La Lettre n°95 de Février 2011

Actualités : Et si l'inflation repartait ?

Comme la lecture de l’avant propos du Vernimmen 2011 a dû en convaincre notre lecteur, nous ne croyons pas à un redémarrage proche de l’inflation dans la zone euro. Certes beaucoup de liquidités ont été injectées dans le système financier pour éviter un effondrement et continuent à l’être. Mais à coté de cela, le désendettement des ménages, des entreprises, des banques, des fonds d’investissement nous parait intuitivement de nature à compenser ces injections de liquidités dont la raison première était justement de contrecarrer les effets de ce désendettement massif.

Certains arguent que l’inflation serait finalement une bonne façon de rembourser (en monnaie de singe) les dettes qui paraissent de plus en plus lourdes pour certains Etats, que cette alternative est moins désagréable que des guerres (ils ont certainement raison sur ce point). Prêtons-nous au jeu un instant : quel serait l’impact du retour de l’inflation sur les entreprises et leurs actionnaires ?

On entend les mêmes dire qu’il suffirait pour une entreprise de pouvoir répercuter à l’euro l’euro toute hausse de ses prix de revient pour être protégée de l’inflation. Erreur ! Il n’y a rien de plus faux que cela !

Comme tout lecteur du Vernimmen le sait, la valeur d’une entreprise et de ses actions est plus fonction des flux de trésorerie disponibles que de ses résultats (1).

Une entreprise dont tous les résultats seraient régulièrement absorbés par la variation de son besoin en fonds de roulement et par des investissements ne vaudrait pas grand-chose. C’est toute la différence entre, par exemple Danone et certains coopératives agricoles qui, d’un point de vue financier, ne valent pas beaucoup.

L’inflation va se traduire par un gonflement du BFR qui, dans la plupart des cas, sera supérieur à l’accroissement de l’excédent brut d’exploitation ou du résultat d’exploitation qu’elle induit.

Prenons ainsi une entreprise avec un chiffre d’affaires de 100, un résultat d’exploitation de 12, une dotation aux amortissements de 5, un BFR de 20 stable hors inflation et un impôt sur les sociétés de 33,3 %. Pour simplifier, elle n’est ni endettée, ni en croissance. Dans un contexte d’inflation faible, son flux de trésorerie d’exploitation est de :

Maintenant, supposons que l’inflation passe brutalement à 10 % et que notre entreprise soit capable de la répercuter à ses clients. Dans ce cas, on a alors :

D’où un flux moindre de 1,2 qui ne peut pas ne pas avoir une conséquence sur la valeur de l’entreprise.

Deuxièmement, l’inflation va créer une distorsion entre la dotation aux amortissements calculée sur des valeurs historiques (5) et l’investissement nécessaire pour maintenir l’outil industriel en l’état actuel 5 ´ 1,1 = 5,5, et on ne parle pas d’accroître la capacité de production. D’où un effet négatif  dès lors que le taux de l’impôt sur les sociétés est différent de 0 % (cas très fréquent comme on le sait). L’entreprise ne peut en effet déduire qu’une charge (la dotation aux amortissements) de 5 alors que le maintien en l’état de son outil de production lui coûte, inflation aidant, 5,5.

Si la durée d’amortissement des immobilisation amortissables est de 15 ans, ce n’est que progressivement que la dotation aux amortissements sera revalorisée, à hauteur d’un quinzième par an. Mais elle sera de tout façon toujours en retard par rapport à l’inflation, pénalisant le flux de trésorerie disponible de l’entreprise  par le biais de la fiscalité. Alors que, hors inflation, il était de :

Il est maintenant, avec inflation, de :

soit une baisse de 21 % alors que l’entreprise est parfaitement capable de répercuter l’inflation de ses coûts sur ses prix de vente. Qu’est-ce que cela serait si elle ne le pouvait pas !
En l’absence d’inflation, on peut estimer la valeur de cette entreprise à 80, sachant que nous avons utilisé un coût du capital de 10 % et un taux de croissance nul.

Avec une inflation à 10 %, le coût du capital passe à (1 + 10 %) ´ (1 + 10 %) – 1 = 21 % et la valeur de notre entreprise passe alors à 52,3, soit 35 % de moins que précédemment sous le double effet de flux réels plus faibles et de la hausse du coût du capital.

Pour retrouver la valeur initiale de 80, il faudrait, à marge d’EBE constante, que le chiffre d’affaires croisse de 12,3 %, soit 2,3 % de plus que l’inflation.

