La Lettre n°224 de Mars 2025

Actualités : Le difficile métier d'expert indépendant dans des opérations boursières

Le dossier en cours du projet de retrait de cote de MAB, détaillé dans la partie commentaires de cette lettre, où un expert indépendant a attesté l’équité d’une offre à laquelle aucun titre n’a été apporté, a été le catalyseur de réflexions inspirées par nos activités de banquiers d’affaires et d’investisseur, passées ou actuelles, qui nous vaut de fréquenter cette profession depuis quelques décennies.



Pourquoi le métier d’expert indépendant dans les opérations boursières est-il difficile ?

 

Difficile métier car si l’intervention d’un expert est requise par les dispositions réglementaires ou la prudence, c’est qu’à chaque fois il y a un problème réel ou potentiel de conflit d’intérêts entre actionnaires, entre actionnaires et dirigeants, voire entre prêteurs et actionnaires. On ne fait jamais intervenir un expert indépendant quand il n’y a pas de situation de conflit d’intérêts, pour le seul plaisir de sa compagnie ! Ainsi, lorsqu’une équipe de direction fait alliance avec un fonds d’investissement qui veut prendre 100 % du capital et retirer l’entreprise de la cote. Ou lorsqu’un majoritaire veut racheter le solde du capital. Ou lors d’un changement de contrôle où le majoritaire actuel rachète des actifs à la société qu’il contrôlait. Dans tous ces exemples, qui ne sont pas exhaustifs[1], l’intérêt des premiers est opposé à celui des autres actionnaires. Les premiers ont financièrement intérêt à sous-évaluer l’entreprise cotée ou l’actif, afin que la transaction leur soit plus favorable. Pas les seconds.

Il est alors fait appel à un expert indépendant qui atteste, à destination des autres actionnaires, que les caractéristiques de l’opération en question se font à des conditions normales, sans que les actionnaires minoritaires ne soient en cela lésés. C’est la première difficulté du travail de l’expert indépendant, car il est au cœur des conflits d’intérêts. D’où le terme d’« avis d’équité », qui est toujours à destination des actionnaires minoritaires, car ce sont eux qui peuvent être lésés, pas le majoritaire ou l’équipe dirigeante !

Comment est désigné l’expert indépendant lorsque son intervention est requise ?

Le plus souvent, il est procédé à un mini appel d’offres : 2 ou 3 experts indépendants, dont les noms ont été suggérés par les conseils juridiques ou financiers de l’opération, sont sollicités. En effet, sauf exception, il s’agit de prestataires de services qui interviennent rarement dans la vie d’une société et ils sont, de ce fait, peu connus des administrateurs ou des dirigeants, mais bien connus des avocats en droit boursier ou des banquiers spécialisés en ingénierie boursière.

 

Si cela est possible, il est constitué un comité ad hoc réunissant une majorité d’administrateurs indépendants qui interagit avec l’expert indépendant durant la durée de son travail. Celle-ci ne peut pas être inférieure à 20 jours de Bourse, à partir du moment où l’ensemble de l’information dont il a besoin a été mis à sa disposition.


La deuxième difficulté de son travail est le délai de travail imparti, finalement assez court pour certains dossiers, durant lequel
il doit prendre connaissance de l’entreprise, son secteur et sa dynamique, celles des concurrents
et de leur valorisation ; alors que la plupart du temps, il ne connaît pas ou superficiellement l’entreprise et son secteur. Il doit également se faire une opinion du caractère réaliste, raisonnable ou pessimiste du plan d’affaires ; et doit envisager comment le cas échéant ajuster l’évaluation pour produire une estimation pertinente de la cible à partir d’un document visiblement soigné aux petits oignons pour minorer la valeur.


Certes, il bénéficie du travail de valorisation réalisé par la ou les banques conseils qui a été fait en amont du sien ; mais étant indépendant, il ne doit pas se laisser impressionner par leur résultat. Or le conseil financier, contrairement à l’expert indépendant, conseille une des parties (l’initiateur de l’offre), dont il défend les intérêts, et est rémunérée par elle. C’est probablement pour cela que dans les opérations qui relèvent de l’AMF, l’expert est amené à analyser les différences de son travail avec celui du conseil financier.

 

La troisième difficulté de son travail tient à son modèle économique qui fait qu’il est rémunéré par l’initiateur (si la société est cotée sur Euronext Access) ou la société cible (si la société est cotée sur un autre marché), ce qui revient à peu près au même quand cette dernière est déjà contrôlée par l’initiateur. Et certains initiateurs, particulièrement dans le monde des PME et des ETI cotées, considèrent que celui qui paie les musiciens choisit aussi la partition…

 

Cette difficulté est renforcée par le fait que, pour être désigné expert indépendant dans des opérations boursières, un expert doit voir son nom inscrit dans la présélection faite par les conseils juridiques et financiers. Or ceux-ci travaillent pour l’initiateur. Quand ils ont conscience que les conditions financières d’une opération sont tendues, ils présélectionnent au moins un expert réputé souple, malléable, voire complaisant. Sont-ils pour autant à blâmer ? Pas vraiment, car ils défendent ce qu’ils perçoivent être les intérêts de leurs clients.

 

Un premier exemple.

 

Ainsi sur la foncière MAB, où le majoritaire voulait sortir son entreprise de la cote en payant le moins cher possible, le conseil financier a inclus dans sa liste un expert qui s’était déjà signalé dans ce domaine. Il avait ainsi attesté en 2014 de l’équité d’exproprier les actionnaires d’une entreprise croissant à 15 % l’an à un prix représentant 4,4 fois l’EBE (sic), alors qu’en parallèle, cette dernière achetait en Bourse quelques pourcents du capital de son concurrent à 9 fois l’EBE. Éclairée par l’un de nous, l’AMF avait refusé l’expropriation. Un an après, le cours avait triplé.

