La Lettre n°213 de décembre 2023

Actualités : Deux tables rondes de finance d'entreprise

Pour ceux d’entre vous qui seront disponibles physiquement à Paris le 23 janvier 2024, nous animerons deux tables rondes, à 18 h 45, dans les locaux de Bpifrance, boulevard Haussmann.

 

La première table ronde sera consacrée aux innovations financières de la transition énergétique avec François Meunier sur la facturation carbone et Yann Leriche, DG, et Géraldine Périchon, directrice financière de GetLink sur la marge décarbonée publiée pour la première fois par ce groupe en 2023.

 

La seconde table ronde sera consacrée au rôle de la Bourse pour financer l’innovation, avec Delphine d’Amarzit qui dirige la Bourse de Paris et Maria Pardo Saleme, directrice financière de Lhyfe, le premier fournisseur d’hydrogène vert et renouvelable.

 

Nous aurons ainsi le plaisir de vous rencontrer et de dédicacer votre exemplaire du Vernimmen, qui sera aussi en vente sur place.

 

Pour vous inscrire gratuitement, cliquez ici

 



Actualités : Comment expliquer la série des spectaculaires chutes du cours de Bourse de certains groupes ?

On a pu observer depuis quelques mois des baisses violentes des cours de certaines actions sur une séance, Worldline, Alstom, Siemens Energy, etc.

 

Ces baisses ne sont pas dues à une baisse globale du marché mais à l’intégration par le marché de nouvelles spécifiques à ces titres. Ce phénomène paraît d’autant plus frappant qu’il ne touche pas uniquement des groupes de taille modeste dont la liquidité des titres est réduite, mais aussi des sociétés parmi les plus importantes de la cote. Ainsi Sanofi (6e capitalisation boursière du CAC 40) a-t-elle perdu près de 19 % de sa capitalisation le 27 octobre dernier.

 

Une analyse sur l’Eurostoxx 600 montre que les baisses sur une journée sont effectivement bien plus marquées ce semestre que précédemment :

 

 

La même analyse sur le SBF 120 aboutit à la même conclusion :

 

 

Toutes les baisses importantes d’actions de grands groupes sont bien liées à la publication par ces sociétés de communiqués sur leurs résultats ou par la presse de rumeurs sur l’activité du groupe, et non à des flash crash[1].

 

Remarquons que les réactions violentes n’ont lieu qu’à la baisse, et que l’annonce de meilleurs résultats qu’anticipé ne donne pas lieu à des hausses d’une amplitude aussi anormale.

 

Certaines explications des professionnels des marchés ne nous paraissent pas convaincantes :

  • Les baisses soudaines seraient accentuées par le contexte de hausse des taux d’intérêt. Nous ne voyons pas pourquoi la révision des cours suite à une annonce de moins bons résultats qu’anticipé deviendrait mécaniquement nettement plus importante dans un univers de taux d’intérêt plus élevés, d’autant que si les taux sans risque se sont beaucoup accrus, l’impact sur le taux de rentabilité exigé par l’actionnaire a été bien moindre compte tenu d’une baisse corrélative de la prime de risque du marché[2].
  • Les actionnaires institutionnels seraient moins présents en Europe qu’aux États-Unis et donc les valorisations plus arbitraires (les marchés moins efficients) de notre côté de l’Atlantique. Le postulat de base est tout simplement faux, les particuliers sans grande connaissance en finance sont beaucoup plus actifs aux États-Unis, ce qui génère des phénomènes de meme stocks[3] sensiblement plus importants qu’en Europe (AMC, Bed and Beyond…). Par ailleurs, les baisses violentes de cours ont eu lieu récemment de manière homogène des deux côtés de l’Atlantique !

Les justifications pour les baisses sont avant tout fondamentales, c’est-à-dire que la nouvelle information transmise au marché paraît de nature à justifier une baisse conséquente du cours. Ainsi le cas de Worldline dont le cours a baissé de 59 % le 25 octobre suite à l’annonce de son chiffre d’affaires trimestriel. La baisse est effectivement inédite et impressionnante, mais lors de cette publication, Worldline a révisé à la baisse de 38 % son estimation de free cash-flow annuel, et de 63 % celui du second semestre... De quoi affecter très significativement tous les modèles de valorisation.

