La Lettre n°48 de Juin 2006
Actualités : Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France
Le débat sur la réforme du droit boursier français a été engagé il y a 18 mois à l’occasion de la transposition de la Directive OPA en droit français par une Commission présidée par Jean-François Lepetit. Ce débat a été étendu à partir de l’automne 2005 à des aspects boursiers purement français sous l’influence de plusieurs facteurs :
- un débat autour de l’expertise indépendante : travaux de la Commission présidée par Jean-Michel Naulot ;
- des situations particulières que les Pouvoirs Publics ont souhaité régler : affaire Danone, situation Renault …
- les effets de ce que l’on a appelé le “patriotisme économique”, en terme de défense ;
- la volonté de traduire dans la réglementation des offres les effets de la fusion COB / CMF intervenue à l’automne 2004, et de redéfinir le rôle de l’AMF, notamment sur le prix.
Une loi a été promulguée le 1er avril 2006 pour transposer la directive OPA en droit français. Parallèlement, le règlement général de l’AMF relatif aux offres publiques fait l’objet d’une profonde refonte. C’est un dispositif non encore totalement stabilisé : il le sera après la consultation publique qui s’achève mi-juin. L’homologation du nouveau règlement de l’AMF devrait intervenir en juillet.
1. Le débat politique sur les mesures de défense
a) Les options offertes par la Directive
A l’origine, l’idée de la Commission Européenne était d’obtenir l’application de règles homogènes à travers l’Union Européenne notamment en matière de défense face à une offre (level playing field). Compte tenu des désaccords politiques, un consensus n’a pu être atteint que grâce à des clauses optionnelles dont la mise en oeuvre est à la discrétion des Etats membres et/ou des sociétés cotées de chaque pays. Elles concernent trois articles de la Directive : les articles 9, 11 et 12.
L’article 9 pose le principe selon lequel toutes mesures de défense prises en période d’offre (hormis la recherche d’autres offres) doit être entérinée par l’assemblée extraordinaire des actionnaires tenue en période d’offre.
Cela signifie que les délégations consenties par l’assemblée avant l’offre sont suspendues et que toute décision des organes sociaux prise avant la période de l’offre qui n’est pas totalement ou partiellement mise en oeuvre, qui ne s’inscrit pas dans le cours normal de la société et qui est susceptible de faire échouer l’offre, doit faire l’objet d’une approbation ou d’une confirmation par l’assemblée.
Cette situation est celle de l’Angleterre. Elle est proche de la situation française actuelle (avec cependant un pouvoir plus grand d’appréciation laissé à l’AMF).
L’article 11 lève les obstacles contractuels ou statutaires au transfert des actions et à l’exercice des droits de vote de la société cible. Sont ainsi visées :
- les Pactes d’Actionnaires prévoyant des limitations à l’exercice des droits de vote ou à la cessions des actions.
- les clauses statutaires de plafonnement des droits de vote, d’agréement, de préemption ainsi que les actions à droit de vote multiples (mais pas les droits de vote double à la française car le droit de vote double en France n’est pas attaché à une catégorie particulière d’actions, mais à la durée de détention par l’actionnaire).
L’article 12 prévoit une exception en cas d’absence de réciprocité. La société cible peut se dispenser, en cours d’offre, de l’approbation préalable de l’assemblé générale pour des mesures susceptibles de faire échouer l’offre si un initiateur (ou une entité le contrôlant) n’applique pas le même principe de neutralisation des mesures de défense en période d’offre.
Cette clause vise à ne pas créer d’inégalité «des conditions de jeu». En effet, la suppression de toute capacité autonome des organes d’administration ou de direction de prendre des mesures susceptibles de faire échouer une offre ferait courir le risque de désavantager les sociétés des Etats européens qui ont adopté l’article 9 et / ou 11, au profit des sociétés des autres Etats, européens, ou non qui disposeraient d’une plus grande marge de manoeuvre (clause dite de réciprocité).
Dans ce cas, les mesures de défense peuvent être adoptées “à froid”, avant le dépôt de toute offre (et non plus pendant l’offre), par décisions ou autorisations votées par l’assemblée des actionnaires qui se sera tenue dans les 18 mois précédant l’offre.
b) Le choix de la France et des autres pays européens
Les Etats européens ont eu jusqu’à fin mai 2006 pour transposer la Directive.