 

D’une certaine façon, cette présélection par le conseil financier était avisée compte tenu de l’objectif du majoritaire. Et ce dernier n’a pas été déçu puisque cet expert a, contrairement à ses deux collègues présélectionnés, accepté de travailler sans une expertise immobilière actif par actif, une première depuis au moins 17 ans[2] pour le retrait de cote d’une société foncière. Et il a attesté équitable une valeur faisant ressortir un rendement locatif de 20,8 % pour des entrepôts de logistique et d’activité en France, alors que la société demandait de son côté du 8 % environ ![3]

 

Un second exemple.

 

Comme dans toute profession, les moutons noirs sont l’exception et les moutons blancs la règle, et l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

 

Voici comment un autre expert, dans la tentative de Vinci et d’Eiffage de sortir de cote leur filiale à 66 % SMTPC, s’est comporté. L’un de nous deux en était actionnaire, et pensait que l’action qui cotait environ 18 € en mars 2021, valait entre 35 et 40 €. L’offre de retrait a été annoncée à 21,1 € fin mars. L’expert a été nommé en juillet, et a pu commencer à travailler en octobre quand il reçut le plan d’affaires réalisé par SMTPC, dont le dirigeant était salarié de Vinci. Or celui-ci était anormalement plus pessimiste que la version antérieure de 2019 disponible au fin fond d’un site internet de la Métropole d’Aix-Marseille.

 

Alerté par celui d’entre nous qui avait beaucoup travaillé sur le sujet et mis ses écrits dans le domaine public[4], le marché avait pris conscience de la sous-évaluation massive de l’action, et avait en conséquence poussé le cours au-delà de 25 €. Bien évidemment, l’expert ne pouvait pas attester de l’équité d’une offre à 21,1 € ! Allait-il pour autant faire sienne la fourchette de 35 € à 40 € ? Non, car il aurait ruiné sa réputation auprès des avocats et banquiers d’affaires, mettant en danger ses futures présélections dans d’autres dossiers. Il serait alors passé pour un expert intransigeant adoptant le point de vue des minoritaires.

 

Qu’a-t-il alors fait ? Il a d’abord convaincu Vinci et Eiffage de relever leur offre car sinon il ne pouvait pas en attester l’équité. Mais Vinci et Eiffage pouvaient-ils aller jusqu’à 35-40 € ? Non, car même pris la main dans le pot de confiture, des grands groupes ne pouvaient pas ainsi le reconnaître. Aussi n’étaient-ils pas décidés à aller au-delà de 27 € (soit une surenchère de 28 % sur l’offre initiale). À ce prix, l’expert a accepté d’attester de l’équité de l’offre, en mettant comme condition que la faculté d’expropriation en cas de franchissement du seuil de 90 % soit retirée. Ce qu’elle fut. Et dans son rapport, l’expert justifie le prix de 27 €, mais donne en annexe, tel un moderne Procope[5], tous les éléments permettant de justifier le prix de 35 à 40 €. Ceux qui le veulent peuvent donc se faire un jugement et agir en conséquence.

 

Le marché parle ensuite, et l’offre est un échec retentissant avec seulement 2 % des 34 % du flottant apporté. Et le cours actuel, compte tenu de 5,9 € de dividendes versés, est supérieur de 28 % au prix de la seconde offre et de 64 % au prix de l’offre initiale, alors que l’indice CAC Mid & Small est en retrait depuis ces dates de respectivement 11 % et 7 %.

 

Mais les experts ne sont pas démunis non plus.

 

En effet, depuis les travaux de la commission Philipponnat-Suet en 2019, dont l’un de nous a été membre, le nom de l’expert indépendant est communiqué au public dès sa nomination[6]. Les actionnaires peuvent ainsi demander à le rencontrer ou lui écrire afin de lui exposer leurs vues ou leurs points d’attention. Il doit rendre compte de ces échanges dans la version finale de son rapport dont une version préliminaire est rendue publique pour les opérations supervisées par l’AMF (sur Euronext ou Euronext Growth). Et un expert ne reste normalement pas indifférent à des arguments bien étayés qui peuvent se trouver relayés auprès de l’AMF, voire de la communauté des investisseurs, surtout quand ils viennent d’actionnaires de longue date ou de professionnels qui connaissent mieux que l’expert l’entreprise en question.

 

Notre expérience montre que depuis la réforme initiée par la commission Philipponnat-Suet, un dialogue utile a pu, le plus souvent, s’instaurer entre les actionnaires qui ont travaillé leur dossier et les experts. Il est loin le temps où un expert indépendant (novice) avait répondu à l’un de nous qui sollicitait une rencontre : « Je ne peux y consentir car cela compromettrait mon indépendance » !

 

Avant même cette réforme, et depuis bien sûr, des experts courageux n’hésitent pas avant qu’une offre ne soit rendue public, à indiquer à l’initiateur que son offre est trop juste, et qu’il doit la relever au risque de ne pouvoir attester de son équité. Par définition ce travail ne se voit pas, mais il est bien réel.

 

Qui sont les experts indépendants ? Ce peuvent être des départements spécialisés de firmes de conseils financiers comme Accuracy ou 8 Advisory ; des entités plus petites spécialisées sur l’expertise économique et financière comme Finexsi, Ledouble, ou Sorgem ; des départements spécialisés de groupes d’audit comme Advolis, BMA ou Crowe HAF ; et enfin des petites entités spécialisées en évaluation souvent liées à un individu (A2EF de Sonia Bonnet-Bernard, Lasry Finance, etc.).

 

La profession n’est pas réglementée, et n’importe qui peut en théorie se qualifier d’expert indépendant. L’AMF a reconnu 2 associations d’experts indépendants (APEI et A3E) qui regroupent la plupart d’entre eux sur une base volontaire. Ces associations font un contrôle ex-post du travail de leurs membres, mais un contrôle de forme et surtout pas de fond. Ainsi quand un des membres de l’APEI (Sorgem) produisit une expertise pour le compte d’un actionnaire (Adam-Elliott) contestant une offre (sur Altran en 2020) dont le caractère équitable avait été attesté par un autre membre de l’APEI, ceci fit du bruit dans le landerneau des experts indépendants.

