La Lettre n°53 de Décembre 2006

Actualités : La micro-finance

L’objet de tout système financier est de mettre en relation les agents à excédents de capitaux avec les agents à besoins de capitaux ; et l’on peut démontrer que cette fonction améliore le bien être social (1). Les banques et les marchés financiers remplissent généralement parfaitement ce rôle en permettant d’offrir des financements ou des placements à de nombreuses entreprises ou individus, en particulier dans les pays occidentaux mais aussi comme l’actualité le démontre tous les jours en Chine, en Turquie, dans le Golfe ,… 
Comme toute organisation, le marché financier ou le système bancaire a ses coûts de fonctionnement (approche des clients, étude des dossiers et montage, mise en place des fonds, gestion des remboursements, impayés et contentieux). Ainsi, en deçà d’un certain seuil, les frais d’intermédiation deviennent prohibitifs et donc inacceptables sauf exception  : nous avons vu un intermédiaire ayant pignon sur rue réclamer une commission de 80 % (sic !) des fonds levés lors d’une introduction en bourse sur le Marché Libre de Paris d’une affaire qui faisait 1,6 M€ de chiffre d’affaires.
Dès lors, un certain nombre d’agents économiques, les plus pauvres, sont exclus de facto du système financier qui ne s’intéresse pas à eux. Le paradoxe est que leur solvabilité réelle n’est probablement pas moins bonne que celle des autres emprunteurs et qu’ils permettent de construire plus facilement des portefeuilles mieux diversifiés, donc moins risqués (2) pour les investisseurs. Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank au Bangladesh et qui a reçu le prix Nobel de la Paix ce week-end a concrètement démontré le contraire.
Bien sûr, le développement des techniques de credit scoring (3), puis Internet ont permis de réduire le point mort d’un crédit pour une banque, mais il y a un niveau incompressible en dessous duquel le système marchand ne peut pas descendre. Par ailleurs, tout le monde n’a pas accès à Internet ou n’a pas de références pour le crédit.
Ce constat fait, certains se sont attelés à créer un système financier spécifique pour les délaissés du système financier classique : la micro-finance. A l’origine, il s’agissait bien de la création d’un système financier spécifique et non de l’élargissement du rayon d’action des banques, qui de toute façon pensaient, par ignorance, que cette frange de population devait avoir un taux d’impayés très largement supérieur à la moyenne.
 
La micro-finance s’adresse donc aux personnes n’ayant pas accès au système financier classique, donc aux personnes les plus pauvres. Cela recouvre une large part de la population des pays émergents mais également les personnes les moins aisées des pays occidentaux. La logique est la même, mais les montants des prêt ne seront pas identiques. Ainsi si le montant moyen d’un micro-crédit en Asie ou en Afrique est d’environ 300€ (et peut tomber jusqu’à quelques euros), il est supérieur à 1 000€ en Europe de l’Est et de l’ordre de 2 500€ en France.

Il existe plus de 1 275 institutions de micro-finance (« IMF ») dans le monde, celles-ci financent plus de 100 millions de foyers (4). Le secteur est en forte croissance, ainsi le nombre d’emprunteurs a été multiplié par 10 en 10 ans.

En France, le principal acteur du micro-crédit est l’ADIE (Association pour le droit à l’initiative économique) qui a accordé 6 740 crédits en 2005 (en hausse de 20% mais ne répondant qu’à environ 10% des demandes) avec un encours total de 32 millions d’euros.
Les micro-crédits permettent de financer généralement de petits investissements pour des foyers ruraux ou des petits commerces. Les prêts sont généralement à court terme (ce qui permet de limiter le risque pour le prêteur), mais peuvent être renouvelés, éventuellement avec des montants supérieurs pour les bons payeurs. Souvent les emprunteurs doivent s’organiser en groupes solidaires, ce qui permet de garantir le bon remboursement du prêt.
Bien évidemment, l’ambition de la micro-finance n’est donc pas de résoudre à elle seule l’ensemble des difficultés des pays émergents. Ainsi, les institutions de micro-finance n’ont pas vocation à financer les infrastructures qui sont nécessaires au développement du pays. Le développement de la micro-finance doit donc se faire en complément des autres initiatives pour le développement. Néanmoins, il est indéniable que la micro-finance permet d’améliorer les conditions de vie des plus pauvres et contribue à « amorcer la pompe du développement ».
La relation entre aide au développement et micro-finance n’est pas évidente et l’identification de la micro-finance à la finance classique ne va pas non plus de soi. En effet, même si les taux de recouvrement sont très élevés (au regard des systèmes financiers classiques), les coûts de fonctionnement des institutions de micro-finance sont, par euro prêtés, nécessairement sensiblement plus élevés que ceux des banques pour des prêts classiques :
• le nombre de dossiers à traiter pour un même montant prêté est beaucoup plus important ;
• la distribution des services est plus complexe (populations plus disséminée sur le territoire, …).
Donc, malgré des taux d’intérêt relativement élevés (bien que nettement inférieurs à ceux proposés par les usuriers), peu d’institutions de micro-crédits sont profitables (environ 200). Cela tombe bien, la plupart des organismes de micro-crédits sont à but non lucratif (associations, fondations, …) et ceci explique cela.
Les acteurs du micro-crédit sont en effet financés en large partie par des entités n’ayant pas d’exigence de rentabilité financière : les Etats (agences de développement, …), les organisations internationales (Union européenne, Banque Mondiale, BEI, …) ou encore des organisations non gouvernementales. Les fonds issus de banques classiques allant sur le marché de la micro-finance le font généralement en sacrifiant une partie de leur rentabilité compte tenu de la dimension éthique de l’entreprise.

