La Lettre n°178 de Avril 2020

Actualités : En période de crise, il vaut mieux savoir dans quel segment du marché obligataire l'on se trouve

Les notations de crédits par les agences de notation peuvent apparaître pour les béotiens comme un continuum allant de AAA à C. Mais pas pour les lecteurs du Vernimmen qui savent qu’une différence importante existe dans les esprits entre les notes allant de AAA à BBB- (investment grade) et les notes BB+ et inférieures (below investment grade ou high yield).

Il existe bien deux mondes chez les prêteurs : le monde du leverage et le monde de l’investment grade ou high grade. Leurs règles, leurs codes mais aussi leurs acteurs sont très différents. Les institutions financières, à commencer par les banques et les fonds de dettes, sont structurées avec des équipes distinctes dédiées à chacun des compartiments.

Notons déjà que la frontière entre le leverage et l’investment grade coïncide rarement avec la frontière théorique entre BBB- et BB+. Dans le marché pré-crise (qui était caractérisé par une liquidité importante sur les marchés et donc une capacité de négociation favorable aux emprunteurs), la frontière se situe plutôt aux alentours de BB[1]. Dans le courant du mois de mars / avril 2020 la frontière était plus proche de BBB (les émetteurs BBB- et en-dessous n’ayant, sauf de rares exceptions, pas accès au marché).

Ceci signifie qu’hors période de crise, de nombreuses entreprises notées BB+, voire BB, bien que factuellement below investment grade, émettent sur les marchés comme si elles étaient investment grade (c’est le cas, par exemple, de Spie, Elis ou encore Nexans). On parle de cross-over (leur notation enjambant les mondes investment grade et non investment grade), mais en réalité, leur documentation obligataire[2] est largement comparable à celle d’une entreprise notée BBB . . .

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Les documentations obligataires investment grade[3] sont assez simples et peu contraignantes, sans covenants[4]. Le processus pour placer le papier est également très simple et se déroule en quelques heures[5] pour un émetteur connu du marché sur la base d’une documentation chapeau mise à jour tous les ans (programme EMTN). Bien que le management rencontre fréquemment les investisseurs, il est rare, hormis pour les primo-émetteurs ou dans des situations spécifiques du type financement d’acquisitions, que les dirigeants fassent un roadshow pour une transaction spécifique. La documentation est très standardisée. Les clauses principales de protection des investisseurs sont :

  • Défaut croisé ou cross default : un défaut observé sur une autre dette de la société entraîne un défaut (et donc l’exigibilité) de cette émission obligataire.
  • Pari passu : les porteurs obligataires de même rang de séniorité doivent être traités par l’émetteur dans le même ordre de priorité.
  • Negative pledge : la société s’interdit de donner en gage tout ou partie de ses actifs à d’autres porteurs d’obligations (ce qui exclut de facto les prêteurs bancaires), sauf à partager ces sûretés avec tous les porteurs obligataires de même rang ou à leur donner des sûretés de qualité équivalente.
  • Le changement de contrôle (change of control) : les investisseurs peuvent exiger le remboursement au pair en cas de changement de contrôle. Certaines documentations n’ouvrent cette capacité que si le changement de contrôle entraîne une baisse de la notation de l’emprunteur en catégorie spéculative.

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Le monde leverage est sensiblement plus complexe. La documentation est plus contraignante et beaucoup plus épaisse. Elle prévoit notamment la description détaillée de l’industrie dans laquelle évolue l’entreprise, de sa stratégie et de sa performance financière. Les obligations high yield ne sont pas émises dans le cadre d’un programme EMTN, les prospectus intègrent donc individuellement toute la documentation.

Le processus d’émission est également une autre paire de manches. Il s’étale sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avec des roadshows dans différentes villes : Londres, Paris, Amsterdam . . . et à New York, Boston, etc., si l’émission est ouverte aux investisseurs américains (sous format Reg-S ou 144A[6]). Les investisseurs sont très sophistiqués et réalisent une vraie analyse crédit avant de prendre la décision d’investir. Le processus est très proche de celui d’une introduction en bourse (surtout s’il s’agit d’une primo-émission).

