La Lettre n°214 de Janvier 2024

Actualités : Deux tables rondes de finance d'entreprise

Pour ceux d’entre vous qui seront disponibles physiquement à Paris le 23 janvier 2024, nous animerons deux tables rondes, à 18 h 45, dans les locaux de Bpifrance, boulevard Haussmann.

 

La première table ronde sera consacrée aux innovations financières de la transition énergétique avec François Meunier sur la facturation carbone et Yann Leriche, DG, et Géraldine Périchon, directrice financière de GetLink sur la marge décarbonée publiée pour la première fois par ce groupe en 2023.

 

La seconde table ronde sera consacrée au rôle de la Bourse pour financer l’innovation, avec Delphine d’Amarzit qui dirige la Bourse de Paris et Maria Pardo Saleme, directrice financière de Lhyfe, le premier fournisseur d’hydrogène vert et renouvelable.

 

Nous aurons ainsi le plaisir de vous rencontrer et de dédicacer votre exemplaire du Vernimmen, qui sera aussi en vente sur place.

 

Pour vous inscrire gratuitement, cliquez ici

 



Actualités : Dividendes et rachats d'actions au sein du CAC 40 en 2023

Pour la 21e année, nous publions les résultats de notre étude annuelle. Avant de les livrer, rappelons trois points à notre lecteur pour qui les souvenirs des chapitres 38 et 39 du Vernimmen[1] seraient trop lointains :

  • 1- Pas plus qu’un retrait à un distributeur automatique de billets ne vous a jamais enrichi, dividendes et rachats d’actions n’ont jamais enrichi les actionnaires, puisque la valeur de leurs actions baisse mécaniquement du même montant dès le versement du dividende. Pour les rachats d’actions, c’est la valeur des capitaux propres qui baisse du montant du rachat d’actions et la stabilité de la valeur de l’action est obtenue, malgré cela, grâce à la hausse du pourcentage de détention à la suite de l’annulation des actions rachetées. Sinon, on ne comprendrait pas comment trois hommes parmi les plus riches du monde le sont devenus en étant actionnaires d’entreprises qui ne versent pas de dividendes (Elon Musk et Tesla, Jeff Bezos et Amazon, Warren Buffett et Berkshire Hathaway).
  • 2- Par construction, le CAC 40 regroupe les quarante groupes cotés français ou d’origine française aux meilleures performances. Pas plus que l’on peut juger du niveau en finance des Français en interrogeant les seuls propriétaires d’un Vernimmen, l’on ne peut juger de la bonne santé de l’économie française en se penchant uniquement sur le CAC 40, dont le périmètre évolue au demeurant chaque année pour sortir les moins performants (Worldine en 2023) et leur substituer des impétrants plus performants (Edenred).
  • .Dividendes et rachats d’actions sont de formidables outils de circulation des richesses permettant de réallouer une ressource rare, les capitaux propres, d’entreprises qui n’en ont plus l’utilité, vers des entreprises nouvelles qui en ont besoin à leur stade de développement actuel.

 

Nous avions pris l’an passé l’exemple de LVMH pour illustrer une politique de distribution judicieuse[2]. Prenons cette année un exemple inverse, celui de GEA, l’un des leaders mondiaux des logiciels de perception des péages aux barrières des autoroutes.

 

Depuis 2013, le chiffre d’affaires a baissé de 78 M€ à 38 M€, soit une réduction de plus de 50 % en 10 ans. Parallèlement le résultat net a décru de 13,4 M€ à 2,4 M€. Bien que GEA disposât fin 2012 de 39 M€ de liquidités sans aucun endettement bancaire, et qu’elle ait généré depuis 2013 56 M€ de flux d’exploitation dont 13 M€ ont été consacrés à des investissements, GEA s’est contenté de distribuer en moyenne 36 % de son résultat net, soit 24 M€ sur un total cumulé de résultats nets de 66 M€. En conséquence de quoi, les liquidités nettes de tout endettement bancaire et financier qui étaient de 39 M€ fin 2012 ont grimpé à 59 M€ fin 2022.

