grandes entreprises qui voient leur valorisation négativement affectée lorsqu’elles sont émettrices de CO2.

De plus, les auteurs cherchent à identifier la source de cette valorisation plus faible des entreprises émettrices. Ils remarquent que les investisseurs institutionnels n’excluent de leur portefeuille (hypothèse du désinvestissement) que les entreprises directement émettrices de carbone, sans prendre en compte les émissions indirectes. Surtout, cette sélection ne porte que sur les secteurs réputés les plus polluants (énergie, services publics, automobile…). Finalement, si l’hypothèse de désinvestissement est vérifiée, elle n’affecte pas significativement les rentabilités. En réalité, la source principale du lien entre émission de CO2 et rentabilité des actions vient de l’existence d’une prime de risque carbone. Autrement dit, si les investisseurs prennent en compte les émissions de CO2 dans leurs choix d’investissement sur les marchés actions, c’est principalement en raison du risque associé à ces émissions.

 

[1] Pour plus de détails, relire le chapitre 21 du Vernimmen 2022.

[2] P. Bolton et M. Kacperczyk (2021), “Do investors care about carbon risk?”, Journal of Financial Economics, vol. 142-2, pages 517 à 549.

[3] S.Y. In, K.Y. Park et A. Monk (2019), “Is being green rewarded in the market? An empirical investigation of decarbonization and stock returns”, Stanford Global Project Center Working Paper.

 



Q&R : Quelques remue-méninges pour bien finir l'année

Pour bien terminer l’année !

Premier problème : Un jeune analyste en fusion-acquisition évalue par DCF une entreprise non endettée à 1 000. Son capital est composé de 40 actions ordinaires et 60 actions de préférence sans droit de vote. La valeur de l'action est donc de 1000 / (60 + 40) = 10. Après analyse, il considère que l'absence de droit de vote nécessite une décote de 20 %. Il a donc 40 actions ordinaires évaluées à 10 euros et 60 actions de préférence à 8 euros.

Il remarque que la valeur des capitaux propres est égale à 10 x 40 + 8 x 60 = 880 et non 1 000. Il s’interroge pour savoir si cela n'est pas un non-sens dans la mesure où les flux de trésorerie n'ont pas bougé. Pouvez-vous l’aider ?

 

Second problème : Pourquoi l’action Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffett, ne fait actuellement pas partie du Dow Jones, qui réunit 30 des plus grosses capitalisations boursières américaines, et a peu de chances d’en faire partie (bien qu’étant la 7e capitalisation boursière américaine avec 657 Md$ de capitalisation boursière) ?

Troisième problème : Quel est le bêta du cash ?


Quatrième problème :  Une entreprise verse un dividende exceptionnel représentant 40 % de la valeur actuelle de ses capitaux propres financé par un endettement nouveau (une leverage recapitalisation). Quel est l’impact sur son PER ?

 

 

Solutions aux problèmes

 

Premier problème : Son erreur de raisonnement est de considérer que la décote est une perte intégrale de valeur, comme une évaporation. En fait, elle bénéficie aux actions avec droits de vote et à leurs porteurs. Il devrait ainsi raisonner : 40 x P + 60 x P x (1 – 20 %) = 1 000, d’où P = 11,36 et la valeur des actions de préférence à 9,09.

 

Second problème : Parce que le Dow Jones pondère ses composants, non par leur capitalisation boursière ou leur flottant, mais par leur cours de bourse (voir la Lettre Vernimmen de novembre 2006). Comme Warren Buffet s’est toujours refusé à procéder à une division du nominal de ses actions, ces dernières cotent actuellement de l’ordre de 443 000 $, et si elles étaient inclues dans le Dow Jones, l’action Berkshire Hathaway représenterait alors 98,9 % de l’indice, lui ôtant tout représentativité, sauf celle des fluctuations de l’action Berkshire Hathaway !