La documentation prévoit des covenants et souvent des sûretés (titres de filiales du groupe). On parlera de Senior Secured Notes (SSN) pour les émissions avec sûretés, et Senior Notes ou Senior Unsecured Notes (SUN) pour les émissions sans sûretés.

Les investisseurs vont souvent avoir la main sur certains actifs de l’entreprise. La structuration de l’émission dépendra des actifs disponibles à la mise en place de la nouvelle émission (les investisseurs obligataires ne partageant pas leurs sûretés avec les autres prêteurs). Ainsi, Casino a proposé aux investisseurs obligataires high yield de sa dernière émission de donner en caution une large partie de ses actifs immobiliers[7].

Il faut souligner que la documentation ne vise pas à contraindre la société dans son fonctionnement au jour le jour. Ainsi, dans l’univers leverage, les covenants sont des « incurrence covenants », c’est-à-dire que les ratios limites ne sont pas testés périodiquement, mais uniquement si certains évènements surviennent (acquisition, émission de nouvelles dettes, etc.). Le non-respect des covenants n’entraîne pas un défaut, mais simplement l’incapacité pour l’entreprise d’entreprendre l’action visée. Les investisseurs ne sont donc pas directement protégés par ces covenants d’une dégradation de la performance opérationnelle de la société. La dégradation des performances n’entraîne qu’un encadrement très important de ce que la société peut faire. Le défaut n’apparaît que si l’entreprise ne peut plus honorer ses engagements.

Les principaux covenants d’une émission high yield sont :

  • La limitation de l’accroissement de l’endettement par des ratios financiers.
  • La restriction de certains paiements (dividendes, rachats d’actions, rachats de dette subordonnée, etc.).
  • La limitation de certaines cessions d’actifs.
  • L’encadrement des transactions avec les sociétés sœurs ou actionnaires.
  • Le changement de contrôle, à noter que le remboursement se fait à 101% du pair et non au pair comme dans les documentations investment grade.
  • La limitation des acquisitions et des fusions.
  • Les sûretés prises sur certains actifs ou au moins le negative pledge.
  • Encadrement des dividendes payés par les filiales.
  • L’encadrement des garanties données à d’autres prêteurs.

L’ensemble de ces limitations est sujet à de longues négociations sur leur étendue et les exonérations prévues contractuellement.

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Dans les marchés particulièrement attractifs pour les emprunteurs, une nouvelle typologie de documentation est apparue, accessible aux emprunteurs leverage les mieux notés : le cov-lite (pour covenants light, c’est-à-dire léger en covenants…). Dans ces documentations, une partie des covenants de limitation de l’endettement ou de restriction des paiements, de limitation des ventes d’actifs et de transactions avec le groupe est absente.

L’articulation entre les différents prêteurs est plus complexe que dans le monde investment grade (où les prêteurs sont souvent pari passu, c’est-à-dire au même rang). Un contrat spécifique (intercreditor agreement [ICA]) définit les relations entre les différents prêteurs.

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Les entreprises qui ont émis en format investment grade, mais dont la notation s’est dégradée et qui doivent émettre en format leverage, sont appelées fallen angels (anges déchus), ce qui ne manque pas de poésie.

Une entreprise contrainte par un environnement « leverage » vivra parfois cette situation comme nécessairement provisoire (suite à une mauvaise conjoncture ou à une acquisition exceptionnelle) ; son objectif sera alors d’améliorer son rating, voire de revenir dans l’univers investment grade. Les investisseurs intègrent bien cette donnée et laissent une porte ouverte à un remboursement anticipé. Compte tenu de la quantité de travail importante fournie pour prendre la décision d’investir, les investisseurs définissent toutefois une période minimale (on parlera de non-call) au terme de laquelle l’emprunt obligataire peut être remboursé par anticipation, sous réserve d’une pénalité de remboursement anticipé définie à l’avance et décroissante dans le temps. Ces dispositions sont spécifiques à l’univers leverage. En effet, pour les obligations investment grade, le remboursement se fait à l’échéance[8] et le moyen de rembourser avant l’échéance est de procéder à une offre publique de rachat des obligations[9] ; mais le résultat n’est souvent que parcellaire[10].