 

Au total, il y a une quinzaine d’acteurs actifs qui se partagent un marché de l’ordre de 4 à 6 M€ de commissions avec 20 à 40 opérations par an. Il s’agit donc d’un micro-marché ; mais pas d’un marché sans importance, puisque s’y décide du prix d’expropriation des actions d’actionnaires structurellement en position de subir des asymétries d’information.

 

Et on observe une véritable dichotomie entre les dossiers concernant les groupes, et ceux pour les ETI et les PME. Pour les premiers, il est rare que les administrateurs indépendants formant le comité ad hoc ne soient pas conscients de leurs responsabilités. D’autant que, souvent, le dossier est celui d’un changement de contrôle, avec donc un prix par un tiers, a priori plus indiscutable que celui d’un rachat des minoritaires par le majoritaire ou le management allié avec un fonds de LBO. Les seconds constituent les dossiers les plus importants en nombre (retraits de cote par fermeture du capital), avec une gouvernance de moindre qualité : administrateurs indépendants souvent là en raison de liens avec le majoritaire, management et majoritaire souvent confondus qui veulent faire un bon coup financier, conseils financiers qui n’ont pas toujours le courage nécessaire pour mettre en garde leurs clients et les guider fermement.

 

D’expérience, c’est surtout sur ces dossiers que se situent régulièrement les problèmes.

 

Que faire pour renforcer l’indépendance des experts indépendants ?

 

Faire qu’ils ne soient plus présélectionnés par les conseils juridiques ou financiers de l’initiateur, et faire qu’ils ne soient plus payés par l’initiateur ou la cible, ce qui revient au même quand cette dernière est contrôlée par l’initiateur. Ainsi leur indépendance deviendra au-dessus de tout soupçon.

 

Il n’y a que le régulateur boursier, dont l’un des rôles est de protéger l’épargne et la confiance dans l’intégrité des marchés financiers, qui peut assumer cette fonction de sélection impartiale. C’est-à-dire l’AMF pour les titres cotés sur Euronext et Euronext Growth, et Euronext lui-même pour les titres cotés sur Euronext Access à qui l’AMF a délégué cette tâche.

 

C’était la situation d’avant la réforme de 2006, et sur ce point un retour en arrière nous paraitrait une bonne idée. L’AMF pourrait désigner l’expert de sa propre autorité (et pas sur une liste de 3 noms proposés par l’initiateur…), en s’assurant d’une rotation raisonnable des mandats, et récuser temporairement ou définitivement un expert qui aurait gravement manqué à ses obligations. Ce serait là une sanction potentielle beaucoup plus efficace que la situation actuelle, où il n’y a, de facto, pas de responsabilité de l’expert. Comme les hommes et les femmes à l’AMF ont changé, le sujet mériterait d’être revisité, nous semble-t-il.

 

À défaut d’une implication directe de l’AMF, on pourrait imaginer qu’elle procède par un tirage au sort entre tous les experts indépendants, ou d’en remettre le choix à un comité au sein de l’AMF regroupant 3-4 experts en évaluation reconnus, comme un ancien expert indépendant à la retraite, un expert en évaluation auprès des tribunaux, un professeur de finance spécialiste de l’évaluation de l’entreprise, etc.[7] Et si le premier expert tiré n’était pas disponible ou était conflicté, on ferait un second tirage.

 

Un tel comité pourrait aussi aider les experts indépendants qui le souhaiteraient dans leur dialogue avec les investisseurs, l’initiateur et ses conseils, car être seul au milieu des conflits d’intérêts est parfois compliqué. Ce comité pourrait aussi se livrer à un contrôle qualité des évaluations, en particulier en fonction du contexte de l’offre et de son résultat. En effet, pour reboucler avec le dossier MAB, une offre déclarée équitable pour les actionnaires minoritaires qui attire zéro titre, avec un cours de clôture de 22 % au-dessus du prix de l’offre, est évidemment problématique.

 

Si la voie du tirage au sort était retenue, le comité pourrait ajouter des boules dans l’urne au profit d’experts dont les travaux auraient été jugés de qualité supérieure. Ce comité pourrait aussi avoir le souci de susciter de nouvelles vocations à l’expertise indépendante en allant chercher des impétrants à qui pourraient être confiés des dossiers sans difficulté particulière, comme celui d’un changement de contrôle pur et simple, sans réinvestissement d’actionnaires actuels, et avec une prime copieuse.

 

Quant à la rémunération des experts, elle serait discutée avec ce comité sur la base d’un budget horaire en fonction de la difficulté des dossiers et du temps nécessaire, et non en fonction de la taille des opérations. On pourrait envisager un minimum plus élevé que l’actuel de 50 000 € (100 000 €), et un plafond à 500 000 €, sauf pour les dossiers particulièrement complexes (comme le retrait d’EDF par exemple). Puis l’AMF la verserait aux experts choisis et la refacturerait à l’euro l’euro à l’initiateur.

 

On pourrait aussi, à l’instar de la situation allemande, songer à une décision par le président du Tribunal de commerce de Paris.

 

Serait ainsi mis fin à un mode de désignation et de rémunération qui, dans la plupart des cas, attise inutilement la suspicion. Les experts indépendants pourraient ainsi se sentir parfaitement à l’aise dans leurs travaux sans la pression implicite, voire explicite dans des cas limités, de l’initiateur ou de son conseil. Serait ainsi rétabli un équilibre entre ceux qui fournissent l’information de base (l’initiateur ou la société contrôlée) et les actionnaires minoritaires à qui l’avis d’équité est destiné.

 

En attendant une telle évolution, c’est aux actionnaires de se saisir des droits que la réforme de 2020 de l’expertise indépendante leur a donnés pour étudier les rapports d’évaluation des conseils financiers et des experts indépendants, contre argumenter si nécessaire, être reçus par eux pour démontrer par A + B que le prix d’expropriation est inadéquat, le faire savoir pour convaincre le marché. Et dans les cas extrêmes et heureusement très rares, nommer pour faire honte (name and shame) pour éviter que ne se reproduisent des situations qui ne devraient pas exister.

