La Lettre n°102 de Novembre 2011
Actualités : Quelques réflexions sur l'OPRA Bouygues
Le 31 août 2011, le groupe Bouygues a annoncé le projet d’une offre publique de rachat de 11,7 % de ses propres actions (OPRA) pour un montant total de 1,250 Md€. Ce projet, déclaré conforme par l’AMF, est devenu réalité en octobre.
Chaque action rachetée l’a été à un prix de 30 € représentant une prime de 30 % sur le cours de la veille de l’annonce, de 29 % sur le cours moyen du mois d’août, de 21 % sur le cours moyen à 6 mois et une décote de 3 % sur le cours moyen à un an.
Si la totalité des titres visés par l’OPRA est apportée à l’offre, l’impact sur le BPA 2011 de Bouygues est estimé à + 11 %.
La société holding familiale du président et principal actionnaire à 18 % a fait savoir qu’elle n’apportait pas ses titres à l’offre.
Cette opération financière, entièrement financée par la trésorerie du groupe, nous inspire les 7 réflexions suivantes :
1. Rendre de l’argent aux actionnaires n’a rien de malsain
C’est même plutôt un devoir quand les disponibilités s’accumulent dans les caisses de l’entreprise sans qu’elle en ait un usage immédiat ou à terme évident. Sinon des capitaux propres sont transformés en dettes (car la trésorerie de l’entreprise est placée par prudence dans des instruments de dettes et non en actions), ce qui macro économiquement pénalise ceux qui cherchent des capitaux propres pour financer leurs développements. Une fois rendu aux actionnaires, cet argent pourra être investi en dettes ou en capitaux propres.
Au 31 décembre 2010, le groupe Bouygues avait des actifs de trésorerie pour 5,6 Md€ et une dette bancaire et financière brute de 8,1 Md€, soit une dette bancaire et financière nette de 2,5 Md€ représentant 0,5 fois l’EBE 2010 et 23 % des capitaux propres comptables.
Au niveau social, la dette brute était de 10,2 Md€ et en net de 5,7 Md€ après 4,5 Md€ de disponibilités.
Même si la situation financière de Bouygues est saine et le reste après opération de rachat d’actions, on ne peut pas démontrer que l’OPRA Bouygues se justifie par un embarras de liquidités excessives qu’il conviendrait de rendre à leurs propriétaires, les actionnaires.
Remarquons sur ce point que cette OPRA diffère sensiblement dans ses motivations du dividende exceptionnel de 1,7 Md€ versé par Bouygues en 2004. En effet ce dernier avait pour but principal de redistribuer la trésorerie issue de la cession de sa filiale Saur. Le dividende exceptionnel n’avait pas eu d’impact sur la structure de l’actionnariat et avait été probablement choisi pour assurer à la holding familiale les liquidités nécessaires au remboursement d’un prêt contracté en 2000 pour suivre une augmentation de capital.
2. Participer ou non à l’OPRA ?
D’un point du vue financier, et quelle que soit sa vue sur le niveau du cours de bourse (à son prix, sous évalué, sur évalué), l’actionnaire a intérêt à participer à l’OPRA dès lors que celle-ci propose un prix significativement supérieur au cours. Si tous les actionnaires font le même raisonnement, participer à l’OPRA n’enrichira personne, même si l’actionnaire a ainsi la possibilité de vendre une fraction de ses action avec un prime plus ou moins importante. En effet à l’issue de l’OPRA le cours baissera à hauteur de la prime payée. Ce n’est que si des actionnaires, pour des raisons non financières, ne participent pas à l’OPRA, que ceux qui y participeront pourront alors réaliser un gain. Ce gain sera la contre partie de la perte supportée par ceux qui ne participent pas à l’OPRA qui, en tout état de cause dès lors qu’il y a une prime à l’OPRA, sont perdants.
Détaillons ceci.
