La Lettre n°192 de Novembre 2021

Actualités : La transposition de la directive européenne « Restructuration et Insolvabilité »

L’ordonnance du 15 septembre 2021 assurant la transposition en droit français de la directive européenne « Restructuration et Insolvabilité » est entrée en vigueur le 1er octobre.

La négociation de cette directive a été âpre. En effet, c’est la première directive visant à une harmonisation totale du droit des faillites au sein de l’Union européenne. Les directives précédentes laissaient les dispositions nationales inchangées et ne cherchaient qu’à traiter des problèmes transfrontaliers.

Plutôt que de porter sur les procédures collectives[1], la directive se focalise principalement sur leur prévention. Elle vise à instituer au sein de l’Union européenne des procédures de restructuration préventives et à faciliter leur recours afin de réduire ainsi nombre de procédures collectives. Elle améliore également la position des créanciers, notamment ceux titulaires de sûretés. La directive étant largement inspirée du système français, sa transposition ne bouleverse pas notre droit des entreprises
en difficulté.

La transposition de ce texte s’est imposée alors même que les différents gouvernements européens avaient pris des mesures exceptionnelles fortes pour limiter les faillites liées aux confinements, et plus généralement à la crise Covid. Le résultat a révélé une situation paradoxale de forte baisse des défaillances dans un contexte de baisse importante de l’activité.

Le législateur français a choisi de ne pas revenir sur l’ensemble des procédures, ce qui laisse un système assez complexe (complexité renforcée par les mesures spécifiques et temporaires de la crise Covid), mais qui présente l’immense avantage de la stabilité législative, et donc de la lisibilité.

 

Les principaux changements issus de la transposition de la directive

 

1/ Fusion de la sauvegarde accélérée et de la sauvegarde financière accélérée

La nouvelle sauvegarde accélérée est désormais ouverte à toutes les entreprises dont les comptes ont été certifiés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable (une mesure provisoire Covid le permettait déjà). On peut noter que les procédures de sauvegarde accélérée et de sauvegarde financière accélérée sont utilisées par un nombre très faible d’entreprises et pour des situations très particulières (LBO, etc.).

Ainsi, la fusion de ces deux procédures par l’ordonnance (la disparition de la sauvegarde financière accélérée mais la reprise de ses éléments dans la sauvegarde accélérée) n’a pas un impact significatif sur l’arsenal des procédures.

 

2/ Réduction de la période d’observation de la procédure de sauvegarde

La durée maximale de la période de sauvegarde passe de 18 mois (6 mois renouvelable deux fois) à 12 mois (6 mois renouvelable une seule fois).

 

3/ Les comités de créanciers laissent la place aux classes de créanciers

Loin d’être un simple changement sémantique, cette évolution était très attendue car elle correspond à une réalité économique et financière. Le système mis en place est en effet différent des comités de créanciers, dont le nombre était limité et qui, bien souvent, réunissaient des créanciers aux intérêts éminemment divergents. Ainsi, plutôt que de réunir l’ensemble des créanciers chirographaires (fournisseurs, banquiers non sécurisés, obligataires), alors même que leurs intérêts et processus de prise de décision sont fondamentalement différents, les classes de créanciers les distinguent.

Pour être plus précis, et c’est une nouveauté également, ce ne sont pas des classes de créanciers qui ont été créées mais des « classes de parties affectées », puisque les actionnaires constituent également une classe appelée à voter sur le plan de restructuration.

Cette nouvelle répartition des créanciers est laissée à l’appréciation de l’administrateur judiciaire, mais ne peuvent se retrouver dans la même classe ni des créanciers avec et sans garantie, ni des créanciers avec des niveaux de subordination différents.

Notons cependant que les seuils déterminant la réunion des classes de créanciers sont particulièrement élevés[2].

 

4/ Instauration du cross-class cram-down, du best interest test et de la règle de priorité absolue

Il s’agit là indiscutablement de la principale modification du droit français apportée par l’ordonnance.

Le cross-class cram-down définit les conditions pour imposer un plan de restructuration. Un plan proposé par le débiteur en sauvegarde ou en redressement judiciaire peut être adopté s’il recueille un vote[3] favorable au sein de chacune des classes, ou d’une majorité des classes constituées, ou au moins d’une classe de créanciers, autre naturellement que celle des détenteurs de capital, qui serait « dans la monnaie » (c’est-à-dire qui se ferait au moins partiellement rembourser en cas de liquidation). Dans ces circonstances, le tribunal devra s'assurer du respect de la règle de priorité absolue, c'est-à-dire que « les créances des créanciers affectés d'une classe qui a voté contre le plan sont intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu'une classe de rang inférieur a droit à un paiement […] »[4].

