La Lettre n°207 de Avril 2023

Actualités : Faire faillite et se restructurer en 2023

Nous avons organisé une table ronde sur cette thématique avec Hélène Bourbouloux, fondatrice et associée gérante du cabinet d’administrateurs judiciaires FHBX, et Pierre-Olivier Chotard, secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), dont voici la retranscription.

 

Vernimmen : Il y a eu une réforme en 2021 sur le droit des faillites, qui est bien sûr dans le chapitre 50 du Vernimmen, peux-tu Hélène nous en donner les grandes lignes ?

 

Hélène Bourbouloux :

Oui bien sûr. Cette ordonnance du 15 septembre, qui est en œuvre et mise en application au 1er octobre 2021, vient parachever un mouvement qui a été assez progressif dans les 20 dernières années en France, qui nous a valu probablement une réforme tous les deux ans. Donc une difficulté quand même à stabiliser le paysage réglementaire pour traiter du droit des entreprises en difficulté, mais qui inscrit en fait le traitement dans un standard qui correspond aux normes internationales. On se rapproche de plus en plus de l'ajustement et d'un traitement des difficultés au vu de la valeur de l'entreprise, permettant de reconnaître aux créanciers des droits disparates selon en fait leur rang dans la hiérarchie des stakeholders. Donc c'est un parachèvement, puisque cette construction avait commencé avec les comités de créanciers en 2006, mais qui était un univers qui fonctionnait mal puisqu'on mélangeait des choux et des carottes, des banques d'un côté, des obligataires de l'autre, sans trop se poser la question de savoir s'ils étaient sécurisés ou non sécurisés.

La grande nouveauté qui était très attendue, et qui était une faiblesse de notre dispositif en France, c'est que l'actionnaire était considéré comme le propriétaire juridique de l'entreprise et non pas comme un créancier de classe ultime. Ce faisant, il y avait des outils qui permettaient finalement d'écraser des créanciers minoritaires dans certaines circonstances, alors que jamais on ne pouvait forcer à une transaction ou une restructuration un actionnaire, même avec une valeur de l’action en dehors de la monnaie[1]. Cela posait relativement peu de difficultés avec tous les actionnaires un peu sophistiqués et attentifs à leur réputation, notamment les fonds de private equity. Même si cela a parfois été un peu viril dans les négociations, globalement il n’y a pas de dossiers dans lesquels les fonds actionnaires auraient pris en otage la collectivité des créanciers. En revanche lorsqu'on avait des sociétés cotées avec un actionnaire de référence à 15 ou 18 %, il y a eu pas mal d'exemples en la matière. Évidemment pour imposer le deal, il fallait un vote favorable des actionnaires, et ces actionnaires, n'ayant plus droit à rien dans la valeur, n'étaient pas non plus intéressés à voter pour, et tant qu'à faire votaient contre le deal. Ce qui, là en revanche, piégeait toute la collectivité des créanciers de meilleurs rangs, y compris évidemment in fine l'entreprise. En effet, notre droit reste très ancré sur le sauvetage de l'entreprise avec un alignement des autres pays de la Communauté européenne beaucoup plus sur la France en termes de sauvetage de l'entreprise, considérant qu’il n’y a pas un créancier qui a en réalité intérêt à la liquidation.

 

C'est assez rare que les actifs réalisés en liquidation permettent un meilleur désintéressement des créanciers. J'en veux pour preuve des statistiques assez fortes sur le taux de désintéressement des créanciers dans le droit français, versus Allemagne et Royaume-Uni : en Allemagne : 22 %, en France : 21 %, donc on n'est pas totalement éloigné de la performance allemande, et seulement 13 % au Royaume-Uni, alors que l’on a à l'esprit une meilleure efficacité du droit anglo-saxon. À tort ! Alors d'où vient ce biais ? Le biais est en partie lié au fait que ce n'est pas les mêmes créanciers qui perçoivent. En France, on va trouver la classe des salariés, du Trésor Public, ensemble de créanciers qui viennent au premier rang et qui peuvent absorber une partie de l'actif, d’où cette perception. Mais si on regarde en masse globale du passif, on n'est pas hors des normes.

Donc ma dernière observation, c'est que c'est plutôt les autres pays qui ont introduit, dans leur transposition de la directive européenne, des modifications d'inspiration française, en particulier en intégrant la prévention et toutes les procédures de pre-insolvency et d'anticipation, en ce compris, alors ça c'est pas la lecture française, mais en ce compris les procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaires, qui sont vues en France comme souvent des échecs, alors qu'en réalité ce sont des vraies procédures de prévention au sens de la prévention de la liquidation judiciaire. Donc la France a un système beaucoup plus axé sur le maintien de l'activité vivante, mais au bénéfice de stakeholders qui doivent être l'ordre des contrats d'origine, c'est-à-dire plutôt les créanciers dans l'ordre de leurs droits, versus la liquidation, qui s'avère, de manière en fait européenne, perçue comme moins performante.

 

Vernimmen : Et vous Pierre-Olivier, au CIRI, qu'est-ce que vous avez comme ressenti sur cette réforme qui est entrée en application finalement assez récemment ?

 

Pierre-Olivier Chotard :

Je partage très largement ce que ce que Mme Bourbouloux vient de vous dire. Nous sommes très contents de cette réforme pour deux raisons. La première raison est que c'est une réforme d'harmonisation européenne, et c'est un changement par rapport au réformes récentes : il y a une vraie harmonisation forte au niveau européen, et évidemment c'est bon, parce que ça participe de l'approfondissement du marché intérieur, ça permet une meilleure allocation des ressources économiques sur le territoire de l'Union, et c'est bon pour nos économies parce que ça facilite et encourage les investissements transfrontaliers au sein de l'Union. Et puis deuxièmement, d'un point de vue plus franco-français, on est très contents de cette réforme parce que ça renforce le modèle français, et potentiellement, et on l'espère car c'est pour ça que l'on a négocié, la place de Paris. Cela renforce le modèle français parce qu’on a veillé, et ça a été obtenu, à préserver le modèle français de résolution amiable préventif des difficultés des entreprises, et donc l'ensemble des dispositifs préventifs dont on dispose en droit français qui ont été pleinement reconnus à l'occasion de cette directive. Et c'est une bonne chose.

 

Et deuxièmement, c'est une réforme qui doit renforcer l'attractivité de la place de Paris pour les investisseurs, pour les raisons qu’Hélène Bourbouloux a rappelé, c'est-à-dire que c'est une réforme qui renforce le droit des créanciers vis-à-vis des détenteurs de titres de capital, et cela doit du coup renforcer l'appétence des investisseurs d'être créanciers des entreprises françaises. Et en droit français, parce que la réforme permet de lever un certain nombre de situations de blocage qui pouvaient intervenir, et qui ont été rappelées.

 

Et puis dernier élément en complément de ce que vous disiez sur l'ajout de la réforme, c'est qu’on a mis un terme aussi à des phénomènes de durée excessive des procédures dans un certain nombre de cas, qui était pénalisant, parce que ça ralentissait les processus de restructuration. Les créanciers en étaient mécontents, parce que ça pouvait les enfermer dans des situations longues et non satisfaisantes au plan économique. Et toutes ces contraintes sont allégées, voire complètement supprimées avec la réforme.

 

Vernimmen : Hélène qu'est-ce que tu as comme remontées du terrain, toi qui es non seulement basée en Île-de-France, mais avec de nombreux bureaux en province, sur le climat des affaires en difficulté en ce moment ?

 

Hélène Bourbouloux :

Alors la tarte à la crème qu'on lit, c'est finalement : « Il y a des difficultés, le moral des chefs d’entreprise l'exprime, il y a des retours du terrain, mais le nombre de faillites est toujours en deçà de ce qu’il était avant la covid. » C'est exact, mais c'est très insuffisant, et ce sont des déductions un peu hâtives. Sur la lecture que l'on doit donner du nombre de liquidations judiciaires, c'était déjà des chiffres trompeurs il y a 10 ans, ça l'est toujours. Donc oui, on a moins de faillites au sens large qu'avant covid, mais si on regarde à l'intérieur de ces chiffres-là, les sociétés qui sont sur des procédures de sauvetage, sauvegarde et redressement judiciaires versus liquidation judiciaire, en tout cas dans mon entreprise, on a, à fin juillet 2022, et c'est encore plus vrai aujourd'hui, le double. C'est le double depuis fin octobre. À fin octobre, on a exactement le double de dossiers de la même époque en 2021. Donc on a retrouvé quand même un rythme soutenu de défaillances dans les entreprises en sauvetage.

