La Lettre n°49 de Juillet 2006

Actualités : Le football en bourse

Le football n’est sûrement pas le terrain sur lequel la plupart des lecteurs de La Lettre Vernimmen.net nous attendent. A juste titre, et ce même si cet article a été écrit au son des vivas des supporters des bleus ! Aussi allons-nous traiter le football d’un point de vue ……. financier !

Le premier club introduit en bourse a été Tottenham Hostpur en 1983. Aujourd’hui on compte en Europe 37 clubs cotés dont les principaux sont :

Certains qui furent cotés sont sortis de la bourse par le haut (Manchester United racheté en 2005 par le milliardaire américain Malcom Glazer, Chelsea racheté en 2003 par le milliardaire russe Roman Abramovitch) ou le bas (Leicester City qui fit faillite, Notthingham Forest pour cause de difficultés financières, …..).

Boursièrement, le secteur n’en est pas vraiment un, tellement son poids par rapport à la capitalisation boursière européenne est microscopique : 1 700 M€, soit l’égal de la capitalisation boursière de Bio Mérieux ou 0,00002 % de la capitalisation boursière européenne. 

Il existe certes au moins deux indices sectoriels spécifiques (calculés par Bloomberg et Dow Jones), mais leur évolution est peu avenante : 1,3 % de rentabilité moyenne par an depuis 1992 contre 6 % pour le marché, et avec un niveau de risque beaucoup plus élevé :

Il est vrai qu’au niveau individuel, les actions des clubs de football ont surtout rapporté des moins values fiscales à leurs détenteurs malgré de brillantes exceptions comme Manchester United ou Galatasaray :
Le marché boursier des clubs de football est-il pour autant inefficient ? (1)

Non, répondent clairement dans un travail de recherche récent José Allouche et Sébastien Soulez (2) sur le comportement des cours des clubs de football anglais. Ils montrent ainsi que le cours de bourse réagit :

• à l’annonce de résultats sportifs : un match gagné et le cours surperforme de 0,5 % le lendemain, un match perdu et il sousperforme de 0,7 % le lendemain. L’impact d’une défaite est d’autant plus marqué que le club évolue dans une division supérieure car elle éloigne la perspective de participation à une coupe européenne, synonyme de ressources supplémentaires. De même, la qualification ou l’élimination d’une coupe nationale ou européenne produit ses effets sur le cours de bourse ;

• à l’annonce des résultats financiers : on retrouve un comportement classique : des résultats positifs font monter le cours et des résultats négatifs le font baisser. De même, l’annonce de nouveaux investissements (essentiellement la rénovation ou la construction d’un stade), la signature de nouveaux contrats de sponsoring impactent positivement le cours ;

• à l’annonce de l’achat ou de la vente de joueurs. Les financiers étant des gens sans émotion, ils poussent à la hausse le cours d’un club qui vend l’un de ses joueurs, et à la baisse quand celui-ci en achète un autre. Mais le plus apprécié est le renvoi d’un entraîneur jugé non performant : + 4 % de surperformance. L’étude ne dit pas combien le cours avait sous-performé avant cette nouvelle … 

Si le cours des clubs semble bien réagir à des informations les concernant, nous ne pouvons qu’avouer notre perplexité devant les niveaux de valorisation observés : PER de 100 sur la Juventus de Turin, la dernière année où celle-ci a obtenu des résultats financiers positifs (2003), multiple du résultat d’exploitation 2006 de 123 fois (calculé avant les récents démélés judiciaires et la démission en bloc de son conseil d’administration).