Celui qui croit que les cours reflètent au mieux la valeur d’un titre a tout intérêt à participer à l’OPRA et à céder dans ce cadre une partie de ses actions à 30 € alors que le cours quelques jours avant la clôture de l’offre était de l’ordre de 27 €. Mais qu’il ne se leurre pas ! S’il croit que 27 € est le bon prix, la rationalité pure voudrait que le cours baisse après l’OPRA pour traduire l’appauvrissement de l’entreprise qui a racheté à 30 € des actions qui valent 27 €, soit un appauvrissement de 3 € ´ 41,7 M d’actions achetées = 125 M€ à répartir sur 315 M d’actions restantes, soit une baisse théorique de valeur de 0,40 €, difficilement visible à l’œil nu. Si tous les actionnaires participaient à l’OPRA à hauteur de leurs droits, ce qui serait gagné sur une action sur 8 environ (seules 11,7 % des actions sont visées par l’OPRA), c'est-à-dire 3 €, devrait être reperdu sur la baisse après l’OPRA des 7 autres actions (7 ´ 0,4 € ~ 3 € aux arrondis de calcul près).
Ici, comme une partie des actionnaires ne participe pas à l’OPRA (la famille Bouygues qui détient 18,6 % des actions, voire les salariés via leurs plans d’épargne (20,4 %)), l’investisseur qui participe à l’OPRA va faire un gain symétrique de la perte financière que vont supporter ceux qui ne viennent pas à l’OPRA puisque leurs actions vont se dévaloriser de 0,4 € chacune.
Quant à l’investisseur qui croit que l’action Bouygues vaut plus que son cours de fin d’OPRA de 27 €, et plus que le prix de l’OPRA (30 €), il a tout intérêt, lui aussi, à participer à l’OPRA, car il pourra céder à 30 € une partie de ses actions et acheter sur le marché à 27 € - 0,4 € = 26,6 € un plus grand nombre d’actions que celui cédé dans l’OPRA. Au total, il se verra enrichi car l’augmentation du nombre d’actions qu’il détiendra sera supérieure à la baisse de la valeur de l’action. Cet enrichissement théorique est uniquement dû au fait qu’une partie des actionnaires ne participe pas à l’OPRA (la famille Bouygues).
Quant à l’investisseur qui croit que le cours de Bouygues est surévalué, s’il est rationnel, il a déjà vendu ses actions et point n’est besoin d’en parler plus !
Au total, le seul qui s’appauvrit dans une OPRA est celui qui ne vient pas à l’offre. En effet, il ne bénéficie pas du rachat d’une fraction de ses actions à un prix supérieur au cours de bourse (et l’on vient de voir que même s’il croyait que ce cours de bourse sous évaluait l’action, il avait financièrement intérêt à y participer) et supporte à plein sur la totalité de ses actions l’effet d’appauvrissement liée à la prime de l’OPRA par rapport au cours de bourse.
Dès lors, la rationalité financière veut que tous les actionnaires participent à une OPRA pour autant que la prime sur le cours de bourse, les derniers jours de l’offre quand les investisseurs prennent leur décision, soit significative (au moins 5 à 10 %).
S’ils n’y participent pas, c’est qu’ils font un autre raisonnement qu’un raisonnement financier. Ainsi, la famille Bouygues, si la totalité des actions visées par l’OPRA sont effectivement rachetées (et annulées), verra sa participation passer de 18,6 % à 21,1 % des actions et de 27,5 % des droits de vote à 30 %, soit le maximum possible compte tenu du seuil d’offre obligatoire à 30 % (1).
On aurait pu imaginer que la famille participe à l’OPRA pour racheter ensuite des actions sur le marché. En pratique, la communication au marché aurait été compliquée (vendre dans l’OPRA pour racheter dans le marché) et la mise en œuvre non dénuée de risque compte tenu des volumes concernés.
Cette OPRA est une opération assez opportuniste pour la famille Bouygues qui lui permet, sans nouvel investissement de sa part, de porter son contrôle sur le groupe au maximum possible sans faire d’offre publique sur la totalité du capital, sécurisant ainsi son contrôle. Ceci sans détériorer lourdement la structure financière du groupe, en profitant d’un niveau de cours au plus bas depuis mi 2004 grâce à un affolement boursier, et pour un coût in fine de 1,5 % (2). Voici la récompense de celui qui sait ne pas perdre ses nerfs en période de crise !
