Laetitia Léonard-Reuter, Directrice Financière et membre du Comité Exécutif de Generali France.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

Durant mes études je n’avais aucune idée précise de la manière dont j’allais mener ma carrière. J’étais une étudiante curieuse, avide de connaissances, qui aimait les maths et l’humain. Dans mes rêves les plus fous, je m’imaginais Directeur Financier (à l’époque le nom de la profession n’était pas encore féminisé !) ou DRH. Soucieuse de ne me fermer aucune porte, je me suis naturellement tournée vers une formation généraliste. Pendant des études à HEC, l’université de Saint-Gall en Suisse et l’université de New-York, des stages en France et à l’étranger confirment mon intérêt pour la Finance. Je me lance dans la vie active, en intégrant la banque d’affaires JPMorgan à Londres, en tant qu’Analyste Fusions-Acquisitions dans le secteur des Télécoms, Média et Technologies, alors en pleine bulle Internet.  Après cette première expérience de trois ans très formatrice, je rejoins le siège du Groupe AXA ou j’exerce successivement pendant plus de dix ans diverses fonctions touchant à la finance d’entreprise et de marché, au middle-office, à la gestion du capital et des risques, avec comme point culminant la responsabilité de Directeur Financier d’AXA Global P&C. Je suis bien souvent la seule femme au niveau de responsabilité que j’exerce, mais je suis entourée d’hommes qui croient en moi, me donnent confiance et dont je peux témoigner du soutien dans les étapes importantes de ma carrière. En 2016, j’amorce un nouveau virage, plus opérationnel, dans ma carrière professionnelle en devenant Responsable Marketing et Services Entreprises chez AXA France. C’est le patron de l’entité France, mon sponsor dans le cadre d’une initiative de « Sponsorship Tandem » à destination des femmes du Groupe AXA, qui m’ouvre les portes de sa société. Puis, attirée par l’analytics et la transformation, je me positionne en 2017 sur le poste émergent de Chief Data Officer d’AXA France, avec pour objectif de faire fructifier le patrimoine collectif que constituent les données, en tirant partie des nouvelles technologies. En novembre dernier, je rejoins Generali France en tant que Directrice Financière et membre du Comité Exécutif. Ce poste est un terrain de jeu fantastique pour jouer un rôle moteur dans notre nouveau plan de conquête business et de transformation Excellence 2022. Je milite pour une Finance utile aux métiers, « architecte de la performance », c’est-à-dire qui oriente les décisions grâce à la mise à disposition d’informations fiables et structurées, dans une culture « data-driven ».

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Oui, indéniablement. Ma méthode tient en 3 idées simples :

  • Bien s’entourer : Vous devez tout d’abord choisir votre boss aussi sur ce critère, et poser vos limites. Lors de mon entretien annuel d’évaluation, mon responsable, CEO de Generali France, a abordé de lui-même le sujet de mon équilibre vie pro / vie perso, car il sait l’importance que j’y accorde, et est un ardent promoteur de la mixité. Vous devez aussi constituer autour de vous une équipe solide, que ce soit vos N-1 ou votre nounou (j’ai 3 enfants), et apprendre rapidement à déléguer. Miser ici sur des personnes de confiance, car cela réduit la charge mentale.
  • Anticiper : Avec mon assistante nous construisons mon agenda d’abord en fonction de mes priorités plutôt que des contraintes. Je lui demande d’exercer une action bouclier : on positionne les RDV importants, du temps de réflexion pour les sujets stratégiques, les matins où j’accompagne mes enfants à l’école ; on prévoit également des plages de temps libres quasi-quotidiennes à disposition de mes collaborateurs pour gérer les imprévus.
  • Renoncer : Arrêtons enfin de jouer les femmes parfaites que ce soit au bureau ou à la maison. Cela fait bien longtemps que je ne réponds plus à 100% de mes mails, par exemple. Certains sujets s’auto-nettoient et si c’est vraiment important, les gens vous relancent.

