La Lettre n°225 de Avril 2025
Actualités : 8 mars 2025 : trois portraits de femmes professionnelles de la finance
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages LinkedIn et Facebook du Vernimmen, trois interviews de femmes qui ont professionnellement réussi en finance, afin d’inspirer nos jeunes lectrices, et les autres.
Marie Arnaud-Battandier,
Managing Director
Ardian Expansion
1. En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ?
Je possède une double formation, étant diplômée de l'Université Paris Dauphine et du Master Finance de l'ESSEC. Mon entrée dans le monde de la finance s'est faite un peu par hasard, guidée par les opportunités et les rencontres. J'ai débuté ma carrière dans le domaine des fusions-acquisitions, dans lequel j'ai exercé pendant quatre ans. Par la suite, j'ai ressenti le besoin de m'immerger dans le monde de l'entreprise et j'ai intégré le département financier d'une société cotée spécialisée dans les biotechnologies.
Ces premières années m'ont permis d'acquérir une expérience précieuse, tant en fusions-acquisitions qu'en direction financière. Cependant, après cinq ans, j'ai pris le temps de réfléchir à mon parcours, car aucun de ces postes ne répondait entièrement à mes aspirations. J'ai alors multiplié les rencontres et les discussions avec des professionnels, ce qui m'a conduit à découvrir le métier du private equity en 2001, à une époque où ce domaine était encore peu connu.
Le private equity a immédiatement résonné en moi, car il réunissait tous les aspects que je recherchais :
- un contact direct avec des entrepreneurs, un univers qui m'a toujours fasciné, ayant moi-même un grand-père dirigeant d'entreprise que j'admirais profondément ;
- une diversité incroyable, avec des investissements dans des sociétés de secteurs variés, chacune ayant sa propre culture et stratégie ;
- une richesse professionnelle mobilisant de nombreuses compétences : analyse financière, compréhension de la culture d'entreprise et des personnes qui la dirigent, étude des marchés et de leur évolution, élaboration de business plans, évaluation des sociétés, négociation juridique, financement des opérations, et suivi post-investissement.
En moyenne, nous accompagnons les entreprises pendant quatre à six ans, siégeant à leur conseil de surveillance, et essayant de leur apporter de la valeur ajoutée. Aujourd'hui, grâce à des operating partners, nous les aidons sur des sujets cruciaux comme la RSE, le digital et les ressources humaines. La levée de fonds est également une composante essentielle de notre métier, nécessitant des interactions avec une clientèle variée, tant en France qu'à l'international, et la capacité de les convaincre d'investir dans nos fonds.
Ce métier, d'une richesse et d'une diversité exceptionnelles, exige un équilibre entre soft skills et hard skills, et offre un apprentissage quotidien. C'est cette complexité et cette dynamique qui m'ont séduite.
J'ai eu la chance de rejoindre mon premier fonds, Acto, lié à Groupama Private Equity, grâce à une rencontre déterminante avec son dirigeant, une personne ouverte d'esprit et visionnaire, qui percevait déjà la diversité comme un atout majeur. J'y suis restée six ans, participant activement à tous les investissements du fonds. Puis, j'ai été approchée par Axa Private Equity. À cette époque, j'étais enceinte de mon premier enfant, mais j'ai décidé de rejoindre Axa Private Equity, attirée par sa dimension internationale, sa culture entrepreneuriale et la possibilité d'accompagner des entreprises de plus grande envergure.
Cela fait maintenant dix-sept ans que je fais partie de ce groupe, qui est devenu Ardian il y a plus de dix ans. Mon parcours au sein d'Ardian a été marqué par des expériences enrichissantes et une évolution constante, confirmant chaque jour mon choix de carrière.
2. Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?
J'ai effectivement rencontré des difficultés au cours de mon orientation professionnelle, mais j'ai également bénéficié de soutiens précieux. Dans l'une de mes premières expériences, j'ai été confrontée à une inégalité salariale flagrante. La situation était claire : soit mon salaire était réajusté, soit je quittais l'entreprise. Cette détermination m'a permis de surmonter cet obstacle.
J'ai eu la chance d'avoir trois enfants, mais chaque grossesse a été une période de stress, marquée par l'absence temporaire de l'entreprise. Heureusement, j'ai pu compter sur des collègues constructifs et intelligents, qui m'ont soutenue durant ces moments délicats. Cependant, comme beaucoup, j'ai été confrontée à des remarques désobligeantes.
Une réflexion en particulier m'a profondément marquée et m'a toujours accompagnée : « Tu ne seras jamais une bonne professionnelle et une bonne mère de famille en même temps. » Cette phrase est offensante, mais j'ai choisi de la transformer en une source de motivation, démontrant par mes actions que je n'étais pas du tout d'accord avec cette vision des choses.
Aujourd'hui, la nouvelle génération ne se permettrait plus de tenir de tels propos. Les choses ont beaucoup évolué, et ce, de manière positive. Tant mieux !
3. Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de professionnelle dans la finance ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?
Articuler vie de femme, vie de famille et vie professionnelle dans le domaine exigeant de la finance est un véritable exercice d'équilibriste. Cela requiert une organisation sans faille, une discipline rigoureuse et un soutien de son entourage. En effet, il est primordial de pouvoir compter sur un conjoint, prêt à partager équitablement les tâches domestiques et familiales, ainsi que sur des enfants autonomes et responsables.
Pour ma part, j'ai toujours veillé à maintenir un équilibre harmonieux entre ces différentes sphères de ma vie. J'ai pris soin de rester impliquée dans la vie scolaire de mes enfants, en étant maman correspondante dans leurs écoles respectives. Cette implication me permet de conserver un lien étroit avec leur environnement éducatif et de m'assurer de leur bien-être.
Les week-ends sont également consacrés à mes enfants, que ce soit pour les aider dans leurs devoirs ou pour les accompagner dans leurs activités sportives, qu'ils pratiquent tous à un niveau compétitif. Cette organisation minutieuse, semblable à celle d'une petite entreprise, laisse peu de place pour le temps personnel, mais elle est essentielle pour maintenir un équilibre familial.
La communication joue un rôle clé dans cette dynamique. Nous avons instauré des rituels familiaux, tels que des repas partagés, pour renforcer nos liens. Chaque été, nous partons en sac à dos pour trois semaines d'aventures familiales à la découverte d'un nouveau pays. Ces voyages sont l'occasion de nous immerger dans des cultures différentes et de découvrir d'autres perspectives économiques, tout en passant du temps de qualité ensemble.
Mon mari, entrepreneur, a parfois ajusté son rythme de travail pour s'adapter aux besoins de notre famille. Il est indéniable que concilier deux carrières professionnelles exigeantes est complexe. Les équilibres au sein du couple évoluent avec le temps, chacun prenant tour à tour plus de responsabilités familiales selon les périodes. Il est crucial de faire des choix éclairés et de savoir ce que l'on veut vraiment.
En somme, mener de front vie de femme, vie de famille et vie professionnelle dans la finance est un défi constant, mais avec une organisation rigoureuse, une communication ouverte et un soutien mutuel, il est possible de trouver un équilibre satisfaisant.
4. Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ? Quel a été votre principal atout dans votre réussite ? Quel a été votre plus beau succès, à vos yeux ?
Pour exercer mon métier, je crois fermement que certaines qualités sont indispensables. La ténacité en est une, sans aucun doute. Mes collègues me décrivent souvent comme quelqu'un qui ne lâche jamais rien. Cette persévérance, alliée à de la volonté et à de la curiosité, constitue le socle de mon approche professionnelle. J'ai un profil plutôt entrepreneurial, même dans le monde du private equity. Je m'efforce constamment de comprendre les évolutions du monde, d'anticiper les tendances de demain. Être précurseur, avoir des idées novatrices et ne jamais abandonner, voilà ce qui me caractérise.
Mon principal atout dans ma réussite a été cette ténacité. Cette capacité à persévérer, à ne jamais renoncer, m'a permis de surmonter de nombreux défis et d'atteindre mes objectifs. La curiosité, également, m'a toujours poussée à explorer de nouvelles voies, à innover et à rester à l'avant-garde des évolutions de notre secteur.
Quant à mon plus beau succès, il s'agit sans conteste de mon premier investissement réalisé en totale autonomie. C'était une société spécialisée dans les prothèses et orthèses pour les personnes en situation de handicap, une magnifique entreprise régionale française que nous avons transformée en l'un des leaders européens. Aujourd'hui, cette entreprise est présente aux États-Unis et continue de prospérer. Travailler dans le milieu du handicap, un secteur profondément ancré dans les valeurs de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), aux côtés d'une équipe de dirigeants porteurs de belles valeurs, a été une expérience particulièrement enrichissante.
Pour moi, ce succès est remarquable tant sur le fond que sur la forme. L'accompagnement de ce groupe a été une véritable réussite, non seulement pour notre fonds, mais aussi sur le plan humain et éthique. C'est une opération dont je suis particulièrement fière, car elle incarne parfaitement les valeurs et les ambitions que je souhaite porter dans mon métier.
5. Aujourd'hui, les femmes représentent 12,5 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen à fin 2022 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?
On observe dès le lycée une tendance marquée : les filles sont plus nombreuses dans les filières littéraires que scientifiques. Cette disparité trouve ses racines très tôt, dès l'école primaire et le collège. Il est crucial d'inculquer aux jeunes filles la conviction qu'elles possèdent les mêmes compétences en mathématiques que leurs camarades masculins, et de leur donner le goût des sciences. Pour moi, cette sensibilisation doit commencer dès le plus jeune âge.
Par la suite, de nombreuses femmes s'engagent activement pour inspirer les jeunes générations. Personnellement, j'interviens dans des lycées, notamment celui de mon fils. Ces interventions dans les universités et les écoles sont extrêmement positives. Lorsque des femmes témoignent de leur parcours, elles démontrent que tout est possible.
Lorsqu'elles intègrent le monde de l'entreprise ou choisissent une carrière dans la finance, il est essentiel que les femmes bénéficient de mentors pour les guider. En France, notamment dans le secteur du private equity, l'initiative Level 20 propose un système de mentorat. Les femmes peuvent ainsi être accompagnées par des mentors, hommes ou femmes, qui les aident à comprendre les codes du métier et à évoluer. Bien que je n'aie pas eu cette opportunité, car ces initiatives sont arrivées après mon entrée dans le secteur, je constate les bénéfices pour les jeunes femmes autour de moi.
Les entreprises, de plus en plus conscientes de l'importance de la diversité, mettent en place des mesures pour favoriser l'inclusion. Par exemple, elles facilitent le retour de congé maternité, instaurent des congés paternité, aident à trouver des crèches et offrent un accompagnement. Chez Ardian, nous sommes très engagés et avons également un réseau Ardian Women, dont je fais partie. Ces initiatives sont essentielles pour changer les mentalités, un processus qui prendra du temps. Dans mon équipe, plus d'un tiers des membres sont des femmes, et j'espère qu'elles resteront sur le long terme.
Je m'efforce également de promouvoir les femmes au sein du top management des sociétés que j'accompagne. Dans les PME, la présence féminine est limitée. Récemment, l'une d'elles a été promue CEO France dans l'une de mes sociétés.
6. Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
Déjà, Dominique Senequier est une femme exceptionnelle, une figure emblématique et influente du monde du private equity. Son parcours illustre que tout est possible lorsque l'on allie détermination, vision et excellence. Dès le début de sa carrière, elle a su se démarquer dans un environnement où les modèles féminins étaient rares, voire inexistants.
Sous sa direction, Ardian a non seulement prospéré, mais a également su se distinguer par son engagement en faveur de l'innovation et de la responsabilité sociale. Dominique Senequier a toujours prôné une approche éthique de l'investissement, mettant en avant l'importance de créer de la valeur non seulement pour les investisseurs, mais aussi pour les entreprises et les salariés. Son leadership éclairé et son engagement font d'elle une source d'inspiration pour tous ceux qui aspirent à exceller dans le monde de la finance.
Parmi les autres femmes qui m’ont profondément marquée, Simone Veil occupe une place particulière. Véritable icône de courage et de résilience, Simone Veil a toujours défendu avec ferveur des convictions fortes et s'est battue sans relâche pour la justice et les valeurs qui lui étaient chères. Son parcours, bien que parsemé d'épreuves, est un témoignage poignant de sa capacité à rebondir et à transformer l'adversité en force motrice pour le changement.
7. Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance, je leur prodiguerais quelques conseils empreints d'expérience. Tout d'abord, il est essentiel de cultiver un goût prononcé pour les mathématiques et les sciences dès le plus jeune âge, en s'affranchissant des stéréotypes. Avec ma propre fille, je m'efforce de lui transmettre cette passion en lui expliquant les principes de la physique et en jouant à des jeux de stratégie et de plateau. Ces activités stimulent non seulement l'esprit analytique, mais aussi la réflexion stratégique.
La confiance en soi est également un pilier fondamental. Lors de mes expériences en tant qu'examinatrice pour préparer les oraux pour Parcoursup au lycée de mon fils, j'ai constaté une différence marquante entre les filles et les garçons en termes de confiance et d'aisance communicationnelle. Il est crucial de renforcer cette confiance chez les jeunes filles, de leur montrer qu'elles sont tout aussi capables que leurs homologues masculins. Ma fille, qui pratique la compétition à haut niveau, apprend ainsi à gérer ses émotions et son stress, des compétences précieuses dans le monde professionnel.
Je suis convaincue que nous sommes tous égaux en termes de capacités à réussir, quel que soit le métier choisi. Il n'y a aucune raison de se limiter. Mon credo est simple : tout est possible. En finance, les femmes ont énormément à apporter. Une équipe diversifiée est une équipe complète, enrichie par des points de vue variés et des sensibilités différentes.
Pour réussir en finance, il est impératif que les jeunes femmes aient confiance en elles, qu'elles croient en leurs capacités, qu'elles tissent des réseaux et qu'elles découvrent la richesse et l'intérêt de ce métier. Et surtout, qu'elles sachent que cela n'empêche en rien d'avoir une vie épanouie. La finance n'est pas un frein, mais une voie ouverte à toutes les ambitions.
