La Lettre n°78 de Juillet 2009

Actualités : Les nouvelles règles d'allocation du goodwill : spécificités de l'évaluation

de Jean Pierre Colle et Philippe Leduc (Grant Thornton Valuation services)

La norme IFRS 3 Révisée (IFRS 3R) sur les regroupements d’entreprises entre en vigueur en juillet 2009. Le présent article présente les principales spécificités de cette norme qui touchent à l’évaluation.

1ère spécificité : dès la prise de contrôle, on appréhende 100% de la valeur de la cible et de manière définitive

IFRS 3R requiert de calculer le goodwill par différence entre un montant agrégé ("the aggregate") et  l’actif net identifiable réévalué.

Ce montant agrégé est calculé en « valorisant » :

• en juste valeur, le prix payé pour acquérir le bloc de contrôle,
• en juste valeur ou en valeur comptable, les intérêts minoritaires,
• en juste valeur, les intérêts préalablement détenus.

….c’est-à-dire 100% de la cible.

Quelle que soit l’option retenue pour valoriser les intérêts minoritaires (en juste valeur ou en valeur comptable), le montant agrégé et le goodwill qui en résultent ne pourront pas être ajustés lors de rachat ultérieur des intérêts minoritaires. Ils sont donc définitivement gelés pour leur valeur calculée à la date de prise de contrôle.

Ainsi, en IFRS 3R, la valeur de la cible est appréhendée à 100% et de manière définitive dès la prise de contrôle, et ce quel que soit le pourcentage acquis. En conséquence, la prééminence est donnée aux comptes de l’entité économique (qui sont établis à l’attention des actionnaires et des intérêts minoritaires) sur ceux de la société-mère (qui sont établis à l’attention des seuls actionnaires).

2ème spécificité : la juste valeur des compléments de prix éventuels doit être incluse dans le prix payé
De tels compléments de prix sont généralement déclenchés si les résultats de la cible dépassent certains seuils.

Selon IFRS 3R, l'acquéreur est présumé capable de définir un modèle d’évaluation permettant d’aboutir à une juste valeur des compléments de prix suffisamment fiable (IFRS 3R.BC 349), même si cela peut s’avérer difficile dans la plupart des cas.

En pratique, la juste valeur des compléments de prix peut être déterminée en calculant la moyenne pondérée des compléments de prix attachés aux probabilités de survenance des différents scénarios du management.

L’évaluateur ne doit pas se limiter à mettre en place un modèle d’évaluation « probabiliste ». Il doit aussi challenger les prévisions. L’enjeu n’est pas neutre : si par exemple, les résultats de la cible s'avèrent supérieurs aux prévisions :

• les compléments de prix effectivement versés seront supérieurs aux compléments de prix comptabilisés ;
• l’acquéreur ne pourra pas augmenter le goodwill et devra donc passer la différence en charge.

D'où la tentation pour certains acquéreurs de surestimer les prévisions de résultats post-acquisition de la cible et donc le goodwill initial, au « risque » de devoir comptabiliser un produit pour le moins paradoxal si les réalisations s’avèrent inférieures aux prévisions et, inversement d’être confronté à une dépréciation ultérieure du goodwill.

3ème spécificité : la juste valeur des intérêts minoritaires ou préalablement détenus ne correspond pas nécessairement à l’extrapolation du prix du bloc de contrôle

La juste valeur des intérêts minoritaires ou préalablement détenus devra le plus souvent être déterminée à dire d’expert. Celle-ci ne correspond pas nécessairement à l’extrapolation du prix du bloc de contrôle, notamment lorsque la société cible n’est pas cotée.

En pareille circonstance, la juste valeur correspond au prix qui résulterait d’une négociation entre les minoritaires et un acquéreur potentiel, qui peut être l’actionnaire majoritaire ou un tiers.

La norme IFRS 3R n’est pas directive sur la manière d'évaluer une participation minoritaire. Elle se limite à rappeler que le prix payé pour prendre le contrôle peut inclure une prime de contrôle et que la valeur d’une participation minoritaire peut être grevée d’une décote de minorité (IFRS 3R. B45).

Le schéma ci-dessous est l’illustration d’une approche possible pour évaluer une participation minoritaire :

Dans ce schéma :

• la valeur la plus basse est la valeur DCF stand alone, qui s’entend à l’exclusion de toutes synergies ;
• la valeur intermédiaire est la valeur DCF des Market Participant obtenue en substituant la marge du secteur à la marge de la cible. Elle inclut donc les synergies du marché ;
• la valeur la plus élevée est la valeur de la participation majoritaire qui inclut les synergies de l’acquéreur, en plus de celles du marché. Ici, elle est même supérieure au prix payé, dans la mesure où, au cours de la négociation, l'acquéreur n'aura  pas dévoilé toutes les synergies attendues ;
• l’expert a estimé que les minoritaires, si on devait les racheter, pourraient prétendre aux synergies du marché non mises en œuvre par le vendeur. Il propose donc d’évaluer la participation minoritaire sur la base de la valeur DCF Market Participant, ce qui revient à annuler une partie de la prime de contrôle incluse dans le prix.