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Il y a aussi un troisième monde dans les émissions obligataires, celui du « non-noté ». Certaines entreprises ont délibérément choisi de ne pas se faire noter par les agences de rating. Les raisons peuvent être diverses : coût, faible fréquence des besoins et/ou un accès à des financements ne nécessitant pas de notation, pression que cela impose pour suivre certaines règles d’orthodoxie financière… Ces sociétés (Bureau Véritas, Eurofins, Air France, Lagardère, Bolloré, Vilmorin…) peuvent néanmoins accéder au marché obligataire coté. Les investisseurs feront leur analyse et leur attribueront une note implicite. Le taux d’intérêt payé sera légèrement supérieur à celui d’une même société notée, l’investisseur ayant souvent plus de contrainte d’investissement sur ce segment et exigeant de fait une prime pour compenser l’absence de notation. La majorité des transactions se fait sur des échéances inférieures à huit ans.

On constate que les fenêtres de marché pendant lesquelles les sociétés non notées peuvent émettre sont plus étroites. Les investisseurs préférant, lorsque le marché est agité, avoir le tampon des agences de notation qui auront fait une diligence approfondie sur l’emprunteur. Les sociétés ayant fait ce choix appartiennent néanmoins au monde cross-over ou investment grade. En effet, un groupe dont les caractéristiques financières le rattachent clairement au monde non-investment grade ne pourra pas émettre sur les marchés sans se faire noter.

Depuis mi-mars 2020, on observe que les marchés des high yield et des non-notés sont totalement fermés, alors que le marché des investment grade est resté continuellement (ou presque) ouvert avec des volumes d’émissions très élevés.

 

[1] Voire BB- pour certains fallen angels.

[2] La documentation bancaire des cross-over peut montrer des différences avec celle des émetteurs investment grade, notamment avec l’existence de covenants financiers.

[3] Nous parlons ici de l’essentiel du marché corporate, c’est-à-dire senior unsecured.

[4] Pour plus de détails sur les covenants, voir le chapitre 41 du Vernimmen 2020.

[5] Avec une annonce le matin à l’ouverture des marchés et la clôture de l’opération en début d’après-midi, si tout va bien.

[6] Pour plus de détails, voir le chapitre 27 du Vernimmen 2020.

[7] Les émissions obligataires précédentes, sous format investment grade, permettaient en effet de donner en caution certains actifs dans une certaine limite de montant (« basket de la negative pledge »).

[8] Un call peut être prévu quelques mois (trois à six mois) avant l’échéance, mais rarement plus.

[9] La mise en œuvre d’une clause de « make whole » est techniquement possible, mais quasiment jamais mise en œuvre car prohibitive.

 



Tableau : L'évolution de la valeur de quelques actifs financiers depuis le début de l'année

Si au 18 avril l’indice MSCI world, qui reflète l’évolution des marchés boursiers, est en retrait de 17 % par rapport à son niveau du 31 décembre 2019, marquant un rebond de 22 % par rapport au plus bas 2020, toutes les valeurs sont loin d’avoir connu une évolution parallèle, comme en témoigne le graphique ci-dessus.

Ainsi, il nous semble que, jusqu’à présent, le marché financier a connu un mouvement brutal de réévaluation des prix des actifs, plutôt qu’un mouvement de panique qui aurait vu toutes les valeurs baisser plus ou moins du même pourcentage.

Ainsi, l’action L’Oréal se comporte quasi comme l’obligation à court terme d’un émetteur très bien noté (AA, Sanofi), alors que l’obligation à haut rendement d’Europcar (B-) se comporte comme l’action d’un groupe cyclique (ArcelorMittal) avec une chute de sa valeur de l’ordre de 50 %.

 



Recherche : Les relations de long terme dans les contrats de prêts bancaires

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

L’importance de la relation prêteur-emprunteur dans la formation des contrats de prêt est connue depuis longtemps. Toutefois, en matière de prêt bancaire, une évaluation empirique rigoureuse des effets de cette relation est difficile. L’objectif est de comparer les « prêts de transaction », dont la négociation dépend de la situation précise de l’emprunteur au moment de l’octroi (transaction par transaction), et les « prêts de relation », dont la négociation dépend de la relation entre la banque et l’emprunteur (sur le long terme). La difficulté vient du fait que la construction d’une relation de long terme n’est pas indépendante des caractéristiques de l’emprunteur. L’article que nous présentons ce mois[1] la surmonte en exploitant une base de données originale.

