La Lettre n°198 de Mai 2022

Tableau : L'impact de la scission d'UMG de Vivendi sur la richesse des actionnaires de Vivendi

À l’automne dernier, Vivendi a cessé d’être la maison mère du groupe de musique UMG, par distribution à ses propres actionnaires de 60 % du capital d’Universal Music Group (UMG) après avoir introduit ce groupe sur la bourse d’Amsterdam. Seule une participation résiduelle de 10 % a été conservée par Vivendi.

 

 

Comme très souvent pour les conglomérats dont la valeur est affectée d’une décote par rapport à la somme des parties, la scission a extériorisé un supplément de valeur pour les actionnaires. En témoigne la somme de la capitalisation boursière de Vivendi et des 60 % de celle d’UMG par rapport à ce qu’aurait été la capitalisation boursière de Vivendi sans cette scission[1].

 

Un mois après cette opération, le supplément de valeur est de l’ordre de 6 Md€, soit 17 % de la capitalisation boursière de Vivendi avant cette opération. Moins qu’une création de valeur, il s’agit d’une libération de valeur latente que la gangue du conglomérat ne permettait pas de faire apparaître. La valeur était là, mais la structure de détention la comprimait.

[1] Estimée à partir de celle de la veille de la scission indexée ensuite sur les variations de l’indice des entreprises cotées du secteur des médias.



Recherche : La concentration géographique des investisseurs institutionnels et son impact sur la valorisation des entreprises

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

La recherche en finance a montré par de nombreux travaux l’importance de l’accès au financement en capitaux propres pour la croissance des entreprises[1]. Or, les investisseurs ont tendance à financer en priorité les entreprises situées dans leur zone géographique pour des raisons d’accès à l’information notamment.

 

Une équipe de chercheurs a eu l’idée de s’intéresser à ce phénomène en partant de la différence de concentration géographique des investisseurs et des entreprises[2]. Aux États-Unis, en 2013, cinq États concentrent à eux seuls 71 % des investisseurs institutionnels (mesurés en montants d’actions détenues) : l’État de New York, le Massachusetts, la Californie, la Pennsylvanie et l’Illinois. Dans le même temps, la concentration géographique des entreprises est légèrement moindre. Les cinq principaux États de ce point de vue, l’État de New-York, la Californie, le Texas, l’Illinois et le New Jersey, concentrent 54 % de la capitalisation boursière américaine. Surtout, il existe un décalage entre ces deux concentrations.

 

Typiquement, le Texas est un État dans lequel la capitalisation boursière des entreprises dépasse considérablement la détention par les institutionnels (84 Md$ contre à peine plus d’un milliard). Le Massachusetts est dans la situation inverse. L’article montre que les entreprises situées dans un État dans lequel la concentration d’investisseurs institutionnelle est élevée en comparaison de la capitalisation boursière bénéficient d’un meilleur accès au financement et, surtout, d’une valorisation plus élevée.

Pour mesurer l’écart entre ces deux concentrations, les auteurs proposent un ratio nouveau dans la finance, le ratio AM, qui augmente avec la concentration institutionnelle et diminue avec la capitalisation boursière[3].

 

Le principal résultat de l’article porte sur l’impact de ce ratio sur la valorisation des entreprises. Les entreprises situées dans les États dont le ratio AM est élevé sont significativement mieux valorisées que les autres, à caractéristiques équivalentes. Ainsi, les entreprises situées dans le Massachusetts sont bien mieux valorisées que celles situées au Texas. L’effet est statistiquement significatif : chaque pourcentage gagné sur le ratio AM fait augmenter la valorisation des entreprises de 0,14 % environ. L’effet est encore plus marqué dans les États dans lesquels les investisseurs institutionnels ont une forte préférence pour les entreprises locales ; ceci confirme que c’est bien la proximité géographique qui est à l’origine du phénomène.

 

Dans la suite de l’article, les auteurs étudient les canaux de transmission entre la proximité des investisseurs et la valorisation. Ils montrent que cette proximité permet de réduire le coût du capital des entreprises. La théorie financière nous enseigne que, dans un monde sans forces de frottement, la politique d’investissement ne devrait pas dépendre du financement[4]. En pratique, l’accès au financement peut être contraint, même dans un pays très développé financièrement comme les États-Unis. Ainsi, les entreprises dont l’activité dégage davantage de flux de trésorerie sont plus à même d’entreprendre des projets créateurs de valeur, n’étant pas dépendantes du financement externe.