Troisième problème : On résout aisément cette question, classique des entretiens de recrutement de stagiaires ou analystes en banque d’affaires, si l’on se rappelle que le bêta mesure la volatilité relative d’un actif par rapport à la volatilité du marché dans son ensemble.

Or la volatilité d’un euro de cash est nulle, puisqu’il vaudra toujours un euro, dans un jour, dans un mois, dans un an ou dans dix ans (attention à ne pas confondre avec la valeur aujourd’hui d’un euro perçu dans 10 ans qui est une autre question, nécessitant d’actualiser). Donc le bêta du cash est de 0, puisque son « cours » est d'un euro, quelles que soient les fluctuations du marché.

Quatrième problème :  Trop de personnes essaient de faire le calcul de tête, ce qui ne mène nulle part car toutes les données ne sont pas disponibles comme le coût de la dette ou le taux d’impôt sur les sociétés, ou se trompent en oubliant les frais financiers supplémentaires de la dette.

 

Le bon raisonnement est beaucoup plus simple. Comme chaque lecteur du Vernimmen[1] le sait, PER et risque varient en sens inverse. Après ce dividende exceptionnel, l’action est bien sûr devenue plus risquée car elle supporte une quantité de dettes bien supérieure. Donc le PER va baisser.

 

[1] Et si vous avez oublié, c’est au chapitre 24 du Vernimmen 2022.



Autre : Nos lecteurs écrivent : Les multiples de valorisation de PME-ETI

par François Almaleh

L'indice Argos mesure depuis 2005 les multiples de valorisation des PME-ETI européennes (la notion européenne de la PME n'est pas la même que nos PME françaises). L'indice publié en 2021 montre une courbe au plus haut historique, en résumé 11 x l'EBITDA.

Si l'on a vu en 2021 des activités fortes en fusions-acquisitions, presque un record, des multiples de x 17, x 20, x 22 dans de récentes transactions ne sont pas ou plus des exceptions. La liquidité, la globale bonne santé des entreprises malgré le covid, la faiblesse des taux d'intérêts, les allocations d'actifs des institutionnels, les fonds secondaires de dette ou d'equity sont autant de facteurs à soutenir des records de valorisation.

 

Il faut néanmoins relativiser cet indice Argos malgré les réalités de transactions récentes. La typologie d'entreprises depuis 16 ans n'est pas la même et les bases de données plus riches d’informations, et toutes les transactions ne sont pas forcément intermédiées. Ce qui compte dans cet indice Argos est la tendance plutôt que les chiffres eux-mêmes.

 

Le phénomène est là cependant. Le financement privé progresse, les entreprises restent bien gérées et même post covid, sont relativement peu endettées. Les modèles d'affaires sont solides et tournés à l'international. Enfin, post grande crise financière de 2008, les niveaux de levier remontent ainsi que le poids plus conséquent des dettes TLB (term loan B, dette unitranche essentiellement). Tous ces points concordants et simultanés expliquent la hausse élevée des multiples de transaction.

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière, des réponses à des questions qui nous sont posées ou des citations.

En voici quelques-uns :

 

Shell, SSE et les difficultés financières de la transition énergétique

Shell, qui a pour objectif de réaliser 30 % de son activité dans la production d’électricité décarbonée en 2030 et SSE, autre membre du FT100, actif dans les réseaux de distribution d’électricité, et qui construit en ce moment la plus grande ferme éolienne en mer, sont tous deux la cible d’actionnaires qui leur suggèrent depuis quelques semaines de se scinder en deux.

 

Nous pensons que ce type de critiques, voire de campagnes, vont s’intensifier dans les années à venir car, si la transition énergétique n’est pas simple à réaliser d’un point de vue industriel et humain, elle ne l’est pas non plus d’un point de vue financier.

 

Partant du principe que le but de tout organisme vivant, y compris les entreprises, est la survie, on peut comprendre que des groupes pétroliers se soient dit qu’il n’y avait plus beaucoup d’avenir à long terme dans l’extraction de pétrole, et qu’il valait mieux investir dans les énergies nouvelles.