L’auteur utilise une étude de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) réalisée en 2011 auprès des banques des pays d’Europe centrale et orientale. Il a été demandé à ces établissements d’indiquer l’importance de différents critères lors de leurs décisions d’octroi de prêt aux entreprises. En particulier, les banques devaient préciser l’importance qu’elles accordaient à la relation avec le client d’une part, et aux informations financières d’autre part.

L’article effectue son analyse sur les quinze banques arméniennes de l’étude (en raison de la possibilité de croiser les données avec un registre de crédit détaillé pour ce pays). Pour toutes ces banques, la relation avec le client est jugée très importante pour les prêts aux grandes entreprises. La différence se fait sur les prêts aux PME : six banques sont plus « transactionnelles », les neuf autres plus « relationnelles ». Il est donc possible de comparer des prêts accordés à une même entreprise selon les deux pratiques. De plus, chaque banque avait la possibilité de définir elle-même le seuil séparant les PME des grandes entreprises. Ceci crée des effets de seuil exploitables dans l’analyse économétrique.

Sur l’échantillon étudié, les banques relationnelles se montrent beaucoup plus tolérantes que les banques transactionnelles aux problèmes de court terme. La probabilité de retard de paiement est 50% plus élevée pour les prêts de relation que pour les prêts de transaction (pour une même entreprise). Les retards de paiement semblent mieux acceptés lorsque la banque privilégie la relation de long terme. En revanche, le taux de défaut à maturité n’est pas différent entre les deux pratiques. Surtout, l’auteur constate que la rentabilité du prêt pour la banque, en tenant compte à la fois des intérêts et du taux de défaut, est supérieure dans le cas des prêts relationnels. Autrement dit, le prêt relationnel consiste à accepter de financer l’entreprise en crise de liquidité, pour dégager ensuite une rente de long terme liée à la connaissance du client.

Même s’ils portent sur un échantillon réduit, ces résultats permettent de nourrir le débat théorique sur l’importance de la relation prêteur-emprunteur. Le prêt de relation prend tout son sens en situation d’asymétrie d’information. En rentrant dans une relation de long terme avec ses clients, la banque acquiert une connaissance fine de leur situation, et peut ainsi prendre de meilleures décisions et assurer un meilleur suivi de ses prêts. L’article soutient en particulier la proposition théorique émise par l’économiste allemand von Thadden[2], selon laquelle cet avantage informationnel peut se traduire à la fois par de mauvais résultats à court terme et par une meilleure performance à long terme. En conséquence, le prêt de relation joue le rôle d’une assurance de liquidité fournie par la banque. Une assurance payante, puisque la banque se rémunère au final davantage sur ces prêts.

 

[1] L. Schafer, « Forgive but not forget: the behavior of relationship banks when firms are in distress », Review of Finance, 2019, vol. 23-6, p. 1079-1114.

[2] E .L. von Thadden, « Long-term contracts, short-term investment and monitoring », Review of Economic Studies, 1995, vol. 62-4, p. 557 à 575.

 



Autre : 8 mars 2020 : Trois portraits de femmes profession-nelles de la finance (2/2)

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen le portrait de six femmes dont la réussite dans une carrière financière est éclatante. En espérant que cela aide nos jeunes lectrices à faire le bon choix !

Les trois premiers sont parus dans le numéro de mars, et vous pouvez aussi les retrouver ici, ainsi que ceux des années précédentes.

 

Kadidiatou Fadika-Coulibaly

Administrateur Directeur Général, Présidente du Comité Exécutif de la société de Bourse ivoirienne SGI Hudson & Cie.

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ?

Je vous remercie pour l'opportunité que vous m'offrez de partager mon expérience qui, je l'espère, motivera d'autres femmes à s'investir dans une industrie qui me passionne.