La France a décidé de transposer l’article 9 : toute mesure de défense doit donc être approuvée par une assemblée d’actionnaires tenue pendant la période d’offre.
La France a décidé de ne pas transposer dans son intégralité l’article 11 : elle a cependant laissé libres les sociétés françaises de transposer cet article en adaptant leurs statuts : les sociétés françaises peuvent ainsi prévoir dans leur statut l’inopposabilité des restrictions statutaires ou conventionnelles en période d’offre (restrictions relatives au transfert des titres et au droit de vote). Elles doivent alors en informer l’AMF.
Par ailleurs, la loi de transposition a également prévu de suspendre les restrictions à l’exercice des droits de vote lors de la première assemblée qui suit une offre (cas de limitation des droits de vote). Le projet de règlement général prévoit le seuil de suspension : suspension automatique de la restriction dès lors qu’un actionnaire détient à l’issue de l’offre plus des 2/3 des votes ou du capital. En cas de suspension volontaire, prévue par les statuts, ce seuil sera de 50 %.
La France a enfin décidé de transposer l’article 12 : l’article 9 de la Directive n’est pas applicable quand l’initiateur de l’offre n’applique pas ces mêmes principes ou des “mesures équivalentes“ ou est contrôlé par des entités dont l’une au moins n’applique pas ces dispositions ou des “mesures équivalentes“. Par exemple : une société américaine protégée par des poison pills, une société européenne qui n’appliquerait pas obligatoirement ou volontairement les dispositions de l’article 9, des fonds de private equity, une société contrôlée par ces mêmes fonds, une société non cotée…
En cas d’offre multiple, il suffit qu’un seul des initiateurs ne soit pas vertueux pour que la société cible puisse faire jouer l’exception de réciprocité.
C’est l’AMF qui décide en cas de contestation si un initiateur est « vertueux » ou « non vertueux » et donc qui décide si l’exception de réciprocité est applicable ou non. C’est une source potentielle de nombreux contentieux.
Nos principaux partenaires européens ont choisi :
c) Une poison pill à la française : les bons d’offre aussi appelés bons Breton familièrement
Jusqu’en 2004, il était possible de faire voter par l’AGE une délégation de pouvoir permettant au Conseil d’Administration d’émettre des actions en période d’offre. Cette disposition a été abrogée en juin 2004. Avec la transposition de la Directive OPA, le débat sur la “réciprocité” et sur le patriotisme économique, la question des défenses anti OPA est à nouveau posée et débouche sur le “bon d’offre”.
L’assemblée des actionnaires peut décider l’émission de bons permettant de souscrire, à des conditions préférentielles, à des actions de la société, et leur attribution gratuite à tous les actionnaires ayant cette qualité avant l’expiration de la période d’offre publique. L’assemblée peut déléguer cette compétence au Conseil d’Administration. La délégation peut prévoir la fixation de conditions relatives à l’obligation ou à l’interdiction, par le Conseil d’Administration, de procéder à l’émission et à l’attribution gratuite de ces bons, d’y surseoir ou d’y renoncer. La société porte à la connaissance du public, avant la clôture de l’offre, son intention d’émettre ces bons.
Le mécanisme de mise en oeuvre de bons d’offre est en trois temps :
- avant la clôture de l’offre : annonce de l’intention d’émettre les bons ;
- avant l’avis de résultat de l’offre (fin de la période d’offre) : attribution des bons afin qu’ils soient attribués aux anciens actionnaires (et non à l’initiateur) ;
- après l’avis de résultat de l’offre : les bons deviennent exerçables en actions au prix d’exercice convenu.
Ces bons ont deux utilisations possibles :
- pour forcer à la négociation et obtenir un meilleur prix (le bon sera alors désactivé) ;
- pour contraindre l’initiateur à retirer son offre, sinon il acquiert le contrôle au prix fort pour se voir aussitôt après dilué.
Ceci pose deux questions :
- concernant le problème du contenu des résolutions qui seront présentées aux assemblées : délégation large ou restreinte ? Les actionnaires accepteront-ils toujours des délégations larges, comme dans certains exemples récents ? A quelles conditions ?
- concernant le problème de la responsabilité des administrateurs de la société cible (responsabilité de maintenir les bons activés ou de décider leur désactivation).