 

Pourquoi c'est important ? Parce que si vous prenez le nombre habituel d'entreprises en faillite bon an, mal an dans les 15 ans qui ont précédé le covid, c'est 40 000-42 000 les petites années, 60 000-65 000 juste après la crise des subprimes, et vous avez là-dedans plus des deux tiers, c'est-à-dire à peu près 40 000 sur 50 000 ou sur 60 000, peu importe, qui sont des entreprises entre 0 et 1 salarié, qui en fait sont sur des démarches de dépôt de bilan volontaire où il y a une demande d'arrêt d'activité, et donc de radiation judiciaire versus de radiation en liquidation amiable, qui serait plus longue et plus coûteuse.

 

Pendant les années covid, avec un soutien massif de l'économie, l'octroi d'un certain nombre de subventions de fonds de solidarité, ces entreprises ont pu solder les 10, 15 ou 20 000 euros qu'elles devaient à l'URSSAF, parce que c'est ça dont on parle en termes de quantum d'exposition de ces entreprises. Ok, peut-être 10 000 ou 30 000, mais en tout cas c'est très marginal sur l'ensemble. Donc ces entreprises ont disparu du système, là, pour le coup, elles ont eu le temps d'être liquidées amiablement, fermées proprement, là où elles l'auraient été judiciairement. Donc ce n’est pas anormal que ces sociétés-là aient disparu du nombre d'entreprises qui déposent le bilan.

 

Deuxièmement, et il faut rappeler que la valeur, l'impact et l'importance de l'entreprise et de ce qu'elle représente ne sont pas dans ces 40 000 avec zéro ou 1 salarié et un nombre tout à fait marginal de dettes : on va le trouver dans les 12 à 15 000 dossiers de redressement judiciaire ou de sauvegarde chaque année, dont 6 000 qui donnent lieu à désignation d'un administrateur judiciaire, étant précisé que le tribunal n'a pas d'obligation de nommer un administrateur lorsque l'entreprise emploie moins de 20 salariés. Ça veut donc dire qu'il y en a moins de 6 000 qui ont plus de 20 salariés dans celles que je viens d'exprimer. Vous avez bon an, mal an entre 400 et 500 entreprises qui déposent le bilan en employant plus de 50 salariés. C'est très faible 50 salariés. Donc 50 à 60 000 faillites, mais seulement même pas 1 %, 380, 400 on va dire, qui emploient plus 50 personnes. Et vous avez 30 dossiers par an de plus de 300 personnes, ça c'est assez constant, et ça englobe le redressement et la sauvegarde.

 

Tout ça pour vous dire que la richesse économique ou la valeur économique, elle est concentrée en fait sur un petit nombre de dossiers. D'où l'importance d'avoir un système performant pour des entreprises de taille plus importante. Et la réforme qu’on vient d'évoquer porte sur les classes de parties affectées avec l’obligation de constitution de créanciers par classe à partir de 250 salariés. Donc vous voyez, ça va concerner 15 dossiers par an au maximum, mais c'est dans ces dossiers-là que l’on va trouver le plus grand nombre d'emplois, le chiffre d’affaires le plus important, et aussi la dette la plus élevée.

 

Autre statistique importante pour casser les idées reçues : le sauvetage d'emploi en France dans les procédures collectives. Il n’y a pas de valeur morale en retenant ce critère d'emploi, mais c'est un critère qui est assez représentatif en fait du maintien de l'activité : il est de 68 %. 68 % de l'emploi concerné par une procédure collective est sauvegardé en procédure collective, soit à travers des plans de sauvegarde, des plans de redressement ou des plans de cession, ce qui est très significatif et établit que l’on n'a pas un mauvais système. On a un système qui est assez complexe, mais dans lequel on a une boîte à outils assez large, entre les outils de la prévention et les procédures collectives.

 

Donc je me suis éloigné de ta question, je veux pas l'occulter, je voulais juste que tout le monde ait le paysage pour pouvoir apprécier réellement ce qu'on peut dire.

 

On voit quoi ? On voit donc une remontée progressive des défaillances ou des difficultés d'entreprises depuis l'automne 2021, marquée d'abord par la pénurie : pénurie de main-d'œuvre ou de matières premières. C'était assez visible dans le bâtiment, et puis progressivement l'inflation qui s'est installée, avec évidemment une croissance des difficultés à partir du début de la guerre en Ukraine et de manière très forte et brutale depuis septembre.

 

Moi, c'est la première fois que j'ai en ce moment six dossiers qu'on était censé avoir terminés, c'est-à-dire clôturés par un accord, homologation d'un protocole ou arrêté d'un plan de sauvegarde entre juin et septembre, et où mi-octobre, voire début novembre, donc parfois un mois après l'audience, l'entreprise me rappelle pour me dire : « je vais avoir un problème de cash ». Je me dis : « mais c’est pas possible, votre business plan on l'a calibré pour les 5 prochaines années, on avait mis un peu de marge de manœuvre, et vous avez en trois mois absorbé votre marge de manœuvre ? » Ça, c'est le reflet de la difficulté à répercuter la hausse des coûts dans les prix, avec des vraies résistances de la part des grands donneurs d'ordres, dans l'automobile, dans l'aéronautique, qui suppose parfois qu'on fasse appel au CIRI pour avoir des coups de main pour obtenir cette répercussion des prix, et quand on l'obtient, elle est partielle. Mais c'est également le reflet évidemment du coût de l'énergie pour les industries les plus énergivores : sans surprise, la presse en parle, les dossiers comme Arc etc. qui ont pris de plein fouet cette hausse des prix de l’énergie, et qui aujourd'hui sont dans des stratégies de reconfinement d'une certaine manière, c'est-à-dire d'arrêt d'activité, ou de réduction d'activité le temps que ça passe, avec chômage partiel, avec des outils finalement qui ont été assez éprouvés pendant la période covid.

Et vous avez des secteurs comme le bâtiment, qui a été aussi confronté à cette inflation qu'on ne s’est pas répercutée, parce que les contrats ont été signés il y a un an ! Les carnets de commandes étaient pleins, on sortait du covid avec une bonne perspective, et puis, malheureusement, ces carnets de commandes s'avèrent aujourd'hui déficitaires. C'est aussi un deuxième secteur qui est assez marqué.

Enfin on a la parité euro-dollar qui ne nous arrange pas non plus : lorsque vous avez des entreprises de distribution ou textile, dont finalement on a l'impression que tout le monde s'acharne à leur inoculer la rage si elles ne l'avaient pas, puisqu’on les met en exergue comme : « le retail est mort », les banques veulent absolument sortir des crédits documentaires qui ne sont pas des instruments à risque, mais celui qui a 30 ou 40 millions de crédocs en euros, qui achète en dollars, d'un seul coup sa capacité d'achat a diminué de la différence de la variation de la parité. Et donc, là où il avait droit à 37 ou 38 millions de dollars, finalement avec ses 30 millions de crédocs il se retrouve avec sept ou huit millions en moins. Et ça compte aussi !

 

Et pour parfaire le paysage, un premier semestre 2022 qui était plutôt pas mal sur des bases de 2021, un arrêt qui se passe au pire moment, c'est-à-dire qu’on était vraiment avec des prises de commandes et des achats qui avaient été passés et qu'il faut assumer, donc, à nouveau, un impact sur le business compliqué. Et lorsqu’on a fait les business plans de tous ces accords, on l'a fait sur la base des budgets de mars-avril, qui n'ont plus rien à voir avec ceux de novembre-décembre, ne serait-ce que quand vous prenez l'impact de l'inflation dans le BFR. Parce qu'en fait, quand vous regardez directement vos chiffres, on a oublié ça, parmi vous peu ont connu les années 70, moi j'étais très jeune mais je l'ai lu dans le Vernimmen, tout le marché était rodé à la répercussion des prix. C'est pas du tout le cas aujourd'hui, et donc vous regardez votre compte de résultat, vous dites : c'est bien, la croissance du chiffre d'affaires est formidable, mais en fait ce qu'il faut regarder, c’est les volumes parce que c'est assez normal qu’il y ait une croissance du chiffre d'affaires.

