La Lettre n°33 de Novembre 2004

Actualités : Format du compte de résultat et du tableau de flux en normes internationales

Dans la mesure où l'IASB n'a pas prévu de modèle développé du compte de résultat (1), le Conseil National de la Comptabilité (CNC) a eu l'excellente idée de réunir autour de lui des organisations professionnelles et des utilisateurs des comptes pour proposer un format. Les entreprises qui publieront leurs comptes en normes IAS - IFRS pourront, si elles le souhaitent, retenir le format de ces tableaux.

Gageons et espérons qu'elles seront nombreuses à le faire car le travail effectué par le CNC est de grande qualité et contribue à améliorer nettement l'information financière pour les utilisateurs.

Les principales améliorations apportées au compte de résultat sont les suivantes :

  • création du solde de résultat d'exploitation (ou opérationnel) courant. L'IASB a supprimé les notions de résultat exceptionnel ou extraordinaire pour n'isoler dans le compte de résultat que le résultat des entités arrêtées ou en cours de cession. Cette rubrique s'imposait donc pour permettre à l'utilisateur des comptes de distinguer les composantes récurrentes et non récurrentes du résultat. L'écart entre le résultat d'exploitation courant et le résultat d'exploitation est constitué des autres produits et charges d'exploitation. Ils devront être détaillés en annexe aux comptes en montant et en nature permettant ainsi à l'utilisateur de vérifier qu'il s'agit bien d'éléments non récurrents.
     
  • ventilation du résultat financier entre le coût de l'endettement financier et bancaire net des disponibilités et des valeurs mobilières de placement et les autres produits et charges financières (dividendes reçus, dépréciation, variations de valeurs, …)

    L'analyste pourra ainsi facilement, en divisant le coût de l'endettement par l'endettement net au bilan, vérifier que l'endettement net à la clôture de l'exercice est bien représentatif de l'endettement moyen de l'année (si le taux d'intérêt ainsi calculé est proche d'un taux de marché plausible ou non dans le cas inverse). Il pourra alors en tirer des conclusions pertinentes en matière de liquidité, de risque financier et d'évaluation de l'entreprise.

  • ventilation du résultat des couverture de change et de taux dans la même rubrique que l'opération sous-jacente objet de la couverture : en exploitation pour la couverture d'un chiffre d'affaires ou de charges d'exploitation, en financier pour la couverture de l'endettement financier net.

    Ce n'est qu'un traitement de bon sens. Félicitons-nous qu'il soit retenu.

  • disparition de facto du poste transfert de charges (2), non que les opérations sous-jacentes disparaissaient pour autant. Elles seront simplement enregistrées par diminution / augmentation des charges concernées ou par diminution / augmentation des charges et du poste d'actifs concernés. C'est une simplification bienvenue.

Le CNC réaffirme que les entrepreneurs choisissent entre compte de résultat par nature et compte de résultat par fonction "la présentation qui paraît la mieux adaptée à leurs activités". Aussi propose-t-il deux modèles de comptes de résultat :

Le CNC a le courage de dire que "les analystes français ou anglo-saxons expriment généralement une forte préférence pour la présentation par nature", contrairement à un mythe qui voudrait que la présentation par fonction soit celle requise par les marchés, sous prétexte probablement que c'est celle qui domine aux Etats-Unis.

Concernant le tableau de flux de trésorerie, le CNC propose des améliorations par rapport à celui présenté par l'IASB (voir page suivante). Elles se situent principalement au niveau des flux de trésorerie générés par l'activité où la capacité d'autofinancement pourra être calculée avant frais financiers nets et impôts, autrement dit on retrouverait l'excédent de trésorerie d'exploitation (3) ; où le coût de l'endettement net pourrait être exclu et reporté au niveau des flux de financement.

On regrettera que le CNC n'ait pas eu la possibilité de préconiser le bouclage du tableau de flux sur la variation de l'endettement bancaire et financier net, qu'il définit précisément par ailleurs, plutôt que sur la trésorerie telle que l'IAS le préconise.

Cela donne un tableau de flux dont le bas est finalement peu lisible (mélange des flux de capitaux propres et d'endettement) et peu significatif : la trésorerie nette résultant d'un arbitrage entre le court terme et le moyen / long terme au niveau de la gestion de l'endettement net et non d'un choix stratégique entre dettes et capitaux propres.

Toutefois, l'utilisateur pourra facilement faire la correction lui-même, puisque le CNC préconise d'établir en annexe un tableau de variation de l'endettement net.