Avec le développement économique de certains pays (c’est le cas notamment en Amérique latine), les institutions de micro-finance deviennent plus rentables et certaines vont même jusqu’à changer de statut passant d’association à but non lucratif à entreprise classique.
On pourrait y voir une évolution naturelle de la micro-finance vers la finance et inversement de la finance (c'est-à-dire des banques classiques) vers la micro-finance. Bien qu’il y ait naturellement des liens entre les deux (5), nous ne pensons pas que cette évolution soit naturelle et souhaitable.
La recherche de la profitabilité a des effets contradictoires sur le secteur de la micro-finance :
• une plus grande efficacité financière des intervenants, un accès à plus de ressources et donc une plus grande puissance d’intervention ;
• la recherche d’une clientèle plus rentable (notamment plus urbaine), donc des prêts d’un montant moyen plus élevé qui exclurait de nouveau une frange de la population d’un accès au financement.
Même si la recherche d’une certaine autonomie financière (couverture des coûts avec les intérêts perçus) peut être un objectif permettant la pérennisation du système, l’avenir de la micro-finance n’est pas de rejoindre le système financier et de s’y fondre. Son avenir est de creuser son sillon en continuant à aider des individus, de façon valorisante (6) et évitant les dérives, à « s’enrichir par le travail et l’épargne (7) » (le remboursement d’un crédit est une forme d’épargne). Grâce à la micro-finance, ses clients peuvent espérer accéder un jour au système financier classique qui a ses avantages mais aussi des coûts de fonctionnement incompressibles. A terme, la meilleure preuve du succès de la micro-finance serait sa disparition faute de clients. Il est malheureusement à craindre qu’il faille encore attendre un peu pour cela (8).
(1) Pour la démonstration, voir le chapitre 19 du Vernimmen 2005.
(2) Voir le chapitre 24 du Vernimmen 2005 pour plus de détails.
(3) Voir le chapitre 10 du Vernimmen 2005 pour plus de détails.
(4) Source : Microfinance Information Exchange, les chiffres sont de 10 000 institutions et 130 millions d’emprunteurs selon PlaNet Finance.
(5) Le financement partiel des instituts de micro-finance est ainsi un élément positif car il instaure une discipline dans la gestion (notamment du risque), et le reporting de ces entités.
(6) Il ne s’agit en effet, pour l’emprunteur, non pas d’une aide mais de la mise à disposition dans des conditions pas plus avantageuses, d’un service auquel il aurait eu accès s’il avait été plus riche.
(7) François Guizot.
(8) L’ouvrage « Le Guide de la Microfinance », de S. Boyé H. Hajdenberg, C. Poursat, Editions d’Organisation, 2006, permettra à notre lecteur intéressé par ce sujet d’en savoir plus.


Tableau : Taux de récupération

Fitch Ratings a publié il y a quelques semaines une étude sur les taux de récupération de dettes en situation de défaut.
Si le taux moyen de récupération est de 45 %, le prêteur ne peut espérer que récupérer 7 % en moyenne dans le secteur du transport, mais 68 % dans l’agroalimentaire.
Même si les taux de défaut sont historiquement bas depuis plusieurs semestres, celui qui ignorera les taux de récupération le fera à ses propres risques et périls. A bon entendeur, salut ! 