 

Il est par ailleurs très probable qu’à la révision des free cash flows s’ajoute la correction à la hausse par le marché du taux de rentabilité exigé sur l’action Worldline, via un coefficient bêta plus élevé. En effet, le risque de marché de Worldline apparaît beaucoup plus important que prévu, compte tenu de la sensibilité de ses résultats à la conjoncture économique (ralentissement en Allemagne) beaucoup plus importante qu’anticipé, et de l’incapacité du management à les prévoir, sauf au dernier moment.

 

D’autres exemples, bien que moins impressionnants, sont tout aussi justifiés économiquement. Les baisses des cours de Siemens Energy (-38 % le 26 octobre) ou Alstom (- 35 % le 5 octobre) sont liées à l’annonce de nouvelles inquiétantes : besoins de garanties pour 10 Md€ pour soutenir la croissance pour le premier, et cash flows très négatifs sur l’année pour le second. Notons que ces deux entreprises évoluent dans des secteurs à contrats longs, pour lesquels la profitabilité est très difficile à évaluer pour un analyste externe. Les fluctuations de besoin en fonds de roulement apparaissent également très importantes. Ainsi le cash flow négatif d’Alstom sur le premier semestre 2023 représentait-il 14 % de sa capitalisation boursière. De quoi faire peur aux actionnaires…

 

Il est généralement difficile de mesurer si le quantum de baisse reflète correctement les mauvaises nouvelles annoncées. Néanmoins, on constate que la plupart des baisses de cours persistent dans le temps, preuve qu’il ne s’agit pas d’une surréaction ponctuelle, mais bel et bien d’une révision fondamentale de la valeur par les actionnaires.

 

 

Un argument technique nous paraît plausible : la raréfaction des investisseurs fondamentaux pour former les cours de Bourse. En effet, la croissance forte de la gestion passive (ou gestion indicielle) est certes parfaitement cohérente avec la théorie du portefeuille efficient, mais implique que de moins en moins d’investisseurs choisissent effectivement les actions dans lesquels ils investissent en fonction de leur sous-évaluation et de leur potentiel de croissance. Dans un marché avec moins d’investisseurs fondamentaux, la baisse d’une action est moins freinée par des investisseurs se disant qu’il y a là une bonne affaire à faire, puisqu’ils sont moins nombreux à pouvoir faire ce raisonnement.

 

La baisse de l’action Rentokil illustre certainement ce propos. Le cours a baissé de 19 % le 19 octobre dernier sur une annonce de révision marginale des objectifs. Les analystes suivant le titre se sont étonnés d’une baisse d’une telle amplitude. Mais force est de constater que les investisseurs n’ont pas (encore) repris les achats massivement et que le cours est resté bas.

 

On peut penser que le marché valorise actuellement les entreprises sur des scénarios particulièrement positifs. Bien que les profits de la plupart des entreprises cotées aient progressé fortement, certains pourraient trouver étonnant de voir que les indices boursiers européens (hors Royaume-Uni[4]) sont pour la plupart plus de 20 % au-dessus de leur niveau pré-covid, et les marchés américains plus de 35 % au-dessus, alors que d’une part les taux d’intérêt sont significativement supérieurs induisant un ralentissement économique et d’autre part  la situation géopolitique est fortement dégradée (guerre en Ukraine, conflit Israélo-Palestinien). Ainsi, la moindre mauvaise nouvelle impacte significativement les cours de Bourse alors que les bonnes nouvelles sont déjà intégrées à la valorisation. Quand les investisseurs chaussent leurs lunettes roses ils restent très optimistes, jusqu’à ce que la réalité les rattrape…
 

 

Nous remercions l’équipe SECM Corporate Broking & Syndication de Natixis pour leur aide dans la rédaction de cet article.