Cette démarche a le mérite de fixer la valeur d’une participation minoritaire sans passer par une décote de minorité forfaitaire. Elle permet d’introduire une certaine objectivité dans la valorisation d’une telle participation.

4ème spécificité : en supprimant explicitement le critère de fiabilité pour l’évaluation des actifs incorporels, IFRS 3R consacre la pratique des évaluateurs

IFRS 3 actuelle met la fiabilité de l’évaluation comme condition de la comptabilisation des actifs incorporels (IFRS 3.37c). Cependant, il est précisé dans IFRS 3.BC 102 qu’un actif incorporel doit toujours pouvoir être évalué dans le cadre d’un regroupement d’entreprises.

Ce postulat explique que dans le cadre des missions de Purchase Price Allocation (PPA), les évaluateurs acceptent de conclure à des valeurs qui ne sont pas nécessairement fiables.

Les critiques les plus fréquemment formulées à l’encontre des évaluations produites dans le cadre d’un PPA sont les suivantes :

• Le PPA privilégie l’évaluation d’actifs isolés, tels que des marques, des technologies ou des relations clientèles, à l’évaluation de leur contenant (c’est-à-dire des titres de la société détenant ces actifs). Il remet implicitement sur le devant de la scène la méthode d’actif net réévalué, délaissée depuis de nombreuses années sauf cas particuliers tels que les sociétés immobilières et les holdings.

• Les méthodes d’évaluation généralement utilisées (« Relief from royalty », « Excess earnings ») sont spécifiques à l’exercice du PPA. Le DCF est laissé de coté, et pour cause, puisque celui-ci est destiné à évaluer le tout et non pas des actifs isolés.

• L’écart entre les valeurs extrêmes obtenues par ces méthodes est parfois très important, en particulier dans la méthode Relief from royalty du fait de la grande dispersion souvent constatée sur les taux de redevances d’actifs incorporels comparables, tels que disponibles dans le public. Le multicritère, qui lui seul permettrait de réduire l’écart grâce à l’utilisation d’autres méthodes, est trop peu souvent utilisé.

• Le management, considérant que les actifs incorporels n’ont pas vocation à être cédés isolément, accorde plus d’importance aux conséquences comptables de l’évaluation (amortissements futurs, risques d’impairments) qu’aux valeurs obtenues.

Il reste qu’IFRS 3R, en ne reprenant pas le critère de fiabilité mentionné dans IFRS 3 actuelle, consacre la pratique des évaluateurs. Celle-ci constitue, malgré les critiques rappelées ci-dessus, un progrès indéniable. En effet, rechercher les motivations de l’acquéreur, comprendre ce qu’il a voulu acheter et le niveau du prix qui en résulte, et finalement le traduire dans ses comptes, représente une avancée majeure en termes d’information financières.


Tableau : 128 ans de PER aux Etats-Unis

Dans un récent travail (1), McKinsey a eu la bonne idée d'actualiser le travail de Robert Shiller, initié dans son ouvrage Market Volatility, sur le PER historique calculé sur une moyenne glissante de 10 ans de résultats.

Il y est montré que nous sommes simplement revenus à la moyenne historique de 15, ce qui correspond mal avec l’idée d’un bas de cycle...

(1) The new power brokers: how oil, Asia, hedge funds and private equity are faring in the financial crisis. McKinsey 2009.



Recherche : Faut-il investir sur un management ou sur un projet ?

Les principaux facteurs de succès des grandes entreprises ont fait l’objet de nombreuses théories et d’études empiriques, depuis l’article fondateur de R. Coase en 1937 (1). En revanche, les travaux portant sur les premières années d’existence des entreprises restent rares, en raison de la difficulté à collecter des données. Trois chercheurs ont publié récemment une étude (2) portant sur 50 entreprises, depuis la mise en place de leur business plan jusqu’à 3 ans après leur mise sur le marché (Initial Public Offering, ou IPO). Il s’agit de 50 sociétés soutenues par un capital-risqueur.

Cet article montre que le plus important pour un capital-risqueur est de choisir des entreprises dont le business plan est solide et prometteur, même lorsque le management est de moins bonne qualité. Autrement dit, il faut parier sur le cheval plutôt que sur le jockey (la métaphore du cheval et du jockey donne son titre à l’article). La raison est la suivante : il est plus facile pour une entreprise de changer de management plutôt que de business plan. Sur les 50 entreprises de l’échantillon analysé, 49 sont restées dans la même activité, avec le même type de clientèle et de concurrence. En revanche, seuls 44% des chefs d’entreprise en poste 3 ans après l’introduction en bourse étaient déjà en fonction à l’élaboration du business plan.