J'ai effectué des études universitaires jusqu'à la maîtrise en économie et statistiques et obtenu un titre « d'ingénieur maître » de l'Institut Universitaire Professionnalisé de Toulouse.
Grâce au format professionnel, mes études ont été couplées à de nombreux stages pratiques, que j'ai effectués aux départements des études économiques d'institutions comme la Banque Africaine de Développement et la BCEAO, ainsi que la conduite d'un projet avec l'ONUDI sur la mise à jour du plan directeur de développement industriel de la Côte d'Ivoire.
J'ai entamé ma carrière en 1998 au sein de la SGI Hudson comme chargée d'études au sein de la direction de l'Ingénierie Financière (aujourd'hui Banque d'Affaires).

J'ai marqué un arrêt pour obtenir un MBA à Howard University en 2002 à Washington, où j'ai travaillé un an dans la formation dans l'immobilier commercial.

Ensuite j'ai intégré la Banque Royale du Canada dans la banque de réseau, les investissements dans les fonds collectifs et la planification financière ; et en 2008 j'ai décidé de rentrer en Côte d'Ivoire afin de m'associer au promoteur de la SGI Hudson & Cie que je dirige aujourd'hui.
Le marché financier dans la région UEMOA est encore naissant et nos activités à Hudson sont intégrées, partant de l'analyse et la recherche sell-side, au courtage de valeurs mobilières, jusqu'à la gestion d'actifs et de la banque d'affaires. Nous arrivons à conduire ces quatre métiers sous la même enseigne.

Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

Je me suis passionnée par les marchés financiers et la bourse en dernière année d'IUP.
J'ai alors réussi à obtenir un stage pratique à la Chambre de Commerce et d'Industrie en 1997 alors que se mettait en place la Bourse Régionales des Valeurs Mobilières. Le projet était coordonné par la CCI qui organisait en son sein les formations pour les futurs acteurs du marché.
J'ai été très soutenue par mes parents et mes proches et j'ai réussi à m'orienter sur la base d'informations que j'ai trouvées en bibliothèque, des lectures et la recherche documentaire que j'ai effectuée.
Il est important de noter qu'à la sortie du lycée, je souhaitais être truquiste, mais je n'ai pas eu le soutien escompté de mes parents, j'ai alors intégré la faculté des sciences économiques (DEUG) que j'ai après quittée pour l'Institut Universitaire Professionnalisé de Toulouse.

Ensuite tout s'est articulé sans grandes difficultés jusqu'au milieu de ma carrière.

La finance étant une industrie majoritairement masculine, j'ai dû m'imposer par mon acharnement au travail et mon abnégation, outre l'aspect purement professionnel, je n'ai jamais perçu de difficultés dues à mon genre.

En 2012, lorsqu'il m'a été proposé de devenir Directeur Général de la SGI HUDSON & Cie, j'étais enceinte de 4 mois de mon 3ème enfant, et j'ai dû concilier mes nouvelles responsabilités avec mon rôle de mère.

Je suis vraiment reconnaissante de ce parcours et de ces personnes que j'ai eu la chance de côtoyer, qui ont cru en moi et qui m'ont accompagnée à chaque étape citée.

Est-ce difficile d'articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Effectivement il n'est pas aisé de tout mener de front et équilibrer les différents aspects de nos vies. Il y a eu une époque où je travaillais et n'avais ni enfants ni époux, puis l'époque des enfants en couche et biberons, et enfin celle que je vis actuellement où ils entrent au collège.
Bien évidemment, les deux dernières m'ont obligée à trouver des outils : j'ai nourri tous mes enfants exclusivement au lait maternel jusqu'à 6 mois minimum et le premier jusqu'à 11 mois ! J'emportais mon tire-lait au travail, je déjeunais sur place en préparant les biberons pour la journée du lendemain. J'ai stoppé l'allaitement pour l'aîné à 11 mois, car j'avais une mission de 10 jours et de toutes les façons le lait maternel n'était plus essentiel.
Aujourd'hui, mon défi est le suivi scolaire, trouver du temps pour les moments en famille et articuler les nombreuses missions. Bien entendu, j'ai beaucoup d'aide de mon époux et de ma famille. J'essaie de travailler en même temps que mes enfants et de faire des activités de loisirs qui les intéressent tout en prenant des vacances ensemble et en couple une à deux fois par année.
Je n'ai pas un secret mais un principe, qui est d'utiliser l'assistance offerte de manière gratuite ou onéreuse, d'en apporter également aux autres femmes qui partagent les mêmes sujets et de rechercher toujours l'équilibre des éléments nécessaires à une vie épanouie.