 

En toute rationalité, on aurait pu s’attendre, du fait du réinvestissement dans l’entreprise de 66 M€ de résultats nets – 24 M€ de dividendes = 42 M€, que la valeur des capitaux propres progresse d’autant. Il n’en a malheureusement rien été pour les actionnaires, puisque la valeur des capitaux propres est passée de 88 M€ en moyenne en 2013 à 104 M€ en 2023. Soit une progression de la valeur de 16 M€, qui ne représente que seulement 38 % des 42 M€ qui ont été réinvestis depuis 10 ans. Autrement dit, à chaque fois que 1 euro a été réinvesti dans GEA, les actionnaires renonçant à toucher cette somme sous forme de dividendes, la valeur des capitaux propres n’a progressé que de 0,38 €, conduisant à un appauvrissement relatif de 0,62 €.

 

Les deux raisons principales de cet appauvrissement sont la rentabilité marginale des investissements industriels qui, depuis 10 ans, a été désastreuse avec un résultat d’exploitation en chute libre ; et celle nulle ou quasiment des nombreuses liquidités de GEA compte tenu du contexte des taux d’intérêt sur cette période.

 

Si au lieu de cette politique de distribution non adaptée à ses besoins d’investissement et à sa structure financière, GEA avait versé la totalité de ses résultats à ses actionnaires, l’entreprise n’aurait pas été saignée à blanc avec une trésorerie nette de toute dette bancaire qui aurait quand même été excédentaire de 17 M€ fin 2023. Et au lieu d’avoir réinvesti 42 M€ dans GEA, qui se sont traduits par une progression de la valeur des capitaux propres de 16 M€ seulement, les actionnaires auraient récupéré en liquidités 42 M€ valant 42 M€, leur permettant d’investir ces fonds dans des entreprises ayant des vrais besoins de liquidités pour financer des investissements, contrairement à GEA qui se contente de laisser ses plantureux excédents de trésorerie en banque.

 

L’argent est fait pour circuler et il n’y a rien de pire que l’immobilisme en ce domaine qui fige des situations acquises. Seuls les conservateurs sont contre les dividendes et les rachats d’actions !

 

 

Les résultats maintenant

 

En 2023, d’après nos compilations, les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 97,1 Md€, dont 30,1 Md€ sous forme de rachats d’actions, et 67,1 Md€ sous forme de dividendes en numéraire, soit le niveau le plus haut jamais enregistré depuis que nous faisons cette étude :

 

Ces chiffres ne sont qu’à l’unisson d’autres tout aussi excellents enregistrés en 2023, malgré un contexte économique et géostratégique compliqué :

  • Le taux de chômage atteint en France son point le plus bas depuis 1984 et 2008 à 7,3 % ;
  • les créations d’entreprises sont, sur les 11 premiers mois de 2023, à 0,4 % au-dessus de leur record historique de 2022 ;
  • l’indice CAC 40, dividendes réinvestis, est fin décembre 2023 à son plus haut niveau historique.


En 2022, les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires font 37 % du volume, contre 31 % l’an passé : TotalEnergies (18,4 Md€), BNP Paribas (9,7 Md€) et LVMH (7,5 Md€). En ajoutant trois autres groupes (Stellantis, AXA et Sanofi), la barre des 50 % des fonds redistribués est franchie.

 

 

La quasi-totalité de ces redistributions sont le fait d’entreprises à maturité, ce qui est logique puisque celles-ci génèrent par leurs résultats de nouveaux capitaux propres importants, que leur faible croissance rend inutiles. Il est plus sain de les reverser à leurs actionnaires, plutôt que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs de trésorerie, et de priver ainsi de capitaux propres d’autres groupes qui en auraient besoin pour se développer, et vers qui les dividendes et rachats d’actions de ces mastodontes seront réinvestis.

 

Par ailleurs, la dernière moitié du CAC 40 ne fait que 14 % du total des dividendes et des rachats d’actions (16 % en 2021). Comme quoi au sein du CAC 40, les inégalités sont criantes, mais elles renvoient à des inégalités de taille avec 6 groupes capitalisant plus de 100 Md€ et 8 moins de 12 Md€.

 

 

Les rachats d’actions

 

En 2023, les entreprises du CAC 40 ont procédé à 30,1 Md€ de rachats d’actions, soit 1,3 % de leur capitalisation boursière moyenne. On ne comparera pas ce chiffre à celui des années précédentes, car cela ne ferait pas sens, puisque les rachats d’actions sont discrétionnaires et n’impliquent, contrairement aux dividendes, aucun engagement implicite de récurrence.