 

En effet, factuellement, ce n’est pas le régulateur qui a été à l’initiative de l’échec d’offres attentatoires au droit de propriété, mais le marché. Être actionnaire, c’est un métier qui, comme un autre, nécessite de travailler.

 

[1] Le chapitre 47 du Verrnimmen en donne d’autres exemples.

[2] Nous ne sommes pas remontés plus loin en arrière.

[3]Le site https://evaluationmaisonantoinebaud.fr donne les détails.

[5] Historien byzantin du vie siècle qui écrivit une histoire officielle du règne de Justinien et une autre secrète nettement moins hagiographique.

[6] Pour les sociétés cotées sur Euronext ou Euronext Growth, mais pas celles sur Euronext Access.

[7] Précisons pour éviter toute ambiguïté, qu’en ce qui nous concerne, une telle fonction serait incompatible avec nos activités actuelles, et que lorsque sonnera l’heure de la retraite, nous aurons probablement d’autres objectifs !

 



Tableau : Les principaux taux d'impôt en France en 2025

Comme chaque année, un grand merci à Benoît Dambre pour sa relecture.

 


Ce tableau résume les principaux taux d’impôt sur les bénéfices, les plus-values, les dividendes et intérêts reçus par les sociétés et les personnes physiques (hors régimes spéciaux et plus-values immobilières) résidentes de France, en application de la loi de finances pour 2025 (exercices ouverts en 2025). Ces taux ne tiennent pas compte, pour les entreprises, des cotisations sociales, taxes, cotisations et autres prélèvements, en particulier liés à la fiscalité locale, qui s’ajoutent aux impôts répertoriés ci-dessous.

 

(1)             Les sociétés, pour être qualifiées de PME au sens de l’article 219 I, b du CGI, doivent réaliser au cours de l’exercice ou de la période d’imposition un chiffre d’affaires hors taxes, ramené le cas échéant à 12 mois, inférieur à 10 M€. Leur capital doit en outre être entièrement libéré et détenu pour au moins 75 % par des personnes physiques (ou des sociétés qui satisfont elles-mêmes à ces conditions) pour bénéficier du taux réduit de 15 % sur les premiers 42 500 € de résultat imposable.

 (2)           La contribution sociale de 3,3 % est assise sur l’IS « brut » de référence, sous déduction d’un abattement de 763 000 € par période de 12 mois (lorsqu’un exercice est différent de 12 mois, l’abattement est ajusté en conséquence). Les taux affichés dans le tableau ci-dessus supposent que l’IS de référence est supérieur à 763 000 €.

(3)             Pour simplifier le tableau, seul est pris en compte l’IS au taux normal. Des taux réduits s’appliquent dans certains cas sous conditions (fiscalité des FCPR, des fonds professionnels de capital investissement, plus-value de cession de locaux professionnels destinés à être transformés en logements, etc.).

 (a)           Bénéficient du régime des plus-values à long terme les cessions de titres de participation détenus depuis au moins deux ans qui revêtent ce caractère au plan comptable ainsi que ceux considérés comme tels par la loi fiscale : (i) titres ouvrant droit au régime des sociétés mères (voir b) prévu aux articles 145 et 216 du CGI si inscription à une subdivision spéciale d’un compte de bilan correspondant à leur classification comptable (ii) actions acquises en exécution d’une OPA ou OPE par l’entreprise initiatrice.

La moins-value constatée lors de la cession de titres de participation détenus depuis moins de deux ans à une société liée fait l’objet d’un report de déduction pendant deux ans (« gel »). Ce report tombe si la cédante change de régime fiscal ou est absorbée par une société non liée au cessionnaire, ou bien en cas de cession à une entreprise non liée au cédant.

Un régime spécifique, profondément remanié par la loi de finances pour 2019, s’applique désormais sur option aux produits nets de concession de brevets, d’inventions brevetables (pour les PME) ou de procédés de fabrication ainsi que les plus-values y afférentes. Ce régime – qui s’applique également aux logiciels protégés par le droit d’auteur – prévoit en substance un taux préférentiel de 10 % sous conditions : il est réservé aux revenus de la propriété industrielle issus d’activités de R&D réalisées par le contribuable lui-même (approche « nexus ») et établit un lien entre les dépenses engagées, les actifs détenus permettant d’accorder un avantage fiscal proportionnel aux gains tirés de ces actifs et que procurent ces dépenses.

Sont taxables au taux réduit de l’IS de 19 %, les cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière cotées qui ont le caractère de titres de participation détenus depuis au moins deux ans. Celles provenant de titres non cotés sont taxables au taux normal de l’IS.

Les cessions de titres de sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif ou « ETNC » ne relèvent pas du régime long terme.

(b)             Participation d’au moins 5 % du capital conservée pendant au moins deux ans. Concerne aussi les titres dépourvus de droit de vote (actions de préférence) si la société mère détient globalement au titre de cette participation au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice. Sont exclues de ce régime les participations dans des sociétés non soumises à l’impôt sur les sociétés (notamment SIIC pour les dividendes prélevés sur des bénéfices exonérés, SICAV…). De même, le régime mère-fille n’est pas applicable aux distributions réalisées par les sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI.

 (c)            Les moins-values subies au cours d’une année par les personnes physiques sont imputables sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année et des 10 années suivantes.

(d)             La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus ou « CHR » de 3 ou 4 % (selon le revenu fiscal de référence) est susceptible de s’appliquer en sus.

 



Recherche : La taxe carbone, un instrument efficace pour la réduction des émissions de CO2 : l'exemple suédois

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

La Suède offre un terrain d’étude idéal pour analyser l’efficacité d’une taxe carbone dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle a été l’un des premiers grands pays, en 1991, à introduire une telle taxe dans son système fiscal. Aujourd’hui cette pratique est très répandue, mais le niveau de taxation carbone de la Suède reste l’un des plus élevés au monde, de l’ordre de 120 dollars par tonne de CO2. L’ordre de grandeur en France et dans le reste de l’Europe est de 50 dollars ; il est plus faible aux États-Unis et dépend de chaque État.