8. Pouvez-vous nous raconter un épisode où vous avez pu surmonter une situation de crise ou de difficultés ? En expliquant les difficultés que vous avez rencontrées et votre façon d’y faire face.
Il est des moments dans une carrière où l'on se trouve confronté à des crises d'une ampleur inédite, et l'épisode de la pandémie de Covid-19 en est un exemple frappant. Nous nous sommes retrouvés confinés chez nous, coupés physiquement de nos équipes et de nos partenaires. Les dirigeants des entreprises que j'accompagne étaient en proie à des décisions stratégiques cruciales, souvent dans l'urgence et l'incertitude. Dans ces instants de tourmente, il est essentiel de savoir écouter, de garder son sang-froid et de faire preuve d'une grande résilience.
Cette période a été pour moi une expérience enrichissante, car elle m'a permis de me rapprocher encore davantage des dirigeants. Ensemble, nous avons su trouver des solutions adaptées et faire preuve de pragmatisme. Grâce à cette collaboration étroite, toutes les sociétés que j'accompagne ont réussi à traverser cette tempête et se portent bien aujourd'hui. Ce fut une période difficile, certes, mais elle a mis en lumière l'importance du travail en équipe, de l’échange et de la confiance pour prendre les bonnes décisions.
Nous n'avions peut-être pas anticipé l'ampleur de l’inflation qui a suivi, ni certains phénomènes de marché qui se sont amplifiés avant de retomber. Mais la véritable question est toujours : que faisons-nous de ces défis et comment réagissons-nous ? Pour ma part, je n'ai jamais eu tendance à baisser les bras. J'assume mes choix, je prends des décisions et je continue d'avancer avec détermination.
9. Quelles sont vos actualités, rêves ou projets à court terme ?
Dans le cadre de mes actualités, je suis particulièrement fière d'annoncer la levée de notre premier fonds de continuation en private equity. Ce succès est d'autant plus gratifiant que nous avons réussi à attirer des investisseurs nord-américains, une tâche souvent ardue. J'éprouve une grande satisfaction à mener des initiatives novatrices, et ce projet en est un parfait exemple.
Quant à mes rêves et projets à court terme, ils se concentrent sur la nécessité de prendre du temps pour moi-même, de me poser et de réfléchir. Nous vivons une époque où tout s'accélère, où nous sommes constamment connectés, et où les équilibres mondiaux sont en perpétuelle mutation. Il est crucial de ne pas se laisser emporter par cette vague d'incertitude, mais plutôt de s'accorder des moments de réflexion pour prendre des décisions éclairées.
Mon objectif est de ne pas me tromper, de faire les bons choix et, peut-être, de prendre des positions sociétales fortes pour contribuer à faire évoluer les choses. Nous entrons dans une ère où il sera essentiel de défendre ses convictions. L'égalité entre les hommes et les femmes, par exemple, reste un combat inachevé. Si l'on observe la situation à l'échelle mondiale, il est évident que nous sommes encore loin d'atteindre cette égalité. Il est impératif de continuer à lutter pour que les acquis ne soient pas remis en question.
Les enjeux environnementaux sont également au cœur de mes préoccupations. Nous assistons à des reculs sur certaines décisions politiques et il est vital de se battre pour ces causes. La démocratie elle-même nécessite notre vigilance constante. Nous devons rester fidèles à nos valeurs et à notre ligne de conduite.
En somme, c'est le moment de réfléchir, de prendre du recul et de penser par soi-même. C'est ainsi que nous pourrons naviguer avec sagesse et détermination dans ce monde en pleine transformation.
10. Avez-vous une autre conviction forte à partager ?
Travailler avec des entrepreneurs est pour moi une source d'inspiration constante. Leur dévouement, leur capacité à innover et à surmonter les défis sont des qualités que j'admire et que je m'efforce d'intégrer dans ma propre pratique professionnelle. Ils incarnent la persévérance et l'esprit d'initiative, des valeurs qui me sont chères et qui guident mon parcours. En somme, l'un des fils conducteurs de ma carrière est véritablement cette collaboration étroite avec les entrepreneurs, ces bâtisseurs de l'ombre qui façonnent notre avenir avec courage et passion.
Charlotte Dewynter
Head of Infrastructure - Private Markets Group chez UBP - Union Bancaire Privée
1. En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ?
Je ne parlerais pas de vocation mais d’opportunités, de rencontres et d’apprentissage. J’étais plutôt scientifique au lycée, j’ai intégré l’université de Paris Dauphine, j’ai découvert les techniques de gestion, l’analyse financière et le droit des affaires. Après un DESS en finance d’entreprise et ingénierie financière, j’ai effectué mon stage de fin d’études en 1999 dans l’équipe M&A de BNP Paribas, j’y suis restée près de 9 ans.
Cette expérience a été très enrichissante. J’ai été exposée à plusieurs transactions (acquisitions, cessions, fusions, offres publiques…) dans des secteurs dynamiques (énergie, mining, utilities). J’étais jeune, mais j’ai travaillé avec des directeurs qui m’ont fait confiance, en me déléguant des responsabilités, en m’envoyant au contact des clients, avec des missions dans le monde entier. Cela m’a permis de gagner en assurance. C’était une grosse charge de travail, souvent des nuits et des week-ends. Mais j’ai énormément appris au contact des dirigeants des sociétés et de leurs conseils juridiques et financiers. Je crois que si l’on aime ce que l’on fait, que l’on est valorisé, la charge de travail et les horaires ne représentent pas une contrainte.
Dans ce monde majoritairement masculin, j’ai été très soutenue et encouragée par de nombreux hommes, dont celui qui a joué un rôle de mentor. Je l’ai suivi en 2008 lorsqu’il a fondé Antin Infrastructure Partners, un fonds d’investissement dans les infrastructures. J’ai été impliquée sur des acquisitions dans les transports, l’énergie et les télécommunications (exécution des transactions et rôle au board des sociétés). La classe d’actifs des infrastructures me passionne. Elle répond aux besoins essentiels des citoyens tout en s’interrogeant en permanence sur l’évolution des sociétés et comment se moderniser en demeurant socialement acceptable.
J’ai déménagé en Suisse pour y rejoindre mon mari. Je travaille désormais à l’UBP, une banque privée, spécialisée dans la gestion patrimoniale. Je suis responsable de la sélection des investissements en infrastructure au sein de l’équipe des marchés privés et d’un fonds qui investit dans la transition énergétique et digitale. Je suis ravie de constater que les investisseurs en infrastructure sont de plus en plus nombreux, sophistiqués et se situent au centre des objectifs de décarbonation avec de fortes convictions sur les critères ESG.
2. Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?
Pendant très longtemps la question du genre ne s’est jamais posée. Je ne pensais pas qu’être une femme était un frein à mon évolution professionnelle. Bien sûr, j’ai vécu quelques épisodes sexistes, et j’ai souvent pensé qu’il fallait travailler deux fois plus qu’un homme pour être reconnue. Mais j’ai été encouragée par des hommes bienveillants. Tristement, il est arrivé que ce soient des femmes plus seniors qui freinent mes ambitions. Parfois les femmes, en minorité, surtout lorsqu’elles se sont battues pour atteindre certains postes, peuvent être les premières à bloquer l’ascension d’autres femmes.