3. OPRA ou rachats d’actions au fil de l’eau ?
D’un point de vue financier, l’actionnaire qui n’est pas dans un état d’esprit de vendre ses actions préfère le rachat au fil de l’eau puisque la prime payée par rapport au cours de bourse est nulle, ce qui permet de moins réduire les moyens financiers de Bouygues tout en atteignant le même objectif de relution de la famille.
Au cas particulier, cette considération se heurte à un problème de liquidité. Si la liquidité du titre Bouygues est bonne (le volume quotidien des échanges représente 0,7 % du flottant), racheter 11,7 % du capital sans peser sur les cours (en se limitant, par exemple, à 10 % du volume quotidien) nécessite un an. Autrement dit, l’opération relution de la famille Bouygues devient plus aléatoire dans son occurrence et dans son coût (le cours a beaucoup plus de chance de brutalement remonter sur un an que sur les 2 mois que dure une OPRA, mais il peut aussi baisser).
En tous cas, il est un point sur lequel l’OPRA a un avantage net sur les rachats au fil de l’eau : celui de l’aspect spectaculaire qui force les investisseurs à revisiter leur dossier Bouygues et se dire « ma foi, si la famille et le PDG ne viennent pas à cette OPRA à 30 €, je suis peut être un peu rapide à pousser le cours à la baisse à 23 € ! ». Le jour de l’annonce de l’OPRA, le cours de bourse de Bouygues, qui avait baissé continuellement de 32 % depuis 4 mois (25 % seulement pour le CAC 40), reprend 16 % alors que le CAC 40 monte de 3 % ce jour là. Où l’on retrouve la théorie du signal (3).
4. Pertinence de la variation du BPA
Autant être direct et clair : elle est nulle.
Nous rappelons à notre lecteur qu’on ne peut comparer un BPA avant et après une opération (acquisition, augmentation de capital, OPRA, …) pour lui appliquer le même PER afin de déterminer la valeur de l’action, que si et seulement si 3 conditions sont réunies :
• le risque de l’actif économique est inchangé après l’OPRA ;
• la croissance des résultats d’exploitation est inchangée ;
• et la structure financière est inchangée.
Clairement, cette troisième condition n’est pas observée au cas présent. Certes la structure financière de Bouygues après l’OPRA n’est pas bouleversée, mais elle n’est plus la même. La dette nette passe de 30 % à 54 % de la capitalisation boursière (à 23 €) ou de 26 % à 47 % (à 27 €), ce qui n’est pas la même chose. Autrement dit, le risque de la structure financière s’étant accru, l’action Bouygues mérite après l’OPRA un PER plus faible.
Ce n’est que si le PER était constant que l’on pourrait comparer BPA avant et après une opération et que la relution du BPA serait synonyme de création de valeur. Rappelons que celle-ci est automatique dès lors que le taux d’intérêt après impôt des fonds placés dans l’entreprise est inférieur à l’inverse du PER. Avec des taux de placement sans risque actuellement d’au plus de 2 %, il faudrait que le PER soit de 50 pour que l’impact sur le BPA soit dilutif (4). Le PER de Bouygues est un peu inférieur à 10.
Pour être constructif, il nous paraîtrait souhaitable que les régulateurs boursiers, en France l’AMF, fassent savoir aux sociétés que ce sont là des pratiques intellectuellement biaisées, destinées à tromper l’investisseur peu avisé et qu’il serait bon d’y mettre fin.
5. Quelle prime de risque de marché retenir pour le calcul du coût du capital dans un contexte boursier de quasi débâcle ?
Dans un contexte où le CAC 40 avait baissé de 25 % en 2 mois, il nous parait assez choquant de retenir dans les travaux d’évaluation de l’action Bouygues présentés au public une prime de risque spot au 15 septembre de 9,6 %, proche de ses plus hauts historiques comme si elle devait indéfiniment se maintenir à ce niveau très élevé. Cela suppose que l’entreprise soit capable de dégager en période normale des rentabilités exigées seulement en période de crise. Un non sens. Ceci a naturellement pour effet de majorer le coût du capital et de minorer les valeurs des actifs de Bouygues.