Ainsi l’application d’un plan peut maintenant être forcée sans l’accord des actionnaires et ce, y compris en procédure de sauvegarde.

 

5/ La seconde chance des entrepreneurs individuels

L’ordonnance pérennise plusieurs mesures Covid adoptées de manière temporaire en mai 2020 afin de permettre aux entrepreneurs de relancer une activité. Ainsi, l'accès aux procédures de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire simplifiée reste facilité.

 

6/ La création d’un privilège de post money dans le cadre de la période d’observation de la sauvegarde ou du redressement judiciaire

Les fonds apportés par des créanciers (ce n’est donc pas le cas pour les augmentations de capital) pendant la période d’observation d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire deviennent prioritaires s’agissant du remboursement. Cette mesure, qui faisait déjà partie de l’arsenal de dispositions provisoires Covid, rend réaliste la recherche de fonds pour financer l’entreprise pendant la période d’observation qui peut être longue…

Les créanciers salueront certainement le fait qu’en cas de constitution de classes de parties affectées (c’est-à-dire pour les grandes entreprises[5]), une procédure de sauvegarde ne pourra plus conduire le juge, en cas de désaccord des créanciers sur le plan proposé par le débiteur, à imposer un étalement des dettes sur 10 ans. Cette menace rendait la procédure de sauvegarde très favorable au débiteur, comme ont pu le montrer des exemples récents très médiatisés. Désormais, si le plan proposé n’est pas adopté, l’entreprise entre en redressement judiciaire. Les créanciers retrouvent alors la capacité de proposer un plan alternatif, et le juge retrouve la capacité d’imposer un étalement sur 10 ans en l’absence d’accord sur un plan.

En dehors des procédures avec classes de parties affectées, le régime antérieur reste le même et le tribunal conserve la faculté d’imposer l’étalement des dettes (la réforme a uniquement ajouté un amortissement minimum de 10 % par an à compter de la 6e année du plan).

 

Notons que l’ordonnance traite également d’autres points plus techniques, notamment du droit des sûretés. Sans diminuer leur importance, ces sujets s’éloignent quelque peu de notre centre d’intérêt.

Au global, cette évolution du droit des faillites permet de corriger certains biais observés et de converger vers un système assez équilibré entre créanciers et débiteurs. La directive permettra certainement d’introduire une politique de prévention et de traitement en amont des difficultés dans les pays où ces dispositions manquaient cruellement (comme en Allemagne). Mais comme pour toutes les évolutions législatives et réglementaires, seule la pratique nous permettra de juger de la pertinence de la réforme.

Enfin, il convient de noter que la réforme touche principalement les entreprises ou groupes de taille moyenne ou grande. Les micros et petites entreprises restent, à court terme, principalement impactées par les mesures de sortie de crise proposées par les lois d’urgence prises par le Gouvernement pour faire face à la crise Covid.

 

 

[1] Pour plus de détails sur les procédures collectives (redressement ou liquidation judiciaires), qui organisent le paiement de créances d’une entreprise en cessation de paiement, voir le chapitre 50 du Vernimmen 2022.

[2] Leur constitution est nécessaire dans les cas de procédure de sauvegarde accélérée ou en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire si l’entreprise atteint des seuils de 250 salariés et 20 M€ de chiffre d’affaires, ou 40 M€ de chiffre d’affaires.

[3] À la majorité des 2/3. Tout en vérifiant que ceux qui votent contre ne sont pas moins bien traités qu’en cas de liquidation (best interest test).

[4] C. com., art. L. 626-32, I, 3o.

[5] Voir note 2.

 



Tableau : Les octrois de crédits durables et de crédits verts au premier semestre 2021

Ce graphique, paru dans Option Finance, et élaboré avec des données de CACIB et de Dealogic, met en évidence plusieurs éléments.

D’abord, l’absence actuelle de normalisation des termes qui font appeler « prêts à impact », ceux que d’autres (comme nous) appellent « prêts durables » ou d’autres
sustainability loans en franglais. Puis, la domination bien documentée de l’Europe dans ce domaine, mais les États-Unis ne sont pas si loin derrière.