Ce n’est que lorsque j’ai eu des enfants que je me suis aperçue des difficultés et des obstacles, des différences de salaire ou de promotions entre hommes et femmes, et du poids énorme de la culpabilité que l’on fait porter aux femmes dès qu’elles décident de fonder une famille. J’ai connu des injustices et des stigmatisations. Mais j’ai bon espoir que les générations futures se battront davantage pour ne pas avoir à choisir entre ascension professionnelle et vie de famille. D’abord, je vois que les hommes s’impliquent plus dans le partage des tâches, et soutiennent davantage les carrières de leurs compagnes. Mais surtout, j’espère que les femmes apprendront à s’imposer davantage, et à négocier leurs titres et leurs salaires comme le font naturellement les hommes, sans peur, ni gêne ni syndrome de l’imposteur.
3. Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de professionnelle de la finance ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?
Oui c’est difficile mais je ne pense pas que ce soit plus difficile dans la finance qu’ailleurs. Les horaires peuvent être contraignants et les voyages nombreux, mais c’est le cas pour tout poste à responsabilités. Je suis, comme beaucoup, en permanence dans la culpabilité, au bureau de ne pas assez voir mes enfants, à la maison de ne pas être au bureau. Pour s’en sortir, il faut essayer d’être moins perfectionniste, ne pas vouloir tout contrôler pour éviter la surcharge mentale. J’ai appris à relativiser et à prioriser.
Et il peut y avoir plusieurs phases dans une vie, on peut être très centrée sur sa carrière à un moment, puis davantage tournée sur sa vie personnelle ou de famille à un autre. J’ai assisté à un petit-déjeuner de femmes dans ce monde très masculin des investisseurs en infrastructure. La plupart d’entre elles avaient des carrières assez chaotiques, avec des ralentissements, des reconversions, des déménagements pour suivre leurs maris. Cela m’a réconciliée avec mes choix, j’ai compris que je n’étais pas la seule à avoir fait des concessions, et que ce n’est pas grave. Il n’y a pas d’échec tant que l’on est alignée avec ses envies et que l’on sait que l’on a la capacité de rebondir.
4. Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ? Quel a été votre principal atout dans votre réussite ? Quel a été votre plus beau succès, à vos yeux ?
Il faut des capacités d’analyse financière et opérationnelle, un esprit de synthèse, comprendre les modèles d’affaire des sociétés, les secteurs, analyser le passé pour projeter des cash flows, identifier les principaux risques et comment s’en protéger… Mais il y a également une dimension humaine, l’esprit d’équipe. À mon avis, un des principaux risques quand on analyse une société est le risque humain : une équipe qui n’arrive pas à travailler ensemble, des gens qui ne se font pas confiance. On peut avoir les meilleurs talents académiques, s’ils ne sont pas capables de faire passer l’équipe avant l’individuel pour la poursuite d’un objectif commun, alors il n’y a pas de succès.
Mon principal atout est l’éternelle envie d’apprendre. J’ai toujours aimé être à l’écoute des équipes, des gérants, des dirigeants. Un de mes succès est d’avoir constitué un réseau solide de professionnels, conseils et amis ; les gens savent que je suis sérieuse, fiable et transparente. Mais l’humilité et la sensibilité sont aussi des atouts. Trop de femmes de ma génération ont cherché à ressembler aux hommes, en cachant leur sensibilité, c’est dommage. Ce sont nos différences qui nous rendent plus fortes et complémentaires et qui créent de la valeur dans une équipe.
5. Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
Ma mère a toujours travaillé et exprimé haut et fort ses convictions. Jeune avocate, entourée d’hommes, elle a reçu un rappel à l’ordre pour avoir osé porter le pantalon au tribunal, puis elle est devenue entrepreneure pour ne plus être dans l’ombre de mon père, elle a lancé et géré plusieurs sociétés, tout en restant humble, élégante, féminine, sportive, drôle… Elle sait cuisiner, changer un pneu ou coudre des rideaux… Elle m’a transmis ce goût de l’effort et du travail. C’est une femme courageuse, fière, qui s’est battue pour son indépendance et sa liberté. C’est mon modèle, et elle est aussi mon meilleur soutien. Étudiante, j’ai également eu la chance de faire un stage dans le département CEMEA de Visa qui était dirigé par une femme. Elle a été une grande source d’inspiration en prouvant que l’on peut être femme, mère, faire carrière dans la finance et diriger de grandes équipes. Surtout, les femmes qui m’inspirent font preuve de modestie et d’autodérision. Il n’y a rien de pire que les gens qui se prennent au sérieux.
6. Aujourd'hui, les femmes représentent 12,5 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen à fin 2022 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?
J’imagine que la peur est le plus grand frein, peur de ne pas être à la hauteur, peur d’être ridiculisée, de ne pas avoir le temps de s’occuper de soi ou de sa famille, la crainte de se retrouver dans un milieu trop masculin, peur d’avoir des enfants, peur de ne pas en avoir, peur de l’échec... Les femmes ont tendance à se sous-estimer, se dévaloriser. Elles n’osent pas s’imposer, manager des équipes, se mettre en avant. Elles ont aussi parfois un rapport compliqué avec l’argent : en gagner, le gérer, l’investir. Il faut probablement aider les femmes à trouver des solutions pour mener de front carrière et vie de famille, et leur donner des outils pour imposer leurs points de vue, leurs façons de faire, leurs agendas…
7. Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Aujourd’hui est un bon moment pour se lancer, on commence à sortir des stéréotypes. L’inclusion, la diversification, les critères ESG ont poussé les secteurs financiers à recruter plus de femmes et à les nommer à des postes importants, cela est positif. En apportant un point de vue différent, notamment sur les risques et la gestion des crises, les femmes ont un rôle essentiel à jouer dans la finance. C’est d’autant plus vrai dans une finance qui se veut de plus en plus inclusive et durable. Pour être encouragée et pour progresser, il faut identifier les bons mentors ou sponsors, hommes ou femmes. Et surtout ne pas craindre de se lancer, il faut dédiaboliser les métiers de la finance, il n’y a rien de très compliqué, on ne sauve pas des vies.
8. Avez-vous une autre conviction forte à partager ?
J’avais tendance à penser qu’il ne fallait pas mettre en avant le genre, rester discrètes, que les quotas, les réseaux de femmes allaient au contraire renforcer les différences et nous stigmatiser encore plus. J’ai changé d’avis. Il faut s’encourager, se soutenir, créer des mentorships. Aujourd’hui par exemple, en analysant un investissement, je considère comme un gros point négatif l’absence de femmes au sein du board ou du comex d’une société ou d’un fonds. Nous avons la chance de vivre dans des sociétés dans lesquelles les femmes peuvent étudier et être libres de leurs choix professionnels. Il faut encourager les femmes et sensibiliser les hommes. Plus nous serons nombreuses dans la finance, plus nous serons visibles, moins nous serons en concurrence et plus cela permettra aux prochaines générations de ne pas se poser de question.