 

Et d'ailleurs vous vous dites : ils sont vraiment pas bons, parce que sur leurs résultats, il y a aucun impact. Ils sont pas mauvais, c'est juste qu’il y a un problème d'inflation, donc ça trouble aussi toutes les lectures antérieures. Voilà, j'ai répondu trop largement, mais je voulais vous ouvrir quelques pistes. Et donc il y a plus de défaillances. Il y en aura encore plus, et notre plus gros problème, c'est qu'on ne sait pas faire les plans d’affaires pour 2023 et 2024. Et donc il faut que tout le monde accepte collectivement qu'on trouve un accord, et que, peut-être, oui, il va falloir le retoucher dans 4 à 6 mois.

 

Vernimmen : Et qu'est-ce que vous voyez, vous, en ce moment, au niveau des dossiers qui vous arrivent ?

 

Pierre-Olivier Chotard :

Je vois un constat partagé avec ce que disait Hélène Bourbouloux. Évidemment, remontée des dossiers, le contexte est compliqué, on a une multiplicité de cas. Évidemment, la situation n'est pas des plus roses. On n'est pas de notre point de vue cependant dans une situation catastrophique pour l'économie française. Moi de ma fenêtre, je n'assiste pas à l'arrivée du prétendu mur des faillites que certains annoncent. Alors peut-être, malheureusement, qu’il arrivera dans les trimestres qui viennent. En tout cas les signaux faibles qu'on perçoit ne nous montrent pas ça.

 

Et ce qu'on perçoit c'est plusieurs phénomènes. Il y a un phénomène qui est celui qui est directement lié à la situation inflationniste actuelle, notamment sur les prix de l'énergie, avec des entreprises qui ont leur plan d'affaires qui est complètement bouleversé, voire qui devient un non-sens économique du fait de la hausse de l'électricité et du gaz, dans le cas où ces entreprises ont malheureusement été mal couvertes contre une évolution des cours. Donc premier cas de figure, qui est finalement un cas assez rare avec une difficulté assez circonscrite, et, on l'espère, qui va pouvoir être résolu à court terme, enfin en tout cas dans une poignée de mois, et un ensemble de dispositifs publics ont été mis en place pour y répondre.

 

Deuxième grand type de difficulté qu'on a, c'est des entreprises qui ont bénéficié d'un soutien temporaire de l'État massif pendant le covid, avec en particulier levée de prêts garantis par l'État. Or sont des entreprises qui avaient une rentabilité initialement probablement insuffisante pour faire face à l'augmentation de cet endettement, et donc elles se retrouvent dans une situation qui est en réalité très compliquée, parce que se surajoutent deux couches : une première couche de PGE (prêt garanti par l’État) et d'augmentation de l'endettement qu'elles ont pris dans le cadre du covid, avec absence de mesure forte de restructuration de leur modèle économique, mais c'était normal parce que les 24 mois entre 2020 et 2022 n'étaient pas faits pour ça ; et puis au moment où il faut commencer à rembourser les PGE et envisager des mesures de restructuration opérationnelles là où c'est nécessaire, elles se retrouvent confrontées à cette vague conjoncturelle à laquelle on assiste tous, et qui complexifie très très singulièrement leur retournement. Et là, effectivement, la problématique est beaucoup plus complexe. Elle est multifacettes, comme ça a été rappelé, et là on peut avoir des enjeux particulièrement compliqués avec des équations difficiles pour les entreprises.

 

Vernimmen : Dans Les Échos, on lisait que 91- % des patrons de PME anticipaient de bien rembourser leur PGE sans difficulté, mais que 9 % se sentaient mal. Qu’est-ce que tu leur conseillerais, à ces patrons qui se sentent mal sur leur PGE ?

 

Hélène Bourbouloux :

Déjà tu fais bien de le rappeler, 9 %, c'est beaucoup plus que ce qu'on avait en tête initialement, et je crois qu’une des grandes difficultés, c'est que lorsque beaucoup de PGE ont été mis en place en 2020, on pensait que la crise allait se circonscrire à cette année-là. Et donc des accords d'ailleurs qu'on révise actuellement sont parfois des accords qu'on a signés aussi en 2020. Il faut intégrer malheureusement la prolongation de la crise sur 2021, voire sur 2022 pour d'autres raisons, ou encore notamment pour toutes les industries qui travaillent et qui ont des unités de fabrication ou de production en Chine, avec encore un impact covid assez lourd[2] : j’avais un dossier hier où l'entreprise qui a une usine à Wuhan, donc évidemment eux, ils avaient commencé fin 2019, et ils ne sont toujours pas sortis de l'auberge ! Et je pense qu'ils n'y sont pour rien dans le covid, mais manifestement ça fait quand même trois fois qu'on retouche leur accord.

 

Il y a des solutions pour ces PGE : l'approche en France, enfin c'est quand même le reflet très largement de notre économie, on n'a pas une culture fonds propres très élaborée et très ancrée dans nos entreprises françaises, on a parfois même encouragé la création d'entreprise avec du capital à 1 euro ce qui concrètement veut dire que vous êtes en cessation de paiement dès que vous souscrivez le contrat EDF. C'était une façon de lutter contre le chômage, et après tout, ça a eu une vertu, celle de dynamiser beaucoup l'entrepreneuriat et de libérer des énergies individuelles vers l'entreprise dont je m'en réjouis, mais enfin c'est pas très sain sur le plan déséquilibre dettes-fonds propres.

 

Et dans cette ligne-là, l'État a choisi d'intermédier son soutien par les banques, qui se sont faites donc les dispensateurs de crédit avec la garantie de l'État. Alors plusieurs problèmes. Premièrement, d'abord, c'est que les banques reviennent à leur job. Enfin, c'est sûr que si elles demandent des équilibres dettes-fonds propres, vu que les fonds propres, pour ceux qui en avaient un peu, ont été laminés, c'est compliqué. Donc les banques sont maintenant très très attentives systématiquement à la garantie de l'État, et n'hésitent pas dans la discussion d'ailleurs à dire : « bon j'ai la garantie de l'État » pour faire des financements de telle ou telle nature. Donc on voit bien que le retour à l'accès au crédit qui était déjà pas très facile pour certains types d'entreprises ne l'est toujours pas, ne le sera pas. Moi je milite pour d'autres formes de sûreté et de crédit, et la réforme qu'on a évoquée tout à l'heure participe de cela.

 

Alors il y a des solutions, les services de Bercy et le CIRI en tête ont été particulièrement efficaces pour convaincre Bruxelles de laisser à la France quelques souplesses dans la discussion et l'aménagement des PGE, et il faut leur rendre hommage parce qu'ils ont vraiment porté cette question-là avec beaucoup d'efficacité. Je m'explique : aujourd'hui, la plupart des banques sont prêtes à réaménager ce crédit très peu risqué pour elles, pour autant que la garantie de l'État soit maintenue. Donc elles n'ont aucun problème à consentir à des allongements d’un an, deux ans, quatre ans, voire beaucoup plus parfois, on pourra le leur imposer dans une décision judiciaire, pour autant que la garantie de l'État soit maintenue. Alors la négociation de l'État français et des services de Bercy avec Bruxelles a consisté à dire : si on inscrit ce réaménagement de PGE, cette extension du PGE, voire des abandons de dette dans un environnement judiciaire ou semi-judiciaire, contrôlé au vu d'une situation globale, avec des efforts collectifs et pas uniquement porté par la puissance publique, acceptez-vous finalement qu'on maintienne notre garantie au-delà des 6 ans ?