Enfin, au sein de l’Europe, les disparités sont frappantes, car si l’Allemagne et le Royaume-Uni, ensemble, font autant que la France ou l’Italie séparément, la Belgique fait autant que nos voisins d’outre-Rhin ou d’outre-Manche, alors que son PIB est 5 à 7 fois inférieur.

En France, 30 % des crédits syndiqués ont un taux d’intérêt indexé, à la marge, sur des critères extra-financiers. Et 40 % des grands groupes et des ETI en ont déjà contractés.



Recherche : La difficile mais nécessaire distinction entre revenus récurrents et non récurrents

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

Estimer la partie récurrente des résultats d’une entreprise constitue l’une des tâches les plus difficiles pour les analystes financiers. Les partitions proposées par les différentes normes comptables (normes française, US GAAP), mais non proposées en normes IFRS, ne suffisent pas toujours à séparer et isoler les éléments récurrents et les éléments non récurrents. Cette distinction est pourtant essentielle pour porter un jugement sur la situation réelle d’une entreprise et, surtout, prévoir son avenir et procéder à une évaluation. Un article récent[1] montre sur des données américaines (en US GAAP) que les éléments non récurrents sont de plus en plus nombreux et difficiles à identifier, si bien qu’il est possible de battre le marché en fondant son analyse sur des résultats correctement retraités.

Pour cela, les auteurs s’appuient des données fournies par New Constructs, un fournisseur américain d’informations et de données financières. Les auteurs précisent que cet organisme a seulement fourni les données et n’a ni financé ni supervisé l’étude ; une précision utile car les résultats obtenus permettent de souligner la qualité des données. Sur cette base, ils identifient la fréquence et le montant des éléments du résultat liés à des chocs transitoires ou à des activités annexes et non récurrentes. Parmi les éléments retraités se trouvent notamment : les résultats liés aux acquisitions ou cessions, les gains et pertes de change, les frais juridiques ou les frais de restructuration. L’étude montre que les éléments à retraiter sont de plus en plus nombreux ces vingt dernières années. Le nombre moyen de lignes de résultat concernées est passé de 6 à 8 entre 1998 et 2017. Les retraitements nécessaires portent sur environ 20 % du résultat net. Par ailleurs, environ la moitié des retraitements nécessite d’aller chercher des informations dans d’autres tableaux que le compte de résultat lui-même.

L’étude montre aussi que ces retraitements permettent d’obtenir effectivement un résultat plus récurrent que le résultat comptable. Statistiquement, la persistance du résultat obtenu après retraitement est 30 % supérieure à celle du résultat comptable. Autrement dit, il représente mieux les perspectives de résultat de l’entreprise (sur un horizon compris entre un et cinq ans). Pourtant, certains analystes intègrent avec retard ces ajustements, surtout lorsqu’ils proviennent d’informations situées en dehors du compte de résultat. Les auteurs montrent que le montant total des retraitements calculés à partir de leurs données est prédictif des ajustements effectués par les analystes sur les résultats estimés 12 mois après la publication. Mieux encore : ces ajustements peuvent servir de fondement à une stratégie gagnante. En achetant les entreprises situées dans le premier décile des ajustements (celles dont le résultat est le plus amélioré par les retraitements) et en vendant celles situées dans le dernier décile, les auteurs obtiennent une sur-performance annuelle de 8,2 %.

L’objet de l’article n’est pas tant de proposer une stratégie de trading que de montrer l’importance de distinguer les lignes du compte de résultat selon leur caractère récurrent ou non. Comme le soulignent les auteurs, ces résultats montrent surtout l’importance du travail des analystes financiers, en particulier dans leur capacité à identifier des informations pertinentes et prédictives des performances futures. Ils remarquent aussi que la tendance récente (hausse des retraitements nécessaires) pénalise les investisseurs les moins avertis, ce qui devrait donc interpeller les organes de normalisation comptable.

 

 

[1] E. Rouen, E. So, C.C.Y. Wang, “Core earnings: New data and evidence”, Journal of Financial Economics, 142, no 3, décembre 2021, p. 1068–1091.



Q&R : Doit-on faire disparaître la production stockée dans la présentation du compte de résultat par nature ?