Pascale Seivy
Directrice commerciale France, Groupe Lombard Odier
1. En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ?
J’ai très tôt eu la vocation de la finance. Deux souvenirs me reviennent en tête : une rencontre quand j’avais 7 ans (je m’en souviens comme si c’était hier) avec Edmond Safra à Genève, le fondateur de l’empire bancaire Republic National Bank of New York, racheté ensuite par HSBC. Le second souvenir, probablement au même âge, est un reportage sur la vente à la criée, dont l’effervescence m’avait fascinée.
J’ai étudié la finance à l’EM Lyon et ai eu la chance d’être retenue pour un stage chez JP Morgan – ce qui avait par ailleurs soulevé quelques jalousies auprès des autres étudiants. Anecdotiquement, le siège parisien de JP Morgan se trouve Place Vendôme, tout comme à l’époque la Republic National Bank de M. Safra. J’y pensais tous les matins en me rendant au travail. Cette première expérience, que je qualifie souvent de « coup de foudre professionnel », a véritablement lancé ma carrière. J’ai ensuite signé mon premier CDI chez JP Morgan avant même la fin de mes études, et y suis restée durant 13 ans, profitant de tout ce que l’entreprise avait à offrir en termes de mobilité géographique et de formation. De retour en France, j’ai ensuite travaillé pour la banque Pictet pendant 6 ans, puis ODDO BHF durant 5 ans, et en janvier 2024, j’ai rejoint le groupe bancaire suisse Lombard Odier en tant que Directrice commerciale France. J’ai construit ma carrière en ajoutant, à chaque étape, une corde à mon arc.
J’ai quasiment toujours exercé le métier de banquier privé, qui consiste à accompagner des familles et des entrepreneurs dans la structuration et la gestion de leur patrimoine et de les conseiller sur tous les aspects financiers et décisionnels relatifs à leur fortune.
2. Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?
Je n’ai pas le sentiment d’avoir rencontré des difficultés dans mon parcours du fait d’être une femme. En revanche, j’ai travaillé dans des milieux pour ainsi dire essentiellement masculins, notamment quand je couvrais la zone Turquie et Israël. J’étais, je crois, la seule femme à couvrir cette région parmi les banquiers de la place genevoise. J’ai plutôt vécu cela comme un défi personnel et j’en ai fait ma différence. Dans mon évolution professionnelle, le fait d’être une femme ne m’a donc jamais posé véritablement de souci même si gérer mes deux grossesses n’a pas été simple. Néanmoins, avec une très bonne organisation, il est tout à fait possible de le faire dans la sérénité.
3. Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de professionnelle dans la finance ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?
C’est assez complexe en effet. Cela nécessite beaucoup d’organisation, et parfois de concéder quelques sacrifices. Les attentes envers les femmes de ma génération sont extrêmement élevées. Il faut mener de front vie professionnelle et familiale, tout en trouvant du temps pour une vie sociale. La fameuse charge mentale, pour ma part, est souvent très significative. J’ai élevé mon fils seule jusqu’à ses 10 ans tout en menant ma carrière, ce qui n’a pas été sans sacrifices, puis j’ai eu ma fille à presque 44 ans. Mais j’ai également décidé de faire des choix importants pour eux, par exemple, celui de quitter Genève où j’avais tout construit pour tout recommencer à Paris, afin que mon fils grandisse auprès de ma famille. Mais je ne le regrette absolument pas. J’ai toujours vu mes deux enfants comme ma source d’énergie, ce sont eux qui me donnent la force dont j’ai besoin pour aller toujours plus haut.
Le conseil que je peux donner est de ne pas hésiter à s’octroyer des petits moments chaque fois que cela est possible. Dans ce contexte, j’ai pu dégager du temps pour passer des moments très qualitatifs avec mes enfants, dont quelques grands voyages mémorables en duo avec mon fils. Nous nous en souviendrons indubitablement toute notre vie. J’espère pouvoir reproduire cela avec ma fille de 4 ans même si j’ai 10 ans de plus !
4. Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ? Quel a été votre principal atout dans votre réussite ? Quel a été votre plus beau succès, à vos yeux ?
Les qualités indéniables pour exercer le métier de banquier privé sont avant tout l’écoute et l’empathie. Il me semble impossible de bien conseiller une personne sans comprendre ses valeurs et son mode de fonctionnement, qui déterminent son approche quant à son patrimoine, ses objectifs, et sa psychologie par rapport à la volatilité du marché.
À mes yeux, la qualité d’un banquier privé se reconnaît dans sa capacité à percevoir ces éléments au travers de l’écoute et en posant les bonnes questions. En ce qui me concerne, ma culture orientale (ma mère est née au Liban et mon père en Égypte), très tournée vers autrui, a sans doute constitué un atout au départ, et que j’ai pu développer davantage par la suite en multipliant les relations avec les prospects et les clients. Ce métier doit être une vocation. Et rares sont les professions où la psychologie peut faire la différence.
Mon plus beau succès est d’avoir toujours enrichi mes expériences en allant chercher des projets annexes à ma mission principale, comme par exemple celui de créer de toutes pièces un prix pour récompenser les jeunes entreprises incubées en parallèle de mon rôle de banquière et responsable d’équipe, et d’avoir toujours suivi mon instinct pour prendre des décisions déterminantes pour ma carrière.
5. Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
Sans hésiter, les grandes figures de l’Histoire, les femmes qui n’ont eu peur de rien. Je pense en premier lieu à Simone Veil, qui a toujours fait preuve d’une incroyable résilience tout au long de sa vie. Je me sens également inspirée par Michelle Obama qui n’a jamais été effacée derrière son mari alors qu’il était en pleine lumière. Et plus proche de moi, ma mère bien sûr, qui a toujours su tenir la famille avec beaucoup de diplomatie. Elle est extrêmement patiente, une qualité dont je n’ai pas forcément hérité !
6. Aujourd'hui, les femmes représentent 12,5 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen à fin 2022 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?
Je pense qu’il ne faut pas toujours blâmer les hommes pour expliquer ce chiffre. Beaucoup de chefs d’entreprise déplorent la faible présence des femmes candidates pour des postes dans le domaine de la finance ou des postes d’ingénieur. Je pense que le problème se situe beaucoup plus en amont, au moment de l’orientation des femmes durant leurs études. Je pense aussi que des témoignages comme celui-ci devraient se multiplier afin de montrer aux femmes qu’il est possible de faire carrière et de s’épanouir dans des métiers longtemps considérés comme étant des métiers d’homme, sans pour autant renoncer à une vie familiale et sociale bien remplie.
Tout doit se jouer au niveau de l’éducation et des études pour vraiment faire bouger les choses. En toute sincérité, je viens d’une culture dans laquelle les femmes ne font pas carrière. Même si j’ai été poussée à faire des études, c’était plutôt pour le principe d’étudier que pour les débouchés. Tout cela m’a donné des ailes pour ne pas reproduire un schéma classique de mère au foyer qui n’était pas ma vocation. Aujourd’hui, je sais que ma mère est très fière de moi et de ma carrière, même si elle a fait un autre choix de vie pour elle-même.
7. Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Le meilleur conseil est de bien comprendre tous les métiers de la finance, qui permettent à tout type de caractère, les personnes plus réservées comme les plus extraverties, de s’y épanouir. Il y a une place pour chacun et chacune dans ce secteur.