Cette mesure est adoptée :
- normalement par une assemblée tenue en période d’offre (article 9) : délégation probablement plus ciblée ;
- au titre de la “réciprocité” (article 12) par une assemblée tenue dans les 18 mois qui précède le dépôt d’une offre : délégation probablement plus large ;
- AGE avec conditions de quorum des AGO (20 % puis sans quorum) et de majorité simple (50 % des présents ou représentés).
d) Les secteurs protégés
Doit être soumis à autorisation par le Ministère de l’économie, l’investissement réalisé par un investisseur d’un pays non membre de l’Union Européenne dans les domaines étiquetés secret défense, de la recherche et de la production d’armes ou sur les sociétés ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipement au profit du Ministère de la défense, les activités de sécurité privée, de lutte contre l’utilisation illicite d’agents toxiques, d’interception de communications, des technologies à double usage (civil et militaire), de sécurité informatique, de cryptologie ainsi que les jeux d’argent.
L’investissement peut prendre la forme d’une prise de contrôle d’une entreprise ou d’une branche d’activité ou le franchissement du seuil de 33 %.
Pour les investisseurs d’un pays de l’Union Européenne, la liste est plus réduite :
- activités de cryptologie, activités étiquetés secret défense, activités de recherche et de production d’armes ou celles de sociétés ayant conclu un contrat d’étude ou de fourniture d’équipement au profit du Ministère de la défense ;
- et seule la prise de contrôle est visée.
2. Le débat de fonds sur le rôle de l’AMF
a) La situation actuelle
Il existe deux procédures d’autorisation de l’offre :
- la recevabilité : procédure relative à l’offre elle-même, héritée de l’ancien CMF (examen des objectifs, des intentions, du prix de l’offre, de la nature des titres offerts) ;
- le visa : procédure relative à l’information, héritée de l’ancienne COB.
Le contrôle sur le prix des offres est ambiguë : historiquement, l’AMF examine le prix en fonction des critères d’évaluation objectifs usuellement retenus et des caractéristiques de la société visée. Mais le marché interprète cette recevabilité comme une reconnaissance de l’acceptabilité du prix par l’AMF, ce qui peut provoquer un effet d’entraînement.
Les actionnaires minoritaires sont en France, protégés par la possibilité de recours contre la recevabilité lorsque le prix n’est pas jugé bon (ADP Legrand, …).
La question se pose de savoir s’il faut maintenir l’examen du prix par l’AMF, ou faut-il renforcer la responsabilité du Conseil d’Administration (comme dans les pays anglo-saxons) ? D’où la nécessité d’une réforme pour simplifier et clarifier le rôle de l’AMF dans les offres publiques : Quel équilibre trouver entre le rôle de l’AMF, le rôle du Conseil d’Administration et la protection des actionnaires ?
b) La fusion de la recevabilité et du visa : la déclaration de conformité
La déclaration de conformité se substitue à la recevabilité et au visa, d’où une unification des procédures : la déclaration de conformité se fonde sur les deux grandes missions de l’AMF :
- le respect des principes généraux qui régissent les offres publiques (loyauté, …) ;
- la qualité de l’information : transparence, cohérence, complétude de l’information y compris en ce qui concerne les éléments qui permettent d’apprécier le prix proposé.
La déclaration de conformité peut faire l’objet d’un recours devant la Cour d’Appel comme c’était le cas, jusqu’à présent, de la décision de recevabilité et du visa.
Quel rôle l’AMF joue-t-elle par rapport au prix d’offre ?
Pour les offres d’acquisition volontaire (Sanofi / Aventis, Total / Elf), c’est le marché qui est juge de la pertinence du prix de l’offre ou de la parité d’échange. L’AMF intervient pour vérifier la cohérence et la pertinence des éléments d’information donnée par l’initiateur pour apprécier le prix. Le Conseil d’Administration de la société cible aidé de conseils se prononce sur l’offre et sur son prix.
Pour les offres dans lesquelles existent une situation de conflit d’intérêts, une procédure spéciale est instituée :
- une expertise indépendante qui se prononce sur le prix doit être délivrée par un expert dans les conditions très strictes prévues par le règlement de l’AMF ;
- le Conseil d’Administration de la société cible doit se prononcer sur l’offre en s’appuyant sur cette expertise ;
- l’AMF, dans sa déclaration de conformité, « examine les conditions financières de l’offre au regard notamment du rapport de l’expert indépendant et de l’avis motivé du Conseil d’Administration ».
