La Lettre n°96 de Avril 2011

Actualités : Pourquoi détenir du cash ?

On ne peut qu’être frappés, lorsque l’on regarde l’évolution des bilans des grands groupes cotés, de la montée du poids du numéraire dans leur actif total de 3 – 4 % en 2002 à 6 – 9 % en 2010 :

Ratio disponibilités et valeurs mobilières de placement / Total actif pour les 3 000 premières capitalisations mondiales (70 % de la capitalisation mondiale)

De la même façon, quelques exemples laissent rêveurs : Parmalat affiche au 31.12.2010 des liquidités représentant 32 % de ses actifs (qui ne laissent pas indifférent), Oracle 36 %, Google 60 % (soit 35 Md$). A coté les 15 % de l’Olympique Lyonnais semblent une aimable plaisanterie !

Une partie de ce numéraire ne résulte pas d’un choix mais d’une contrainte et n’est pas réellement disponible :

• des chèques ou des virements ont été émis mais n’ont pas encore été débités des comptes de l’entreprise à la date de clôture ;

• des fonds sont bloqués dans des pays à contrôle de change rigoureux, d’autres pour être remontés à la tête du groupe impliquent le paiement d’impôts complémentaires (filiales à l’étranger des groupes américains  qui ne bénéficient pas de plein droit d’un régime mère – fille (1)) ;

• d’autres sont la contre-partie de dépôts de garantie, de cautions, de paiements en avance qui, dans certains pays, doivent être bloqués dans des comptes ad-hoc.

Bref, malgré les progrès de la technologie de gestion des fonds, l’objectif d’une trésorerie zéro reste un objectif …… inatteignable !

A coté de ces contraintes subies, il existe cinq raisons voulues de détenir du cash à l’actif.

1. La bonne gestion de l’endettement net

Rembourser ses dettes par anticipation peut avoir un coût (pénalités) qui en dissuade le recours. Malgré ses 35 Md$ de numéraire, Google avait en parallèle au 31 décembre 2010 3,5 Md$ de dettes à court terme.

Il arrive parfois qu’une dette contractée il y a quelques temps à taux fixe coûte moins chère que ne rapporte la trésorerie à l’actif ce qui n’incite pas à utiliser l’une pour rembourser l’autre.

Enfin, la crise de liquidités de l’automne 2008 a démontré que la liquidité pouvait disparaître aussi vite que l’eau sur le sable. Bon nombre de directeurs financiers qui ont alors passé des nuits blanches ont juré qu’on ne les y reprendraient plus.

Il est vrai qu’entendre le directeur financier de Renault expliquer en novembre 2008 qu’il raclait les fonds de tiroirs comme ce pauvre César Birotteau et qu’il ne savait pas comment il paierait ses engagements de la fin du mois a impressionné pour longtemps ses auditeurs. Les encaisses de précaution ne sont donc pas l’apanage des particuliers !

Il est aussi clair que plus l’entreprise a du mal à accéder aux marchés financiers en temps normal, plus elle a tendance à accumuler le numéraire à l’actif.

2. La gestion psychologique des partenaires de l’entreprise

Entre la vieille ficelle du directeur financier qui s’arrange pour afficher une somme rondelette de cash à l’actif pour rassurer ses actionnaires petits porteurs lorsqu’ils jetteront un œil au bilan lors de l’assemblée générale et Alcatel-Lucent qui maintient environ 5 Md€ de numéraire à son actif pour rassurer les tiers sur sa situation de liquidité alors que sa dette est notée non investment grade (2), il y a une différence de degré mais pas de nature.

3. La gestion du risque supporté par l’actionnaire

Il est clair, pour certains groupes, que la détention de cash à l’actif contrebalance pour partie la fluctuation des flux de trésorerie et réduit le risque de l’investissement pour l’actionnaire. On observe ainsi que les sociétés à forte R&D ou actifs immatériels comme la pharmacie ou la technologie ont une tendance nette à accumuler le cash.

4. La gestion du tempo de l’investissement

L’investissement ne suit pas nécessairement le désinvestissement aussi rapidement que chez Danone où la cession de l’activité biscuits et le renforcement dans la nutrition pour bébés (acquisition du Numico) ont été annoncés à huit jours d’intervalle !

Ainsi Solvay a-t-il annoncé la cession de son activité pharmaceutique en septembre 2009 pour 4,5 Md€ grossissant ainsi à 5,7 Md€ au 31 décembre 2010 son numéraire disponible pour des acquisitions anticipées maintenant en 2011, puisque non réalisées en 2010.

Avoir du cash à l’actif, c’est la garantie de pouvoir saisir à tous moments des opportunités d’investissement qui pourraient se présenter inopinément.

5. La gestion du tempo de la redistribution

Il est à parier que les 1,5 Md€ de numéraire de Parmalat ne resteront pas longtemps à son actif, puisque son management n’a pas démontré sa capacité à les utiliser à la différence de …… LVMH par exemple !