Et que la finance est l’un des rares milieux où l’on peut à la fois utiliser des qualités humaines et analytiques.
8. Pouvez-vous nous raconter un épisode où vous avez pu surmonter une situation de crise ou de difficultés ? En expliquant les difficultés que vous avez rencontrées et votre façon d’y faire face.
La crise financière de 2008 m’a profondément marquée. L’un des épisodes les plus marquants de cette période s’est déroulé lors d’une visite auprès d’une famille dont je m’occupais en Turquie. Au lieu de l’accueil habituel, j’ai été amenée dans une pièce sans fenêtre où toute la famille m’attendait, 17 hommes pour être précise. Ils étaient très contrariés car les hedge funds dans lesquels ils étaient investis avaient refusé de leur restituer la totalité de leur capital. J’avais 31 ans, l’air d’en avoir 5 de moins, et j’étais seule pour affronter ce moment que je n’avais pas anticipé. Mais globalement, cette année a été aussi dure que formatrice. Elle m’a aussi fait découvrir les dérives du système financier mondial.
L’autre épisode est mon tout premier passage à la télévision en 2013 avec Marc Fiorentino. J’appréhendais beaucoup ce moment et ai géré le stress en me « sur-préparant ». Ce « travers » est resté en moi et encore aujourd’hui, je continue à beaucoup préparer mes interventions. On ne me reprochera jamais d’en savoir trop plutôt que pas assez.
9. Quelles sont vos actualités, rêves ou projets à court terme ?
Directrice commerciale France chez Lombard Odier à Paris, j’exerce mes nouvelles fonctions depuis un peu plus d’un an. Au sein de cette belle Maison familiale, je mène avec nos équipes beaucoup de projets, notamment auprès des jeunes entrepreneurs, un domaine qui me passionne, ou auprès des entreprises familiales que je trouve essentielles à notre tissu économique et à la pérennité de notre culture entrepreneuriale.
Nous travaillons aussi sur le sujet des femmes CEO. Elles sont de plus en plus nombreuses à occuper ce poste dans des entreprises significatives. Cette tendance nous a interpellés et donné envie de l’analyser et l’encourager.
Mon rêve absolu est l’épanouissement de mes deux enfants de 15 et 4 ans, tout en continuant à m’impliquer avec passion dans ma vie professionnelle et à aller au bout de tous les projets que j’ai lancés et ceux que j’ai encore en tête.
10. Avez-vous une autre conviction forte à partager ?
Oui, celle de ne jamais se laisser décourager par les obstacles, de faire preuve de patience et de persévérance. Et de toujours suivre son instinct ! L’une de mes devises est de toujours avancer même si c’est petit pas par petit pas. C’est toujours un pas de plus !
Tableau : La répartition du patrimoine des ménages dans les grands pays de l'OCDE
Initialement publié par le Financial Times, ce graphique montre des structures de patrimoine bien différentes d’un pays à l’autre, mais aussi des évolutions inattendues.
Ainsi, qui aurait pensé que les Italiens consacrent une part plus importante de leur patrimoine aux actions que ne le font les ménages britanniques ? Presque du simple au double. Il est vrai cependant que les fonds de pension de nos voisins d’Outre-Manche leur assurent aussi une exposition long terme aux actions, rendant moins utile une forte détention en direct.
Au Japon, la détention de liquidités bat tous les records, avec une part du tiers du patrimoine. On peut présumer que la chute du marché actions local de 80 %, après un triplement en 4 ans, n’y est pas pour rien, d’autant que ce niveau de 1989 ne vient que tout récemment d’être de nouveau atteint.
Quant aux États-Unis, c’est plus de la moitié du patrimoine qui est placé directement ou indirectement (via les fonds de pension) en actions.
Cause ou conséquence de la richesse moyenne de ce pays ? Quant à l’Allemagne et à la France, c’est l’amour de la pierre qui continue de structurer les patrimoines.
Recherche : Développement de la culture financière : une vertu cachée des introductions en Bourse
Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université
Le développement de la culture financière dans un pays permet à ses habitants de mieux gérer leur épargne. En particulier, la part des actions dans l’épargne des ménages est souvent trop faible au regard de leur horizon de placement et de la rentabilité à long terme. Ce constat est le point de départ de l’étude que nous présentons ce mois[1]. Les auteurs étudient, sur des données américaines, les conséquences des introductions en Bourse sur le comportement d’investissement des habitants des zones géographiquement proches de l’entreprise concernée. Ils constatent que la détention d’actions par ces derniers augmente, et montrent empiriquement que le développement de leur culture financière en est la principale raison.
L’article utilise des données sur les introductions en Bourse aux États-Unis incluant la localisation fine de l’entreprise concernée (État, comté et même proximité des ménages à 10 miles près). Ces données sont croisées avec celles du Panel Study of Income Dynamics (PSID), une série d’études sur la détention d’actions par les ménages américains, ainsi que d’autres sources sur leur richesse et leurs placements.
Le résultat principal porte sur la période 1984 à 2017. Une hausse du nombre d’introductions en Bourse est suivie d’une hausse significative du taux de détention d’actions par les ménages à proximité de l’entreprise. Au niveau d’un État, se classer dans le premier quintile par nombre d’introduction entraîne une hausse de participation d’un point de pourcentage. De plus, les ménages qui détenaient déjà des actions augmentent leur taux de détention d’environ 1,5 %. Comme toujours en finance, cette hausse est mesurée « toutes choses égales par ailleurs » : elle est spécifiquement attribuable aux introductions en Bourse et peut s’ajouter à une augmentation plus générale de la détention d’actions.
Deux raisons différentes peuvent expliquer cet effet. La première est la couverture médiatique de l’introduction qui peut favoriser l’intérêt du public pour la Bourse. Une étude précédente[2] a montré que les recherches Google sur les entreprises introduites augmentaient de 40 % la semaine de l’introduction. Aussi, la proximité géographique peut favoriser les discussions de quartier, avec la possibilité de connaître des employés ou des dirigeants de l’entreprise concernée.
La seconde explication possible est l’effet richesse. Les introductions en Bourse peuvent augmenter la richesse et surtout le cash disponible pour les fondateurs et premiers investisseurs de l’entreprise. Elles sont aussi parfois suivies de nouvelles embauches. Ces effets sont principalement locaux, si bien que l’augmentation de la richesse pourrait expliquer la hausse observée localement des investissements boursiers.
L’étude tend à valider la première explication (effet d’attention) au détriment de la seconde (effet richesse). D’abord, l’augmentation des investissements en actions est observée très rapidement, dès l’introduction en Bourse, voire un peu avant. À ce moment-là, la couverture médiatique est maximale, alors que les éventuels effets richesse devraient se manifester plus progressivement. En l’occurrence, la totalité de l’effet est concentrée entre le trimestre qui précède et celui qui suit l’introduction. Un argument supplémentaire est que l’augmentation de la détention d’actions est concentrée dans le même secteur économique que la société concernée (même en excluant celle-ci). Lors d’une introduction en Bourse, la couverture médiatique du secteur concerné augmente.