L’examen des « conditions financières » recouvre bien l’examen du prix, au regard notamment du multicritère. Mais l’expression est plus large : l’AMF examine le prix mais aussi le rapport de l’expert, l’avis du conseil. L’AMF pourrait ainsi déclarer une offre non-conforme si le rapport de l’expert est de mauvaise qualité, quand bien même le prix lui paraitrait acceptable, car elle peut considérer, dans ce cas, que le Conseil d’Administration de la société visée n’a pas valablement rendu son avis.
Enfin, l’AMF exerce un contrôle du prix dans les cas où des dispositions spécifiques sont prévues s’agissant du prix ou de la parité d’offre : offre publique simplifiée, retrait obligatoire, offre obligatoire, garantie de cours.
Parallèlement, le calendrier d’offre subit certaines modifications :
- une publication immédiate de la note d’information de l’initiateur : dès le dépôt de l’offre et non plus après la recevabilité et le visa ;
- le contenu de la note est modifié. Il est désormais centré sur la description de l’offre proprement dite. Les informations sur les sociétés devront être déposées parallèlement et être publiées au plus tard le jour de l’ouverture de l’offre (contrôle de l’AMF au plus tard cinq jours avant la clôture de l’offre) ;
- en cas d’offre avec une situation de conflit d’intérêts, la note en réponse de la société visée devra comprendre l’attestation de l’expert indépendant. Il ne sera plus possible dans ce cas pour l’initiateur et la société visée d’établir une note conjointe. L’expert devra disposer de quinze jours de bourse pour rédiger son rapport. Le projet de note en réponse de la société visée devra être déposé cinq jours de bourse avant l’examen de conformité par l’AMF.
c) La réflexion sur l’attestation d’équité et le rôle du Conseil d’Administration
Une commission présidée par J.M. Naulot s’est penchée sur :
- le champ de l’expertise indépendante obligatoire ;
- le processus de désignation de l’expert ;
- les conditions d’exercice de la profession et le contrôle des travaux de l’expert et a émis 25 recommandations, dont certaines reprises dans le projet de règlement général de l’AMF.
Une expertise indépendante est obligatoire quand il existe des conflits d’intérêts susceptibles de nuire à l’objectivité de l’avis motivé du Conseil d’Administration de la société visée.
- offre sur une filiale (offre publique simplifiée) ;
- accord avec les dirigeants de la société visée ou ses actionnaires de contrôle, et l’initiateur (LBO) ;
- OPRA, lorsque l’actionnaire de contrôle n’apporte pas ses titres ;
- accord complexe (revente d’un actif à l’un des actionnaires) ;
- existence de titres de nature différente (ADP Legrand) ;
- retrait obligatoire ;
-augmentation de capital réservé avec décote.
L’objectif est de favoriser la pratique du « contradictoire » avec les actionnaires minoritaires dans des situations où l’équilibre du rapport de force est rompu et ne permet plus une véritable négociation.
L’expertise indépendante peut aussi être volontaire, mais pour bénéficier du label « expertise indépendante », elle doit respecter les conditions prévues au règlement de l’AMF :
- Conditions relatives à la désignation de l’expert : c’est la société visée qui doit nommer l’expert dans les cas obligatoires et celui-ci doit établir une déclaration d’indépendance par lequel il atteste l’absence de liens passés, présents ou futurs susceptibles d’affecter son indépendance.
- Conditions relatives au rapport de l’expertise : description des diligences, nécessité d’une évaluation complète avec un délai minimum de 15 jours pour établir le rapport qui est publié dans la note en réponse.
- Conditions d’exercice de la profession : moyen disponibles, charte d’éthique, indication de la rémunération qui doit être forfaitaire, contrôle de qualité (comité fairness, association professionnelle agrée par l’AMF)
3. Les questions techniques
a) Le traitement des rumeurs
Les rumeurs d’offre de Pepsico sur Danone pendant l’été 2005 sont à l’origine d’une disposition de la loi sur le traitement des rumeurs. C’est le règlement de l’AMF qui prévoit les conditions dans lesquelles une personne dont il y aurait “des motifs raisonnables de penser” qu’elle prépare une offre peut être contrainte de déclarer et de concrétiser ses intentions ainsi que le délai pendant lequel une personne qui aurait démenti vouloir déposer une offre sera empêchée de le faire.