Ainsi en 2004, Microsoft a été obligé d’annoncer, pressé par ses actionnaires, un dividende exceptionnel de 32 Md$, un plan de rachat d’actions de 30 Md$ tant il est vrai que ce groupe n’avait pas convaincu de sa capacité à réinvestir au coût du capital un partie de ses excédents de trésorerie.

Bref, il y a des limites aux encaisses de précaution et aux primes d’assurance (sous forme de rentabilité de cet actif inférieure au coût du capital) que l’entreprise paie pour éviter les crises de liquidités.

Quand le montant est manifestement excessif, les actionnaires craignent, souvent légitimement, que l’argent brûle les poches des dirigeants et qu’ils en fassent un mauvais usage (Daimler en achetant Chrysler ou Schlumberger en acquérant Sema). D’où, théorie de l’agence aidant (3), leurs demandes que cet argent qui leur appartient leur soit rendu.

*      *      *

Comme les chercheurs ont montré que les entreprises détenant du cash à l’actif avaient tendance les années suivantes à gagner des parts de marché sur leurs concurrents moins bien dotés (4) et qu’il est peu probable que le monde devienne significativement moins volatile qu’il ne l’est aujourd’hui, le cash à l’actif a encore de beaux jours devant lui. Cela ne doit cependant pas justifier des excès consistant à maintenir de façon permanente des sommes importantes pouvant être mieux utilisées dans le reste de l’économie.

(1) Voir le chapitre 43 du Vernimmen 2011.
(2) Voir le chapitre 26 du Vernimmen 2011.
(3) Pour plus de détails sur la théorie de l’agence, voir le chapitre 32 du Vernimmen 2011.
(4) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 89 de juillet – août 2010.



Tableau : La volatilité en Europe

Le graphique suivant montre la volatilité de l’indice boursier phare des marchés actions allemands, anglais, français et italiens.

Le lecteur qui a un peu de mémoire y retrouvera la trace de la crise de 1990, de celle de l’Asie du Sud-Est en 1998, des suites de l’éclatement de la bulle TMT (1) et naturellement des évènements récents.

Mais on ne manquera pas d’être frappé par la synchronisation croissante des marchés européens entre eux.

(1) Technologie, Média, Télécommunications.


Recherche : La cotation en bourse nuit-elle à l'investissement ?

L’introduction en bourse d’une entreprise présente des avantages et des inconvénients. Comme avantage, la cotation donne accès à des investisseurs qui pourront facilement revendre leurs titres sur le marché secondaire. La liquidité réduit le risque pour les investisseurs, donc le coût du capital de l’entreprise (1).

Parmi les inconvénients, on évoque souvent une augmentation des problèmes d’agence entre actionnaires et dirigeants. Avant l’introduction en bourse, les dirigeants sont souvent très présents au capital de l’entreprise. La mise sur le marché réduit leur taux de détention, ainsi que celui de l’actionnaire majoritaire ; la distance entre dirigeants et actionnaires augmente.

L’article que nous présentons ce mois-ci (2) cherche à évaluer les problèmes d’agence posés par une introduction en bourse, en particulier concernant la politique d’investissement de l’entreprise. Les auteurs présentent deux effets contradictoires impliqués par ces problèmes d’agence :
• Un surinvestissement, qui serait lié à la volonté des dirigeants d’augmenter la taille de leur entreprise (empire-building), pour des raisons de prestige et/ou de rémunération.

• Un sous-investissement, qui serait lié aux asymétries d’information entre dirigeants et actionnaires. Ces derniers, en raison de leur manque d’information, accorderaient trop d’importance aux flux de trésorerie immédiats (observables) ; en retour, cela inciterait les dirigeants à réduire le montant de leurs investissements.

Les résultats indiquent que le second effet domine. Les auteurs ont utilisé une grande base de données de sociétés non cotées (créée par Sageworks), jusqu’ici non exploitée académiquement. Un traitement statistique de cette base et d’une base Compustat de données de sociétés cotées leur a permis de construire deux échantillon de sociétés comparables : des « petites » sociétés cotées et des « grandes » sociétés non cotées, toutes américaines, non financières, et sur la période de 2002 à 2007.

Selon l’étude, à caractéristiques équivalentes, les sociétés cotées investissent moins que les sociétés non cotées. La croissance annuelle des immobilisations nettes est de 2,2% dans l’échantillon « cotées » et de 9,4% dans l’échantillon « non cotées » (3). De plus, elles sont moins réactives aux opportunités d’investissement : une augmentation de la croissance du chiffre d’affaires se traduit par une moindre augmentation des investissements lorsque la société est cotée. Les auteurs concluent que l’introduction en bourse est généralement néfaste du point de vue de la politique d’investissement : elle conduit l’entreprise à renoncer à des projets créateurs de valeur.