 

Alors c'est le cas soit des petits PGE, moins de 50 000 euros, en saisissant la médiation du crédit, mais pour la plupart des entreprises que nous accompagnons, la simple ouverture d'une conciliation, le réaménagement des PGE dans le cas de la conciliation, permet de maintenir la garantie de l'État. Mais il faut que la conciliation soit conclue par un protocole, et ce protocole, il faut le faire constater par le président ou homologuer par le tribunal. Alors l'homologation, on peut considérer que c'est un peu lourd, ça crée quand même une publicité, c'est un jugement, souvent une négociation un peu pénible pour aboutir jusque-là, mais le constat de l'accord c'est une décision prise dans son bureau par le président, qui n'a aucune publicité, dont personne n'est jamais informé.

 

Et donc on assiste, et c'est une bonne chose, à un recours croissant aux outils de prévention, à la procédure de conciliation, et au mandat ad hoc par des petites entreprises qui du coup viennent pour un diagnostic beaucoup plus global. Et ce qu'on observe dans le phénomène PGE, c'est que, bien sûr, et banques et emprunteurs ne voudraient toucher qu’au PGE. Mais la règle, c'est que l'endettement soit globalement traité. Pierre-Olivier Chotard en dira beaucoup plus que moi parce que c'est un point de vigilance systématique pour l'État, mais y compris pour nous c'est l'occasion de faire un diagnostic un peu plus large que simplement rajouter un an ou deux au PGE, et s'assurer qu'en fait on a bien un plan d’affaires, qu’il est bien financé, qu'il faut peut-être allonger d'autres crédits aussi, obtenir du new money, bref, faire un diagnostic plus large. Donc oui je conseille d'aller dans un mandat ad hoc puis une conciliation, de mettre ses prêteurs autour de la table et de faire constater la conciliation pour obtenir deux, trois, quatre ans de plus avec, le cas échéant, des franchises. Alors ça règle pas le problème de l'endettement global, mais en fait ça donne un peu plus de temps pour notamment passer cette période qui est une période inédite et assez exceptionnelle.

 

Vernimmen : Pierre-Olivier, Hélène vous a tendu une perche. Qu’en pensez-vous ?

 

Pierre-Olivier Chotard

D'abord, effectivement il y a une montée des inquiétudes de certains chefs d'entreprise sur un non-remboursement, parfois dans les statistiques et dans la sinistralité qui est enregistrée dans les comptes de l'État. Aujourd'hui, on a des chiffres qui demeurent très faibles. Première nouvelle qui est plutôt pas mauvaise, au contraire, pour le contribuable. Deuxièmement, il n'y a aucun tabou en revanche quand il y a des difficultés pour restructurer un PGE quand c'est nécessaire. Effectivement, ça n’avait pas été conçu par la puissance publique pour être restructuré quand on l’a créé en mars 2020. D'abord parce que ça a été créé dans l'urgence, et on n'a pas commencé à penser si on allait le restructurer. Puis, on pensait que ça serait temporaire, aisément remboursé et puis vous avez connu la suite de l'histoire. Et donc effectivement, comme ça a été rappelé, on a su modifier le dispositif avec les autorités européennes pour que ça puisse être restructuré. Et donc il y a un certain nombre de grands cas dans lesquels c'est possible, Hélène les a rappelés, et donc il y a pas de tabou, l'État est prêt à accepter des abandons quand c'est nécessaire.

 

Bon une fois qu'on a dit ça, la question est : comment on le fait ? Et effectivement mon cheval de bataille et mon quotidien, c'est qu'il y a un certain nombre de grands principes qui, à nos yeux, doivent être respectés quand on veut restructurer un PGE. Le premier, c'est que ça doit être fait dans un cadre global : on n’annule pas un PGE par pur confort, parce qu'on se dit : « ah bah mon passif va être allégé d'autant, donc faisons-le », parce que dire ça, ça veut dire faire le choix à la place des décideurs publics et qu'en fait, on transforme un prêt en subvention. Et jusqu'à preuve du contraire, ça n'a pas été le choix de la représentation nationale que de faire cela. Donc si on le fait, c'est pas pour le confort du chef d'entreprise.

 

Deuxièmement, et on s'y bat tous les jours, il faut que ça soit fait de manière équitable. C'est la base du restructuring, mais si on demande de restructurer la ligne qui est garantie par l'État, il n'y a aucune raison pour que les autres créanciers, bancaires ou autres, continuent d'être remboursés. Pas équitable. Donc le principe de base qu’il nous semble indispensable de suivre, c'est que toutes les autres créances de même rang, donc les créances chirographaires, soit traitées de manière équitable avec le PGE. On restructure le PGE, c'est nécessaire, très bien, mais ceux qui sont dans la même classe que nous font le même effort, sinon c'est injustifiable. Voilà.

 

Et puis dernier principe qui nous semble important, qui est un principe économique et financier de base qui nous paraît sain, c'est que, on fait l'effort, on restructure parce qu’aujourd'hui c'est nécessaire, mais si demain ça va mieux ; dans ce cas-là il n’y a aucune raison pour que ne soient pas mis en place des dispositifs qui permettront de récupérer les sommes que l’État a initialement abandonnées parce que l'entreprise se retourne. Et donc là il y a plusieurs dispositifs qui sont possibles. Il y a des clauses de retour à meilleure fortune, qui, en gros, nous permettent d'être remboursés si finalement la société se retourne mieux et plus vite qu’anticipé. Il y a la conversion du PGE éventuellement en titre de capital, qu'on a su faire dans un cas aujourd'hui, qui là encore nous permet de récupérer la perte qu'on encaisse aujourd'hui dans l'hypothèse où l'avenir est plus rose.

 

Vernimmen : Le cas que vous évoquez est Pierre et Vacances, qui est l'exemple, puisque chaque année on change les exemples dans le Vernimmen, donc dans le chapitre 50 cette année vous trouverez la restructuration Pierre et Vacances. Donc c'est le seul cas jusqu'à présent où on a transformé un PGE en capitaux propres, et donc ce que je comprends, c'est que si ça va mieux chez Pierre et Vacances et que les actions sont placées à un moment donné dans le marché à des tiers et que l'État fait une plus-value, ça bénéficie bien à l'État et donc à la communauté des contribuables et des citoyens, c'est bien ça la logique ?

 

Pierre-Olivier Chotard :

Ça fonctionne exactement comme ça, et, d'ailleurs, bravo, le cas est très bien expliqué dans la nouvelle édition du Vernimmen. C'est effectivement le seul cas qu'on a fait à ce jour, parce que, en réalité, c'est des montages juridico-financiers qui sont assez complexes, qui sont coûteux du coup aussi pour l'entreprise parce que ça nécessite en l'espèce la mise en place d'une fiducie. C'est coûteux, ça prend du temps et puis quand on convertit de la dette en titre de capital, on a un enjeu de sortie, et donc on a un enjeu de liquidité à la sortie du marché, et donc ça marche bien en réalité aussi en particulier dans les cas où l'entreprise est cotée, et donc où il y a une profondeur, une liquidité du marché qui permet, le jour où on veut recéder les titres convertis, de le faire. Mais effectivement, ça marche comme ça, la garantie est appelée parce que le prêt est considéré comme ne pouvant être remboursé, donc les finances publiques contribuent à ce moment-là, en revanche, si dans X années le titre Pierre et Vacances connaît une forte plus-value, et bien la plus-value à hauteur de ce qu’était la quotité de la garantie de l'État reviendra in fine dans les caisses de l'État, et donc viendra en moindre dépense pour l'État sur cette opération.

 

Vernimmen : Et ma dernière question sera pour toi, Hélène. On a eu deux exemples où les banques ont transformé en capitaux propres leurs créances, qui étaient sur Saur et Bourbon. Deux exemples qu'on avait traités dans le Vernimmen dans des éditions antérieures. Avec le recul, tu estimes que c’était la bonne décision à prendre pour elles ?

 

Hélène Bourbouloux :

Je pense que sur Bourbon c'est un peu tôt pour le dire. Je pense que le cas a été particulièrement difficile, je pense qu'il y a des phénomènes de marché qui sont plutôt positifs actuellement, mais je pense que c’est très difficile. Pour moi, c'est deux dossiers qui n'ont rien à voir. Je pense que le choix fait dans Bourbon est un choix peut-être imposé par la situation, et donc les banques ont eu le courage d'y aller, je sais pas s'il y avait une meilleure alternative, mais je suis pas convaincue par le cas Bourbon.