 

L’article que nous présentons ce mois[1] porte sur l’efficacité de cette taxation en matière de réduction des émissions. Une fois n'est pas coutume, ce ne sont pas des données américaines mais des données suédoises qui sont utilisées. L’étude conclut à une efficacité très élevée de la taxe carbone comme instrument d’incitation à la réduction des émissions.

 

Le terrain d’étude comprend environ 4 000 entreprises industrielles suédoises et leurs données d’émission de CO2 sur 25 ans, entre 1990 et 2015. Le résultat principal est l’identification d’une relation inverse significative entre le coût d’émission du CO2 et le niveau des émissions. Pour parler comme les économistes, l’élasticité-prix des émissions de carbone sur l’ensemble de l’échantillon est égale à 2. Cela signifie qu’une augmentation de 1 % du coût d’émission via la fiscalité se traduit par une baisse de 2 % du niveau des émissions.

 

Au total, la Suède fait figure de très bon élève sur cette période, puisque les émissions de CO2 du secteur industriel suédois ont reculé de 31 % entre 1990 et 2015. Sur ce total, seuls 3 % peuvent être attribuables au léger recul de la production industrielle totale en Suède. Pour le reste, 10 % proviennent d’une réorientation vers des secteurs à plus faibles émissions, et la plus grande partie (18 %) peut s’expliquer par une évolution technologique permettant de réduire les émissions au sein d’un même secteur et à même niveau de production. L’élasticité-prix mesurée par les auteurs leur permet d’affirmer que la réduction des émissions a été fortement encouragée par la fiscalité carbone. L’estimation la plus basse attribue plus du tiers de la réduction des émissions aux mesures fiscales.

 

Pour affiner leurs résultats, les auteurs ont pris en compte les données PACE (Pollution Abatement Costs and Expenditures) fournies par une agence gouvernementale. Il s’agit de données estimant le coût de réduction des émissions pour chaque secteur industriel, autrement dit le coût de la transition énergétique. L’élasticité-prix des émissions carbone atteint 3 dans les secteurs à faible coût, alors qu’elle est inférieure à deux dans les secteurs à coûts élevés. Autrement dit, les entreprises arbitrent entre le coût des émissions (en lien avec la fiscalité) et le coût de la transition ; sans surprise, la réduction des émissions est plus forte, à fiscalité équivalente, lorsque le coût de la transition est moindre. Aussi, les auteurs notent que la réduction des émissions a été plus faible dans certaines grandes entreprises, pour une raison technique. Le gouvernement suédois a mis en place des plafonds sur le montant total de la taxe carbone pour éviter la fuite de ces entreprises, si bien que leur coût fiscal par tonne de CO2 est resté relativement modéré.

 

Les résultats de cette étude sont finalement très encourageants quant à l’efficacité de la taxe carbone pour atteindre son objectif qui est de conduire les entreprises à réduire les émissions. La Suède constitue un excellent exemple compte tenu de l’historique disponible et des fréquentes variations et exemptions qui offrent un terrain favorable aux mesures économétriques. Pour autant, si les effets économiques constatés n’ont pas de raison d’être spécifiques à la Suède, leur ampleur est probablement plus élevée que dans d’autres pays. Les auteurs le reconnaissent eux-mêmes, la Suède est économiquement un petit pays très tourné vers les exportations. Il est donc difficile pour les entreprises de répercuter la taxe carbone sur leurs prix de vente, sous peine de perdre en compétitivité face à la concurrence internationale. Cela rend le mécanisme très incitatif. Les résultats ne sont donc probablement pas généralisables dans leur ampleur, mais la taxe carbone est un outil utile à la réduction des gaz à effets de serre.

 

[1] G. Martinsson, L. Sajtos, P. Tromberg et C. Thomann, « The effect of carbon pricing on firm emissions: evidence from the Swedish CO2 tax », Review of Financial Studies, 2024, vol. 37-6, pp. 1848-1886.

 



Q&R : Faut-il prendre les dettes en valeur ou en montant comptable dans les calculs d'évaluation ?

Pour bien comprendre le sujet sur la dette, prenez deux entreprises qui ont le même actif et le même montant de dette. Simplement l'une s'est endettée à taux fixe à 1 % en 2021 sur 20 ans et l'autre vient de s'endetter à 4 % à taux fixe sur 16 ans. Laquelle vaut plus ?

 

Bien sûr celle qui s'est endettée à 1 % versus 4 % et qui va bénéficier pendant 16 ans encore d'un taux d'intérêt plus bas de 3 points de pourcentage, ce qui n'est pas rien. C'est de cela que tient compte dans le passage de la valeur de l'actif économique à la valeur des capitaux propres, la dette en valeur et non en montant comptable. En effet, la dette à 1 % dans un contexte de taux d’intérêt à 4 % vaut moins que son nominal[1].

 

De même, si vous raisonnez pour valoriser ces entreprises, non par l'approche indirecte, mais par l'approche directe, vous aller appliquer le même PER aux deux résultats nets dont celui de l'entreprise endettée à 1 %, ce qui se traduira par une valeur des capitaux propres plus élevée pour cette entreprise (elle a moins de frais financiers, donc plus de résultat net), reflétant le fait qu'elle bénéficie pendant 16 ans d'un taux d'intérêt sympathique.

 

Le sujet n'est donc pas le montant du remboursement, car bien sûr ces deux entreprises vont toutes les deux rembourser 100, et non l'une 100 et l'autre 80 (en postulant que 80 soit la valeur de la dette de 100).

 

C'est simplement celui du différentiel de taux d'intérêt qui a une conséquence en valeur, et que la seule façon, dans une approche indirecte (d'abord valoriser l'actif économique puis ensuite retirer la valeur de la dette nette) de la prendre en compte est de raisonner en valeur de la dette et non en montant comptable.


 

 

[1] Voir le chapitre 22 du Vernimmen.