Certes l’OPRA est une offre à laquelle personne n’a l’obligation de participer contrairement à une OPRO-Retrait obligatoire (5). Mais ce n’est pas une raison pour choisir un taux d’actualisation spot très élevé (6) comme le fait la banque conseil de Bouygues au lieu de retenir une moyenne sur plusieurs mois pour lisser une situation de marché non pérenne, ou d’estimer qu’après la tempête reviendra le calme et donc de prendre des primes décroissantes avec le temps jusqu’à ce qu’elles retrouvent un niveau normal vers 4 à 6 %.
Certes une sensibilité de + 0,5 % a été testée mais l’ampleur est bien trop faible compte tenu du contexte boursier très agité de septembre 2011.
Sur ce thème, nous renvoyons notre lecteur à La Lettre Vernimmen.net de décembre 2008 où nous nous interrogions déjà sur la pérennité d’une prime de risque proche de 10%. L’histoire récente nous a démontré que même dans un environnement économique qui reste très difficile, la prime de risque ne restait pas durablement à ces niveaux.
6. Le rôle de l’expert indépendant : mission impossible ?
Le règlement de l’AMF prévoit dans le cas d’un conflit d’intérêt l’intervention d’un expert indépendant devant porter un jugement quant à l’équité de l’offre. Ici le conflit d’intérêt nait du fait que l’offre est proposée et approuvée par le principal actionnaire mais qu’il n’y participe pas lui même (7).
On notera d'abord que, de façon générale, le rôle de l'expert est ingrat. En effet, il est par définition impossible d'observer le résultat positif de son travail en amont de l'annonce d'une offre lorsqu'il conduit l'initiateur à rehausser le prix de celle-ci, voire à ne pas la faire dans des conditions de prix estimées par l'expert comme inéquitables.
Dans le cas particulier de l'OPRA Bouygues, la lecture du rapport de l’expert indépendant donne l’impression que celui-ci est gêné par le timing trop parfait de l’offre. Loin de prendre une prime de risque spot de 9,6 % comme la banque conseil, il cherche une autre source qui fait apparaître un chiffre plus petit (7,95 %), mentionne une moyenne 3 mois (7,04 %), et sur 24 mois (5,7 %) mais qu’il n’utilise pas in fine ce qui aurait eu un impact très fort à la hausse des valeurs.
Il rappelle incidemment dans sa conclusion que la famille Bouygues ne participera à l’OPRA sans entrer dans les détails et conclut au caractère équitable de cette offre à 30 €, prix compris entre des valeurs de marché (cours et comparables) vers 25 € et des valeurs intrinsèques (actualisation des flux de trésorerie disponibles) plafonnant à 35 € du fait de la prime de risque choisie.
L'AMF avait imposé il y a quelques années que l'expert indépendant soit nommé par la cible d’une offre et non pas par l'initiateur ce qui constituait un progrès réel par l'élimination d'un conflit d'intérêt évident. Dans le cas particulier des OPRA où l'initiateur et la cible sont confondus, et où l'opération est plus compliquée qu'on ne le croit à prime abord (voir § 2), il nous paraîtrait logique que l'expert ne soit plus désigné et rémunéré par la société cible et initiatrice de l'offre mais par le régulateur boursier.
L’avis de l’expert indépendant serait alors à l’abri des soupçons, fondés ou non, de compréhension voire de complaisance. Après tout, il y a plus de 2 000 ans, il avait déjà été dit que « la femme de César ne doit pas être soupçonnée (8) ». Certains experts pourraient alors trouver une liberté de jugement plus grande.
On pourrait même songer à élargir cette désignation et rémunération par l’AMF au cas des offres publiques de retrait car quand la mère détient plus de 95 % de la filiale, l’indépendance de celle-ci est souvent purement formelle.
Certes il y a peu de chances que les émetteurs soient favorables à cette évolution, ni l’AMF au demeurant. A tout le moins, et en cas d’OPRA ou d’OPR, l’AMF devrait systématiser la pratique du contradictoire en nommant un second expert.
Ce serait la dernière étape d’une reforme audacieuse et bienvenue qui a vu le régulateur boursier imposer la présence de l’expert indépendant dans le paysage des offres.