(1) Le projet commun à l'IASB et au FASB dans ce domaine a été reporté sine die. Voir la Lettre Vernimmen.net n° 24 de février 2004.
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 10 du Vernimmen.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 2 du Vernimmen.


Tableau : La diversification des portefeuilles des investisseurs américains

Petit à petit, les portefeuilles détenus par les investisseurs américains se diversifient. A 12 %, la part des portefeuilles des investisseurs américains investis en actions non américaines est encore loin de l'optimum théorique (54 %, à savoir la part de la capitalisation des bourses non américaines dans le total des capitalisations mondiales), mais les progrès ont été très rapides depuis 1990 où la part n'était que de 2 % !



Recherche : Le choix entre émission d'obligations cotées ou non et la dette bancaire

Pourquoi une entreprise qui décide de financer ses activités par endettement va-t-elle choisir :

  • de contracter un emprunt bancaire ;
  • plutôt que d'émettre des obligations placées sur un marché ;
  • ou d'émettre des obligations non cotées souscrites par quelques investisseurs (compagnies d'assurance ou fonds d'investissement spécialisés) ?

Deux articles de recherche récents s’attachent à élucider cette question.

D. Denis et V. Mihov (1) étudient empiriquement le choix du type de dette émis par un échantillon de 1 560 entreprises américaines entre 1995 et 1996. Comparativement aux études précédentes qui s’intéressaient à la question de la structure optimale de la dette pour une entreprise à un instant t donné, les deux auteurs se concentrent exclusivement sur des modifications incrémentales de la dette sur la période considérée et étudient pour la première fois le recours à de la dette émise auprès d’investisseurs non-bancaires dans le cadre de transactions privées. En procédant de la sorte, les auteurs permettent de mieux comprendre les facteurs de choix entre les types de dette disponibles, qui ne se limitent pas à de la dette obligataire ou bancaire, et d’évaluer la pertinence des différentes théories sur le choix de la forme de la dette.

Les théories existantes sur le choix de la dette ont, dans l’ensemble, postulé que la dette bancaire a l’avantage, par rapport à la dette obligataire, de rendre la surveillance des choix des dirigeants d’entreprises plus efficace. En effet, en raison de leur relation suivie avec l’entreprise et des sommes investies, les banquiers commerciaux sont incités à produire l’effort coûteux que représente la surveillance des actions managériales afin de s'assurer que l'entreprise soit bien capable de rembourser ses dettes. A l’opposé, les détenteurs d’obligations, plus nombreux, font face à un problème de coordination difficilement surmontable : alors que collectivement ils ont intérêt à faire l’effort de surveiller les activités des dirigeants d’entreprise, individuellement aucun investisseur n’a d’incitation suffisante pour justifier cet effort : il s’agit là du problème traditionnel du passager clandestin (2).

Par conséquent, lorsque l’asymétrie d’information (2) entre les investisseurs et les dirigeants d’entreprise est élevée, c’est à dire lorsque les investisseurs doivent fournir un effort important pour comprendre la nature des activités de l'entreprise ou la stratégie envisagée par les dirigeants, il est plutôt dans l'intérêt de l’entreprise de recourir à la dette bancaire plutôt qu’à la dette obligataire.

De même, les dirigeants imparfaitement incités à prendre les décisions maximisant la valeur de l’entreprise, auront tendance à choisir la dette obligataire qui réduit moins leur marge de manœuvre que la dette bancaire. Les obligations sont en effet assorties de contraintes juridiques (les covenants en franglais (3)) plus souples quand elles existent que celles attachées aux crédits bancaires, ont une échéance moyenne plus longue, etc...

Enfin, la dette bancaire permet également de faciliter les situations de renégociation de la dette ou de la liquidation de l’entreprise en cas de difficultés financières. Les banques sont davantage incitées à trouver une issue favorable aux difficultés financières de l’entreprise. Par ailleurs, les banques bénéficient encore une fois d’une coordination relativement plus aisée entre elles, dans la mesure où la détention des créances n’est pas aussi dispersée que celles des obligations. Ce dernier point est illustré par le fait qu’aux Etats-Unis l’unanimité des créanciers (et donc de tous les détenteurs d’obligations) est requise pour s’accorder sur un plan de restructuration de la dette.