Concrètement le dispositif envisagé s’inspire des règles anglo-saxonnes : l’AMF peut exiger une déclaration d’intention en cas de mouvements significatifs de cours (prix et volumes), “d’actes préparatoires” au dépôt d’une offre (discussion, nomination de conseils).
Si l’intention est positive, l’AMF fixe un délai pour communiquer les caractéristiques de l’offre. Au terme de ce délai, l’offre est déposée ou annoncée. S’il reste des conditions à lever, un nouveau délai peut être accordé.
Si l’intention est négative, il y a interdiction pour le déclarant de déposer une offre pendant six mois, sauf changement important de circonstances. Pendant ce délai, il y a un contrôle des acquisition de titres.
b) Deux innovations en matière d’offre publique obligatoire
Un nouveau cas d’offre obligatoire est prévu lorsqu’une offre est déposée sur une société détenant plus du tiers du capital ou des droits de vote d’une autre société cotée (française ou étrangère), et que cette participation en constitue un actif essentiel.
L’initiateur a alors l’obligation de faire également une offre irrévocable et loyale sur les titres de cette dernière société (situation Renault / Nissan).
Le prix d’une offre publique obligatoire ne pourra pas être inférieur au prix le plus élevé payé par l’auteur de l’offre au cours des 12 derniers mois. Cette référence n’emporte pas cependant l’abandon de la méthode “multicritères” utilisée jusqu’à présent, car l’AMF pourra demander ou autoriser la modification du prix dans des circonstances particulières qu’elle fixe dans son règlement général : les caractéristiques de la société ou de son marché ont changé au cours des douze derniers mois, entreprise en difficulté, prix manipulé.
c) Une nouvelle définition de l’action de concert en période d’offre
Jusque là, l’accord de concert était défini comme l’accord conclu entre actionnaires ou futurs actionnaires en vue d’acquérir ou céder des droits de vote ou en vue d’exercer des droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique commune vis à vis de la société. C’est un accord durable de politique commune.
Une définition nouvelle en cas d’OPA : le concert spécifique à durée limitée
- sont considérés comme agissant de concert, les personnes ayant conclu un accord avec l’initiateur de l’offre visant à obtenir le contrôle de la société visée ainsi que les personnes qui ont conclu un accord avec la société visée afin de faire échouer l’offre ;
- il s’agit d’appréhender les stratégies d’alliances offensives (accord visant à conférer à une personne le contrôle d’une société : engagement d’apport à une offre, par exemple) ou défensives (achat en commun de titres pour faire échouer l’offre, cf. affaire de la Mixte en 1990), sans qu’il y ait volonté d’exercer durablement une politique commune ;
- l’accord peut être oral ou écrit.
Les conséquences sont nombreuses, notamment en matière d’interdiction d’interventions sur le marché, d’offres concurrentes. Le banquier conseil d’un initiateur ou d’une cible est-il concerné ?
d) Nouveau cas de retrait obligatoire
Le retrait obligatoire pourra être initié dans les trois mois suivant la clôture d’une offre sans avoir à passer par une offre publique de retrait. Le seuil de 95 % du capital et des droits de vote a été maintenu alors que la directive aurait permis de l’abaisser à 90 %.
Le retrait obligatoire pourra porter sur les titres de capital et sur ceux donnant accès au capital, si le flottant non détenu, calculé sur une base totalement dilué, ne représente pas plus de 5 % du capital dilué. Les options de souscription, qui ne sont pas des instruments financiers, ne sont pas concernées.
Il est possible dorénavant d’effectuer un retrait obligatoire payé en actions de l’initiateur à condition qu’une option en espèce soit systématiquement proposée aux investisseurs.
Jean-François Biard
Pour plus de détails pour toutes les dispositions du droit des offres publiques qui ne changent pas voir le chapitre 47 du Vernimmen 2005.
Tableau : Les besoins en fonds de roulement dans le monde
La Banque de France publie régulièrement des enquêtes sur les poids du crédit interentreprises dans les grands pays occidentaux. La dernière étude (1) montre une convergence des pratiques et une réduction de l’écart entre les créances clients et les dettes fournisseurs à 4% du total du bilan en moyenne, contre 6,3% en 1989. La France se trouve au même niveau que les Etats-Unis et l’Allemagne, au niveau de la moyenne, loin des deux extrêmes que sont le Japon et l’Italie.