En revanche, les résultats ont tendance à rejeter l’effet richesse. D’abord, la tendance est la même pour les ménages qui ne se sont pas enrichis à la suite de l’introduction. Exclure de l’échantillon les ménages directement liés à l’opération ne change pas fondamentalement les résultats observés. Par ailleurs, les auteurs ont reproduit le test en remplaçant les introductions en Bourse par les augmentations de capital, potentiellement génératrices d’effets richesse importants mais d’effets attention plus faibles. Ils constatent que les augmentations de capital n'entraînent pas de hausse observable du taux de participation en Bourse.
Finalement, les auteurs insistent sur le fait que leur étude porte davantage sur les effets du développement de la culture financière que sur les introductions en Bourse elles-mêmes. Ces événements ont un effet vertueux : ils mettent la Bourse et les marchés actions au centre des discussions et incitent les ménages à y investir une partie de leur épargne. Remarquons que les auteurs de l’article déplorent que seuls 40 à 50 % des ménages américains détiennent des actions. En Europe, le chiffre est estimé à 17 % comme rappelé dans l’avant-propos du Vernimmen 2025 partiellement consacré à l’intérêt des placements actions pour construire son patrimoine.
Q&R : Qu'est-ce qu'un ETF actif ?
Cela ne paraît être un oxymore que parce qu’au cours du temps ETF est devenu synonyme de fonds indiciel, et donc de gestion passive, car l’immense majorité des ETF étaient des fonds indiciels.
Mais la forêt ne doit pas cacher l’arbre, surtout quand celui-ci se multiplie rapidement ! En réalité, un ETF est d’abord et avant tout un fonds d’investissement négocié en Bourse (Exchange Traded Fund).
Rien ne l’empêche donc de développer une stratégie d’investissement autre que celle de dupliquer purement et simplement un indice au sein d’ETF.
Apparus pour la première fois aux États-Unis en 2008, les ETF actifs ont véritablement commencé à décoller à partir de 2019, même s’ils ne représentent encore en Europe que 2 % du volume des ETF. Ils en ont gardé deux caractéristiques essentielles : une cotation en Bourse permettant de les céder ou de les acquérir en séance sans devoir attendre le lendemain et le calcul de la valeur liquidative comme pour les fonds non cotés (Sicav, FCP) ; et la publication quotidienne de leurs actifs, et non pas seulement celle des 10 premières lignes une fois par mois comme pour ceux-ci. En revanche, leurs frais de gestion sont plus élevés pour rémunérer l’introduction d’une dose plus ou moins importante de gestion active en leur sein.
Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen
Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. En voici quelques-uns :
La scission destructrice de valeur de Vivendi (15 mars)
3 mois après la scission de Vivendi, il n’y a aucun doute que la scission a été destructrice de valeur pour les actionnaires comme en avait mis en garde l’investisseur CIAM. Et ceci quelle que soit la date de référence prise en compte.
L’actionnaire qui a échangé dans la scission une action d’un conglomérat contre 3 actions de sociétés centrées sur leur métier (Canal+, Havas, Hachette) et une société de portefeuille (Vivendi sans ses actifs opérationnels), a perdu 13 % de son patrimoine depuis mi-décembre 2023, date de l’annonce du projet de scission, contre une progression de 5 % du CAC 40 sur la même période.
Par rapport au 25 juillet 2024, date d’annonce des places de cotations futures des entités issues de la scission, la perte pour l’actionnaire est de 23 % contre une progression de 8 % pour le CAC 40 depuis. Si la perte est plus forte que la précédente, c’est que l’annonce du principe de la scission avait été très bien accueillie avec un bond du cours de 10 % le lendemain.
Si on compare par rapport au cours la veille de la scission, la somme des 4 actions remises en échange vaut 6 % de moins, contre une progression du CAC 40 de 8 %.
Comme le montre le graphique, avant l’annonce le 25 juillet 2024 des places de cotation, le cours de Vivendi est stable et surperforme l’indice qui recule. Puis à l’annonce, Vivendi et le CAC 40 évoluent en parallèle jusqu’en fin octobre. Et là Vivendi glisse de quasiment 20 % à la veille de la scission, alors que le CAC 40 reste stable.
Alors que les analystes financiers voyaient une décote de conglomérat de l’ordre de 40 % que la scission aurait dû effacer (cf. page 690 du Vernimmen), 3 facteurs ont joué :
– Une partie de la décote de conglomérat a été remplacée par une décote de gouvernance quand les investisseurs ont pris conscience à l’automne que le choix des places de cotation conduisait à leur offrir une moins bonne protection que celle dont ils disposaient tant que Vivendi était cotée sur Euronext Paris : droits de vote quadruples à Amsterdam donnant au minoritaire en capital la majorité des droits de vote d’Havas, pas d’OPA obligatoire à Londres sur Canal+, et pas avant 49 % sur Euronext Growth pour Hachette.
– Le nouveau Vivendi, délesté de ses actifs opérationnels, est une société de portefeuille avec des participations minoritaires dans les sociétés cotées, dont l’intérêt ne saute pas aux yeux. Sans surprise, la même décote de 40 % s’applique à ce nouveau Vivendi qui est la plus grosse entité des 4 issues de la scission.
– Enfin la gestion indicielle qui se positionnait sur un Vivendi valant plus de 10 Md€, ne vient pas sur les sociétés qui capitalisent individuellement moins de 3 Md€.
Contrairement à la vaste majorité des scissions, celle-ci ne crée pas de valeur. Mais là n’était pas l’objectif de cette opération destinée à permettre au groupe Bolloré de pouvoir monter au capital de certaines des entités sans avoir à faire d’offre, tout en franchissant le seuil d’OPA qui se serait appliqué chez Vivendi.
ROE ou ROTE ? (22 mars)
Les banques ont pris l’habitude de calculer, en plus de la rentabilité de leurs capitaux propres (ROE), une rentabilité de leurs capitaux propres tangibles (ROTE) qui s’obtient en ramenant le résultat net de l’exercice aux capitaux propres diminués des actifs incorporels, principalement les goodwills payés.
Dans les faits, le ROTE est plus élevé que le ROE. Ainsi pour Citigroup, le ROE 2024 est 6,1 % et le ROTE est de 7 %.
Si l’on peut comprendre que les banques soient sensibles à la notion de capitaux propres tangibles, car le régulateur bancaire européen dans ses ratios prudentiels retire les incorporels des capitaux propres comptables, il en est différemment pour les actionnaires. En continuant avec l’exemple de Citigroup, ces derniers ont apporté ou laissé à la disposition de leur entreprise 190 Md$ de capitaux propres. Par ailleurs, Citigroup a des goodwills pour 19 Md$, d’où des capitaux propres tangibles de 171 Md$.
Les actionnaires de Citigroup ont apporté, ou décidé de ne pas se reverser en dividendes ou rachats d’actions une partie des résultats dégagés, et ceci pour 190 Md$. C’est bien logiquement sur cette somme qu’ils souhaitent obtenir leur taux de rentabilité requis, pas sur 171 Md$ de capitaux propres tangibles. En effet, ce n’est pas parce que les dirigeants ont consacré une partie de ces 190 Md$ à des acquisitions ayant donné lieu à la constatation de goodwills, que les actionnaires ont abandonné tout souhait de rémunération sur ces 19 Md$ tombés dans un trou calculatoire.