Ces prédictions de la théorie sont testées par nos deux chercheurs et sont largement vérifiées par leurs données. Conformément aux prédictions de la théorie de l’asymétrie d’information, on constate que les entreprises les plus sujettes à ce type de problème (4) ont moins recours à de la dette obligataire cotée. Ces entreprises font souvent appel, lorsqu’elles contractent de la dette, soit à de la dette bancaire, lorsqu’elles ont une profitabilité moyenne, soit à de la dette non cotée, lorsqu’elles ont une faible profitabilité et une forte probabilité de faillite. Par ailleurs, les dirigeants d’entreprises fortement incitées à la performance, sous la forme d’une détention importante d'actions de la société, ont davantage tendance à recourir à de la dette bancaire qu’à de la dette obligataire.

Conformément à l’intuition, ce sont les entreprises les plus profitables qui recourent au marché obligataire, alors que celles qui sont le moins profitables, et souvent le plus en difficulté sollicitent leurs prêts auprès d’investisseurs privés. Dans la mesure où la probabilité de renégociation de la dette ou de liquidation de l’entreprise est plus élevée pour ces entreprises, il est intéressant d’en limiter les coûts en choisissant des prêteurs privés, plus efficaces dans cette tâche. Ce sont d’ailleurs les sociétés qui disposent d’une notation élevée, qui tendent à choisir un emprunt obligataire coté, alors que le fait de ne pas disposer d’une notation élevée est fortement corrélé avec le recours à de la dette bancaire ou privée.

Cette étude, si elle éclaire les ressorts de l’arbitrage entre les trois instruments de dette, ne permet pas de comprendre les choix plus fins qui sont opérés par les dirigeants d’entreprise lorsqu’ils ont décidé d’endetter leur entreprise. Ces choix concernent notamment la maturité de la dette, le niveau de priorité des créanciers, mais aussi le type de taux d’intérêt : taux fixe ou taux variable.

H. Li et C. Mao (5) développent une théorie de l’utilisation de swaps par les entreprises qu’ils testent empiriquement.

Leur approche repose sur l’hypothèse, vérifiée plus haut, que les banques permettent de résoudre les problèmes d’asymétrie d’information des entreprises et de limiter leurs coûts d’agence. Les banques sont néanmoins moins performantes dans leur capacité à fournir à leurs clients des taux fixes aussi bas que ceux des marchés financiers. L’idéal pour ces entreprises serait donc d’obtenir un prêt bancaire mais à un taux fixe offert par les marchés obligataires.

Pour se rapprocher de cette situation idéale, H. Li et C. Mao suggèrent que les entreprises sujettes à ces problèmes vont recourir à un prêt bancaire à taux variable, pour lequel les banques sont capables d’offrir des conditions relativement meilleures à leurs clients. Par ailleurs, ces entreprises vont souscrire un swap (6) leur permettant d’échanger les paiements à taux variable de leur endettement bancaire contre des paiements à taux fixe.

Ainsi, les entreprises souffrant d’asymétrie d’information et de coûts d’agence élevés vont obtenir une protection contre le risque de taux auquel elles étaient exposées avec leur emprunt bancaire à taux variable, et obtenir, au total, de meilleures conditions financières que sur le marché obligataire, grâce aux compétences spécifiques de surveillance apportées par les banques.

Les auteurs testent les prédictions sur des données concernant des entreprises utilisant des swaps de taux d’intérêt. Conformément aux prédictions de leur modèle, ils trouvent que les entreprises qui utilisent des swaps payeurs de taux fixe sont généralement plutôt utilisatrices de crédits bancaires, sont plus endettées, ont une notation de crédit plus faible et ont un plus fort pourcentage de prêts long-terme à taux variable.

L’asymétrie d’information et les coûts d’agence se révèlent donc être les moteurs essentiels du type et de la structure de la dette choisis par les dirigeants d’entreprises.

(1) David Denis et Vassil Mihov “ The Choice Among Bank Debt, Non-Bank Private Debt, and Public Debt: Evidence from New Corporate Borrowings”, Journal of Financial Economics, 2003.
(2) Voir Chapitre 35 section 3 du Vernimmen.
(3) Voir Chapitre 39 du Vernimmen pour plus de détails.
(4) Les entreprises les plus susceptibles de souffrir d’asymétrie d’information avec les investisseurs sont les entreprises les plus difficiles à analyser c'est à dire les plus petites (en valeur d’actifs totaux), les entreprises ayant un ratio d’actifs corporels sur le total des actifs faible, ainsi que celles qui ont un ratio de dépenses de R&D sur les ventes élevé.
(5) Haitao Li et Connie Mao “ Corporate Use of Interest rate Swaps : Theory and Evidence ”, Journal of Banking and Finance, 2003.
(6) Voir chapitre 57 du Vernimmen pour plus de détails.