 

[1] Chute brutale et brève du cours d’un actif expliquée par une erreur ou une défaillance informatique ponctuelle qui est généralement rapidement corrigée par une hausse (totalement ou partiellement compensatrice), tout aussi brutale.

[2] Voir l’avant-propos du Vernimmen 2024.

[3] Actions très populaires auprès des petits porteurs inexpérimentés, le plus souvent sans justification économique et financière, et dont l’engouement est entretenu par les réseaux sociaux.

[4][4] Le FTSE 100 affiche une baisse de quelques %. La sous-performance étant due au Brexit… L’indice Eurostoxx 600 affiche une hausse modérée de l’ordre de 10 % car il intègre des groupes d’Europe continentale mais aussi 141 groupes britanniques.

 



Tableau : Le PBR des principales sociétés cotées

Publié par le Financial Times, ce graphique des Price Book ratio (PBR), ou rapport de la valeur des capitaux propres sur le montant des capitaux propres apportés par les actionnaires ou laissés à la disposition de l’entreprise sous forme de résultats non versés en dividendes, caricature d’une certaine façon les marchés boursiers japonais, européens, et américains :

 

Au Japon, parmi les 236 firmes qui constituent l’indice MSCI Japon, autrement dit les plus grandes et les plus performantes dont la plus petite capitalise 1,4 Md$, seuls 70 % environ montrent une valeur des capitaux propres supérieure aux fonds qui leur ont été confiés par leurs actionnaires. Pas étonnant que la Bourse de Tokyo ait récemment tapé du poing sur la table en exigeant de celles dont le PBR est inférieur à 1 d’adopter des plans pour remédier à cette destruction de valeur, à défaut leur nom n’apparaîtra pas dans la liste des entreprises qui créent de la valeur.

 

En Europe, la proportion des PBR inférieurs à 1 est plus faible au sein des 428 entreprises qui constituent l’indice MSCI Europe (la plus petite capitalisant 2 Md$), à environ 20 %, mais la part des entreprises cotées avec un PBR inférieur à 0,5 est double de celle du Japon, environ 5 %, dont la Société Générale, ArcelorMittal ou Renault par exemple.

 

Aux États-Unis, ce qui surprend est la part des entreprises cotées avec des PBR négatifs, 5 %, alors qu’ils sont quasiment inexistants dans les deux autres zones géographiques. C’est les actions dites meme[1] comme AMC. À côté de cela, 90 % des groupes cotés ont un PBR supérieur à 1.

 

[1] Voir la note 3 en page 3.



Recherche : La mise en évidence d'une prime pollution dans l'évaluation des actifs

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

Les modèles d’évaluation d’actifs, utilisés pour expliquer les performances passées et prédire les performances futures des actifs financiers, incluent différents facteurs de risque. Chaque risque supplémentaire induit une rentabilité exigée (qui est obtenue à l’équilibre) élevée, ou pour l’exprimer autrement un prix plus faible. Le risque systématique (non diversifiable) que l’on retrouve dans le bêta du MEDAF constitue le socle de ces modèles ; la recherche a permis d’ajouter progressivement d’autres facteurs de risque, liés à la taille de l’entreprise, sa gouvernance ou son exposition à des risques macro-économiques particuliers. La prise en compte de ces risques permet d’améliorer la précision du modèle. À chacun d’eux est associée une prime de risque, c’est-à-dire un surcroît de rentabilité exigée sur les titres (en l’occurrence, les actions) concernés.

 

Nous présentons ce mois un article[1] qui fera date. Il met en évidence l’existence d’une prime pollution : les actions des entreprises les plus polluantes affichent une rentabilité supérieure à celles des entreprises non polluantes, et cette rentabilité supérieure est justifiée par le fait que polluer entraîne des risques non pris en compte dans les autres facteurs. Le résultat en lui-même n’est pas vraiment surprenant, mais l’article a le mérite de le mesurer sur un large échantillon et sur le long terme, et de proposer une amélioration des modèles usuels en intégrant cette prime.