7. Post mortem
Dans les 4 jours suivants la clôture de l'offre, le cours de Bouygues a baissé de 13 % de 28,2 € à 24,65 €, montrant bien tout l'intérêt de participer à une OPRA. Ainsi ceux qui y ont participé ont pu céder une fraction de leurs actions à un prix de 30€, des actions qui ne valaient plus après que 25€ environ. Dans le même temps, le CAC 40 a monté de 1% et les principaux concurrents ou filiales ont vu leurs cours fluctuer entre -5% et +2%.
Ainsi dire que l'OPRA est une offre à laquelle personne n'est obligé de participer est factuellement juste d'un point de vue juridique mais faux d'un point de vue financier puisque celui qui ne participe pas à l'OPRA supporte le coût de la prime payée à ceux qui y participent. 80% environ des actionnaires non familiaux et non salariés l’ont bien compris en apportant leurs titres à l’offre qui a été ainsi sursouscrite 4 fois malgré la baisse de la prime de l’OPRA sur le cours dans les derniers jours de l’offre.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 47 du Vernimmen 2012.
(2) A la clôture de l’offre, la prime de 30 – 27 = 3 € fois le nombre d’actions visées (41,7 M) ramenée aux actions restantes après OPRA (315 M) est de 0,4 €, soit 1,5 % de 27 €.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2012.
(4) Pour plus de détails, voir le chapitre 42 du Vernimmen 2012.
(5) Pour plus de détails, voir le chapitre 47 du Vernimmen 2012.
(6) Pour plus de détails, voir la Lettre Vernimmen.net n° 71 de décembre 2008.
(7) Pour plus de détails, voir le chapitre 47 du Vernimmen 2012.
(8) Aux dires de son mari selon Plutarque.
Tableau : Multiple du résultat d'exploitation par secteur en Europe
La dernière fois que nous nous étions livrés à cet exercice, c’était en octobre 2003, 6 mois après le début d’une reprise boursière brillante qui allait durer jusqu’à l’été 2007. Aussi, nous avons trouvé intéressant de mettre cote à cote les chiffres de multiples de résultat d’exploitation à 8 ans d’intervalle pour quelques secteurs économiques.
On y voit à la fois le changement total de statut de certains secteurs comme les télécoms (de 24 à 11), des services informatiques (de 20 à 7), la bulle TMT étant désormais lointaine ; mais aussi l’émergence de l’e-commerce (en perte en 2003, 21 en 2011) ; la stabilité des multiples des secteurs faiblement risqués (agro-alimentaire, services publiques, etc …), le positionnement différent dans le cycle économique des mines (17 à 6) ou de l’automobile (17 à 4,5), de la chimie (12 à 8), des matériaux de construction (10 à 16) et la sidérurgie (14,5 à 9).
Les multiples actuels du résultat d’exploitation (9,7), 40 % plus bas qu’en 2003, s’expliquent par un coût des capitaux propres moyens supérieur de 1 % et par des perspectives de croissance à court terme bien différentes ...
Recherche : La flexibilité financière
avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine
La littérature théorique sur la structure du capital a longtemps fait face à une énigme : les entreprises semblent sous-endettées par rapport aux prédictions des modèles théoriques. Depuis quelques années, des études ont fourni une explication de ce phénomène (déjà suggérée dans l’article de Modigliani et Miller de 1963) (1). Les entreprises choisiraient de maintenir un faible niveau d’endettement afin de se laisser la possibilité de s’endetter en cas d’opportunité ou d’imprévu. Autrement dit, la structure financière serait expliquée par la difficulté d’obtenir rapidement un financement pour une entreprise déjà très endettée. Un faible endettement offre plus de flexibilité financière, et permet donc plus de réactivité.
L’article que nous présentons cette semaine apporte une confirmation empirique de cette idée (2). A partir d’un échantillon large d’entreprises cotées au Royaume-Uni entre 1965 et 2008, les auteurs montrent que les entreprises qui choisissent de conserver de la flexibilité financière investissent davantage, et que ces investissements sont créateurs de valeur pour leurs actionnaires.