Nous pensons que l’Autorité des normes comptables devrait se pencher sur la production stockée avec l’objectif de la faire disparaître de la présentation du compte de résultat par nature, ses composantes venant alors en déduction des charges correspondantes pour faire apparaître clairement les ventes et leurs coûts, et non pas la production et ses coûts.

La présentation actuelle présente plusieurs inconvénients :

1/ Elle ne correspond pas à la pratique du monde des affaires, tant dans les entreprises pour leur reporting interne axé sur les ventes et non plus la production (conséquence de la marginalisation de l’industrie dans le PIB), que parmi les investisseurs.

2/ Elle crée une confusion inutile dans la tête des étudiants et des chefs d’entreprise qui n’ont pas beaucoup de connaissances en comptabilité et dont trop pensent trop longtemps que le résultat est la différence entre la production et les coûts de production. Et il faut dire que la présence en produits de la production stockée n’aide pas à une compréhension spontanée du compte de résultat, surtout comparé à ceux publiés en normes consolidées française ou IFRS, où il apparaît instantanément que le résultat est la différence entre les ventes et les coûts qui s’y rapportent.

3/ À un moment où l’IASB envisage d’imposer, de façon un peu inespérée, une décomposition des charges par nature aux entreprises qui publient leurs comptes de résultat par fonction, le compte de résultat « à la française » pourrait faire un effort de pédagogie et de simplicité pour s’adapter à son époque, et pouvoir ainsi accroître ses chances de survie face à la compétition du compte de résultat par fonction, pourtant moins riche en informations que le compte de résultat par nature. Ce compte incluant la production stockée donne l’impression de sortir d’un monde qui fut le nôtre il y a 75 ans, dans lequel la pauvreté de l’offre et l’importance de la demande faisaient que la production était centrale, les ventes suivant automatiquement.

Il nous semble que les arguments qui militent pour son maintien paraissent plus faibles :

1/ Le poids de l’habitude . . , sans plus de commentaires de notre part.

2/ La nécessité de procéder à plusieurs écritures comptables de régularisation pour réduire les différentes charges de leurs fractions incorporées dans des produits non vendus, alors que la constatation de la production stockée n’en nécessite qu’une seule. Cela est arithmétiquement juste, mais il nous semble que les logiciels de comptabilité peuvent être adaptés à notre époque pour faire en comptes sociaux ce qu’ils font depuis longtemps en comptes consolidés ou en IFRS ou US GAAP.

3/ Une justification conceptuelle que nous trouvons bien pauvre : la production stockée se trouvant en produits car il s’agit d’une vente un peu particulière, mais d’une vente quand même, de l’entreprise à elle-même, sans marge bien sûr.

 



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations  en 2021 que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière, des réponses à des questions qui nous sont posées ou des citations.

 

L’introduction en Bourse de Antin Infrastructure Partners

Réalisée dans le haut de la fourchette à 24 €, elle ne pourra laisser qu’un bon souvenir aux actionnaires du premier jour avec gain dans la journée de 26 % et une capitalisation boursière qui atteint 5,6 Md€.

Sur cette base, le PER 2021 est de 93 fois. Moins si l’on considère les résultats 2023-2024 quand Antin Infrastructures Partners aura levé son fonds suivant de 10 à 11 Md€, à comparer aux 19 Md€ d’actifs sous gestion. Mais le fait que l’on soit obligé de mentionner des résultats dans 2-3 ans pour justifier du prix actuel montre que la valorisation d’aujourd’hui est généreuse. Il faut être fou financièrement pour ne pas se faire coter actuellement quand on est une société de gestion qui réussit brillamment.
 
Il y a quelques années, les commissions de gestion facturées aux investisseurs par les sociétés de gestion couvraient grosso modo leurs dépenses et les mettaient à l’équilibre, rendant impossible leur cotation. Les gestionnaires s’y retrouvaient grâce au carried interest, c’est-à-dire leur intéressement sur les plus-values réalisées lors de la vente de participations.
 
Le fort développement continu du private equity[2] et l’émergence de sociétés de gestion stars dans leurs segments, comme Antin Infrastructures Partners dans les infrastructures, dont les performances attirent les investisseurs, font que les résultats de ces sociétés de gestion deviennent très significatifs, malgré la baisse des commissions de gestion en pourcentage des actifs, qui est largement compensée par la croissance des capitaux confiés. Dès lors, les meilleures d’entre elles peuvent s’introduire en Bourse, comme Antin Infrastructures Partners en a fait brillamment la démonstration.


 

 



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