Il faut dire que les travaux de recherche des analystes financiers sont rares, ce que la faible capitalisation boursière de chaque club explique sans peine. Dès lors, et même si les informations sont rares, il est probable que l’essentiel du flottant est constitué d’investisseurs individuels plutôt que d’institutionnels. La faible liquidité n’est pas d’ailleurs de nature à les attirer. J. Allouche et S. Soulez ont calculé, qu’avant son rachat, les transactions sur Manchester United portaient quotidiennement sur 1,62 % de son flottant contre 0,49 % pour Leeds United et seulement 0,26 % pour les 12 autres clubs anglais cotés.
En définitive, si on aime le football, il vaut probablement mieux acheter des billets pour des matchs que devenir actionnaire de son club favori, sauf à être convaincu que celui-ci va devenir boursièrement le prochain Manchester United. Ce dernier, grâce à une vraie stratégie de groupe conduite avec détermination dans la durée, s’est imposé face à des concurrents dont beaucoup sont dans une logique de court terme ou de prestige sans rigueur financière. D’où un taux de rentabilité pour les actionnaires de Manchester United,  de 1992 à sa prise de contrôle en 2005,  de 26 % par an, au prix certes d’une forte volatilité. De quoi tout de même faire pâlir d’envie 99,9 % des sociétés cotées en bourse.

Quant à ceux qui n’aiment pas le football, il y a tellement d’autres opportunités d’investissement ……
(1) Pour plus d’éléments sur les marchés efficients, voir le chapitre 18 du Vernimmen 2005.
(2) La cotation des clubs de football anglais. Une analyse différenciée des facteurs explicatifs de fluctuations de cours. GREGOR Université Paris I. 2005.


Tableau : La balance du M & A

A l’instar de la balance commerciale qui recense les exportations et les importations, la balance de opérations de fusions-acquisitions recence, pour un pays donné, les acquisitions d’entreprises étrangères effectuées par les entreprises nationales et les acquisitions d’entreprises par les entreprises étrangères.

On y trouve la confirmation :

• que les Etats-Unis sont la première destination des groupes compte tenu de la taille et du dynamisme de son marché, sans parler pour la plupart des secteurs de son ouverture. C’est ainsi que des groupes non-américains ont pris de très belles parts de marché dans le ciment, la banque de détail, l’automobile, …

• qu’au Royaume-Uni, toutes les entreprises sont potentiellement à vendre, pourvu que le prix proposé soit perçu comme adéquat par des actionnaires qui ont le plus souvent une fibre très financière ;

• que le marché du M&A au Japon est peu actif relativement à la taille de ce pays ;

• et que la France est de tous les pays celui qui présente le solde net des acquisitions sur les cessions le plus grand. Les mauvais esprits y verront la marque du « patriotisme économique ». Les autres, le dynamisme des entreprises françaises et la relative faible attractivité du marché français. 


Recherche : Valeur et gouvernement d'entreprise dans les pays émergents

La recherche en finance a montré depuis longtemps le lien entre protection des investisseurs et valorisation boursière des entreprises. Ces dernières ont souvent intérêt à appliquer des standards de bonne gouvernance supérieurs aux minima légaux, comme l’a montré Coase (1960) (1). Dans le même temps, il apparaît que les entreprises cotées dans des pays protégeant davantage les intérêts des investisseurs sont mieux valorisées par les marchés. C’est ce qu’ont montré La Porta et al. (2002) (2) dans une grande étude portant sur des données mondiales.

Plus récemment, deux chercheurs, A. Durnev et E. Han Kim (3) ont analysé dans quelle mesure une bonne gouvernance d’entreprise (4) pouvait se substituer à un environnement légal défaillant. Leur étude porte sur 27 pays, la plupart étant situés dans le sud-est asiatique et en Amérique du Sud. Sont à la fois inclus des pays dont les régimes légaux sont favorables aux investisseurs (Hong Kong, le Japon, le Chili notamment) et d’autres défavorables (Mexique, Indonésie).

Les critères de bonne gouvernance retenus pour cette étude sont ceux généralement admis : discipline et incitations du management,  transparence, indépendance du conseil d’administration, responsabilité du conseil d’administration, responsabilité du management, protection des actionnaires minoritaires.  Sans surprise, la gouvernance des entreprises est de meilleure qualité dans les pays dont les régimes légaux sont les plus favorables.