 

En revanche je suis très convaincue par le cas Saur, parce que sur la Saur les banques ont été finalement entièrement remboursées. J'observe que, néanmoins, c’est un dossier qui m'a beaucoup marqué, et je pense que le niveau de contraintes qu'on a placé en contrepartie était nécessaire pour que les banques elles-mêmes soient totalement payées à la fin. Je m'explique : dans ce deal-là, on a deux établissements bancaires français qui ont pris le lead, qui étaient le groupe BPCE-Natixis et BNP Paribas et on a imposé en fait par la gouvernance – donc c’est quand même assez intéressant même de voir que ça impacte beaucoup le sort de l'entreprise – on a imposé que ces deux banques françaises gardent une minorité de blocage, et qu'elles ne pourraient en fait perdre cette minorité qu'à la faveur de la mise en vente totale du groupe.

 

Donc on a imposé une stabilité dans la gouvernance, qui était nécessaire, parce que dans toutes ces opérations de lenders lead, c'est-à-dire de prise de contrôle par des créanciers, il y a deux types de créanciers. Vous avez celui qui achète de la dette volontairement pour prendre le contrôle, cf. Apollo dans Vallourec. Et puis il y a celui qui est là et qui va assumer une prise de contrôle en espérant retrouver, capter en fait, la valeur future d’equity en contrepartie de son risque initial de créancier impayé. Et les expériences précédentes montraient que le bât blessait lorsqu'on trouvait des conflits d'intérêts entre les créanciers actionnaires qui, pour partie, restent encore créanciers, parce que toute la dette n’était pas convertie dans un dossier comme la Saur. Et on avait un débat à l'époque sur la valeur, c’est souvent le cas : les banques voulaient laisser un peu plus de dettes au bilan et l'entreprise, elle, luttait un peu pour avoir un peu moins de dette au bilan. Donc on avait créé une tranche de dette, qui était alors hors standard financier, qu'on avait appelé la Flex. Flex parce que flexible, et donc c'était une tranche, alors c'était pas tout à fait des ORA (obligation remboursable en actions). On avait une tranche intermédiaire qui était une obligation, qui pouvait être convertie en ORA si en fait l'entreprise n’atteignait pas son BP, et qui restait en dette si elle atteignait son BP.

Donc ça c'était un premier élément. Il y a le deuxième élément, c'était de garder cette stabilité de gouvernance. Et le troisième élément, c'est qu’il y avait des activités distinctes, et en particulier une filiale qui pouvait être vendue et qui aurait généré un produit significatif. Moi, ma conviction, c'était que si on vendait cette filiale, en réalité, il fallait à ce moment-là être cohérent et que le groupe soit totalement mis en vente à ce moment-là, et puis les créanciers retrouvaient le prix qu'ils pourraient de ces cessions-là. Et que si, en revanche, ils voulaient retrouver la totalité de la créance, il faudrait probablement que le prix de cession de cette filiale, plutôt que d'être reversé immédiatement au créancier, soit contributif de la valeur du groupe, reste dans le groupe. Et c'est ce qui s'est passé avec un peu de pression.

Alors il faut se rappeler que la Saur, c'est l'eau, c'est en France, enfin c'est pas délocalisable. Certes il y a 80 % de taux de syndication, mais c'est très lisible, c'est un marché avec des collectivités, c'est très très différent du marché Bourbon, ou de la société Bourbon qui est issue d'une collection d'entreprises familiales qui ont été achetées, qui opère à l'étranger. Le cas Saur est une bonne opération, et je suis très contente que ces banques-là l’aient fait. Je ne suis pas sûre que s’il y avait eu un pool avec huit établissements… ça n’aurait probablement pas marché. Parce que ces deux établissements représentaient un tiers, mais ça veut dire que les deux autres tiers c'était des fonds et des fonds dette quand même beaucoup plus aguerris à ce type de schéma et qui donc ont été plutôt supportifs de ce schéma, et certains sont d'ailleurs rentrés après. Donc c'est une très bonne chose. Et aujourd'hui ce sera encore plus facile avec la loi en place.

Enfin, à l'époque le problème de l'actionnaire n'en était pas un, ils ont pas été capables de matcher une solution. Si les actionnaires en place proposent une solution acceptable, il est normal qu’ils aient une forme de priorité : c'est eux qui ont pris le concept aux États-Unis. S’ils n’en font pas, ils ne peuvent pas empêcher les autres, et aujourd'hui le système ne leur permet plus en fait de prendre en otage une restructuration.

 

[1] NDLR : c’est-à-dire une action dont la valeur est négative du fait d’un montant de dettes supérieur à la valeur de l’actif économique.

[2] Cet entretien a eu lieu fin novembre 2022 quand la Chine était encore en régime de confinement.

 



Tableau : Les taux d'impôt sur les sociétés dans le monde

Les taux de l’impôt sur les sociétés dans le monde ont légèrement baissé à environ 23,4 % en moyenne. Ils sont maintenant repassés au-dessus de 21 % en Europe en moyenne, en raison de taux d'imposition sur les sociétés plus faibles en Europe de l'Est. Et au niveau de l’OCDE, la moyenne a dépassé les 23 % grâce au Royaume-Uni qui est passé de 19 % à 21 %, avant d’atteindre les 25 % cette année.



Recherche : La création de valeur dans les acquisitions en private equity

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

Nous avons discuté des sources de création de valeur en private equity dans La Lettre Vernimmen.net du mois de mars (no 206). L’article présenté montrait que le relâchement des contraintes de financement facilitait les opérations de croissance internes et externes. Nous présentons ce mois un article[1] qui étudie aussi la création de valeur en private equity. Les contempteurs des fonds de private equity leur reprochent souvent de faire passer pour de la création de valeur une simple captation de valeur par transfert d’autres parties prenantes. En particulier, leur action induirait une plus grande concentration sur le marché des produits, au détriment du consommateur. L’article contredit cette idée en montrant que les acquisitions par les fonds de private equity bénéficient généralement aux consomma-teurs.

 

Une des principales difficultés dans la construction de tests empiriques en finance consiste à établir un protocole permettant d’exprimer avec crédibilité le fameux « toutes choses égales par ailleurs ». Pour cela, on peut comparer un échantillon testé à un échantillon de référence, puis mesurer, comme en médecine, les écarts entre les deux échantillons à la suite d’un événement. En l’occurrence, pour étudier l’impact des acquisitions par les fonds de private equity, on compare les entreprises ciblées avec des entreprises semblables mais non ciblées. Le problème est que le fait même d’être ciblé par ces fonds n’est pas neutre ; il est difficile de garantir que la procédure d’association (matching) entre les cibles et les références soit parfaitement juste. Les entreprises qui sont ciblées le sont peut-être parce qu’elles sont différentes des entreprises de référence, sans que cette différence soit facilement identifiable par le chercheur.

La puissance de l’article présenté ce mois réside en la finesse de la procédure d’association. Les auteurs ont utilisé des données particulièrement détaillées, qui ne portent pas seulement sur les entreprises mais aussi sur le marché des biens de consommation. Ainsi, ils mesurent l’évolution des prix et des quantités disponibles directement dans les points de vente (environ 43 000 !) aux États-Unis entre 2006 et 2016. Cela représente la moitié des ventes au détail en quantité (et le tiers en valeur) aux États-Unis sur la période. Or, plus l’association entre cible et référence est établie finement au niveau des produits vendus, plus le « toutes choses égales par ailleurs » du test statistique est crédible. Ici, les auteurs associent les entreprises cibles à des entreprises comparables au niveau des biens de consommation vendus. Cette approche granulaire permet une analyse précise de l’impact des acquisitions en private equity (236 dans l’échantillon) sur le marché des produits et, en conséquence, sur le bien-être des consommateurs.