 

On notera que les rachats du premier (TotalEnergies pour 9,2 Md€) cette année n’en représentent que 31 %. Ensuite, on trouve 16 groupes, soit autant que l’an passé – qui ont consacré de l’ordre de 400 M€ à 5 Md€ chacun aux rachats en 2023. Parmi les nouveaux adeptes significatifs de 2023 : BNP Paribas, Axa, Airbus et Publicis.

 

Au total, 26 groupes ont procédé à des rachats d’actions significatifs (au moins 100 M€) en 2023, soit autant que l’an passé.

 

 

 

Côté dividendes, 67,1 Md€ ont été versés en 2023. Un seul groupe n’en a pas versé contre 3 l’an passé. C’est Unibail-Rodamco-Westfield, en raison d’un endettement trop lourd, illustrant ainsi que le niveau d’un dividende dépend non seulement des résultats de l’année écoulée mais aussi de la situation d’endettement de l’entreprise. Avec un ratio dettes nettes / EBE de 12,4 fois, le débat sur ce sujet n’a pas dû être long au sein de son conseil d’administration.

 

Avec 12 groupes du CAC 40 ayant une dette nette négative, et les autres (hors banques, assurances et immobilier) ayant un ratio d’endettement moyen de 1,6, et dont aucun ne dépassant 3 fois, la structure financière des autres groupes du CAC 40 ne pose aucun sujet d’inquiétude.

 

Ce qui leur permet à la fois de verser des records de dividendes, de procéder aux plus hauts rachats d’actions de leur histoire, mais aussi de procéder à des records d’investissements à 94,2 Md€, soit 20 % de plus qu’en 2022, mais aussi 21 % de plus qu’en 2019, signifiant clairement que pour les groupes du CAC 40, la parenthèse pandémique est bel et bien refermée. La hausse des investissements atteint même 44 % pour les 3 plus gros redistributeurs du CAC 40. Investissements et dividendes sont donc loin d’être antinomiques pour les champions de la rentabilité.

 

EssilorLuxottica et Alstom sont les seuls groupes qui ont choisi de payer leurs dividendes pour partie en actions, pour des montants qui ne figurent pas dans nos chiffres cités plus haut, car ne correspondant pas à des débours de trésorerie. Autant on peut comprendre pour Alstom compte tenu de sa situation, autant pour EssilorLuxottica les raisons en paraissent plus obscures.

 

Le taux de distribution des entreprises du CAC 40 est de 40 % en 2022, similaire au 39 % l’an passé. En tenant compte des rachats d’actions, on passe à 72 %, contre 55 % l’an passé. Le taux de distribution de 40 % est parmi les plus bas que nous ayons enregistrés. Il s’explique par la viscosité du dividende qui, en phase haute de conjoncture, croît moins vite que les résultats, et par des résultats de 2022 excellents pour les plus grands groupes français. Quant au taux de 72 % incluant les rachats d’actions, il s’explique largement par deux événements non récurrents, la hausse des prix du pétrole de 2022 qui a dopé les rachats d’actions de TotalEnergies, et la cession par BNP Paribas de sa banque de détail aux États-Unis qui a reversé 5 Md€, soit un tiers du prix de cession de sa filiale nord-américaine.

 

L’emploi des groupes du CAC 40 est en hausse de 0,3 % par rapport à 2021, à 5,036 M de salariés. Croissance des dividendes et croissance des effectifs ne sont donc pas antinomiques comme on l’entend parfois dans des jugements à l’emporte-pièce. Ainsi, depuis 2017 (date à laquelle nous avons commencé à compiler les effectifs), les dividendes et rachats d’actions ont augmenté de 111 % et les effectifs de 13 %. C’est justement parce que les groupes du CAC 40 vont bien qu’ils peuvent à la fois embaucher et se développer, tout en versant des dividendes et des rachats d’actions qui, au total, atteignent 4,1 % de leur valeur.

 

On terminera en soulignant que les groupes du CAC 40 continuent de largement surperformer leurs concurrents britanniques ou allemands comme en témoigne la capitalisation boursière des 40 premiers groupes britanniques (1.780 Md€), allemands (1.560 Md€) et français (2.362 Md€).