Je refuse l'idée préconçue selon laquelle en tant que femme, je ne pourrais réussir qu'une chose à la fois : soit une vie de famille, soit une carrière.

Je suis des plus convaincue que nous pouvons tout avoir, mais il faut s'organiser au quotidien et dans la durée.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

A mon avis, il faut de la passion, de la curiosité et une bonne dose de résilience ; car sans la capacité à tenir et se relever, la passion et la curiosité s'éteignent.
Ce sont elles qui sont le moteur qui permet d'apprendre en continu, innover, rechercher et apporter des solutions financières qui répondent à des problématiques posées par nos clients.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Ma mère est mon premier modèle et ma marraine Me Bitty KOUYATE le second.
La première (avocate) et la seconde (notaire) ont mené de front leur carrière et leur vie d'épouse et de mère.
Elles m'ont montré que cela était possible et m'ont donné envie de faire de même.
Cela étant, j'ai admiré d'autres femmes pour leur capacité à trouver des solutions aux situations qu'elles rencontraient, que ce soit en gestion du capital humain, ou en développement des affaires et gestion de carrière ; je pense qu'elles ont des outils à partager.
Je vais citer Sena KPOTSRA qui était jusqu'en décembre dernier la Secrétaire Générale de la commission bancaire de l'UEMOA et Lala Moulaye EZZEDINE qui est aujourd'hui Présidente du Conseil d'Administration de la banque BOA en Côte d'Ivoire.

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

A mon avis, c'est le fait d'avoir à coupler les demandes fortes de ces fonctions avec la vie personnelle et surtout les arrêts lors des grossesses.
Ce second aspect ne peut être délégué et met une pression sur les femmes qui peuvent avoir des grossesses difficiles et des charges additionnelles avec l'arrivée d'un enfant.
Les compétences techniques ou managériales ne sont pas en cause, mais surtout la recherche de cet équilibre, qui parfois fait que certaines femmes préfèrent se cantonner à des rôles de second plan pour ne pas accumuler trop de responsabilités et peut-être parfois ne pas être parfaite dans le rôle.
Je trouve que parfois nous recherchons la perfection alors que tout est dans le processus et la mise en place de solutions que l'on ajuste au besoin.
Pour augmenter cette proportion, il faudrait que les femmes elles-mêmes acceptent de prendre le risque d'être imparfaites et se lancent.
Il n'y a pas longtemps, j'ai entendu un homme dire « quand une femme le fait (xxx une action incorrecte), c'est encore plus dommage… »
Je me suis retrouvée pendant 10 minutes à lui demander de m'expliquer pourquoi cela était plus dommage pour une femme que pour un homme, finalement il s'est excusé et j'espère avoir réussi à le faire réfléchir.
Mais cela démontre la pression imposée aux femmes plutôt qu'aux hommes dans le milieu professionnel qui explique qu'elles finissent par se limiter. Nous, femmes, devons donc nous défendre en meute. Cela, je l'ai compris très tard, mais aujourd'hui je véhicule ce message dès que possible.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Je leur dirai qu'elles doivent prendre des risques et s'exprimer fort et distinctement. C'est la première étape pour être écoutée. Les compétences techniques, elles les ont déjà, il faut maintenant utiliser les relations à plusieurs niveaux et ne pas cantonner les utilités. Une amie peut devenir une cliente et un mentor aussi. Le réseau est important pour l'évolution professionnelle, pour une aide avec les enfants ou ouvrir des portes, il faut donc le bâtir, le maintenir et l'utiliser.

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

Ma conviction forte, je l'ai déjà mentionnée plus tôt. Nous pouvons tout avoir, la carrière, la famille, et l'épanouissement. Allons chercher le tout ensemble !