 

Le premier résultat porte sur le montant des ventes. Dans les années qui suivent l’opération, le montant des ventes des entreprises acquises augmente de 50 % de plus que celui des références. Cette hausse ne s’explique pas par les prix (qui n’augmentent que très marginalement, de l’ordre de 5 %), mais par les quantités vendues. De plus, la hausse des quantités vendues s’accompagne d’une augmentation de la diversité des produits (lancement de nouvelles gammes) et d’une plus grande focalisation sur les produits à forte marge. À produit équivalent, la hausse de prix est pratiquement inexistante (1 %), si bien que l’argument selon lequel la concentration induite par ces opérations est payée par le consommateur n’est pas vérifié. Dans le même temps, la hausse des prix pratiquée par les concurrents est plus faible encore (à peine un demi pourcent), si bien que l’argument de la constitution d’oligopoles au détriment du consommateur ne tient pas dans le cas général.

 

Une analyse plus détaillée montre que la croissance en quantité s’explique surtout par la vente de nouveaux produits et l’ouverture de nouveaux magasins. Ainsi, les consommateurs bénéficient à la fois de nouveaux produits et de nouveaux points de vente, donc d’un accès facilité à ces produits. Ces deux éléments (disponibilité et diversité des produits) sont généralement considérés comme favorables au bien-être du consommateur.

 

Enfin, un élément intéressant de l’article est sa comparaison entre les acquisitions d’entreprises non cotées, qui constituent l’essentiel de l’échantillon (222 sur 236) et les acquisitions d’entreprises cotées (qui sont donc sorties de la cote à la suite de l’acquisition). L’impact positif sur le consommateur n’est observé que dans le premier cas. Lorsque la cible est cotée, la conséquence de l’acquisition est généralement une hausse des prix et une réduction des quantités vendues. Ceci montre que l’effet positif des fonds de private equity pour les consommateurs ne vient pas d’un avantage absolu de l’absence de cotation, mais plutôt de l’expertise stratégique et managériale apportée par ces fonds. Lorsque la cible est une entreprise cotée, l’acquisition permet une réorganisation et une réduction des conflits d’agence, mais le consommateur n’est pas forcément gagnant.

 

En montrant l’impact positif des opérations menées par les fonds de private equity pour le consommateur, cet article défend leur rôle économique. Aussi, il confirme les résultats présentés au mois de mars : c’est en aval de la chaîne de valeur, au niveau de la croissance du chiffre d’affaires, que s’observe le mieux l’impact de ces opérations.


[1] C. Fracassi, A. Previtero et A. Sheen, « Barbarians at the store? Private equity, products and consumers », Journal of Financial Economics, 2022, vol. 77(3), pages 1439 à 1488.

 



Autre : 8 mars 2023: Trois portraits de femmes professionnelles de la finance (2/2)

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages LinkedIn et Facebook du Vernimmen, trois interviews de femmes qui ont professionnellement réussi en finance, dont voici les deux derniers. L’interview précédente peut être lue sur le site vernimmen.net et a été publiée dans La Lettre Vernimmen.net de mars 2023.

 

Maria Pardo Saleme

Directrice financière de Lhyfe, membre du comité exécutif et du conseil d’administration


En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

J’ai toujours été passionnée des chiffres, des mathématiques. Enfant, j’aidais mon père à tenir sa comptabilité, je participais à des tournois de maths, adolescente j’ai enseigné les maths à des enfants, mais aussi à des plus grands que moi. C’était la notion de jeu qui m’y plaisait. Ayant réalisé ma scolarité en Argentine, je suis arrivée en France grâce à une bourse de mérite qui m’a permis de faire les classes préparatoires puis l’ENSTA, suivie d’un master en mathématiques appliquées à la finance. J’ai commencé ma carrière en banque après l’école, cela semblait logique, même si en toute transparence je ne savais pas vraiment vers quoi j’allais ou le sens que cela avait. J’ai créé des outils de simulation de risques de contrepartie, puis des modélisations de risques de marché, et stressé des portefeuilles bancaires à des scénarios macroéconomiques divers. Une rencontre formidable m’a emmenée vers la finance d’entreprise, où j’ai eu la chance pendant plusieurs années d’accompagner de grandes et de petites entreprises à faire appel à des capitaux privés ou publics pour financer leur croissance. J’ai structuré des opérations parfois de plusieurs milliards d’euros, parfois quelques dizaines de millions, mais toujours au contact de dirigeants que j’ai admirés par leurs compétences, passion et engagement.

 

C’est dans le cadre d’une de ces missions que j’ai rencontré Matthieu Guesné, fondateur de Lhyfe, qui m’a proposé de rejoindre son entreprise afin de l’accompagner dans la structuration de son équipe financière et dans la définition de la stratégie de financement de la croissance de la société.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?

Travailler dans la finance, comme dans tout métier de grandes responsabilités, est un métier passionnant et engageant. Il peut se traduire en un quotidien professionnel très chargé, des temps longs dédiés au travail, aux équipes, à l’entreprise, des moments de stress ou de fatigue.

 

Une vie de famille équilibrée est nécessaire afin de toujours garder la tête sur les épaules, et de nous rappeler la raison d’être de chacun de nous. Ma réussite s’appuie sur une fondation solide, qui provient de ma maison, de ma famille. Le travail d’équipe avec mon mari a été et est toujours indispensable afin que chacun de nous deux puisse s’épanouir personnellement et professionnellement. Sans son soutien, accompagnement et compréhension, cela aurait été un chemin bien plus difficile !

 

Cela nécessite aussi une logistique et une organisation sans faille. Et réserver du temps sacré pour nous ressourcer souvent, à quatre dans mon cas avec nos deux enfants, qui nous remplissent d’énergie et nous rappellent quotidiennement pourquoi nous nous battons chaque jour.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ? Quel a été votre principal atout dans votre réussite ? Quel a été votre plus beau succès, à vos yeux ?

Je me dis parfois qu’il faut être très complet pour exercer mon métier, presque dans les oppositions. Il faut pouvoir jongler entre un travail de terrain proche des opérationnels avec une vue stratégique. Il faut de la rigueur dans le métier, de la souplesse dans l’humain. Il faut être organisé, méthodique, tout en sachant faire face à l’imprévu et pouvoir s’adapter.

 

Il faut de l’écoute à tous niveaux d’interlocuteurs, une adaptation constante à la personne que nous avons face à nous. Il faut savoir embarquer les équipes avec soi, mais aussi les partenaires, les actionnaires, les codirigeants. Il faut aussi accompagner les équipes au quotidien, l’empathie et le partage de sens sont les seules choses qui nous permettent d’aller ensemble toujours plus loin.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

J’ai évolué dans un milieu qui a toujours été plutôt masculin, mes modèles féminins viennent de mon milieu familial. Ma grand-mère me disait souvent que je venais d’une famille de femmes fortes, de femmes battantes. J’ai toujours admiré les femmes de mon entourage qui, avec de fortes convictions, n’ont jamais eu peur de porter leur voix afin de défendre des projets qui leur tenaient à cœur, que ce soit dans la création d’écoles dans des régions perdues en Argentine, dans l’accompagnement de personnes en difficulté, dans le dépassement de soi. Ma grand-mère, à 90 ans, continuait de diriger quotidiennement la plantation de noyers qu’elle avait hérité 30 ans auparavant de mon grand-père. Ma mère continue à 72 ans d’étudier sans relâche et court le semi-marathon de Paris. Je me souhaite de garder leur énergie inépuisable aussi longtemps qu’elles !

 

Aujourd’hui, les femmes représentent 12,5 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d’une étude Vernimmen à fin 2022 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? 

 

Je pense qu’il s’agit d’une situation observée au sein des instances dirigeantes en général, et dans les métiers à fortes responsabilités. Plus accentuée peut-être dans la finance, notamment sur les sujets stratégiques, qui a longtemps été vue comme un métier d’hommes. En banque, certains métiers demeurent presque entièrement masculins ou, pire, vus par les hommes comme masculins (pas de place aux femmes !).

 

La mixité, et la diversité plus largement, sont sources de créativité, de richesse d’esprit, d’innovation. Il faut la promouvoir activement. Il faut aussi accompagner les talents dans leur développement, dans un épanouissement équilibré personnel/professionnel, créer des réseaux facilitant les rencontres et mentoring avec des personnes compétentes et inspirantes.