 

 

Au total, dividendes et rachats d’actions en 2023 illustrent une nouvelle fois que le dividende n’est ni une idole, ni un tabou, mais un instrument au service d’une redistribution progressive des capitaux propres au sein de l’ensemble des entreprises par l’intermédiaire des investisseurs, afin de les allouer au mieux au profit d’une économie aussi efficiente que possible.

 

Source des chiffres : Compilation par les auteurs des informations réglementées publiées par les sociétés.

[1] Dont les résumés sont consultables ici.

[2] Que vous pouvez consulter ici.

 



Tableau : Les principaux taux d'impôt en France en 2024

Comme chaque année, un grand merci à Benoît Dambre pour sa relecture.

 

Ce tableau résume les principaux taux d’impôt sur les bénéfices, les plus-values, les dividendes et intérêts reçus par les sociétés et les personnes physiques (hors régimes spéciaux et plus-values immobilières) résidentes de France, en application de la loi de finances pour 2024 (exercices ouverts en 2024). Ces taux ne tiennent pas compte, pour les entreprises, des cotisations sociales, taxes, cotisations et autres prélèvements, en particulier liés à la fiscalité locale, qui s’ajoutent aux impôts répertoriés ci-dessous.

 

 

(1)            Les sociétés, pour être qualifiées de PME au sens de l’article 219 I, b du CGI, doivent réaliser au cours de l’exercice ou de la période d’imposition un chiffre d’affaires hors taxes, ramené le cas échéant à 12 mois, inférieur à 10 M€ Leur capital doit en outre être entièrement libéré et détenu pour au moins 75 % par des personnes physiques (ou des sociétés qui satisfont elles-mêmes à ces conditions) pour bénéficier du taux réduit de 15 % sur les premiers 42 500 € de résultat imposable.

(2)            La contribution sociale de 3,3 % est assise sur l’IS « brut » de référence, sous déduction d’un abattement de 763 000 € par période de 12 mois (lorsqu’un exercice est différent de 12 mois, l’abattement est ajusté en conséquence). Les taux affichés dans le tableau ci-dessus supposent que l’IS de référence est supérieur à 763 000 €.

(3)            Pour simplifier le tableau, seul est pris en compte l’IS au taux normal. Des taux réduits s’appliquent dans certains cas sous conditions (fiscalité des FCPR, des fonds professionnels de capital investissement, plus-value de cession de locaux professionnels destinés à être transformés en logements, etc.).

(a)            Bénéficient du régime des plus-values à long terme les cessions de titres de participation détenus depuis au moins deux ans qui revêtent ce caractère au plan comptable ainsi que ceux considérés comme tels par la loi fiscale : (i) titres ouvrant droit au régime des sociétés mères (voir b) prévu aux articles 145 et 216 du CGI si inscription à une subdivision spéciale d’un compte de bilan correspondant à leur classification comptable (ii) actions acquises en exécution d’une OPA ou OPE par l’entreprise initiatrice.

La moins-value constatée lors de la cession de titres de participation détenus depuis moins de deux ans à une société liée fait l’objet d’un report de déduction pendant deux ans (« gel »). Ce report tombe si la cédante change de régime fiscal ou est absorbé par une société non liée au cessionnaire, ou bien en cas de cession à une entreprise non liée au cédant.

Un régime spécifique, profondément remanié par la loi de finances pour 2019, s’applique désormais sur option aux produits nets de concession de brevets, d’inventions brevetables (pour les PME) ou de procédés de fabrication ainsi que les plus-values y afférentes. Ce régime – qui s’applique également aux logiciels protégés par le droit d’auteur – prévoit en substance un taux préférentiel de 10 % sous conditions : il est réservé aux revenus de la propriété industrielle issus d’activités de R&D réalisées par le contribuable lui-même (approche « nexus ») et établit un lien entre les dépenses engagées, les actifs détenus permettant d’accorder un avantage fiscal proportionnel aux gains tirés de ces actifs et que procurent ces dépenses.

Sont taxables au taux réduit de l’IS de 19 %, les cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière cotées qui ont le caractère de titres de participation détenus depuis au moins deux ans. Celles provenant de titres non cotés sont taxables au taux normal de l’IS.

Les cessions de titres de sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif ou « ETNC » ne relèvent pas du régime long terme.