 

 

Clarisse Kopff

Directrice Financière et membre du Comité Exécutif de Allianz France

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

C'est lors de mes études à l'ESCP que mon intérêt pour la Finance s'est révélé et que j'ai donc choisi assez naturellement de poursuivre dans cette voie. J'ai commencé mon parcours chez Lehman Brothers à Londres avant de revenir à Paris pour faire une pause et me consacrer à ma famille. Je suis ensuite devenue auditrice chez PWC dans le secteur des banques et assurances avant de rejoindre la SFAC (Euler Hermes France aujourd'hui).
J'y ai occupé plusieurs fonctions, et je suis montée en grade petit à petit. Arrivée d'abord comme contrôleur de gestion, je suis ensuite devenue responsable du contrôle de gestion d'Euler Hermes France après avoir eu mon troisième enfant, puis j'ai été promue au sein du Groupe Euler Hermes à la tête du contrôle de gestion. Cela s'est fait assez vite, et j'ai dû apprendre rapidement à m'adapter à ce nouvel environnement international. Très vite après, on m'a demandé de reprendre la comptabilité, l'actuariat et les relations investisseurs. En 2014, j'ai été nommée Directrice Financière du Groupe Euler Hermes. Et en 2018, j'ai rejoint Allianz France où je suis actuellement Directrice Financière. C'est un terrain de jeu passionnant. Outre les fonctions régaliennes de la Finance, qui est garante de l'équilibre financier de l'entreprise, je travaille avec mes équipes à embrasser un univers beaucoup plus large, en positionnant la Finance comme un partenaire du business qui accompagne les métiers et Allianz France dans les grands projets de transformation de l'entreprise.
J'ai donc suivi une trajectoire assez linéaire, et j'ai pu m'appuyer sur des personnes qui m'ont fait confiance et m'ont poussée en avant à des moments clés de ma carrière.

Est-ce difficile d'articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Je dois avouer que j'ai eu énormément de chance. Je n'ai pas eu de difficulté particulière à concilier vie familiale et vie professionnelle, car j'étais vraiment bien entourée. Mon mari m'a beaucoup aidée et a fait sa part. Nous avons aussi toujours bien organisé la vie de famille avec une nounou solide et nos parents étaient prévenants et disponibles pour nous aider en cas de besoin. Le fait d'être bien entourée m'a indéniablement aidée, et m'a surtout déchargée d'une bonne dose de charge mentale pour reprendre un terme à la mode. Aujourd'hui, je mesure la chance que j'aie eue, car je sais combien il est difficile pour d'autres femmes avec qui j'ai pu travailler d'arriver à s'organiser et à tout mener de front.
Pour autant, outre l'organisation, je me suis quand même fixé des règles auxquelles j'ai rarement dérogé. Ma vie de famille est très importante, et j'ai par exemple toujours souhaité être présente pour mes enfants et mon mari le soir et le week-end. Pour cela, il faut savoir bien prioriser, déléguer bien sûr et accepter que tout ne soit pas toujours parfait.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

Outre bien sûr les compétences techniques « classiques » nécessaires pour exercer dans la finance, il faut je pense une certaine dose de courage, de ténacité et de confiance en soi pour y arriver. Ce n'est pas toujours simple, mais il faut savoir faire entendre sa voix lorsque c'est nécessaire. C'est le rôle d'un directeur financier de savoir dire non et de défendre ses positions, même si elles ne sont pas toujours agréables à entendre. Mais surtout, il faut faire preuve de curiosité pour le business, bien le comprendre pour bien l'accompagner, et avoir dose de vision stratégique pour créer de la valeur et guider la transformation.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Dans mon parcours professionnel, j'ai effectivement rencontré des personnes qui m'ont guidée, accompagnée et surtout fait confiance, mais il se trouve que ces mentors étaient des hommes. Il faut se rappeler que les comités exécutifs et les conseils d'administration étaient encore il y a dix ans surtout une affaire d'hommes. Et loin d'être discriminée, j'ai été au contraire très encouragée et j'ai bénéficié de l'ouverture progressive de ces fonctions à des femmes. Les américaines nous ont un peu devancées et les femmes de la Tech qui ont réussi dans un domaine à forte dominante masculine sont un bel exemple.