Cette convergence assez claire des besoins et du crédit inter-entreprises est obtenue à partir de niveaux très différents du poids des crédits clients et des dettes fournisseurs dans le total des passifs des entreprises industrielles.
Sans surprise, ils sont largement plus élevés en France, Italie, Espagne qu’ils ne le sont en Allemagne, au Japon et aux Etats-Unis (2).
(1) Dans son bulletin n°145 de janvier 2006
(2) Pour plus de détails sur les raisons, voir le chapitre 13 du Vernimmen 2005.
(2) Pour plus de détails sur les raisons, voir le chapitre 13 du Vernimmen 2005.
Recherche : Y a-t-il une prime à la proximité géographique ?
La mondialisation financière et les progrès des technologies de l’information ont réduit les coûts de la diversification internationale des portefeuilles. Il est beaucoup plus facile aujourd’hui avec Cortal-Consors, Boursorama et les autres de diversifier son portefeuille qu’il ne l’était il y a 10 ans, d’autant que l’information sur une société sise aux antipodes est disponible le plus souvent avec un clic ou deux. Pourtant, cette diversification reste étonnamment limitée : investisseurs institutionnels et individuels ont tendance à surpondérer les entreprises locales (ou nationales, ou régionales) au détriment de celles géographiquement plus éloignées. Ceci, alors que justement les chercheurs ont démontré depuis des décennies tout l’intérêt d’une diversification géographique pour réduire le risque à même niveau de rentabilité (1). La persistance d’une réalité géographique dans les positions et les transactions financières est appelée « biais domestique » (home bias).
Ce phénomène n’est pas le simple fait d’habitudes ou d’aveuglement quant aux possibilités de diversification. De récents articles empiriques montrent que, sur un marché donné, la performance des investisseurs locaux est généralement plus élevée que celle des investisseurs internationaux. La raison principale en serait une meilleure information des investisseurs locaux. T. Dvorak (2) montre ainsi (sur le marché indonésien) que les investisseurs individuels locaux saisissent davantage les opportunités à court terme que les investisseurs internationaux. Dans le même temps, les clients des courtiers internationaux bénéficient de l’expertise de ces derniers et obtiennent de meilleures performances à long terme : la combinaison optimale associe clients locaux (pour l’information) et courtiers globaux (pour l’expertise).
Une étude comparable est réalisée sur le marché américain par Z. Ivkovic et S. Weisbenner (3). Ils montrent que le biais domestique ne s’applique pas seulement à la distinction national/international : les investisseurs individuels américains ont tendance à surpondérer les entreprises dont le siège social est proche de leur lieu d’habitation (dans un rayon de 400 km). Celles-ci représentent en moyenne 30% de leur portefeuille, au lieu de 10% dans le cas d’une pleine diversification géographique. Ici aussi, ce comportement est justifié par une surperformance sur les marchés locaux (de 3,2% par an). Cette surperformance étant plus forte sur les entreprises en-dehors de l’indice S&P 500 (donc les entreprises les plus petites), l’hypothèse d’un avantage informationnel des investisseurs locaux apparaît confirmée.
K. Chan, V. Covrig et L. Ng (4) montrent pour leur part que le biais domestique concerne également les investisseurs institutionnels. Leur étude, qui porte sur 26 pays, montre que ce biais est présent partout, mais qu’il peut être renforcé par les caractéristiques de certains marchés. Les investisseurs institutionnels hésiteront surtout à investir dans des pays éloignés géographiquement et où la langue est différente. Ainsi, les institutions canadiennes surpondèrent fortement les Etats-Unis (61% de leur portefeuille, contre 47% du marché mondial) et sous-pondèrent l’Italie (0,4% contre 2%). Le biais domestique est ainsi plus élevé pour les pays plus éloignés des grandes places financières, ou dont la langue est moins parlée.
D’autres facteurs peuvent renforcer ce biais, telles qu’une plus faible capitalisation ou un moindre développement économique. La Grèce est le pays dans lequel le biais domestique des institutionnels est le plus prononcé : plus de 93% d’investissements domestiques dans leurs portefeuilles, dans un pays qui représente moins de 0,5% de la capitalisation mondiale.