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. En voici quelques-uns :

 

IPO ? une lueur d’espoir (18 janvier)

 

Pour la première fois depuis 2014, 100 % des entreprises introduites à Paris dans l’année terminent celle-ci avec un cours supérieur à celui de leur introduction en Bourse. Il est vrai qu’elles n’étaient que 4, mais quand même, quel contraste avec les années précédentes !


Depuis 2014, et en ne retenant que les entreprises encore cotées, si l’on exclut celles ayant fait faillite ou quitté la cote (par achat, fusion, ou retrait), on compte 143 entreprises introduites dont seulement 14 % (sic) ont un cours fin 2024 supérieur à celui de leur introduction !


Si l’on segmente par taille, pour les entreprises capitalisant plus de 1 Md€, soit 17 groupes, 59 % ont un cours au-dessus de celui de leur introduction. Mais ce chiffre chute à 8 % pour celles capitalisant moins de 1 Md€ !


C’est ce désastre qui semble enrayé car sur les 4 dernières introductions en Bourse d’entreprises capitalisant moins de 1 Md€, 100 % cotent au-dessus de leur prix d’introduction. C’est un heureux contraste avec les années terribles 2016, 2017, 2020, et 2022 où toutes les entreprises alors introduites sont aujourd’hui en moins-value.


Espérons, puisque l’on est en période de vœux, que les introducteurs spécialisés en valeurs petites et moyennes aient définitivement retrouvé la voie de la raison, à la fois pour filtrer les entreprises dont le modèle économique relève plus du capital risque que de la Bourse ; et pour ne pas pousser au crime des dirigeants en les incitant à bâtir des plans d’affaires irréalistes pour réussir une introduction jusqu’à la publication des premiers résultats post-introduction…


À un dirigeant d’une grosse PME qui venait lever les capitaux propres nécessaires au financement de son expansion européenne, envisageant d’atteindre le point mort hors de France au bout de 5-7 ans, son conseil financier lui a répondu que son plan d’affaires devait afficher un équilibre au bout de 3 ans, plutôt que de le conseiller de revoir sa valorisation à la baisse.


Sur les 143 introductions depuis 2014, 40 ont vu leur cours chuter de plus de 90 % et ne s’en remettront probablement jamais.


Qu’ils s’inspirent plutôt de l’exemple d’Euronext, qui a sous-promis et sur-délivré, et qui affiche une progression de son cours de 426 % depuis son introduction en Bourse en 2014 : c’est le champion toute catégorie. Chapeau bas.
 

Comment justifier une valeur équitable de 321 €/m² et un rendement locatif de 20,8 % pour des entrepôts logistiques dans des métropoles de province ? (11 janvier)

 

C’est le défi brillamment relevé par Paper Audit et Conseil, expert indépendant pour la sortie de cote de la foncière Maison Antoine Baud (MAB).

Car à cœur vaillant rien d’impossible, surtout quand les autres experts sollicités ont refusé de compromettre leur réputation, vous laissant le champ libre.

Vous commencez déjà par changer de méthode par rapport à votre précédent travail d’expertise d’une foncière (IPBM) : exit les actifs nets réévalués (sur la base d’une estimation du prix au m²), standard de la profession. Vive les DCF ! et peu importe si vous aviez fait l’inverse lors d’une expertise précédente. Qui ira regarder ?
 
Pour que le DCF vous donne vraiment une valeur massivement sous-évaluée, vous sortez l’artillerie lourde :
 
1.        Vous prolongez le plan du management fait sur 4 ans en l’extrapolant de 7 années supplémentaires afin de réduire la valeur terminale, puisque vous capitalisez à 2,5 % les loyers que vous actualisez ensuite à 6,1 %. Très efficace : - 21 % sur la valeur terminale, mais pas suffisant.
 
2.        Vous affirmez que le taux de vacance 2024 (7,9 %) est exceptionnellement bas, bien qu’il ait été en moyenne inférieur à 6 % sur les 4 dernières années. Vous le projetez à 15 %… à l’infini.
 
3.        Vous ne lésinez pas sur les travaux : vos actifs immobiliers sont de 53 M€ et vous les faites croître de  114 M€ en 11 ans et peu importe si la stabilité des loyers entre 2024 (11 M€) et 2035 (11,2 M€) est en contradiction flagrante. Comme vous avez pris la peine d’écrire que vous avez vérifié la cohérence et la pertinence des projections, personne n’ira vous embêter. Au cas où, vous prenez le soin de rejeter la faute sur le décret tertiaire qui justifie une partie de ces travaux, et ce n’est pas grave si vous avez oublié de revaloriser les loyers de l’économie substantielle de consommation énergétique induite pour les locataires.
 
4.        Vous traitez les dépôts de garantie de ces derniers comme des dettes et non du BFR, alors qu’ils ne portent pas intérêt et sont consubstantiels au contrat de location. Ainsi vous réduisez doublement la valeur des capitaux propres : d’abord car les variations du BFR devenu ainsi positif réduisent la valeur des actifs dans l’actualisation des flux ; ensuite les dettes financières ainsi accrues réduisent les capitaux propres dans le passage de la valeur des actifs à celle des capitaux propres.
 
Mais il n’y a pas que le DCF dans la vie. Vous appliquez le PER des comparables au résultat net de MAB, et…. retirez ensuite le montant de l’endettement net, comme si le produit du PER et d’un résultat net ne donnait pas la valeur des capitaux propres, mais celle des actifs. Résultat ? La dette est ainsi comptée deux fois. Plus c’est gros, mieux ça passe.
 
Il suffit alors de rédiger un rapport concluant que tout cela est équitable pour l’actionnaire minoritaire et d’envoyer la facture. Et tant pis pour les naïfs qui se fieront à vous et apporteront leurs titres à l’offre. Ce qui ne sera pas le cas de celui de nous deux actionnaire de MAB.