Q&R : Comment seront imposés les dividendes en 2005 ?

La loi de finances 2004 introduit la réforme très attendue (1) de la fiscalité des dividendes applicable en 2005.

Jusqu’à présent, la fiscalité sur les dividendes reposait sur deux piliers : l’avoir fiscal d’une part et le précompte d’autre part. La combinaison de ces deux éléments avait pour but de permettre de limiter les effets de la double imposition des résultats (au niveau de la société une première fois et au niveau du particulier une seconde fois), tout en s’assurant que les bénéfices distribués soient taxés au moins une fois au taux plein.

L’avoir fiscal était un crédit d’impôt représentant :

  • 50% du dividende effectivement versé par la société pour les particuliers ;
  • 10% pour les entreprises (le taux d’avoir fiscal pour les entreprises ayant très fortement baissé depuis quelques années).

L’avoir fiscal n’était utilisable que par les résidents français (et les étrangers bénéficiant d’une convention fiscale) pour les résultats provenant des entreprises françaises. De plus l’avoir fiscal était limité aux distributions “ordinaires” de dividendes (était exclu de son champ les distributions exceptionnelles et les réductions de capital)

Le précompte était un complément d’impôt que l’entreprise devait payer sur les bénéfices qui étaient distribués alors qu’ils n’avaient pas subit l’impôt au taux plein (plus-values à long terme, régime mère-fille), ou sur les bénéfices ordinaires mis en réserve depuis plus de 5 ans.

Ce système présentait deux inconvénient majeurs :

  • il était discriminatoire car limité aux revenus distribués par les entreprises françaises. Ce système pouvait donc s’avérer contraire au droit européen (un système identique utilisé par la Finlande a été remis en cause par une décision de la Cour de Justice Européenne),
  • mais surtout il était extrêmement compliqué !

La loi de finances 2004 supprime l’avoir fiscal et le précompte. Elle sera applicable pour les dividendes mis en paiement en 2005 (un système transitoire subsistera en 2005).

Pour les particuliers, l’avoir fiscal sera remplacé par un abattement dans le calcul de l’impôt de 50% des dividendes versés (2).

Il convient d’ajouter que pour ne pas pénaliser les ménages à faible revenu qui bénéficiaient jusque là d’un remboursement de l’avoir fiscal, la loi maintient le principe d’un crédit d’impôt égal à 50% du dividende dans la limite de 115€ (230€ pour un couple). La loi maintient également l’abattement forfaitaire de 1 220€ (2 440€ pour un couple).

Comme le montrent les deux exemples ci-dessous, la réforme ne change pas fondamentalement les résultats économiques du système pour les ménages imposés à un taux marginal élevé. Comme ces ménages représentent une large part des dividendes touchés, la réforme ne devrait pas modifier fondamentalement le deséquilibre budgétaire actuel.

Pour les entreprises, le système du régime mère-fille est maintenu. En revanche, les dividendes perçus de filiales ne bénéficiant pas de ce régime sont imposés au taux plein sans le bénéfice de l’avoir fiscal (notons toutefois que celui-ci était limité à 10% en 2004).

Les entreprises qui bénéficient le plus du nouveau régime sont celles qui reçoivent d’important dividendes de filiales étrangères. En effet, elle n’auront plus à payer de précompte sur la remontée à leurs propres actionnaires de ces dividendes. La réussite à l'étranger n'est donc plus pénalisée !


En conclusion, on peut noter que cette réforme a le mérite d’aligner le mode de fonctionnement français sur les systèmes des grands pays européens (notamment l’Allemagne et l’Angleterre). Il reste à notre goût beaucoup trop compliqué du fait des coquetteries dont il reste affublé (cotisations sociales calculées sur une base différente de l’impôt, abattement forfaitaire, crédit d’impôt), et en pratique, son mode de calcul soulève de nombreuses questions pour les non fiscalistes…

(1) Pour plus d'éléments, voir la Lettre Vernimmen n° 16 de janvier 2003.
(2) Ainsi, la France n’aura pas franchi le pas comme les États-Unis l’ont fait récemment d’exonérer totalement les dividendes d’impôt sur le revenu.


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