Une fois tout cela évoqué, je crois finalement que le secret c’est d’abord d’aimer ce que l’on fait, car c’est ce qui donne la pêche au quotidien…

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

La Fonction Finance doit sortir de ses attributions traditionnelles de garant de la solidité financière de l’entreprise et devenir une boussole pour guider sa transformation vers la création de valeur. Dans ce cadre, l’expertise technique indispensable à nos métiers doit être augmentée d’une vision stratégique de plus en plus détaillée de l’entreprise, d’une appétence pour les nouvelles technologies et d’une bonne dose de « soft skills » en matière de développement des compétences des collaborateurs ou de gestion du changement.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Dans mon univers professionnel proche, je n’ai malheureusement pas de nom qui me vienne instantanément à l’esprit. J’ai plutôt été entourée d’hommes qui m’ont fait confiance.

J’ai eu la chance d’avoir 2 grands-mères très inspirantes : l’une, issue d’un milieu modeste en Corse où les parents ont tout sacrifié pour les études de leurs enfants, filles comme garçons, et qui s’est élevée jusqu’à l’Ecole Normale (ancêtre de l’IUFM), considérée à l’époque comme élite du peuple insulaire ; l’autre qui a rompu très jeune les liens avec sa famille conservatrice pour accomplir sa passion professionnelle dans le milieu artistique.

J’ai été aussi fortement marquée par un TED talk de Sheryl Sandberg, COO de Facebook, https://www.ted.com/talks/sheryl_sandberg_why_we_have_too_few_women_leaders?language=fr#t-5359 qui remarquait que bien souvent les femmes se mettent en retrait dans leur carrière professionnelle dès que l’idée d’un enfant germe dans leur esprit. Au lieu d’être en stand-by professionnel pendant les quelques mois du congé maternité, elles se mettent en retrait des opportunités professionnelles des mois, voire des années, à un moment déterminant dans l’accélération d’une carrière, autour de la trentaine.

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? 

J’expliquerais ce déficit de femmes dans la finance par deux facteurs : l’exigence du poste en termes de disponibilité, plus difficilement compatible avec la vie de famille (il est plus aisé de recruter un homme avec une disponibilité totale, sans interruption de carrière) et aussi les freins psychologiques dans la tête des femmes. Là où un homme fonce, nous nous posons trop de questions du type : serai-je à la hauteur ? Qui va s’occuper des enfants ? C’est pourquoi je pense que la meilleure façon de faire augmenter ce chiffre c’est de donner volontairement un coup de pouce et que le message soit porté au plus haut niveau dans l’entreprise. Chez Generali, la promotion de la diversité et de l’égalité des chances est un enjeu des politiques RH depuis plusieurs années. Elle se traduit par des engagements et des actions concrètes : budget spécifique dédié à l’égalité femmes/hommes dans le cadre des augmentations salariales, identification de femmes dans les plans de succession, attention particulière dans le cadre des promotions, fixation d’objectifs en matière de parité. Il me paraît également essentiel d’encourager les femmes à intégrer des réseaux féminins comme les « Elles de Generali », par exemple, pour échanger sur leurs problématiques. Fin 2018, je suis fière de dire que la part des femmes à la Direction Financière de Generali France est de 53% et qu’au sein de mon Comité de Direction Finance nous sommes exactement à l’équilibre.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Ce sont des métiers :

  •  d’excellence et de challenge, au centre de la révolution de la data
  • qui demandent non seulement de l’expertise, mais aussi de la vision stratégique, une capacité à et une envie de transformer
  • avec des opportunités de carrière importantes, en France comme à l’international.

Plus généralement, nous vivons le début d’une période d’opportunités pour les femmes, où les exigences politiques et sociétales en faveur de l’égalité hommes/femmes vont conduire les entreprises à féminiser massivement leurs lignes managériales et leurs lignes de décision dans les années qui viennent, et la Finance ne fera pas exception. Les portes s’ouvrent, alors :

  • Foncez, osez,
  • Cultivez votre réseau,
  • Soyez solidaires !