La première étape consiste à identifier les entreprises qui disposent de flexibilité financière, c’est-à-dire de capacités d’endettement non encore utilisées. La méthode suivie par les auteurs consiste à calculer un niveau d’endettement prévu compte tenu des caractéristiques de l’entreprise (ratio market-to-book, taille, tangibilité des actifs, profitabilité, inflation, endettement du secteur). Sont ensuite considérées comme financièrement flexibles les entreprises dont le niveau de dette effectif est inférieur au niveau prévu par le modèle. Cette méthode est forcément critiquable puisque les modèles existants expliquent assez mal les niveaux de dette ; l’écart entre endettement prévu par le modèle et endettement effectif peut représenter autre chose que des capacités d’endettement non utilisées. Elle a toutefois le mérite de permettre d’identifier des entreprises financièrement flexibles.
L’étude confirme que la flexibilité financière favorise l’investissement. Les entreprises identifiées comme flexibles financièrement depuis au moins trois années investissent 37% de plus, et ces investissements additionnels sont financés par dette. Autrement dit, le maintien d’une capacité d’endettement inutilisée permet de saisir ensuite des opportunités d’investissement.
Le résultat le plus intéressant de l’étude porte sur la performance boursière des entreprises concernées. En effet, il n’est pas certain a priori que cet investissement additionnel se traduise par une création de valeur pour l’actionnaire ; il peut s’agir par exemple d’une volonté du dirigeant d’agrandir son entreprise pour des raisons de salaire ou de prestige (empire building). Les tests économétriques montrent en fait que les entreprises financièrement flexibles affichent une surperformance boursière d’environ 3,5% par an. La surperformance est encore plus marquée après l’augmentation des investissements (plus de 6%).
Cet article apporte donc un soutien empirique à la prédiction théorique suivante : les entreprises prennent en compte la flexibilité financière dans le choix de leur structure financière. En maintenant des niveaux de dette pas trop élevés, elles se laissent la possibilité de saisir des opportunités d’investissements créateurs de valeur pour l’actionnaire.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 38 du Vernimmen 2012.
(2) M.T. Marchica, R. Mura, Financial Management, hiver 2010, vol. 39, n° 4, pages 1339 à 1365.
Q&R : Céder un actif ou faire une augmentation de capital
Un certain nombre de sociétés se sont posées la question en 2009, d’autres pourraient devoir le faire sous peu à l’instar de certaines banques européennes en ce moment.
Nous postulerons que, confrontée à une crise de liquidité ou de solvabilité (ou les deux !) (1), rien ne bloque le recours de l’entreprise à l’un ou l’autre des ces moyens pour résoudre ses problèmes.
Notre lecteur ne devrait pas être surpris que nous rappelions qu’en finance le juge de paix est la valeur. Autrement dit, céder un actif à sa valeur n’appauvrit ou n’enrichit pas l’actionnaire. Faire une augmentation de capital en émettant de nouvelles actions à leur valeur n’appauvrit ou n’enrichit pas l’actionnaire. Ceci est une évidence assez souvent oubliée.
Mais qu’est ce que la valeur en période de crise, de panique, de restriction des liquidités ? Que vaut un actif quand l’indice boursier baisse de 25 % en deux mois comme le CAC 40 le fit cet été ? Que vaut un actif quand l’action cotée ouvre la séance à 9h00 en hausse de 5 % pour baisser de 7 % à midi, se reprendre de 4 % à 15h00 et clôturer en baisse de 6 % à 17h30 ?
Face au nihilisme sous jacent de l’évidence rappelée plus haut (puisque tout est à sa valeur, peu importe tel ou tel choix), les temps de crise redonnent du libre arbitre au directeur financier.
Prenons ainsi l’exemple de Saint-Gobain qui avait entamé des discussions en 2008 pour céder son pôle conditionnement évalué à environ 5 Md€. Avec la crise de l’automne 2008, le groupe aurait pu en tirer au mieux la moitié. Soit une perte en valeur, définitive, de 2 à 3 Md€. Saint-Gobain a alors préféré procéder à une augmentation de capital alors que son cours venait de baisser de 70 % par rapport à son plus haut niveau atteint 18 mois auparavant.
Folie ? Non. Décision saine car l’augmentation de capital s’est accompagnée du maintien des droits préférentiels de souscription au profit des actionnaires actuels. Ceux qui le pouvaient / le voulaient ont ainsi souscrit à des actions nouvelles et ceux qui ne le voulaient / pouvaient pas ont pu vendre leurs droits de souscription.