Des tests complémentaires effectués par les auteurs confortent leur résultat. Ils se sont par exemple intéressés aux sociétés ayant été introduites en bourse sans augmentation de capital (donc sans augmentation immédiate de leur capacité à investir) ; ils montrent que leur politique d’investissement devient moins réactive après l’introduction en bourse. Enfin, ils montrent que cette réactivité est d’autant plus faible pour les sociétés cotées dont le cours de bourse est sensible aux flux de trésorerie immédiats : le sous-investissement des sociétés cotées serait bien lié à la myopie des actionnaires.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 46 du Vernimmen 2011.
(2) J.ASKER, J.FARRE-MENS A, A.LJUNGQVIST (2010), Does the stock market harm investment incentives ?, ECGI Finance working paper.

(3) Même les échantillons non retraités font apparaître une différence (plus faible) en faveur des sociétés non cotées.


Q&R : Qu'est-ce que la double Luxco ?

Il s’agit d’une structure juridique mise en place pour les LBO sur le marché français destinée à protéger les prêteurs seniors contre ce qu’ils perçoivent comme étant l’excessive protection qu’accorde la procédure de sauvegarde (1)  aux actionnaires et aux dirigeants de la société sous LBO.

C’est ainsi que les récents LBO Spotless, Sebia, Cerba, Histoire d’Or / Marc Orian, Picard, …. ont eu recours à cette technique.
Schématiquement, on a alors la structure juridique suivante :

En cas de situation économique et financière difficile de la société sous LBO, ses dirigeants pourraient être tentés de se placer sous le régime français de la sauvegarde (1) pour contraindre les créanciers seniors à des concessions, notamment des abandons de créances et / ou des conversions de dettes en capitaux propres.

L’exemple de l’immeuble Cœur Défense a montré que les tribunaux pouvaient, au moins dans un premier temps, accéder à des demandes de procédure de sauvegarde dans des cas où la pérennité de l’entreprise sous LBO n’est pas vraiment en cause. Certes, elle peut être en retard sur son plan d’affaires, mais ceci ne remet pas en cause sa solvabilité car elle a très rarement un endettement significatif, celui-ci étant principalement concentré au niveau du holding de LBO. Par contre, cela va rendre difficile une remontée de dividendes au niveau du holding de LBO pour les montants prévus, ce qui créera à ce niveau des difficultés financières compte tenu de l’endettement de ce holding. Il s’agit plus pour les demandeurs (les dirigeants et les actionnaires de l’entreprise), restant en place dans cette procédure qui gèle le passif de l’entreprise et interdit de le rembourser pendant sa durée, d’être en position de force pour négocier la restructuration du passif face aux créanciers seniors.

Matériellement, Luxco 1 donne aux prêteurs seniors du LBO le nantissement sur les actions Luxco 2 qui lui appartiennent et Luxco 2 fait de même avec ses actions dans le holding de LBO. En droit luxembourgeois, les prêteurs seniors du holding de LBO de mettre en œuvre ce nantissement sans qu’aucune somme ne leur soit due par Luxco 1 et Luxco 2.
En cas de mise sous sauvegarde de la société sous LBO, voire de la holding de LBO, voire même de Luxco 2 (en considérant que celle-ci a le centre de ses intérêts en France car détenant comme seul actif une participation dans le holding de LBO), les prêteurs seniors seraient à même, en exerçant leur nantissement, de prendre le contrôle et de changer le management de Luxco 2 et donc par cascade de la holding de LBO et la société sous LBO. De surcroît, les dispositions du droit européen prévoient que le droit des procédures collectives françaises ne peut pas s’appliquer à des actifs (les actions de Luxco 2) détenus hors de France par une société étrangère (Luxco 1). A cet effet, les actions de Luxco 2 détenues par Luxco 1 sont séquestrées au Luxembourg.

Ainsi, les prêteurs seniors seraient en mesure de mettre en échec une procédure de sauvegarde qu’ils considéreraient comme hostile à leur égard. Cependant, un nouveau management de la holding de LBO ou de la société sous LBO devrait démontrer au tribunal que la procédure de sauvegarde n’a plus lieu d’être ou de proposer un plan de sauvegarde acceptable. Mais, ils seraient en meilleure position de négociation que précédemment.

On notera enfin qu’il est parfois mis en place un schéma de triple Luxco, en créant une troisième holding luxembourgeoise, afin d’accommoder la présence de dettes subordonnées (mezzanine par exemple).

Merci à Pauline Bournoville et à Philippe Dubois pour leurs attentives relectures.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 51 du Vernimmen 2011.



Autre : SONDAGE : Quel coût du capital utiliseriez-vous pour un investissement moyennement risqué réalisé en France ?

Vous avez été 2 350 à répondre à ce sondage en page d’accueil du site www.vernimmen.net et vos réponses sont se sont ainsi réparties :

Soit un taux moyen de 8,5 % environ. Ceci correspond à ce que, pour notre part, nous avions répondu.

En comptant sur un béta de l’actif économique (béta déleveragé) de 0,8, une prime de risque de marché estimé actuellement par Associés en Finance à 6 % et un taux de l’argent sans risque de 3,2 %, on obtient 8 %.

En moyenne, nos lecteurs sont donc bien dans le marché ! 


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