Les données collectées permettent également une description des premiers stades de développement des entreprises cotées :

• leur croissance est impressionnante : sur la période de 6 ans qui sépare le business plan de l’introduction en bourse + 3 ans, le chiffre d’affaire de l’entreprise médiane passe de 0 à 43 millions de dollars, et son nombre de salariés de 22 à 432 ;
• 46%  de ces entreprises citent l’expertise de leur management comme facteur clé de succès au moment du business plan, et elles ne sont plus que 16% à le mentionner 3 ans après l’introduction en bourse ;
• les fondateurs détiennent en moyenne 31,7% du capital lors du business plan, 12,5% au moment de l’IPO et 3,2% 3 ans après l’introduction en bourse.

Les auteurs remettent donc en cause l’affirmation du capital-risqueur Arthur Rock (un des premiers investisseurs d’Apple), selon lequel un management de qualité permettrait, si nécessaire, de changer de business plan. Ils soutiennent au contraire la théorie de Hannan et Freeman (3) : l’adaptation à l’environnement se fait davantage par sélection naturelle des entreprises (création et destruction) que par adaptation. La qualité du management est importante surtout au moment de la création de l’entreprise et de la définition du business plan. Steve Jobs est souvent identifié au succès de Apple, mais eBay, Cisco ou Google se sont développées après le départ de leurs fondateurs.

Les résultats de cet article doivent bien sûr être considérés avec prudence. L’échantillon de 50 IPO reste faible pour obtenir des résultats statistiques robustes. En particulier, 38 de ces IPO concernent des entreprises de haute technologie, un secteur dans lequel l’idée de départ a une importance prépondérante. Il apporte toutefois une contribution intéressante à la connaissance des premiers stades de développement des entreprises cotées.

(1) R.COASE (1937), The nature of the firm, Economica, n°4 p.386-405.
(2) S.N.KAPLAN, B.A.SENSOY et P. STRÖMBERG (2009), Should investors bet on the jockey or the horse? Evidence from the evolution of firms from early business plans to public companies, Journal of Finance, vol.64, p.75-115.
(3) M.HANNAN et J.FREEMAN (1984), Structural inertia and organizational change, American Sociological Review, n°49, p.149-164.



Q&R : Quelles sont les principales clauses des contrats de prêt ?


Un contrat de prêt est souvent long et complexe mais de manière synthétique, ce type de contrat prévoit :

▪ le montant, la durée ainsi que l’objet du prêt (c’est-à-dire, à quoi vont servir les fonds) ;
▪ les conditions de décaissement en une fois ou plusieurs fois échelonnées sur une période ;
▪ le taux d’intérêt fixe ou variable, la période d’intérêts, les règles de décompte et perception des intérêts ainsi que les diverses commissions, assurance et frais ;
• les modalités de remboursement du prêt avec éventuellement une période de différé d’amortissement et une période d’amortissement ;
• les conditions de remboursement anticipé ;
•l’exigibilité anticipée du prêt ;
• les garanties par des organismes ou par nantissement du fonds de commerce ou d’un autre actif.

Les banques ont imposé, dans les conventions de crédit, le respect de certaines conditions (covenants en anglais) dont les principales concernent les ratios comptables, les décisions financières et la structure du contrôle. On peut distinguer quatre grandes catégories d’engagements :

• l’engagement de faire. Il s’agit de respecter certains ratios de structure financière ou de résultat (financial covenants), d’adopter ou de conserver une structure juridique donnée ou même de réaliser une restructuration ;
• l’engagement de ne pas faire. Il peut limiter la distribution de dividendes, la cession d’actifs, la politique d'investissement, la constitution de garantie de certains actifs au profit de tiers (negative pledge en anglais), le recours à de nouveaux emprunts ou certaines opérations en capital (telles que les rachats d’actions, les réductions de capital) ;
• le pari passu. Cette clause oblige l’entreprise à faire bénéficier le prêteur de toutes les garanties supplémentaires qu’elle sera amenée à donner lors de crédits futurs de même rang ;
• le cross default. Cette clause prévoit que si l’entreprise fait défaut sur un autre crédit, la ligne de crédit devient exigible. Un seuil de déclenchement est généralement prévu.

L’accord peut également inclure une clause permettant aux banques de résilier le contrat dans le cas où un événement négatif majeur surviendrait (Material Adverse Change, MAC). L'exécution de telles clauses ou de clauses « d'interruption de marché » qui en sont proches est extrêmement compliquée d'un point de vue formel mais surtout commercial.

Pour plus de détails, voir le chapitre 28 du Vernimmen 2009.



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