 

L’étude montre que cet effet est moins présent dans les États à fort ratio AM : les investissements dépendent très peu des flux dégagés, si bien que la politique d’investissement des entreprises se rapproche de la politique théoriquement optimale.

 

Dans l’ensemble, ces résultats montrent que la proximité d’investisseurs institutionnels permet une meilleure valorisation des entreprises en raison d’un accès facilité au financement.

 

Un autre argument mentionné dans l’article est la possibilité d’une plus grande participation des institutionnels à la gouvernance des entreprises en cas de proximité géographique.

 

Au-delà d’une confirmation du biais géographique des investisseurs et d’une mesure concrète de ses effets, cet article apporte un argument dans la discussion des liens entre sphère réelle et sphère financière. Il semblerait que la présence physique d’investisseurs institutionnels dans une zone géographique donnée favorise le développement et la valorisation des entreprises non financières de leur environnement.

 

[1] Voir à ce sujet « L’accès aux marchés actions : un outil pour la croissance et l’innovation », Lettre Vernimmen.net n° 124 de mai 2014.

[2] D. Kim, Q. Wang et X. Wang, « Geographic clustering of institutional investors », Journal of Financial Economics, 2022, vol.144-2, pages 547-570.

[3] Pour des raisons techniques, le ratio est construit ainsi (pour chaque État) :

 

[4] Voir par exemple le chapitre 37 du Vernimmen 2022.

 



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière, des réponses à des questions qui nous sont posées ou des citations.

En voici quelques-uns :

La Bourse n’aime pas la diversification

Si vous en doutiez encore, la baisse de 14 % du cours de Derichebourg, le spécialiste du recyclage des déchets, observée hier à l’annonce de sa prise de participation de 20 % dans Elior, groupe de restauration collective, doit vous en convaincre !
 
En une séance, ont été effacés environ 200 M€ de valeur des capitaux propres pour un investissement de l’ordre de 167 M€.
 
Il est vrai que même si Derichebourg a une division de services aux entreprises qui fait le quart de son activité, les synergies avec Elior Group ne sautent pas spontanément aux yeux. D’autant que la participation prise sans concertation avec le management d’Elior et acquise à un prix double du cours de Bourse, semble purement financière, rendant plus difficile le dégagement d’éventuelles synergies
 
D’un autre côté, Derichebourg est dans un secteur cyclique, contrôlé par une famille fondatrice qui peut avoir envie de profiter d’une phase haute du cycle pour réduire le risque du groupe avec un investissement dans une entreprise, certes à redresser, mais beaucoup moins sensible à la conjoncture. D’autant que son propre cours, même après la correction d’hier, a triplé par rapport au début de 2020, contre une division par 5 pour celui d’Elior.
 
Et quand même bien la totalité de cette nouvelle participation partirait en fumée, la dette nette de Derichebourg ne ferait toujours que moins d’une année d’EBE.
 
Un risque supportable pour des actionnaires familiaux.

 

Walmart et l’inflation


On sait que l’inflation en gonflant les BFR, accroît donc les variations de BFR qui réduisent d’autant les flux de trésorerie disponible dégagés par les entreprises et exercent un effet négatif sur la trésorerie des entreprises à BFR positif.

A contrario, on aurait pu penser que la hausse de l’inflation aux États-Unis qui atteint 8,3 % en avril serait favorable aux finances des groupes au BFR négatif. Les résultats trimestriels publiés par Walmart montrent qu’il n’en est rien.

Au premier trimestre 2022, le grand distributeur américain enregistre un flux de trésorerie d’exploitation de – 3,8 Md$, contre + 2,9 Md$ au trimestre équivalent de 2021. La principale raison est le bond des stocks de 8,4 %, soit 4,7 Md$, alors que les ventes ont baissé par rapport au trimestre précédent (qui inclut Noël) de 7,4 %. Ce bond des stocks s’explique par des changements dans la consommation des Américains confrontés à l’inflation, qui achètent des produits moins chers au détriment des plus coûteux (postes de télévision, ameublement, etc.) restant ainsi plus longtemps que prévu sur les gondoles.


Et cette nouvelle inattendue a fait baisser le cours de Walmart de 20 % en une semaine.

Dans un contexte inflationniste, le « toutes choses égales par ailleurs » est rarement un bon raisonnement.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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