Saint-Gobain a ainsi demandé à ses actionnaires, c'est-à-dire à ses propriétaires, de lui donner les moyens de continuer de détenir un actif devenu non stratégique plutôt que de le brader à un prix à la casse pour le revendre plus tard à un prix correct quand les conditions seront redevenues normales.
Dans ces cas de figure, il nous parait en effet important de permettre aux actionnaires actuels de souscrire à l’augmentation de capital s’ils le souhaitent. Sans avoir besoin de recourir à la théorie de l’agence (2), il nous parait opportun que, dans le climat de confiance entre les actionnaires et les dirigeants, ceux-ci ne réservent pas la souscription de l’augmentation de capital à un tiers au moment même où ils disent que l’action est sous évaluée.
Si l’action de leur société est effectivement sous-évaluée, il est important que les actionnaires puissent profiter de cette opportunité, qu’elle ne leur soit pas retirée au profit d’un tiers, au moment même où il a été décidé de ne pas vendre à la casse un actif pour ne pas les appauvrir. Il faut être cohérent. Certes, on pourrait dire que les actionnaires actuels n’ont qu’à acheter sur le marché le même nombre de titres auquel ils avaient droit dans l’augmentation de capital. Faut-il encore que la société soit cotée. Certes, on pourrait dire que le formalisme d’une augmentation de capital avec droit préférentiel est bien lourd et qu’en période de crise il faut agir avec célérité. Mais c’est faire une croix sur la loyauté des relations actionnaires-dirigeants … ce qui ne nous parait pas sain.
On entend parfois dire que l’on ne fera pas d’augmentation de capital car cela diluerait le BPA. C’est un raisonnement faux. En effet, après l’augmentation de capital destinée à réduire la dette, l’entreprise et son BPA seront moins risqués, méritant de ce fait un PER plus élevé qui viendra compenser la dilution du BPA. Celle-ci est automatique, dès lors l’inverse du taux d’intérêt après impôt de la dette remboursée est inférieur au PER de l’entreprise. Avec une dette coûtant du 4 % après impôt, il faut que le PER de l’entreprise soit de plus de 25 pour éviter la dilution du BPA suite à l’augmentation de capital (3). Les actifs cédés devront l’être eux aussi sur la base d’un PER de 25 pour éviter la dilution du BPA suite à la cession servant à rembourser de la dette coûtant du 4 % après impôt. Mais il est plus rare de calculer la dilution du BPA après la cession d’un actif.
Certes psychologiquement pour un dirigeant, aller voir ses actionnaires pour leur demander de réinvestir dans l’entreprise afin de rembourser des dettes plutôt que d’investir dans de nouveaux projets est peu agréable …. Mais qui n’a jamais fait que des choses agréables ?
Que l’entreprise soit peu rentable, c'est-à-dire que sa rentabilité économique soit inférieure à son coût du capital, ne change rien au sujet. Les nouvelles actions seront émises à un prix (droit de souscription compris) inférieur aux capitaux propres comptables au bilan et sur cette base là, l’investisseur gagnera normalement le taux de rentabilité qu’il exige, bien que l’entreprise ne le gagne pas sur les capitaux propres qui lui sont confiés, car il a acheté ses actions avec une décote par rapport aux capitaux propres comptables. Et comme les fonds de l’augmentation de capital seront réinvestis dans le remboursement d’une partie de la dette et non dans des projets ne gagnant pas le coût du capital, l’entreprise ne détruira, pas de ce fait, de valeur.
Faut-il enfin que le dirigeant n’ait pas proclamé haut et fort qu’il ne procèderait pas à une augmentation de capital sur la base des bas cours actuels alors que son entreprise fait face à un réel problème de solvabilité ou de liquidité. Si l’alternative est de céder des actifs à des prix bradés compte tenu du contexte, l’augmentation de capital n’est elle pas préférable ? Entre deux maux, il faut choisir.
(1) Pour plus de détails sur les différences entre ces deux concepts, voir les chapitres 13 et 15 du Vernimmen 2012.
(2) Pour plus de détails sur la théorie des mandats, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2012.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2012.
Autre : Nouveau sur le site www.vernimmen.net
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