Le résultat central de l’article est la mesure du surcroît de rentabilité obtenu en investissant dans les actions des entreprises polluantes. Les auteurs fondent leur étude sur un échantillon d’actions d’entreprises américaines entre 1991 et 2016. Ils utilisent des données fournies par l’agence environnementale américaine EPA (Environmental Protection Agency), en l’occurrence des niveaux d’émissions de polluants chimiques mesurés usine par usine. Ils divisent ensuite les titres de l’échantillon par quintiles d’émission de polluants, en relatif au secteur. Le premier quintile est ainsi constitué par les 20 % de titres des entreprises dont le niveau de pollution est le plus faible relativement à leur secteur d’activité. Ensuite, ils construisent un portefeuille long-short de type high versus low, c’est-à-dire qu’ils sont acheteurs des titres les plus polluants (en quintile) et vendeurs des moins polluants. La performance obtenue est positive et très significative, de 4,42 % par an. Autrement dit, alors que les titres les moins polluants surperforment le taux sans risque de 6,90 %, les plus polluants le surperforment de 11,32 %. Aucun des facteurs de risque habituellement considérés dans la littérature n’est capable d’expliquer ce résultat. Par exemple, il est établi que les petites capitalisations surperformant les grandes, mais la prise en compte de ce phénomène ne change pas les résultats concernant la pollution.

 

Les auteurs proposent donc d’intégrer le niveau de pollution comme facteur de risque supplémentaire dans les modèles d’évaluation d’actifs. Le fait que les titres des entreprises polluantes obtiennent une rentabilité sensiblement supérieure aux autres sur le long terme signifie que, pour le marché, ces titres sont plus risqués, sans que ce risque soit intégré par les autres facteurs. Dans le modèle proposé, un État régulateur décide de temps en temps, lorsque les coûts environnementaux sont élevés, de durcir la législation sur l’émission de polluants. Chaque fois que cela arrive, cela affecte négativement les entreprises qui se situent au-dessus du seuil et subissent un coût d’adaptation élevé. La possibilité de ces chocs est intégrée par le marché, ce qui entraîne un prix plus faible pour les titres concernés, ou ce qui revient au même une rentabilité exigée plus élevée. Sur le long terme, la rentabilité obtenue sur ces titres est supérieure, mais au prix de chocs sur la valeur à chaque durcissement de la législation.

 

À l’appui de ce modèle, les auteurs mesurent la réaction de marché au moment de l’élection de Donald Trump en 2016. Les titres les plus polluants ont réagi par une hausse de 6,31 %, contre 3,64 % pour les moins polluants. L’idée est que le positionnement du candidat pouvait « rassurer » sur l’absence de durcissement de la législation antipollution, ce qui augmentait la valeur des entreprises potentiellement affectées par ces durcissements.

 

Notons pour finir qu’il s’agit là d’un article exclusivement sur l’évaluation d’actifs et non sur la thématique ESG en tant que telle. Il met en lumière l’existence d’une prime pollution, la formalise et la justifie du point de vue de l’investisseur. L’article ne discute pas des conséquences implicites sur le financement, mais il est utile de les rappeler : si la pollution se traduit par une prime pour l’investisseur, cela veut dire qu’elle entraîne une hausse du coût du capital pour l’entreprise. Cela peut justifier un effort de dépollution au niveau de l’entreprise, même motivé par des considérations strictement financières.

 

[1] P. H. Hsu, K. Li et C. Y. Tsou (2023), « The pollution premium », Journal of Finance, vol. 78(3), pages 1343 à 1392.

 



Q&R : Subvention d'investissement et calcul de la CAF

« Pourquoi, dans le calcul de la capacité d’autofinancement, doit-on retirer la quote-part des subventions d’investissement virée dans l’exercice au compte de résultat ? »

 

Pour bien le comprendre, revenons à la définition de la capacité d’autofinancement (CAF) qui est le flux de trésorerie potentiel généré par l’activité courante de l’entreprise. Potentiel car la CAF retient les éléments du compte de résultat qu’elle prend en compte au moment où ils sont comptablement enregistrés, et non pas au moment où ils sont encaissés ou décaissés. Autrement dit, la CAF est la différence entre tous les produits et toutes les charges de l’activité courante de l’entreprise qui se traduiront tôt ou tard par une entrée ou un débours de trésorerie.