(b)            Participation d’au moins 5 % du capital conservée pendant au moins deux ans. Concerne aussi les titres dépourvus de droit de vote (actions de préférence) si la société mère détient globalement au titre de cette participation au moins 5 % du capital et des droits de vote de la société émettrice. Sont exclues de ce régime les participations dans des sociétés non soumises à l’impôt sur les sociétés (notamment SIIC pour les dividendes prélevés sur des bénéfices exonérés, SICAV…). De même, le régime mère-fille n’est pas applicable aux distributions réalisées par les sociétés établies dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI.

 (c)            Les moins-values subies au cours d’une année par les personnes physiques sont imputables sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année et des 10 années suivantes.

(d)            La Contribution exceptionnelle sur les Hauts Revenus ou « CHR » de 3 ou 4 % (selon le revenu fiscal de référence) est susceptible de s’appliquer en sus.

 



Recherche : Investissement à impact : combien les investisseurs sont-ils prêts à payer ?

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

L’investissement à impact consiste à prendre en compte l’impact sociétal ou environnemental dans les choix d’investissement. L’objectif premier reste la performance financière, mais l’investisseur qui recherche l’impact est prêt, marginalement, à renoncer à un peu de performance (compte tenu du risque) si son investissement produit un impact qu’il juge positif. Les modèles économiques qui prennent cet effet en compte incluent une dimension altruiste dans la fonction d’utilité des investisseurs : ces derniers retirent de la satisfaction de l’impact positif de leur choix d’investissement.

 

La question traitée par l’article que nous présentons ce mois[1] est la suivante : les investisseurs sont-ils vraiment prêts à payer pour ça ? Peut-on mesurer financièrement l’intérêt qu’il porte à l’impact de leurs investissements ? Les auteurs ont choisi une approche peu utilisée en finance car difficile à mettre en œuvre : une expérience construite spécialement pour la mesure. Ils ont pour cela contacté des investisseurs à partir d’une base de données danoise (autre originalité de l’article : pour une fois les données ne sont pas américaines !). Pour éviter que l’aspect ludique et l’absence d’enjeu ne déforment les comportements, les investissements effectués sont réels et ont un véritable impact (en pratique, un investisseur sur 10 est choisi ex post et ses investissements sont effectués).

Pour l’expérience, les participants (des professionnels) effectuent des investissements de 1000 €. Ils ont chaque fois le choix entre un investissement sans impact et un investissement à impact, les deux ayant (en moyenne) une performance espérée identique. Tout repose sur les frais de transaction. Au départ, les frais de transaction sont de 10 € pour chaque opération. Ensuite, chaque fois qu’un investissement est choisi, les frais de transaction pour cet investissement augmentent. L’expérience se termine par une situation d’« équilibre » dans laquelle le participant est indifférent entre les deux investissements.

 

Typiquement, si l’investisseur est soucieux de l’impact, à l’équilibre les frais de transaction sont plus élevés pour l’investissement à impact. L’écart en ces frais est une mesure de la volonté de payer pour l’impact. Les auteurs ont choisi pour impact la décarbonation. Ce choix nous semble judicieux pour deux raisons. D’abord, il s’agit d’un critère facilement mesurable (le taux d’émission de CO2). Ensuite, la nécessité de décarboner l’économie fait largement consensus, lorsque d’autres sujets sociétaux ou environnementaux peuvent donner lieu à débat.

 

Notons que seuls les investisseurs d’accord avec l’affirmation « le changement climatique est un problème » sont retenus pour l’étude (soyons rassurés : seuls 6 investisseurs sur 219 sont ainsi exclus). À l’équilibre, les investisseurs sont en moyenne prêts à payer 45 euros supplémentaires pour un investissement à impact (pour 1000 euros d’investissement). Cette mesure est toutefois difficilement interprétable, et le résultat central de l’étude n’est pas celui-là. Les participants ont été divisés aléatoirement en deux groupes. Pour l’un d’entre eux, les investissements à impact proposés engendraient une faible décarbonation. Pour l’autre, la décarbonation était forte, dix fois plus élevée. Pour s’assurer du fait que les participants avaient conscience des mesures, l’impact était aussi expliqué en termes réels équivalents (par exemple en kilomètres de voyages aériens économisés ou en nombre d’arbres plantés).