 

L’AMF et Euronext vont-elles accepter de se faire leurrer par un rapport d’expert entaché de 9 erreurs grossières ? (25 janvier)

 

Dans son billet d’il y a 15 jours, celui de nous deux actionnaire de MAB expliquait comment Paper Audit et Conseil, expert nommé pour évaluer la valeur des actions de la société foncière MAB, dans le cadre de son retrait de cote, avait multiplié les erreurs manifestes pour justifier un prix au m² de  321 € pour des entrepôts et des locaux d’activité dans les grandes métropoles régionales, et un rendement locatif brut inouï de 20,7 %.

Le marché s’est prononcé en refusant d’apporter le moindre titre à cette offre ridiculement basse. Hier, dernier jour de l’offre, le cours affichait 22 % de plus que le prix proposé.

MAB étant cotée sur Euronext Access, à la fin de la semaine prochaine, Euronext Paris devrait prononcer sa radiation officielle et son action deviendrait ainsi un titre non coté.

Mais Euronext peut-il dans ces conditions prononcer la radiation alors que celle-ci résulterait d’une erreur manifeste de ses services qui n’ont probablement fait que survoler le rapport de l’expert ? Car sinon, comme expliquer qu’ils n’aient pas vu que celui-ci valorisait les capitaux propres comme PER x Bénéfice net – Endettement bancaire financier net, ce que tout étudiant de première année apprend être une erreur monumentale, faisant ainsi la confusion entre la valeur des capitaux propres et la valeur des actifs (entreprise value) ? Comment n’ont-ils pas vu que le rapport ne comprenait aucune expertise immobilière, ce qui est le B.A BA pour évaluer une foncière, alors que toutes les sorties de cote de foncières depuis 2008 se sont faites au moins à l’ANR (actif net réévalué).
 
Car, si les règles de radiation d’Euronext Access sont bien plus légères que sur les autres compartiments de la Bourse de Paris, un rapport d’un expert indépendant, pour être qualifié de tel, ne doit pas comporter des erreurs manifestes à répétition. Outre les 3 indiquées il y a 15 jours, en voici 4 autres, dont :
– Comparer MAB à 24 foncières, dont seulement 4 sont réellement comparables. MAB est une foncière principalement logistique, secteur le plus dynamique de l’immobilier depuis des années, non affecté par le boom du télétravail et le développement continu de l’e-commerce. Ainsi comparer MAB à Unibail-Rodamco-Westfield est risible : + 9 %/an de croissance pour MAB contre + 2 % pour Unibail depuis 2018, témoin de dynamiques très différentes de leurs segments respectifs.


– Ne pas valoriser les immeubles temporairement inoccupés ou les terrains en friche.


– S’appuyer sur un actif net comptable alors que les immeubles ne sont jamais réévalués, seulement amortis. Résultat : une valorisation à  200 €/m² pour un immeuble sur les bords de Seine à Saint-Denis.


– Retenir comme pertinent un cours de Bourse avec des échanges épisodiques : 0,07 % du capital échangé par an depuis 2021.
 
On verra sous peu d’autres éléments qui démontrent de façon flagrante une sous-évaluation manifeste ; et que malheureusement Paper Audit et Conseil n’en est pas à son coup d’essai dans ce domaine.
Affaire à suivre.

 

Un rapport d’un expert indépendant peut-il tromper l’AMF et Euronext ? (28 janvier)

 

C’est le pari de Paper Audit et Conseil, qui atteste comme « équitable » une offre de retrait acceptée par 0 % des actionnaires minoritaires, et avec un cours de Bourse supérieur de 22 % au prix proposé.

Dans les deux précédents billets, ont été présentées 7 des 9 erreurs manifestes que contient ce travail supposé d’expertise. Voici les deux dernières.

1.      Erreur no 8 : Paper Audit et Conseil invente un nouvel outil, la « décote de non SIIC ».
Une société foncière peut choisir le statut SIIC (société d’investissement immobilier cotée), exonéré d’impôt sur les sociétés, en contrepartie d’une distribution obligatoire de 95 % des loyers et 70 % des plus-values en dividendes à ses actionnaires. MAB n’a pas fait ce choix. Paper Audit et Conseil en déduit une décote arbitraire de 18,4 %… sans en expliquer le calcul.


Pourtant, dans la conjoncture immobilière actuelle, ne pas être SIIC est un atout majeur ! La hausse des taux a mis sous pression nombre de sociétés foncières fortement endettées, qui doivent vendre des bâtiments à des prix cassés pour respecter leurs obligations de distribution. MAB, au contraire, en ne distribuant que 39 % de son résultat, est très peu endettée (Dette nette / EBE 2023 = 1,7) et dispose de 16,2 M€ de trésorerie active fin 2023, ce qui lui permet de saisir des opportunités d’acquisitions à bas prix, comme elle l’a fait en 2024, et de créer de la valeur. Bref, au lieu d’une « décote de non SIIC », c’est une « prime de non SIIC » qu’il faudrait inventer !

2.      Erreur no 9 : retenir le montant comptable et non la valeur de marché de la dette qui, après une forte hausse des taux d’intérêt, est nécessairement inférieure à son montant comptable. En effet, MAB est endettée à un taux moyen de 1,3 %, versus un taux de marché de 4,4 % environ, pour des emprunts immobiliers de long terme. Dans de telles conditions, une dette sur une durée résiduelle de 15 ans ne vaut que 80 % de son montant nominal, et non  100 %.

Ainsi, avec 9 erreurs manifestes, l’expert aboutit à une valeur dite « équitable » de  320 €/m² pour ses bâtiments, alors que lorsque MAB a cédé une partie de son plus mauvais actif, à Echirolles (dans la banlieue sud de Grenoble), elle en a obtenu 400 €/m²… pour un actif au rez-de-chaussée duquel des trafics en tout genre se déroulaient, avant que MAB ne réussisse à faire clore cet espace.

Si les autorités chargées de l’attractivité de la place de Paris acceptaient que les droits des minoritaires menacés par une radiation soient liquidés au vu d’un rapport d’expertise lardé de 9 erreurs manifestes, celui de nous deux actionnaire de MAB aurait la maigre consolation d’avoir là un contre-exemple aussi édifiant que remarquable à présenter à ses étudiants d’HEC, et à partager avec ses collègues enseignant la finance au-delà de nos frontières.