Recherche : Le petit monde des dirigeants

L’efficacité des conseils d’administration, un élément déterminant de la performance d’un système de gouvernance d’entreprise (1), est un sujet de recherche majeur dans la littérature en finance.
Dans un article de recherche en 1989, A. Shleifer et R. Vishny ont écrit : “Une fonction cruciale du conseil d’administration d’une société cotée est de surveiller l’équipe dirigeante et de la remplacer quand il est nécessaire”. Une structure de gouvernance efficace devrait ainsi correctement et équitablement récompenser les efforts des managers et donnerait en même temps aux actionnaires la possibilité de sanctionner les dirigeants suite aux mauvais résultats ou comportements.
Alors qu’il est facile de raisonner sur le plan théorique, mesurer l’efficacité du contrôle exercé par le conseil d’administration est en pratique un véritable challenge, comme M. Weisbach (2) l’a souligné : « Malheureusement, la majorité des actions quotidiennes du conseil d’administration est invisible ». Par conséquent, les chercheurs en finance se contentent de déduire l’efficacité d’un conseil d’administration en analysant le lien entre les caractéristiques d’un conseil et quelques résultats et décisions de l’entreprise en question. L’accent a été mis sur une myriade de facteurs, à commencer par sa taille, sa composition, la fréquence des réunions, la séparation entre la fonction de président du conseil de celle de directeur général, ou alors le pourcentage des actions détenues par les administrateurs etc.
Il découle des études réalisées dans plusieurs pays (y compris en France, à travers les rapports Viénot I et Viénot II) quelques idées simples dont la plus importante est que plus que le conseil est composé d’administrateurs indépendants, plus il est efficace. Or, l’indépendance d’un conseil d’administration n’a été souvent mesurée que par une simple division du nombre d’administrateurs indépendants sur le nombre total des administrateurs, alors que même la définition d’un administrateur indépendant (celui qui n’est pas ni un employé actuel ou passé, ni quelqu’un qui entretient des relations commerciales avec l’entreprise) reste vague.    
B. Nguyen-Dang dans sa thèse (3) qui a reçu le prix du meilleur travail de recherche 2006 de l’Association Européenne de Finance, s’intéresse aux relations, peut-être informelles, mais très proches entre les P.D.G et les administrateurs, résultant d’un phénomène sociologique connu du « petit monde de l’élite des affaires ».
Dans bien des pays, les dirigeants et les administrateurs des plus grandes entreprises (l’élite des affaires), se connaissant parfaitement, sont issus d’un même cursus ou d’un même milieu social, nouent des relations durables entretenues par des cercles sociaux bien organisés. Cette réalité amena le sociologue C. Mills à constater que l’élite des affaires « semble souvent bien se connaître, semble travailler naturellement ensemble, et partager bien des organisations en commun ». Or, la recherche en finance n’avait pas tenu compte de ce fait sociologique, potentiel déterminant de la vraie indépendance et l’efficacité d’un conseil d’administration.
B. Nguyen-Dang postule donc que lorsqu’un dirigeant entretient des relations, peut-être informelles, mais proches avec un des administrateurs, il est plus difficile pour le conseil d’administration d’exercer un contrôle ou de prendre des décisions difficiles vis-à-vis de ce dirigeant. Il est, par ailleurs, plus facile pour les dirigeants de contrôler le conseil d’administration, de manipuler les votes, de décourager la manifestation des mécontentements de certains administrateurs, d’étouffer les projets de vote défavorables avant même qu’ils soient proposés, ou de s’assurer d’un vote pivot favorable de la part de certains administrateurs proches. L’indépendance et l’efficacité d’un conseil d’administration seraient ainsi réduites.
B. Nguyen-Dang propose quelques mesures du petit monde des dirigeants et des administrateurs et teste les hypothèses sur un échantillon de plus grandes entreprises françaises cotées entre 1994 et 2001. Même si ce phénomène de “petit monde” existe dans bien des pays, la France offre un terrain d’expérimentation idéal car l’élite française des affaires est largement perçue comme un réseau impénétrable basé sur des amitiés de longue date, souvent depuis le temps des études dans de grandes écoles très sélectives ou dans les corps de l’Etat.
B. Nguyen-Dang trouve que, contrairement à des idées reçues, le contrôle par les conseils d’administration est efficace en France. Les mauvais dirigeants sont effectivement remerciés. Pourtant, les réseaux sociaux réduisent cette efficacité. Les dirigeants appartenant aux cercles sociaux très sélectifs de l’élite des affaires tendent à sous-performer leur pairs. Quand le dirigeant et certains administrateurs dans le conseil d’administration appartiennent aux mêmes cercles sociaux, le dirigeant bénéficie d’une double protection. Il est d’abord moins susceptible d’être remercié suite à de mauvaises performances de l’entreprise, et plus susceptible de retrouver un autre emploi au moins aussi bon que l’ancien emploi après être révoqué.
Conformément à des critiques formulées, B. Nguyen-Dang trouve que la rotation de dirigeants est moindre, plus ceux accumulant les mandats d’administration dans d’autres sociétés. Il est aussi plus probable pour un dirigeant ayant déjà cumulé plusieurs mandats d’avoir encore plus de mandats après de bonnes performances. La participation de l’Etat et le cycle politique semble aussi influencer l’efficacité du conseil d’administration : la sensibilité de la rotation de dirigeants à la performance est moindre dans les entreprises liées à l’Etat, mais elle change aussi après chaque changement de gouvernement. 
(1) Pour plus de détails sur la gouvernance d’entreprise, voir le chapitre 46 du Vernimmen 2005.
(2)  M. Weisbach, 1998, Outside directors and CEO turnover, Journal of Financial Economics 20, 431-460.
(3)  B. Nguyen-Dang, 2006, Corporate Elite’s Small World and Effectiveness of Boards of Directors, EFA 2006 Paper, http://ssrn.com/abstract=864184.