Si maintenant les dirigeants pensent que ces goodwills ne valent rien, ils ont le devoir de procéder à leur dépréciation, de constater une perte de 19 Md$. Mais s’ils ne l’ont pas fait, c’est qu’ils ne considèrent pas ces goodwills comme des non-valeurs. Il n’y a dès lors aucune raison de les retirer des capitaux propres pour calculer la rentabilité de ceux-ci, même si le quotient s’en trouve alors amélioré.
Il ne nous paraît pas y avoir de fondement à la publication des ROTE, sinon la volonté d’habiller la mariée. On notera qu’aux États-Unis, les banques communiquent sur ces deux rentabilités, alors qu’en Europe, la communication est axée sur la rentabilité des capitaux propres tangibles.
En ces temps de retour en grâce partiel des valeurs bancaires, ne serait-il pas temps de simplifier la communication en ne publiant plus que des rentabilités des capitaux propres (ROE) ? Certes, elles seront un peu moins bonnes, mais il ne serait ainsi plus donné l’impression de prendre les actionnaires pour des benêts.
Les banques européennes y trouveront un avantage : la suppression de la référence corrélative aux capitaux propres tangibles par action, souvent vus depuis 2011 comme un horizon indépassable pour le cours de Bourse, et auxquels une décote est appliquée. Quitte à ce qu’une décote soit appliquée, autant qu’elle s’applique sur la base plus élevée que sont les capitaux propres par action.
Pourquoi pestez-vous contre l’informatique de votre banque ? (29 mars)
Saviez-vous que le régulateur prudentiel européen impose aux banques de déduire de leurs capitaux propres non seulement les goodwills payés lors d’acquisitions, mais aussi la valeur non amortie de leurs logiciels, qu’ils soient achetés ou développés en interne, afin d’aboutir aux capitaux propres prudentiels requis ?
Cette règle a un impact direct sur la capacité des banques à financer l’économie.
Mais le régulateur prudentiel américain ne le fait pas.
Ce qui veut dire que lorsqu’une banque des États-Unis acquiert des logiciels pour 1 000, ces derniers sont pondérés à 100 % pour le calcul des capitaux propres prudentiels requis ; d’où un besoin en capitaux propres de l’ordre de 120. En revanche, quand une banque européenne fait la même dépense, les capitaux propres qu’elle doit mobiliser sont de 1 000, soit 8 fois plus. Résultat ? 880 en moins pour financer le développement de l’économie de ce côté-ci de l’Atlantique par rapport à l’autre rive.
Loin d’être anecdotique, cette contrainte pèse lourdement sur les banques européennes. Pour BNP Paribas, par exemple, cette règle réduit ses capitaux propres prudentiels de 2 Md€, limitant ainsi sa capacité à absorber 15 Md€ de risques moyens pondérés. Avec cela, on en fait, des crédits !
Avec un tel traitement prudentiel, il ne faut pas s’étonner que les banques européennes y réfléchissent à deux fois avant d’accroître leurs investissements en logiciels. Aussi, la prochaine fois que vous râlerez, par exemple, car votre banque ne vous propose pas encore la signature électronique pour valider telle ou telle pièce, dites-vous pour vous consoler que cela évite de réduire les crédits aux PME de votre région.
Le régulateur bancaire européen, qui a mis en place cette mesure au début des années 2010 dans un tout autre contexte, pourrait penser à la revisiter, maintenant que les ratios de solvabilité ont changé du tout au tout. Sur-transposer Bâle III par rapport aux États-Unis est une façon de se tirer une balle dans le pied. Le contexte actuel devrait faciliter cette prise de conscience.
On rappelle que JP Morgan capitalisait 75 Md€ en 2008 et les 10 premières banques de la zone euro 510 Md€ en cumulé. Aujourd’hui, JP Morgan vaut 610 Md€, soit autant que les 8 premières banques de la zone euro réunies. Certes, le traitement des logiciels dans les capitaux propres réglementaires n’explique qu’une petite partie de ce renversement, mais ce n’est pas une raison pour maintenir le statu quo.
Ubisoft ou la quadrature du cercle (6 avril)
Avec des flux de trésorerie disponible négatifs de 1,3 Md€ sur les 3 dernières années, et un cours de Bourse qui a dégringolé de 90 % depuis son plus haut de 2018 donnant une capitalisation boursière de 1,2 Md€ pour à peu près autant de dettes bancaires et financières nettes, Ubisoft se trouvait confronté au dilemme de trouver de nouveaux fonds.
Le dilemme était compliqué par la volonté farouche d’indépendance des fondateurs, les Guillemot, détenant 15 % du capital et 20 % des droits de vote ; mais sans les moyens financiers d’apporter de nouveaux fonds, d’autant qu’une partie de leur participation a été acquise à des prix 5 à 6 fois supérieurs au cours actuel et est détenue via des produits dérivés.
De surcroît, ayant fait entrer Tencent à 49,9 % au capital de leur société holding, et ce dernier détenant en direct 10 % du capital et 9 % des droits de vote, le concert formé des deux parties est juste en dessous des seuils d’OPA obligatoire de 30 %. Toute augmentation de capital au niveau d’Ubisoft était de facto impossible compte tenu de la volonté de contrôle des Guillemot puisque la famille, déjà endettée, ne pouvait financièrement y participer. Et si son allié Tencent y participait, il renversait l’équilibre au sein du concert conduisant à une OPA obligatoire et à une perte du contrôle par la famille, incapable de la financer.
À l’automne, la rumeur a couru que la famille et Tencent envisageaient de sortir Ubisoft de la cote. Ce qui n’avait pas été formellement démenti. Le cours avait alors bondi de 40 %, même si ce retrait paraissait improbable pour 2 raisons :
1/ la volonté farouche des Guillemot de garder leur contrôle, qui n’en est un que tant que personne n’acquiert une participation plus grande que la leur ;
2/ l’absence de flux de trésorerie disponible positifs rendant plus difficile tout financement d’un rachat.
Il y a 10 jours une solution, nécessairement baroque compte tenu des contraintes, a été annoncée. Ubisoft va filialiser ses 3 meilleurs jeux et leurs équipes (Assassin Creed, Far Cry et Tom Clancy's Rainbow Six) dans une nouvelle entité dont le capital sera ouvert à 25 % à… Tencent qui apportera environ 1,16 Md€, valorisant les 3 jeux à 4 fois leur chiffre d’affaires.
Cette solution permet d’extérioriser la valeur des 3 meilleurs jeux (au double de la valeur de l’actif économique d’Ubisoft) et de désendetter totalement Ubisoft. Mais elle dilue les actionnaires dans les meilleurs actifs sans leur permettre de voter sur cette restructuration ni d’y participer aux côtés de Tencent, dont la position de futur contrôlant est clairement renforcée. Elle complexifie aussi la structure et la lisibilité du groupe, accroît les sources de conflits d’intérêts entre actionnaires, et s’accompagnera inéluctablement d’une décote de gouvernance/complexité, difficile à chiffrer, mais bien réelle. Le retour du cours à son niveau de l’automne (- 24 % depuis l’annonce) n’en est que la concrétisation.