 

Dans ces conditions, si vous calculez la CAF par le bas, c’est-à-dire en repartant du résultat net, vous devez neutraliser la quote-part de la subvention d’investissement qui a été virée au compte de résultat dans l’exercice, qui est un produit comptable courant, mais qui ne se traduira jamais par une entrée de trésorerie. Dès lors dans votre calcul, vous devez la retirer du résultat net pour aboutir in fine à la CAF.

 

Ne pas le faire, c’est compter deux fois la subvention d’investissement au tableau de flux : une fois quand elle est versée, une seconde fois quand elle est progressivement virée au compte de résultat pour constater le produit qu’elle représente pour l’entreprise.

 

C’est le même principe que pour la dotation aux amortissements ou la dépréciation du goodwill qui sont, elles, des charges comptables qui ne se traduiront jamais par un débours de trésorerie, et que vous devez ajouter au résultat net pour obtenir, in fine, la CAF.

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. En voici quelques-uns :

 

Qui admettre au sein du CAC 40 ? (6 décembre)

Demain jeudi, le comité scientifique des indices d’Euronext statuera sur la composition du CAC 40 qui obéit à des règles précises, avec une marge de manœuvre pour ce comité, qui ne se comporte pas comme un algorithme appliquant sans réfléchir des formules toutes prêtes. Pour trancher sur les admissions et les exclusions, le comité examine, non les capitalisations boursières des membres actuels et des impétrants, mais leur flottant, les volumes de transaction, et est sensible à la diversité sectorielle du CAC 40.

Alstom et Worldline, aux derniers rangs du CAC 40 du fait de leurs récentes et massives contreperformances, pourraient quitter le CAC 40, et l’on parle de Sodexo et Solvay pour les remplacer, voire d’Accor, Eiffage ou Vivendi, car Sodexo et Solvay ont engagé des scissions réduisant leur taille et induisant potentiellement une sortie du CAC 40 dans quelques trimestres, s’ils devaient y entrer en décembre, ce qui n’est probablement pas désirable.

Accéder au CAC 40 est prestigieux et peut s’accompagner d’une progression des cours en raison des fonds indiciels qui dupliquent l’indice. Sans vouloir décourager les impétrants qui peuvent voir l’entrée au sein du CAC 40 comme une consécration, soulignons que les inégalités les plus criantes règnent au sein de l’indice phare : le top 10 représente 60 % de l’indice, et les 10 derniers 4,32 %. Autrement dit, quels que soient les deux nouveaux membres du CAC 40 si Alstom (0,19 % de l’indice) et Worldline (0,18 %) sortent, le comportement de l’indice ne sera pas affecté, et c’est très bien ainsi.
 
Si les principes ESG ne figurent pas dans les critères examinés officiellement par le comité, nous nous permettons de suggérer à ses membres pour départager des impétrants qui seraient au coude-à-coude sur la base des critères de marché, de se pencher sur leurs objectifs de transition énergétique et leurs réalisations en ce domaine, et sur la gouvernance mise en œuvre (et non pas seulement affichée) – par exemple le traitement des actionnaires minoritaires dans les filiales contrôlées, cotées ou non. Sur ces points de gouvernance, l’Autorité des marchés financiers qui, semble-t-il siège à ce comité, a sûrement un point de vue, même si elle ne l’exprime pas officiellement, mais entre les 4 murs d’une salle de réunion d’un comité qui ne publie que le résultat de ses délibérations.

N’est-il pas vrai que les premiers de la classe se doivent d’être exemplaires ?

Depuis la parution de ce billet, le comité scientifique a choisi de faire sortir Worldline du CAC 40 et d’y faire entrer Vivendi.