 

Le résultat central est le suivant : la volonté de payer pour la décarbonation est de 42,49 euros pour le groupe « faible » et de 48,78 euros pour le groupe « fort ». La différence entre les deux est statistiquement non significative. Autrement dit, si les investisseurs sont effectivement prêts à payer pour la décarbonation, ils semblent (presque) indifférents à l’ampleur de la décarbonation. Puisque l’écart d’impact entre les deux groupes était de 1 à 10, cela signifie que les investisseurs du groupe « faible » ont payé neuf fois plus cher que ceux du groupe « fort » chaque tonne de CO2 économisée.

 

La conclusion des auteurs est assez pessimiste sur l’investissement à impact. Les investisseurs ne se comportent pas comme le voudraient les modèles usuels, selon lesquels ils prennent en compte l’impact de leurs investissements en proportion de cet impact, dans une démarche altruiste. Plus compatible avec les résultats est l’idée selon laquelle ils ressentent une satisfaction personnelle de choisir l’investissement à impact. Ils sont prêts à payer pour cela, mais sans tenir compte de l’impact lui-même. Les auteurs soulignent que cet effet psychologique est un encouragement à une forme de greenwashing soft : peu importe l’impact réel, il suffit d’apparaître comme plus vertueux que les autres pour attirer ces investisseurs. Ce résultat peut être rapproché de celui présenté dans la Lettre Vernimmen.net n° 211[2] (De l’ESG dans l’ISR ?) : au niveau des fonds d’investissement, ceux qui se réclament le plus de l’ISR ne sont pas toujours les plus vertueux.

 

[1] F. Heeb, J. F. Kölbel, F. Paetzold et S. Zeisberger, “Do investors care about impact?”, Review of Financial Studies, vol. 36(5), 2023, p. 1737 à 1787.

[2] Que vous pouvez consulter ici.

 



Q&R : Comment traiter un dépôt à terme bloqué en analyse financière et en évaluation ?

« Une banque exige pour accorder un crédit à long terme plus important que l’emprunteur constitue un dépôt à terme bloqué. Comment traiter celui-ci en analyse financière et en évaluation ? »

 

En analyse financière, ce dépôt à terme bloqué et contrepartie de l’obtention d’un prêt à long terme ne peut pas être considéré comme de la trésorerie puisqu’il n’est pas transformable en liquidités sans induire le remboursement de tout ou partie du crédit à long terme. Il ne rentre donc pas dans les ratios de liquidité. Dans le calcul de l’endettement bancaire et financier net, il vient en moins de l’endettement brut.

 

En évaluation, son illiquidité ne doit pas conduire à le considérer comme une non-valeur, et il doit être inclus pour son montant, intérêts capitalisés le cas échéant, dans le passage de la valeur de l’actif économique à la valeur des capitaux propres.

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. En voici quelques-uns :

 

British American Tobacco déprécie ses marques, ce qui n’est pas sans conséquence sur sa valeur (3 janvier)

 

Habituellement la dépréciation de goodwill n’a pas de conséquences significatives sur les cours de Bourse, car tout simplement la dépréciation des goodwills vient sanctionner une situation de perte de rentabilité qui a déjà été intégrée par le marché, la comptabilité étant naturellement en retard par rapport à la réalité économique et financière.

Quand BAT a annoncé déprécier de 25 Md£ ses marques de cigarettes (Pall Mall, Newport, Camel, etc.) le 6 décembre, pour 31 % de leur montant comptable, sa valeur boursière s’est réduite de 8 % en une séance, baisse qui n’a pas été compensée depuis, même partiellement, et c’est pour cela que nous avons attendu avant de vous en parler. La raison est que cette annonce s’est accompagnée de la décision d’amortir à l’avenir ces marques sur 30 ans considérant que, vu l’évolution des habitudes de consommation de ses clients, ces marques dans 30 ans n’auraient plus de valeur et que cette activité, sous cette forme, aurait disparu. Et cette perte de valeur dans 30 ans n’avait pas été anticipée par les investisseurs, qui ont dès lors réduit leurs anticipations des flux de trésorerie disponible, provoquant la chute du cours de Bourse de BAT. En effet, les marques des nouveaux modes de consommation du tabac, sont des marques nouvelles pour BAT (Vuse, Velo, Glo) et non les historiques.