 

L’arbre ne doit pas cacher la forêt (1er février)

 

Cette semaine, Euronext a publié les résultats officiels de l’offre publique sur la foncière MAB, visant à entraîner sa radiation d’Euronext Access. Résultat : 0 titre apporté à l’offre avec un cours qui a clôturé 22 % au-dessus du prix offert. À la connaissance de celui de nous deux actionnaire de MAB, c’est la première fois depuis au moins 30 ans sur la place de Paris qu’une offre ne recueille pas un seul titre, pas un seul.
 

Euronext aurait dû publier l’avis de radiation jeudi. Il n’en a rien été, seul a été publié un avis de suspension des cours en attente de la décision finale des autorités de marché. Celle-ci pourrait être de radier MAB de la cote comme son actionnaire majoritaire le demande ; ou de refuser la radiation, laissant la situation en l’état ; ou bien encore de demander à l’actionnaire majoritaire de nommer un nouvel expert pour faire un vrai travail d’expertise indépendante dans les règles de l’art, contrairement à Paper Audit et Conseil, qui n’en est malheureusement pas à son coup d’essai.

C’est en effet le seul expert qui, dans le cadre d’un retrait de cote avec expropriation, a fortement modifié à la baisse les paramètres principaux du plan d’affaires du management pour justifier un prix massivement sous-évalué pour cette entreprise cotée dont l’un de nous deux était alors actionnaire (Orchestra en 2014). Ceci sans aucun contact avec les dirigeants opérationnels, mais après discussions uniquement avec le conseiller de l’actionnaire majoritaire comme indiqué noir sur blanc dans le prospectus en réponse (page 71). Paper Audit et Conseil a ainsi réduit le taux de croissance des ventes du plan d’affaires, de 14 % à 5 % par an sur les 5 années suivantes. L’effet sur la valeur a été violent puisqu’au lieu de quasiment doubler, le chiffre d’affaires ne progressait plus que de 28 % en 5 ans. Et la marge a aussi été abaissée par l’expert d’un peu moins de 5 % à un peu plus de 4 %.
 
L’Autorité des marchés financiers (AMF), sidérée, a refusé l’expropriation. Un an après, le cours était le triple du prix de l’offre. Il est regrettable qu’après ce premier coup de semonce, Paper Audit et Conseil ne se soit pas recentré sur son cœur de compétence, l’analyse et le conseil en normes comptables, où il excelle.
 
Comme toute profession, celle des experts indépendants travaillant sur des opérations boursières regroupe des personnes dont la très grande majorité est compétente, sérieuse et ayant conscience que leurs travaux ont des conséquences lourdes (expropriation des actionnaires minoritaires, privation de la liquidité dans d’autres cas comme celui de MAB), mais aussi pour eux (réputation). Il y a des exceptions, heureusement rares, et l’arbre ne doit pas cacher la forêt.
 
Nous reviendrons la semaine prochaine sur les difficultés du métier d’expert indépendant, qu’il ne faut pas sous-estimer.

 

La balle est dans le camp d’Euronext (14 février)

 

Celui de nous deux qui est actionnaire de MAB vient d’ouvrir un site internet qui contient une étude approfondie (101 pages) de la valeur de MAB incluant, en particulier, une valeur bâtiment par bâtiment. Non pas qu’il soit aussi un expert immobilier, mais comme tout un chacun, il utilise Patrim, le service de l’administration fiscale qui recense les transactions permettant d’évaluer un appartement ou une maison en fonction des transactions récentes. Il existe un site similaire pour les transactions commerciales : DVF, Demandes de valeurs foncières. Sur 67 pages, il passe ainsi en revue chacun des actifs de MAB et trouve des références récentes de transactions portant sur des actifs comparables.

Résultat ? Une valeur de l’action d’environ  700 €, contre un prix de l’offre de radiation à 230 €.

Pourquoi un tel écart ? Une première en France, du jamais vu pour le retrait de cote d’une société foncière : l’expert a accepté de travailler sans expertise immobilière bien par bien.

Un exemple frappant : un immeuble de bureaux à Saint-Denis, certes vieillissant mais bien situé sur les quais de Seine, estimé par l’expert à 200 €/m² (montant comptable). Sa valeur selon DVF est de 2 500 €/m².

L’un des quelque 300 000 lecteurs des posts LinkedIn précédents a signalé qu’au moins une banque prêteuse avait reçu une estimation interne des actifs de MAB. Comme la société ne fait pas faire d’expertises immobilières, il s’agit probablement de la capitalisation des loyers (10 M€ en 2023) par le taux de capitalisation requis par MAB (8 %), ce qui donne une valeur des actifs d’environ 125 M€ en 2023, soit 600 € par action. Alors que l’offre de radiation est à 230 €…

Euronext mène actuellement l’enquête et interroge l’expert, le conseil financier et l’initiateur. Personne ne doute qu’Euronext va demander à MAB une copie de ce courrier, classiquement prévu dans les contrats de prêts bancaires au titre du suivi du ratio LTV (Loan To Value). Soit l’initiateur s’exécutera, soit il refusera. Quelle que soit la réponse, elle sera édifiante.

Une devinette pour finir : vous détruisez (pour les reconstruire) 11 % de vos surfaces de bâtiments les plus obsolètes construits il y a des décennies. Combien perdez-vous temporairement de chiffre d’affaires ? 5 % ? 8 % ? Vous n’y êtes pas du tout ! 25 %, dans le plan d’affaires de l’initiateur, jugé cohérent par l’expert (page 14 de son rapport) !
Et à combien allez-vous relouer ces locaux une fois mis aux normes actuelles : + 10 %, + 20 %, + 30 % ?
Pas du tout …. - 37 % ! (même page).
 
Eh oui, c’est bien ce qu’il faut, pour juger équitable un prix moyen de  321 €/m² pour les actifs de MAB, contre environ  880 €/m² avec les données des transactions récentes de DVF.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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