Plus intéressante est la relation entre bonne gouvernance et valorisation boursière (mesurée par le rapport entre la capitalisation boursière et le montant des capitaux propres au bilan). Si cette relation est partout positive, la même amélioration de la gouvernance augmente la valorisation trois fois plus au Mexique qu’à Hong Kong. Il semble ainsi exister une certaine substituabilité entre régime légal et gouvernance, la défaillance de l’un pouvant être compensée par la qualité de l’autre. Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi les études portant sur les entreprises américaines n’ont généralement pas mis à jour d’effet très significatif des standards de gouvernance sur la valorisation, l’environnement légal garantissant déjà une bonne protection des investisseurs.

Par ailleurs, les auteurs confirment que certains critères sont favorables à une meilleure gouvernance :

• existence d’opportunités d’investissement pour l’entreprise ;
• proportion élevée de financement extérieur ;
• part importante détenue par l’actionnaire majoritaire.

Là encore, l’originalité de ce travail réside en la mise en lumière d’un impact plus fort de ces critères sur la qualité de la gouvernance dans les pays à régime légal défavorable. L’existence d’opportunités d’investissement décourage davantage les dirigeants de « voler » les actionnaires dans ces pays, où un tel comportement est davantage destructeur de valeur. Le financement extérieur rend la transparence des comptes et les standards de gouvernance plus importants car les asymétries d’information y sont plus élevées. Enfin, la concentration de l’actionnariat peut diminuer les conflits entre actionnaires majoritaires et minoritaires lorsque la loi ne protège pas ces derniers.

Il apparaît ainsi que beaucoup d’entreprises tendent à compenser un environnement légal défaillant par la mise en place de bonnes pratiques de gouvernance. Mieux encore, les auteurs soulignent que la gouvernance particulière de l’entreprise importe davantage que son environnement légal pour sa valorisation boursière.

(1) Coase R, 1960, The Problem of Social Cost, Journal of Law and Economics, vol.3
(2) La Porta R, Lopez-de-Silanes F, Shleifer A et Vishny RW, 2002, Investor Protection and Corporate Valuation, Journal of Finance, vol.57
(3) Durnev A et Han Kim E, 2005, To Steal or Not to Steal : Firm Attributes, Legal Environment, and Valuation, Journal of Finance, vol.60
(4) Pour plus de détails sur la gouvernance d’entreprise, voir le chapitre 46 du Vernimmen.


Q&R : Qu'est-ce que le venture lending ?

Compte tenu du risque élevé de leurs activités naissantes, les entreprises récemment créées sont financées presque uniquement par les capitaux propres qui sont la ressource financière la mieux adaptée à l’absence de flux de trésorerie positifs et à l’absence de bonne visibilité quant à leur arrivée.

  
Le venture lending est une nouvelle forme de financement par endettement pour ces entreprises, accordé par des fonds spécialisés, le plus souvent pour des montants de quelques millions d’euros destinés à financer le BFR ou l’acquisition d’immobilisations corporelles.

La durée du crédit est de quelques années (deux à quatre ans) avec un remboursement mensuel ou in fine. L’obtention de ce type de financement est conditionnée à l’émission de bons de souscription (warrant) au profit du prêteur portant souvent sur 1 ou 2 % du capital de l’emprunteur.

Le principal avantage pour l’emprunteur est de limiter le montant des capitaux propres levés auprès de tiers et donc, de réduire la dilution des fondateurs-entrepreneurs... au prix d’un risque supplémentaire pris par l’entreprise. Mais très souvent, l’entrepreneur, qui a la foi chevillée au corps, ne verra que le succès et oubliera le risque. Il n’a peut-être pas tout à fait tort car, en cas d’échec de son projet, l’entreprise a peu de chance de valoir grand-chose, qu’il y ait eu un "prêt risqué" (venture loan) ou pas.

Le coût de ce financement par endettement peut paraître élevé, de l’ordre de 10 à 12 %, pour celui qui peut s’endetter aujourd’hui à Eonia ou Euribor + 50 à 100 points de base. Mais ce n’est pas le cas des start-up, premiers clients des "prêts risqués", qui n’ont pas accès à d’autres sources de financement par endettement et pour lesquels, de ce fait, la notion de coût est un peu théorique puisqu’il n’y a pas de véritable alternative.

En un mot, le venture loan ressemble à une dette mezzanine pour laquelle il n’y aurait ni dette senior, ni autre dette junior !


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