Si la notion de biais domestique fait essentiellement référence aux marchés d’actifs financiers, un phénomène analogue se produit en ce qui concerne les prêts bancaires. H. Degryse et S. Ongena (5) montrent ainsi que les taux appliqués diminuent avec la distance entre la banque et l’entreprise emprunteuse, et qu’ils augmentent avec la distance entre l’entreprise et les banques concurrentes. Autrement dit, il existe un pouvoir de marché de la banque sur les entreprises situées dans sa périphérie. Ici, c’est l’emprunteur qui affiche une préférence pour les prêteurs géographiquement peu éloignés. Les auteurs de cette étude privilégient une explication par les coûts de transport plutôt que par les asymétries d’information, mais la petite taille du marché considéré (la Belgique) ne permet pas de généraliser cette conclusion.
(1) Voir le chapitre 24 du Vernimmen 2005.
(2) Dvorak T., 2005, Do domestic investors have an information advantage ? Evidence from Indonesia, Journal of Finance, avril 2005.
(3) Ivkovic Z. et Weisbenner S., 2005, Local Does as Local Is : Information Content of the Geography of Individual Investors’Common Stock Investments, Journal of Finance, février 2005.
(4) Chan K., Covrig V. Et Ng L., 2005, What Determines the Domestic Bias and Foreign Bias? Evidence from Mutual Fund Equity Allocations Worldwide, Journal of Finance, juin 2005.
(5) Degryse H. et Ongena S., 2005, Distance, Lending Relationships, and Competition, Journal of Finance, février 2005.
Q&R : Qu'est-ce qu'un earn out ?
L’earn out est une technique utilisée lors de transactions d’entreprises par laquelle le vendeur a la possibilité d’obtenir un complément de prix si des objectifs définis de résultats ou d’activités futures sont atteints.
Matériellement, l’earn out peut prendre deux formes :
• soit le vendeur garde une fraction de ses actions, et cède le solde à l’acheteur qui prend le contrôle. Puis ultérieurement, ces actions sont acquises par l’acquéreur, en général à un prix au moins supérieur à celui de la transaction ;
• soit le vendeur cède l’intégralité de ses actions mais reçoit un complément de prix.
La première formule permet d’assoir la garantie de la garantie de passif (1) plus naturellement que dans le second cas. Elle présente l’inconvénient d’être plus contraignante pour l’organisation de l’acheteur contraint à avoir pour quelques temps un actionnaire minoritaire.
L’earn out présente plusieurs intérêts dans une transaction :
• il rapproche les parties. En effet, un vendeur convaincu des perspectives à court terme de son entreprise pensera toucher le complément de prix qui améliorera son prix de vente alors que l’acheteur peut apprécier de n’avoir un supplément de prix à payer que si les résultats sont là. L’earn out peut donc dans une phase finale de négociation la faciliter en résolvant des problèmes d’asymétrie d’information ;
• il permet de contraindre naturellement le dirigeant cédant à rester quelques temps, facilitant normalement la transition tout en l’incitant à la performance à laquelle il est intéressé. D’une certaine façon, l’earn out est une clause de non concurrence déguisée.
On comprend dès lors mieux que l’earn out soit souvent utilisé pour des transactions portant sur des entreprises où la dimension humaine est forte comme les agence de publicité, les sociétés de conseil informatique, …
L’earn out ne constitue cependant pas une technique exempte d’inconvénients :
• elle peut conduire l’actionnaire vendeur, resté au commande pendant la durée de l’earn out, à maximiser les résultats à court terme qui servent à calculer son complément de prix au détriment du moyen terme ;
• le montant du complément de prix est complexe à calculer et peut prêter à contestation dès lors que le périmètre de l’entreprise achetée est modifié, et ce sera souvent le cas si l’acquéreur veut concrétiser des synergies potentielles entre son groupe et l’entreprise acquise ;
• elle oblige enfin naturellement à une cohabitation entre l’acheteur et le vendeur, qui si elle facilite la transition, peut être pénible à vivre avec un acheteur qui se sentira réduit dans sa liberté de manœuvre et un vendeur qui soupçonnera le nouveau majoritaire de peser, par la politique qu’il veut mettre en place, sur les résultats et donc sur son complément de prix.
Dès lors, la période sur laquelle porte le calcul du montant du complément de prix ne peut être que de courte durée : trois ans nous paraissent un grand maximum. Par ailleurs, le mode de calcul du complément de prix doit être le plus simple et le plus clair possible, assorti d’un plancher et d’un plafond afin d’éviter les contestations et les dérives.
(1) Voir le chapitre 47 du Vernimmen 2005.