 

Le décès de Charlie Munger (30 novembre)

Charlie Munger, vice-chairman de Berkshire Hathaway, est décédé mardi soir à un mois et 4 jours de sa centième année, en n’ayant toujours pas pris sa retraite, ni même une semi-retraite.

On ne pourra pas s’empêcher de penser que le travail c’est la santé, et que la finance conserve ceux qui la pratiquent régulièrement !

Charlie Munger, avocat de formation, est l’homme dont la lettre aux actionnaires de Berkshire Hathaway nous a inspiré l’article d’actualité d’octobre[2] qui s’interrogeait sur l’impact du mode de gestion de Berkshire Hathaway comme source de son exceptionnelle performance. Rétrospectivement, nous sommes heureux d’avoir pu écrire cet article tant qu’il était encore parmi nous.

Charlie Munger est l’homme qui a convaincu Warren Buffett de changer de stratégie d’investissement, comme ce dernier le reconnaissait en 2005 dans sa lettre aux actionnaires : « The blueprint he gave me was simple: forget what you know about buying fair businesses at wonderful prices; instead, buy wonderful businesses at fair prices. »

En effet, à ses débuts, Warren Buffett investissait dans des sociétés en grandes difficultés, donc pas chères, comme Berkshire Hathaway, active alors dans le secteur du textile. Puis est venu le temps des participations minoritaires dans des entreprises en croissance comme American Express, The Coca-Cola Company, The Washington Post, et plus récemment Apple, profitant de moments de sous-évaluation, soit en période de crises économiques ou financières, soit parce que l’efficience du marché connaît parfois, comme la raison, des moments de sommeil, ou les prises de contrôle de GEICO dans l’assurance, ou de Burlington Northern and Santa Fe Railway.

On rappellera que Charles Munger et son cadet de 7 ans, Warren Buffett, ont été selon toute vraisemblance les meilleurs alloueurs de capital de l’histoire de l’humanité à ce jour, puisqu’en 57 ans un investissement de 1 000 € dans l’indice S&P 500 est devenu 24 428 €, soit une rentabilité actuarielle de 10 % l’an ; tandis que la même somme investie dans l’action Berkshire Hathaway est devenue 3 777 937 €, soit une rentabilité actuarielle de 20 %. Allouer correctement le capital, qui est une ressource existant en quantité limitée, pour éviter de le gaspiller et en faire le meilleur usage possible, est au cœur de la finance d’entreprise.

Chapeau bas Monsieur Munger.

 

Orpéa vaut-il autant que TotalEnergies ? (14 novembre)

Bien sûr que non ! Mais c’est pourtant ce que l’on observe sur la Bourse de Paris, où des investisseurs achètent régulièrement des titres à environ 1 € l’action, pour environ 4 M€ d’actions par jour, soit environ 6 % du capital qui tourne chaque jour.

Il y a actuellement environ 65 M d’actions d'Orpéa. Par communiqué de presse du 11 octobre, Orpéa a annoncé, conformément au plan de sauvegarde approuvé par le tribunal de commerce et contre lequel les recours ont échoué, trois augmentations de capital pour transformer la dette non sécurisée en capitaux propres pour 3,9 Md€ et pour apporter des liquidités à hauteur de 1,55 Md€, le tout permettant à l’entreprise d’adapter sa structure financière à sa capacité à dégager des flux de trésorerie lui permettant de repartir sur un bon pied. Ce faisant Orpéa va émettre environ 159 Md (sic) d’actions, d’où une dilution de 99,96 % des actionnaires actuels, puisque les actions nouvelles vont être émises à des prix compris entre 0,0133 € et 0,06 €.

La raison en est que la valeur de l’actif économique d’Orpéa est inférieure au montant des dettes à rembourser, et que donc la valeur des capitaux propres est nulle.