Un vrai conte de fées ! Et ce n’est pas les profits d’inflation (principalement revalorisation de la valeur des stocks du fait du passage du temps (1)) qui permettront à eux seuls d’obtenir ce supplément de marge à une époque où la logistique n’a plus rien à voir avec celle des années 1960/1970.

De quoi vous dégoûter de souhaiter un retour de l’inflation ! D’autant que nous n’en n’avons pas fini !
A ces éléments quantitatifs, s’ajoutent d’autres plus qualitatifs mais pas moins réels.

L’inflation, et plus précisément ses variations annuelles plus ou moins bien anticipées, crée des incertitudes qui rendent plus difficiles les prévisions et donc la capacité de l’entreprise à investir sur le long terme. Par ailleurs, il existe le plus souvent un décalage entre le moment où l’entreprise supporte une hausse du coût de ses facteurs de production et le moment où elle arrive à les répercuter à ses clients, ce qui est une nouvelle source de déperdition de valeur.

Le seul gain que l’entreprise pourra faire est sur sa dette, à condition que celle-ci soit à taux fixe et que les prêteurs à taux fixe acceptent régulièrement « de se faire plumer » ou qu’ils n’imposent pas une prime de risque spécifique inflation pour compenser le nouveau risque qu’ils courent.

Cela fait maintenant 25 ans que nous somme en Europe avec une inflation faible (2 à 3 %), après 25 ans d’inflation croissante qui culmina en France en 1981 à 13,6 %. Comme la consultation du graphique ci-dessous le montre, les comportements boursiers ont un certain rapport avec le taux de l’inflation :


D’après David Le Bris et Pierre-Cyrille Hautcoeur, "A Challenge to the Triomphant Optimists, A Blue Chips Index for the Paris Stock Exchange (1854-2007)”, Financial History Review, 27.2, 2010.

Enfin, cela devrait tordre le cou à l’idée fréquemment répandue selon laquelle les actions sont une bonne protection contre l’inflation. Ce graphique montre que le pouvoir d’achat de l’actionnaire n’a été préservé que lorsque l’inflation était en moyenne en dessous de 3 % : de 1854 à 1914, et depuis 1986.

Espérons pour les investisseurs que les 25 prochaines années seront aussi avec une inflation faible. Cela dit, il n’y a pas qu’eux dans la société !

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 37 du Vernimmen 2011.
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 41 du Vernimmen 2011



Tableau : Dividendes et rachats d'actionse

Avec 2 Md€ de rachats d’actions en 2010, les entreprises du CAC 40 ont logiquement repris un léger mouvement à la hausse après le – 70 M€ de 2009. Ceci correspond bien à la nature totalement discrétionnaire de cette forme de distribution de liquidités aux actionnaires qui peut être arrêtée à tout moment (1). On est loin du plus haut de 2007 (19,2 Md€).

Alors qu’en 2009, seul Essilor avait procédé à des rachats d’actions significatifs, cette année neuf groupes y ont eu recours. Carrefour est le leader français en ce domaine avec 1 025 M€ et 4,1 % du capital racheté.

En 2010, seul Arcelor – Mittal a procédé à une cession d’actions rachetées les années précédentes pour un montant significatif (1 027 M€). On notera que cette cession d’actions auto détenues a financé intégralement le paiement de son dividende en numéraire.

 

Coté dividendes, 36,9 Md€ ont été versés en 2010, soit plus qu’en 2009 (+ 4 %) mais moins qu’en 2008 (- 14 %) ; en fait on est revenu au niveau de 2007 (2) : 37,8 Md€.

Sur cette somme, seuls 8 % ont été versés en actions contre 23 % l’an passé. Seules les banques, Saint-Gobain, Schneider, Michelin et Vallourec y ont eu recours cette année. L’explication tient à la fois à une meilleure conjoncture économique et à des cours de bourse plutôt orientés à la baisse entre le moment où le prix du dividende en action est fixé et la date limite de choix par l’actionnaire entre le dividende en action ou en numéraire.

Comme l’an passé le trio de tête des versements de dividendes représente 36 % des dividendes versés, et comme on ne change pas une équipe qui gagne, il est toujours composé de Total, GDF – Suez et France Télécom. Cette année Unibail – Rodamco apparaît dans ce top 5 grâce à un dividende exceptionnel de 1,8 Md€ dû à des cessions d’actifs (immobiliers) qui s’ajoutent au dividende ordinaire de 0,7 Md€.