 

Personnellement je trouve qu’un certain changement d’état d’esprit depuis le confinement opère aussi en faveur d’une plus grande souplesse quotidienne qui permet davantage, aussi bien aux femmes qu’aux hommes, de mieux concilier les souhaits et projets personnels avec les carrières et ambitions professionnelles. J’espère que dans quelques années nous pourrons dire que ce 12,5 % était surtout générationnel.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

La finance ouvre des portes à des métiers et des opportunités de postes très variés, passionnants, engageants, et très pragmatiques au final. La finance est au service des sociétés, entreprises humaines, et est également un très bel outil qui se traduit dans le concret et dans l’action, accompagnant la croissance de sociétés engagées, d’équipes en développement, la réussite de projets, tout en permettant de s‘inscrire dans une stratégie de développement durable et responsable.

 

Je pense que l’important est que, dans la finance comme dans tout autre domaine, on s’y lance avec envie, curiosité et passion.

 

Quels sont vos actualités, rêves ou projets à court terme ?

J’ai rejoint Lhyfe il y a un peu plus d’un an en tant que CFO. Le projet de Lhyfe me porte à cœur, notre conviction est qu’il faut agir, chacun à son niveau, pour notre environnement. Notre volonté est de contribuer à décarboner le plus possible et le plus vite possible, l’industrie et la mobilité. Nous avons tous beaucoup de travail devant nous ! Personnellement, c’est avec la finance que je contribue au quotidien à rendre cette volonté une réalité. Il ne faut pas penser que parce qu’on est « dans les chiffres » on est loin de l’action, c’est tout le contraire. L’action est un travail d’équipe, et chacun avec notre contribution, nous bâtissons des fondations solides afin d’y arriver.

 

Alexandra Soto

Associée gérant et membre du comité exécutif de Lazard

 

 

 

J’ai commencé ma carrière en 1990 chez Morgan Stanley en tant qu’analyste en fusions & acquisitions. J’avais une idée « scolaire et universitaire » de ce métier, mais je l’ai découvert réellement à ce moment-là et n’ai jamais cessé d’apprécier ce qu’il apporte. Plus de 30 ans plus tard, je continue à l’exercer en ayant ajouté à ma carrière des postes de management. Les premières années, c’est un métier plutôt technique et qui devient au fur et à mesure de plus en plus commercial/relationnel ; c’est un métier qui nécessite une très bonne compréhension des situations et des personnes (intelligence émotionnelle) en dehors bien entendu des analyses financières. Ce qui est passionnant, c’est que chaque transaction est différente : il s’agit d’enjeux d’hommes et de femmes qui ont une vision pour leur/d’entreprise et qu’il faut aider, en tant que conseil financier, à mettre en œuvre. Les transactions sont le plus souvent internationales et nécessitent une compréhension des dynamiques culturelles en sus de tout le reste pour parvenir à son terme. Vous êtes réellement au cœur des réflexions/de la vision des grandes entreprises internationales et, en tant que conseil, vous devez comprendre les enjeux stratégiques, géopolitiques, de financement, de personnes, de gouvernance, d’impact sur les actionnaires et autres parties prenantes, les enjeux sociaux, concurrence, etc. pour pouvoir aider efficacement vos clients.

 

Au cours de ma carrière, je me suis souvent posé la question si j’avais fait le bon choix et, en regardant de manière objective les autres métiers, j’ai, à chaque fois, pris la décision consciente de rester dans le mien.

 

J’ai été soutenue tout au long de ma carrière par, à la fois des collègues en interne, mes supérieurs, mes clients, et surtout ma famille. Et j’ai essayé de me protéger au mieux contre ceux qui ne me soutenaient pas.

 

Enfin, pour répondre à votre question, si j’ai rencontré des difficultés liées au genre dans mon évolution professionnelle, la réponse est sans équivoque non. Mais je ne m’en suis moi-même posé aucune, pensant que je pouvais faire mon métier, qui, il est vrai, est dominé par les hommes aussi bien que les autres et qu’il fallait travailler au mieux. La « féminisation des clients » a été sans aucun doute d’une certaine aide. Mais plus fondamentalement la qualité du travail et la relation avec les clients me semblent être la clé du succès.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Comment faites-vous pour tout mener de front ?

Il ne faut pas se cacher qu’il n’est pas toujours facile d’articuler de manière harmonieuse une vie de femme, une vie de famille, et une vie professionnelle, fût-elle dans la finance ou ailleurs. Mon expérience personnelle fut la suivante. Je me suis rapidement rendu compte que je ne pourrais mener de front, à la fois une vie sociale riche, une vie professionnelle très exigeante dans les fusions-acquisitions, une vie de mère et une vie d’épouse. J’ai donc de manière consciente réduit pendant un certain nombre d’années ma vie sociale et ma vie sportive pour concentrer toute mon énergie sur un trépied travail-enfants-mari. Les enfants grandissant, le trépied s’élargit pour réintégrer une vie sociale, culturelle et sportive riche. Mais je crois fondamentalement qu’aujourd’hui les choses ont beaucoup changé et ce pour le meilleur. Homme ou femme, la nouvelle génération exige un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et je suis très optimiste pour le futur.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer votre métier ? Quel a été votre principal atout dans votre réussite ? Quel a été votre plus beau succès, à vos yeux ?

Je pense que la première qualité qu’il faut pour réussir dans n’importe quel métier est d’aimer ce que l’on fait et d’y trouver une satisfaction importante. Le métier de conseil exige un grand sens du client, une disponibilité, une très bonne compréhension des enjeux, une grande curiosité sur le monde. Il faut à la fois être technique, mais également avoir une intelligence des situations. Un des principaux atouts dans ma réussite est certainement ma capacité de travail et ma volonté de comprendre les enjeux de mes clients. J’ai beaucoup appris et continue à apprendre de mes collègues. J’ai eu la chance de pouvoir travailler à Londres, Paris et New York ce qui m’a permis d’être confrontée à des cultures très différentes et à devoir m’adapter.

 

J’ai dû participer au cours de ma carrière à des centaines de transactions et chacune d’entre elles m’a apporté quelque chose. Mais je crois aujourd’hui que ce qui me donne une grande satisfaction, c’est d’avoir pu combiner à la fois mon métier de fusions-acquisitions et de management, en étant responsable à la fois du capital humain et de la communication pour le groupe dans lequel je travaille. La richesse de cette combinaison est pour moi très satisfaisante. Pour moi, ma plus grande réussite est d'avoir su combiner cette réussite professionnelle tout en ménageant une vie familiale équilibrée.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Je n’ai pas eu de femme spécifiquement qui m’a servi de « modèle » dans le monde professionnel mais j’ai rencontré de très nombreuses femmes remarquables au cours de ma carrière et on ne peut que se féliciter aujourd’hui de voir le nombre de femmes qui accèdent à des postes de pouvoir dans les domaines économique, politique ou associatif. Mes mentors, mes modèles ont été pour l’essentiel des hommes, mais finalement, pour réussir dans un monde divers, avoir des personnes qui vous aident qui elles-mêmes sont diverses, me semble être un très bon modèle. Vous puisez votre inspiration et construisez votre parcours avec l’apport de valeurs, qualités que vous trouvez indifféremment chez des hommes ou des femmes qui vous entourent.

 

Aujourd'hui, les femmes représentent 12,5 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen à fin 2022 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Je crois qu’il faut regarder de manière plus large le pourcentage de femmes dans les équipes de direction et bien entendu au niveau des conseils d’administration. Il est très clair que même si un effort important a été fait au niveau des conseils d’administration, ceci n’a pas percolé de manière aussi rapide dans les équipes de direction et au niveau des postes de directeurs financiers. Il faut à la fois regarder la photo mais également le film et essayer de mieux comprendre si directionnellement, nous nous dirigeons vers une augmentation de ce chiffre ou si finalement aujourd’hui nous assistons à une certaine stagnation. Il faut rester vigilant. Ceci est un effort de tous les instants pour s’assurer que les meilleures personnes sont nommées à chaque poste. Je crois fondamentalement que les femmes sont d’excellents directeurs financiers et la majorité d’entre elles ont un style différent de celui des hommes et apporte beaucoup en tant que partenaire du directeur général. C’est la prise de conscience progressive par les sociétés de cet apport qui permettra de faire progresser ces chiffres dans le temps.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Le monde de la finance est un monde pluriel. Il n’existe pas un métier mais une multitude de métiers en finance extrêmement divers. Je suis convaincue que la finance au sens large est un excellent métier pour apprendre l’exigence, la puissance de l’analyse des chiffres, une compréhension des mécanismes micro et macro-économiques si on sait l’utiliser. Vous pouvez soit faire le choix de faire une longue carrière dans la finance ou au contraire, l’utiliser comme une excellente formation. Peu d’entre vous auront une carrière linéaire mais suivront les opportunités au fur et à mesure. Il faut se concentrer sur un environnement de travail dans lequel vous continuez à apprendre, à vous créer votre réseau et où vous restez ouvert au monde extérieur.