Valoriser l’action Orpéa à un euro actuellement, c’est croire que l’entreprise peut raisonnablement valoir 159 Md€, soit autant que TotalEnergies… 

Il est triste de voir, alors qu’Orpéa a clairement indiqué depuis des mois que son action était massivement surévaluée, et encore le 11 octobre (« Ces augmentations de capital engendreront une dilution massive des actionnaires existants et pourraient conduire à une baisse significative du cours de Bourse, la valeur de l’action après opérations pouvant être inférieure à 0,02 € »), que certains investisseurs s’illusionnent encore totalement. Ceux qui ont gardé leurs actions Orpéa depuis 2022, et qui ont déjà perdu 90 % de leur patrimoine investi en Orpéa, vont en perdre encore 98 % de plus. Et c’est triste pour les pédagogues que nous sommes de voir que la raison, ici éclatante, n’arrive pas à s’imposer depuis des mois sur ce dossier où seules règnent la passion et l’illusion.

Depuis la parution de ce billet, le cours d’Orpéa a retrouvé un niveau rationnel à environ 0, 015 €.

 

Orpéa et la Corée du Sud (16 novembre)

Non, Orpéa n’a pas découvert détenir des maisons de retraite en Corée du Sud ! (quoiqu'il en exploite au Brésil, en Uruguay et en Chine). Le lien entre les deux passe par les ventes à découvert.

En réaction à notre billet précédent, certains se sont demandé pourquoi des ventes à découvert n’avaient pas lieu pour ramener le cours d’Orpéa à un niveau plus en rapport avec la rationalité économique et financière.

Eh bien pour pouvoir vendre à découvert, il faut pouvoir emprunter des actions, que l’on n’a pas puisque l’on veut vendre à découvert, à des investisseurs qui en détiennent. Dans une situation normale, cela est possible car il y a des actionnaires institutionnels au capital qui acceptent de prêter leurs titres quelque temps et toucher en contrepartie un intérêt. Mais dans le cas d’Orpéa, avec un cours depuis longtemps bien supérieur à toute rationalité, les investisseurs institutionnels, qui savent compter, ont vendu leurs titres et l’essentiel de l’actionnariat est composé de personnes physiques. Or celles-ci n’ont pas accès à des services de prêts de titres et détiennent souvent des paquets trop petits pour cela. Par ailleurs, les banques ont l’interdiction de prêter les titres de leurs clients personnes physiques, ce qui réduit considérablement les titres prêtables.

Donc, il est de facto très difficile de vendre l’action Orpéa à découvert, faute d’une possibilité de prêts de titres. C’est également ce qui explique que son cours soit depuis aussi longtemps aussi irrationnel. Même si ce sont souvent des mal-aimés, les vendeurs à découvert ont un rôle économique en contribuant à l’efficience des marchés dans les cas de titres surévalués, comme le démontre a contrario la situation d’Orpéa. Mais comme tout le monde, il peut aussi leur arriver de se tromper, et en général cela leur coûte très cher.

En Corée du Sud, le régulateur boursier a interdit les ventes à découvert du 6 novembre à fin juin 2024, officiellement pour établir un équilibre entre les particuliers qui ne peuvent pas vendre à découvert, et les investisseurs institutionnels qui le peuvent. Le jour de l’entrée en vigueur de cette mesure, l’indice coréen a pris 4,5 % dans la journée, les investisseurs coréens se sont dit que sans ces empêcheurs de tourner en rond de vendeurs à découvert, les cours avaient plus de chance de monter, ce qui a été immédiatement anticipé dans les cours. On dit aussi que les élections générales ayant lieu en avril, et que 14 M des 52 M de Coréens investissant en Bourse, la mesure avait d’abord une motivation électoraliste. Mentionnons aux hommes politiques voulant suivre l’exemple coréen, qu'une semaine après, la progression de l’indice coréen n’était plus que de 1,5 %, et qu'aux États-Unis où la mesure avait été prise pendant la crise financière de 2008 sur les valeurs bancaires pendant 15 jours, la mesure n’avait en rien stabilisé les cours, conduisant à l’abandon de l’interdiction des ventes à découvert.