Q&R : Petit QCM (première partie)

Nous avons réalisé le questionnaires du jeu concours de Financium, le symposium des dirigeants finance gestion qui se déroule au Palais des Congrès à Paris les 12 et 13 décembre 2006 (www.financium.fr), nous soumettons à la sagacité de nos lecteurs les 15 premières questions. Les réponses et les quinze dernières questions seront publiées dans le numéro de janvier 2007 de la Lettre Vernimmen.net. 
1. Le Dow Jones a rattrapé son niveau de 2000 alors que le CAC 40 est encore en dessous parce que :
a) les entreprises américaines se portent mieux que les entreprises françaises ;
b) le Dow Jones ne reflète pas aussi fidèlement les fluctuations de son marché boursier que le CAC 40 le fait du sien ;
c) le Dow Jones ne comporte aucune entreprise technologique.
2. SEPA veut dire :
a) Système Européen de Paiement Accéléré ;
b) Société Européenne Par Action ;
c) Single Euro Payments Area.
3. Le rapport dette bancaire / excédent brut d’exploitation est au début d’un LBO :
a) toujours inférieur à 5 ;
b) toujours supérieur à 6 ;
c) varie en fonction des secteurs.
4. La marge requise par les banques sur la tranche A d’une dette senior dans un LBO est générale :
a) comprise entre 175 et 225 points de base ;
b) supérieure à 250 points de base ;
c) inférieure à 150 points de base.
5. Pour être coté sur Alternext, une entreprise doit :
a) avoir son siège social en France ;
b) avoir un capital social minimum de 1 000 000 € ;
c) disposer d’un historique financier de deux ans.
6. Dans le passage à la valeur de l’actif économique à la valeur des capitaux propres, l’endettement net d’une entreprise à l’activité saisonnière correspond :
a) à la dette nette au 31 décembre ;
b) à la dette nette au 30 juin ;
c) à la dette nette moyenne de l’année.
7. Le rapport Naulot traite de :
a) la transposition en France de la directive européenne sur les offres publiques ;
b) de la suppression en Belgique des actions à droit de vote double ;
c) du rôle de l’expert indépendant.

8. Dans les normes IAS, les stocks fongibles peuvent être évalués :
a) en LIFO ;
b) en FIFO ;
c) en coût d’achat identifié.
9. En finance islamique :
    a) il ne peut pas y avoir en principe de taux d’intérêt fixe dans un crédit bancaire ;
    b) il doit y avoir un intérêt fixe en principe dans les crédits bancaires ;
    c) la durée des crédits ne peut pas excéder 7 ans en principe.
10. Dans les comptes consolidés d’une société française non cotée :
      a) l’écart d’acquisition doit être immobilisé et amorti sur 40 ans
      maximum ;
      b) l’écart d’acquisition doit être immobilisé et déprécié le cas échéant ;
      c) l’écart d’acquisition est systématiquement imputé sur les capitaux
      propres.
11. La valeur d’une option vente est d’autant plus élevée :
     a) que le prix d’exercice est faible ;
     b) que la volatilité de l’actif sous-jacent est faible ;
     c) que le taux d’intérêt dans l’économie est faible.
12. Quelle est la part des crédits bancaires que les banques, en Europe, recèdent, directement ou indirectement, aux investisseurs institutionnels :
      a) moins de 20 % ;
      b) environ 40 % ;
      c) plus de 60 %.
13. DPS veut dire :
      a) Direction Par Système ;
      b) Dette Préférentielle Subordonnée ;
      c) Droit Préférentiel de Souscription.
14. Une entreprise A avec un PER de 12 fait l’acquisition d’une entreprise B en la payant sur la base d’un PER de 25. L’acquisition est financé intégralement par de la dette à 3 % après impôt :
a) cette acquisition n’a aucun impact sur le bénéfice par action de A ;
b) cette acquisition a un effet relutif du bénéfice par action de A ;
c) cette acquisition a un effet dilutif  du bénéfice par action de A.
15. Une entreprise endettée dont le cours est surévalué crée de la valeur pour ses actionnaires actuels :
a) en rachetant ses propres actions au cours de bourse ;
b) en procédant à une augmentation de capital ;
c) en rachetant ses propres actions avec une prime par rapport au cours actuel.


Facebook Google + Twitter LinkedIn