 

Coïncidence ou pas, la dépréciation de 25 Md£ a réduit le montant des capitaux propres comptables à peu ou prou celui de la capitalisation boursière, ce qui fait dire au dirigeant qu’il s’agissait d’un rattrapage comptable par rapport à la réalité, surestimant la capacité des investisseurs à appréhender au mieux celle-ci. Ce qui laisse présager d’autres décrochages de ce type dans des secteurs où des évolutions fortes pourraient être difficiles à chiffrer correctement, et l’on pense naturellement aux effets de la transition énergétique.

 

Trois transactions immobilières emblématiques (28 décembre)

 

Ces dernières semaines Meta a annoncé dénoncer un bail de 18 ans, signé en 2021, sur un immeuble de bureaux qu’il n’a jamais occupé, près de Regent’s Park à Londres, sur lequel il a accepté de payer au propriétaire une indemnité de 149 M£, soit environ 7 ans de loyers. Avec d’autres opérations similaires de restructurations immobilières, c’est 3,35 Md$ qui ont ainsi été dépensés par Meta en 2023. La flexibilité n’a pas de prix pour ceux qui se rappellent, par exemple, que Saatchi & Saatchi avait sombré dans de lourdes pertes en 1991 à cause d’un bail sur un immeuble dont il ne pouvait se défaire en pleine crise immobilière et économique.

 

LVMH a, de son côté, acheté les immeubles du 144-150 avenue des Champs-Élysées, à quelques dizaines de mètres de l’Étoile, face au Drugstore Publicis, pour un peu moins d’un milliard d’euros, afin de loger des boutiques et des bureaux de Dior, témoin de la poursuite de la montée en gamme des Champs-Élysées avec Louis Vuitton qui ouvrira dans l’ancien immeuble d’HSBC, appartenant au Qatar. Le contrôle des emplacements stratégiques n’a pas de prix, puisque l’on parle d'environ 50 000 €/m2.

 

Quant à Barclays, il prolonge de 2034 à 2039 le bail de son siège de Canary Wharf, probablement dans de bonnes conditions financières compte tenu du départ du premier occupant de ce quartier d’affaires : HSBC. Pour ceux pour qui la localisation n’est pas stratégique, l’immobilier est affaire d’opportunités.

 

La place financière de Paris est-elle à la traine de celle d’Abidjan ? (16 décembre)

 

Au moins sur un point, celui du vote des actionnaires en assemblée générale. L’Autorité des Marchés Financiers, AMF, se plaint une nouvelle fois à l’occasion de la publication avant-hier de son rapport 2023 sur la gouvernance et la rémunération des dirigeants des entreprises cotées, qu’aucune des sociétés du SBF 120 n'a proposé en 2022 ou 2023 la généralisation du vote électronique en direct des actionnaires lors des assemblées générales. Les solutions techniques existent et nous les avons expérimentées avec d’autres actionnaires en direct pour l’AG d’une entreprise ivoirienne cotée sur la Bourse d’Abidjan (Bourse Régionale des Valeurs mobilières – BRVM) en juin 2020. Comme Astrid Milsan, secrétaire générale adjointe de l’AMF le regrette dans les colonnes de l’Agéfi : « Nous invitons à travailler sur ce chantier. Il en va de l’image et de la modernité de la place de Paris. D’autant que certains investisseurs le réclament. C’est une évolution incontournable. » On peut difficilement être plus explicite.


Si les émetteurs français traînent des pieds, contrairement à leurs confrères ivoiriens, mettant en avant des arguments techniques et juridiques, c’est en réalité que le vote en direct ne permettrait plus de connaître avant le début de l'AG le résultat des votes, et que les pouvoirs en blanc au président seraient probablement moins répandus. Mais dans quelle démocratie connaît-on avec certitude le résultat du vote avant qu’il ait eu lieu ? 


Nous qui votons en participant en direct aux assemblées des quelques sociétés dont nous sommes actionnaires, ou par correspondance, avons pu constater la lourdeur du processus en France, partiellement dématérialisé, contrastant douloureusement avec la simplicité du même processus en Côte d’Ivoire. 

 

Puisque l’on approche de la fin d’année, formons le vœu que l’AMF puisse être exaucée en 2024 (sans trop y croire toutefois).

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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