La honte évidemment pour ceux qui resteront à l’écart de cette liste ! Ils signaleront qu’ils se complaisent dans une situation où les 100 investis par les actionnaires sous forme d’augmentation de capital ou de bénéfices réinvestis et non versés en dividendes valent moins que 100. C'est la caractéristique d’une mauvaise allocation du capital, qui pénalise l’économie dans sa globalité car ce capital, qui n’existe pas en quantités illimitées, aurait pu être consacré à des équipes dirigeantes plus efficaces pour réaliser d’autres projets. Un PBR durablement inférieur à 1 peut provenir d’une rentabilité des actifs durablement inférieure au coût du capital, d’une structure de groupe particulièrement opaque, d’une gouvernance déficiente, d’une structure financière avec beaucoup trop de dettes, etc.

Aux États-Unis et en Europe, sans qu’il soit nécessaire de publier une liste, c’est le rôle des actionnaires activistes que d'essayer de faire évoluer les choses. Au Japon, où les actionnaires activistes ne sont pas les bienvenus, c’est la Bourse de Tokyo qui veut inciter ses clients, les sociétés cotées, à s’améliorer pour le plus grand bien des utilisateurs de sa plateforme, les investisseurs, et de la Société en général, en publiant en creux la liste des prochaines cibles des activistes.

 

Nommer et faire honte en France (5 novembre)

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a infligé sur les 12 derniers mois des amendes pour retard de paiement de leurs fournisseurs, au-delà des délais maximaux fixés par la loi, aux entreprises listées plus bas.
Appelons un chat un chat, payer ses fournisseurs au-delà des délais maximums légaux (60 jours après l’émission de la facture ou 45 jours fin de mois) est une forme de délinquance en col blanc. La DGCCRF a le pouvoir d’infliger des amendes d’un montant maximum de 2 M€ pour ce type de délits. En se limitant aux amendes supérieures à 99 999 €, ont ainsi été condamnés :

Veolia Eau pour 1,6 M€
showroomprive.com pour 1,3 M€
M6 pour 1,1 M€
Brico Dépôt pour 1,1 M€
SFR Fibre pour 1 M€
idverde pour 0,790 M€
Gifi Diffusion pour 0,660 M€
Chantiers de l'Atlantique pour 0,570 M€
Groupe Rocher Opération-LECC pour 0,480 M€
PMU pour 0,450 M€
COVED pour 0,450 M€
Bunge France pour 0,370 M€
Logistique France pour 0,275 M€
Boiron France pour 0,250 M€
Le Printemps pour 0,240 M€
Promotion Groupe Pichet pour 0,224 M€
BRED Banque Populaire pour 0,220 M€
Aon France pour 0,218 M€
Industeel pour 0,205 M€
McDonald's France pour 0,200 M€
Laboratoires Anios pour 0,162 M€
Edmond de Rothschild pour 0,1 M€
Solo Invest pour 0,1 M€
Alliance Automotive Group France pour 0,1 M€.

Payer ses fournisseurs en retard a deux types de conséquences financières :

1/ Affaiblir leur liquidité et les contraindre dans leurs investissements et capacité d’endettement, puisqu’une partie de celle-ci est obérée pour financer un BFR excessif.

2/ Détourner de la valeur à leur détriment à une époque où les entreprises sont valorisées sur la base d’un multiple du résultat d’exploitation ou de l’EBE – leurs endettements bancaire et financier net – (qui se trouve ainsi gonflé du fait des retards de paiement). Celui qui paie en retard vaut ainsi plus, celui qui subit le retard de paiement vaut ainsi moins. La Banque de France estime que 12 Md€ sont ainsi indûment captés en 2021.

On rappellera aussi que selon les statistiques publiées par la Banque de France, les PME paient en moyenne leurs fournisseurs à 48 jours contre 63 jours pour les ETI et 71 jours pour les grands groupes. Depuis 2012, le délai de paiement moyen des PME s’est réduit, celui des ETI s’est stabilisé et celui des grands groupes s’est accru de 10 jours. C’est à la page 249 de votre Vernimmen 2024.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.

[2] Que vous pouvez consulter ici.

 



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