Le taux de distribution pour les entreprises du CAC 40 qui ont versé un dividende est de 59 %, soit un bond par rapport à 2008 (35 %) ou 2007 (42 %). Cette évolution est sans surprise et s’explique par des profits 2009 en baisse (63,9 Md€ contre 73,4 Md€ en 2008) et des dividendes la plupart du temps stables ou en hausse compte tenu d’une date de versement, le second trimestre 2010, où les conseils d’administration ont bien vu que le gros des difficultés économiques et financières était derrière eux. 2011 devrait voir un repli de ce taux.

Cinq groupes n’ont pas versé de dividendes : Alcatel (qui n’en n’a pas versé depuis 2003), Renault et Peugeot pour cause de crise économique et Natixis pour cause de crise financière.

Au total, les groupes du CAC 40 ont distribué en 2010 en numéraire à leurs actionnaires 35,8 Md€, soit un tiers de plus qu’en 2009 mais un tiers de moins que 2008.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 43 du Vernimmen 2011.
(2) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 63 de mars 2008.


Recherche : Comportement et décisions financières

La finance comportementale consiste à utiliser les résultats de travaux en psychologie pour expliquer ou prévoir des comportements financiers. Elle est une branche de l’économie comportementale, un courant de recherche en plein développement et qui a valu le Prix Nobel d’économie à D.Kahneman et V.L.Smith en 2002 (1). La théorie néo-classique de la firme considère le dirigeant comme un optimisateur mécanique de la valeur de l’entreprise, et la théorie de l’agence introduit des objectifs particuliers du dirigeant (différents de ceux des actionnaires). La finance comportementale considère pour sa part que les caractéristiques psychologiques des individus (et notamment des chefs d’entreprise) peuvent guider leur comportement (2) .

L’article que nous présentons ce mois (3) s’inscrit dans ce champ de recherche.  Il s’agit d’une étude empirique des conséquences de la psychologie des dirigeants (directeurs généraux et directeurs financiers (4)) sur leurs décisions. Trois professeurs d’universités américaines ont adapté un questionnaire utilisé précédemment par des économistes expérimentaux et des psychologues, et l’ont administré à des directeurs généraux et directeurs financiers, aux États-unis et dans le reste du monde (5). L’approche est critiquable sur au moins deux points : il est difficile d’évaluer la sincérité des réponses obtenues, et les résultats n’autorisent qu’une analyse statique. Elle a toutefois le mérite de permettre une analyse directe du lien entre psychologie et comportement.

Les résultats de cette étude indiquent que les traits psychologiques des dirigeants ont une influence significative sur leurs décisions. Les auteurs se sont particulièrement intéressés aux décisions en matière de structure du capital et de croissance externe :

• Concernant la structure financière, les entreprises sont davantage endettées lorsque leurs dirigeants sont des hommes (considérés comme plus souvent soumis à l’excès de confiance) et qu’ils ont une expérience professionnelle en comptabilité ou finance (qui peut leur donner une plus grande capacité à diriger une entreprise endettée). Lorsque les dirigeants sont optimistes, la proportion de dette à court terme est plus importante (ils pensent pouvoir se refinancer).
• En matière de croissance externe, les acquisitions sont plus nombreuses lorsque le dirigeant a une faible aversion au risque. Le résultat est statistiquement très significatif : le lien entre psychologie du dirigeant et politique de croissance externe est confirmé.

Quelques autres résultats de cette vaste étude méritent l’attention :

• Les dirigeants apparaissent comme beaucoup moins averses au risque que l’ensemble de la population (10% de « très averses au risque » contre 64,5% sur l’ensemble de la population). L’effet richesse peut expliquer une partie de cet écart.
• Les directeurs généraux sont plus optimistes que les directeurs financiers, et les dirigeants américains sont plus optimistes que les européens et les asiatiques.
• Les dirigeants dont l’aversion au risque est élevée reçoivent une plus grosse partie fixe dans leur rémunération, conformément aux prédictions de la théorie des incitations.