 

Au même moment, les investisseurs valorisent beaucoup plus cher en bourse les entreprises des énergies nouvelles. Ainsi Orsted vaut 15,3 fois son EBE, Neoen 18,4 fois, quand Shell, TotalEnergies et Exxon sont à 3,5, 4 et 4,9 fois respectivement. Si dans un monde pur et parfait, les investisseurs devraient être capables de valoriser un groupe pétrolier d’autant plus cher qu’il est avancé dans sa transition, force est de constater qu’il n’en est actuellement rien ; Shell est valorisé moins cher que Exxon, beaucoup moins avancé que le groupe britannique, comme l’on sait ! Dès lors, la tentation est forte pour des actionnaires de réclamer une scission qui permettrait de valoriser à 15 fois des actifs dont la contribution aux résultats de leur maison-mère n’est valorisée qu’à moins de 5 fois. Bref, quand la somme du tout vaut moins que la somme des parties, la pression pour une scission va croissant. Alternativement, avec des majors dont la valeur tombe en dessous des 100 Md€ (BP est à 80 Md€), des fonds de Private equity, qui verront la valeur que d’autres ignorent, pourraient être tentés de les faire sortir de la Bourse. Pour essayer d’éviter ces issues, les directeurs financiers ont tout intérêt à communiquer très régulièrement et très clairement sur leurs divisions énergies nouvelles. Mais nous ne sommes pas sûrs que cela suffise.

 

Et comme un certain nombre d’investisseurs se débarrassent de leurs actions pétrolières (ainsi ABP, la caisse de retraite des fonctionnaires hollandais – 528 Md€ d’actifs sous gestion – annonce vouloir vendre complètement d’ici début 2023 les 3 % de son portefeuille encore alloué aux énergies fossiles), cette tendance ne va pas disparaître.

 

L'Oréal : deux leçons de finance d'entreprise

À ceux qui rabâchent deux sophismes de la finance d’entreprise, heureusement rares parmi nos lecteurs, le rachat par L’Oréal de 4 % de son capital auprès de son actionnaire Nestlé pour 8,9 Md€ offre une démonstration grandeur nature de leur fausseté.

Non, les rachats d’actions ne soutiennent pas les cours quand ils n’ont pas pour objectif de rendre des liquidités thésaurisées que l’entreprise ne trouveraient plus à employer correctement. Sinon le cours de L’Oréal aurait grimpé à l’annonce de cette opération mercredi matin. Le cours cotait mardi soir 424,8 € et vendredi à la clôture 421,05 €, soit la même variation que le CAC 40 sur la même période.

Non, l’optimisation de la structure financière, véritable tarte à la crème des banquiers d’affaires en mal d’inspiration, ne crée pas de la valeur en remplaçant au bilan des ressources chères – des capitaux propres – par des ressources moins chères, la dette. Sinon le cours de L’Oréal aurait surperformé l’indice. Et ce malgré l’accroissement du BPA de 4 % induit par cette opération qui se traduit, à cours constant comme on l’a vu en grandeur nature, par un PER plus bas de 4 %, reflet d’un risque financier marginalement accru avec une dette nette passant de - 4,5 Md€ à 4,4 Md€ en pro-forma 31 décembre 2020, mais plus qu’aisément supportable !

Le retrait de Nestlé du capital de l’Oréal est une opération attendue (voir La Lettre Vernimmen d’avril 2018). Alors qu’une vente par Nestlé d’un bloc de 8,9 Md€ aurait probablement pesé sur le cours de L’Oréal dont le volume quotidien d’échanges est de moins de 150 M€, cette opération intelligente s’est faite sans peser sur les cours, mais sans créer de la valeur, ce qui est logique pour une opération financière sur un titre liquide. Si les marchés financiers sont loin d'être toujours efficients, ils le sont néanmoins le plus souvent pour les grandes capitalisations.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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