 

Pouvez-vous nous raconter un épisode où vous avez pu surmonter une situation de crise ou de difficultés ? en expliquant les difficultés que vous avez rencontrées et votre façon d’y faire face. Il ne s’agit pas de la crise sanitaire mais toute autre situation problématique que vous avez pu surmonter.

J’ai eu au cours de ma carrière, deux épisodes difficiles, dans lesquels j’avais l’impression de perdre mes repères, et ne souhaitant pas perdre mes valeurs, j’ai dû faire des choix compliqués pour ma carrière. Dans ce cas-là, il faut accepter de se faire aider par des personnes que vous respectez, et parfois prendre des décisions qui, de l’extérieur, paraissent incompréhensibles, mais avec lesquelles vous pourrez vivre à l’avenir. Je ne regrette aucun des choix que j’ai faits, qui auraient pu sembler difficiles, pour ma carrière, mais qui me permettent aujourd’hui d’être sereine.

 

Quels sont vos actualités, rêves ou projets à court terme ?

Dans mes actualités professionnelles, j’essaye toujours de comprendre comment les innovations technologiques autour de GPT-IIII et du métavers vont modifier mon métier.

 

D’autre part, je cherche pour l’avenir un projet dans lequel je pourrais m’investir plus autour de l’éducation des femmes.

 

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

Je vais laisser à Churchill (étant basée à Londres) le soin de répondre à cette question : « Success is not final ; failure is not fatal. It is the courage to continue that counts. » ou: « There is no losing or winning ; there is just winning or learning. »

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. En voici quelques-uns :

 

La marge décarbonée de Getlink

 

Getlink, la maison mère d’Eurotunnel, publie un nouvel indicateur financier qui permet d’intégrer les éléments extra-financiers dans les éléments financiers, en soustrayant de l’EBE une charge fictive correspondant à la valorisation de la totalité de ses émissions de gaz à effet de serre (scope 1, 2 et 3) à un prix de plus du double du coût actuel de la tonne de carbone (197 € contre 94 €).

 

Pour Getlink, qui émet peu de gaz à effet de serre, l’impact sur son compte de résultat est faible avec une réduction de son EBE de 3,3 %. Mais pour ses concurrents ferries qui émettent 73 fois plus pour un même trajet, on vous laisse imaginer… Cela montre aussi toute la transformation à marche forcée que certaines entreprises doivent effectuer à l’horizon 2024-2030, dans un contexte où l’Union européenne va étendre le marché des quotas carbone à de nouveaux secteurs comme le maritime (tiens, tiens…), le bâtiment, les transports routiers, ou réduire le volume des quotas actuellement gratuits, selon le principe du pollueur/payeur.

 

Qui paiera in fine justement ? Le client via des hausses de prix, l’actionnaire via des profits plus faibles, la collectivité pour soulager des secteurs qui ne pourront pas s’adapter assez vite ? À voir.

 

En tout état de cause, et comme nous l’expliquions dans l’introduction du Vernimmen 2021, il est plus aisé pour les investisseurs de prendre en compte les externalités que les entreprises font peser sur la planète si leur coût apparaît dans le compte de résultat, plutôt que dans une annexe, un autre document et chiffré en tonnes, litres, ou kWh, et non en euros. C’est pour cela que nous avions salué le BPA carboné de Danone qui posait un premier jalon en ce sens, même si l’approche de Danone était focalisée sur le taux de croissance de son BPA décarboné 2019, plus élevée que pour le BPA classique puisque le groupe agroalimentaire avait atteint son pic d’émission de gaz à effet de serre. À notre connaissance, aucun autre groupe n’a embrayé et Danone a cessé de le publier pour 3 raisons : le Covid qui a fait que son BPA décarboné a décru alors plus vite que le BPA classique, la forte hausse du prix des crédits carbone passés de 35 € à 94 € en Europe qui aurait mis en perte le BPA décarboné, et probablement le changement de dirigeant.

 

La marge décarbonée est-elle promise à un meilleur avenir ? Probablement, puisque son promoteur ne risque pas comme Danone d’être pris à contrepied, étant un faible émetteur de gaz à effet de serre ; et parce que le moment où ce coût théorique pourrait bien devenir un coût réel est bien plus proche.

 

Appât du gain et myopie

 

Dans un article récent paru dans Les Echos intitulé « Comment les jeunes pousses doivent gérer leurs finances », nous avons lu le témoignage de deux entrepreneurs confiant : « Quand vous avez au moins 1 ou 2 millions en trésorerie, vous pouvez les placer en Bons du Trésor américain. En ce moment ils sont rémunérés à 5 % ! Cela vous fera du runaway gratuit. » « Nous avons acheté des bons du Trésor américain il y a un moment. Il y a peu de chance que le Trésor américain fasse défaut. Sinon, le monde aura de gros problèmes. »

 

Nous ne contestons pas que le monde aurait de gros problème en cas de défaut du Trésor américain, et que ceci est très peu probable.

 

Nous trouvons, avec notre double casquette de pédagogues et d’investisseurs, y compris en jeune pousse, une très mauvaise idée pour une start-up européenne de placer sa trésorerie en dollar. Le seul cas où ceci pourrait faire sens est celui de la jeune pousse qui a une dette en dollars ou fait des achats significatifs libellés en dollars, de sorte à constituer ainsi une couverture naturelle contre le risque de change, ce qui ne doit pas en concerner beaucoup puisque des jeunes start-up européennes sont rarement endettées, et encore moins en dollars !

 

Pourquoi est-ce une mauvaise idée ? Parce que pour avoir du 5 % sur les bons du Trésor américain, il faut aller chercher du papier à deux ans, qui d’ailleurs ne rapporte que du 4,4 % alors que le Trésor français rapporte actuellement du 2,7 %. Donc pour un écart de taux de 1,7 %, l’entreprise prend un risque de change sur le dollar. Il suffit que celui-ci baisse en un an de 1,7 % contre l’euro pour que le gain de rémunération du bon du Trésor en dollar contre celui de même maturité en euro soit effacé. Une baisse de 1,7 %, c’est l'euro qui passe de 1,06 $, cours actuel, à 1,08 $[2]. Quand on sait que le $ a évolué entre 0,96 et 1,4 depuis 10 ans, on se dit qu’une variation d’au moins 1,7 % en une année est du domaine du possible… sinon de la certitude.

Mais il n’y a pas que le risque de change, il y a aussi le risque de taux d’intérêt. Si dans un an, les taux d’intérêt américains à un an sont passés à 6,2 %, parce que finalement l’inflation est plus forte que prévue et que notre start-up a besoin des fonds, elle vendra ses bons du Trésor avec une moins-value, à taux de change constant, effaçant l’écart de taux de rendement.

Nous souhaitons bonne chance et beaucoup de courage à ces apprentis trésoriers pour aller annoncer à leur comité de gouvernance leur géniale idée, voire le moment venu, l’éventuel désastre d’une trésorerie qui aurait perdu 10 % de sa valeur avec un $ à 1,17, surtout dans le contexte d’un bras de fer qui monte entre les démocrates et les républicains sur le relèvement du plafond de la dette de l’État américain… En tout cas, nous, nous avons conseillé aux start-up qui nous ont fait confiance en nous accueillant à leur capital et à leur comité de gouvernance, de placer sagement en euros et de se focaliser sur l’opérationnel.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.

[2] Il est à 1,10 au moment où cette lettre est finalisée…

 



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