Nous retiendrons particulièrement de cet article sa méthodologie. La plupart des travaux sur ce thème déduisent (imparfaitement) les traits psychologiques des dirigeants à partir de leurs décisions. En administrant des tests psychologiques aux dirigeants, les auteurs ont pu démontrer des corrélations entre traits psychologiques et décisions dans l’entreprise. Il reste que l’absence d’analyse dynamique ne permet pas de montrer le sens de la causalité : est-ce bien la psychologie des dirigeants qui influence la structure du capital et la croissance externe, ou est-ce que la structure du capital et la croissance externe des entreprises les conduisent à recruter certains types de dirigeants ?
(1) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 59 de septembre 2007.
(2) Voir le chapitre 32 du Vernimmen 2011 pour plus de détails sur ces théories.

(3) J.R. GRAHAM, C.R. HARVEY et M. PURI (2009), Managerial attitudes and corporate actions, Duke University working paper
(4) CEOs et CFOs
(5) Les auteurs ont construit leur base de données à partir de fichiers d’abonnés à des revues telles que Chief Executive magazine et CFO magazine.



Q&R : La fin de la prise de contrôle de Alcon par Novartis ou happy end dans un western américano suisse

Juste avant Noël, une bataille boursière aux USA s’est achevée comme dans un bon western : ceux qui avaient l’équité, à défaut du droit, de leur coté ont gagné ; ceux qui voulaient abuser de leur position de force ont dû se rendre à l’évidence que, même au pays du Far West, la force n’était pas synonyme de victoire assurée.

Tout commence en avril 2008 quand Novartis s’accorde avec Nestlé pour lui acheter en plusieurs étapes sa participation de 77 % dans Alcon, sa filiale de droit suisse, cotée aux USA. Les premiers 25 % sont alors acquis à 143 $ par action. Le solde l’est il y a un an à 180 $ l’action, soit un prix moyen de 168 $. Puis, le droit suisse des offres publiques ne s’appliquant pas et profitant qu’aux USA, contrairement à l’Europe, il est possible de prendre le contrôle d’une société sans faire d’offre aux minoritaires, ou une offre à un prix plus bas, Novartis, propose benoîtement aux minoritaires de les désintéresser sur la base de 153 $ payé en actions Novartis, grâce à une fusion qu’il pouvait imposer, détenant plus que la majorité requise des 2/3.

Les administrateurs indépendants de Alcon font alors ce qu’ils devaient faire : refuser de recommander cette proposition et entrer en résistance ! Celle-ci dure un an. Finalement, la bonne conjoncture boursière aidant, Novartis se résigne à ajouter à sa proposition initiale un complément en cash permettant aux minoritaires d’Alcon d’obtenir le même prix que celui touché par le majoritaire, soit 168 $.

Ainsi, comme souvent, nos amis américains sont capables du meilleur : résister sur des principes sains ; comme du moins bon : continuer d’appliquer des règles sur les OPA aux antipodes des discours sur la bonne gouvernance qu’ils tiennent par ailleurs.

Cependant, tout est bien qui finit bien puisque le jour où Novartis annonce qu’il traite les minoritaires comme le majoritaire, son cours de bourse monte de 5 %. De quoi décourager ceux qui voudraient suivre l’exemple initial de Novartis !



Autre : Le Vernimmen est disponible sur iPad

Depuis quelques jours, le Vernimmen 2011 est disponible sur Ipad. En cliquant ici, vous pouvez le découvrir.

Comme vous le savez, le fonctionnement d’iTunes pour les livres n'est pas le même que pour les applications, il n'y a pas de lien qui ouvre iTunes.

Il faut donc que vous accédiez à l'iBook Store directement de votre iPhone / iPod / iPad et recherchiez le Vernimmen si vous souhaitez en faire l'acquisition sur iPad.

Ainsi après le Vernimmen en version électronique en ligne (www.vernimmenenligne.net) l’application sur iPhone (ici), nous continuons, nous l’espérons, à vous simplifier la vie !

*********** SONDAGE ***********

Comme vous le savez, nous avons lancé il y a 2 mois une appli Vernimmen sous iPphone que plus de 5.000 d’entre vous ont déjà téléchargée (ici). Mais tout le monde n’a pas un iPphone !
Pour tester votre intérêt éventuel pour une appli Vernimmen sous Androïd, le système d’exploitation des smartphones de Samsung, Sony Ericsson, Motorola, etc, le sondage disponible en page d’accueil du site vernimmen.net (ici) est :
Etes-vous intéressés par une appli Vernimmen sous Androïd ?
• Oui
• Non

Nous ne prévoyons pas de développer une application pour Blackberry car, en l’état actuel, à chaque fois qu’une nouvelle version du Blackberry serait disponible, il faudrait nous refaire intégralement l’appli.


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