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Dans le Groupe Allianz, nous sommes près de 40% de femmes au poste de directeur financier et cela s'est fait en à peine 5 ans. La principale barrière selon moi est une certaine forme d'autocensure. Les femmes ont plus de difficultés que les hommes à se mettre en avant, et elles s'interrogent davantage sur leur légitimité. En proportion par rapport aux hommes, elles sont clairement plus nombreuses à douter de leurs capacités, à culpabiliser pour leur famille et à ne pas oser se lancer. Or, être une femme ne doit pas être un obstacle. Je suis convaincue que la mixité est un potentiel de création, d'innovation et de performance dont on ne doit pas se priver.
Plusieurs entreprises s'engagent d'ailleurs à ce sujet, et les initiatives sont de plus en plus nombreuses. Chez Allianz France par exemple, il y a des programmes volontaristes qui se mettent en place pour favoriser la promotion des femmes. C'est notre devoir en tant que dirigeants de veiller justement à ce que les femmes ne se heurtent pas au plafond de verre au cours de leur carrière professionnelle.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Justement, de se lancer et d'oser ! Et de ne jamais laisser les autres vous dire ce que vous devez penser de vous-mêmes.

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

La finance joue un rôle crucial dans les décisions stratégiques, surtout dans les périodes de transformation très fortes que nous traversons. Cela lui donne une responsabilité particulière. Avoir cette vision à 360 est une chance, et c'est le positionnement idéal pour comprendre une entreprise et les défis qui l'attendent.

 

 

Sarah Roussel

Directrice Générale de BNP Paribas Factor

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

En cours de scolarité à l'ESSEC, j'ai signé mon tout premier contrat chez Paribas, en apprentissage. La finance n'était pas une vocation, j'y suis allée un peu par hasard grâce à ce premier contrat...et j'y suis restée ! C'est la richesse intellectuelle du métier de banquier et la dimension internationale du Groupe BNP Paribas qui m'ont intéressée. J'ai donc démarré en tant qu'auditrice au sein de l'Inspection Générale ; au bout de six ans, j'ai complété mon cursus académique par un MBA à l'INSEAD. À mon retour, j'ai travaillé près de dix ans au sein de la gestion financière du Groupe à Paris, période pendant laquelle j'ai eu trois enfants, avant de prendre la direction financière de BNP Paribas à Londres. De retour à Paris, j'ai ensuite pris la direction du contrôle de gestion de CIB. En 2013, j'ai rejoint le pôle Domestic Markets en tant que Directrice financière. Puis, après cette longue période dans la fonction finance, j'ai eu envie de prendre le rôle plus opérationnel de Directrice Générale de la filiale d'affacturage du Groupe : BNP Paribas Factor, poste que j'occupe actuellement.

Je n'ai jamais rencontré de difficultés dans mon orientation, bien au contraire. J'ai toujours été soutenue par mes managers, hommes ou femmes, qui m'ont accompagnée dans ma progression et mes démarches de mobilité. A aucun moment le fait d'être une femme, par ailleurs mère de trois enfants, n'a constitué un frein à ma progression de carrière, ni en termes de responsabilités, ni en termes de rémunération ; sans doute parce que je n'ai moi-même jamais douté sur ce point, personne n'a eu l'occasion d'y penser pour moi !

Est-ce difficile d'articuler vie de femme, vie de famille, et vie professionnelle ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

A mon sens, le secret c'est de ne jamais regretter de ne pas faire assez soi-même. Je privilégie la qualité du temps passé plutôt que sa quantité. Concrètement cela signifie que lorsque je suis à la maison, je suis 100% disponible pour mes proches, et inversement, quand je suis au travail, je suis 100% concentrée sur les problématiques professionnelles. Cela implique d'avoir mis en place un système qui permette de déléguer certaines tâches de la vie familiale à des personnes de confiance. De la même manière, bien s'entourer au niveau professionnel quand on devient manager et bien construire et faire jouer son réseau de manière générale est un facteur clé de succès.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans votre métier ?

Laissez-m'en citer quatre que je considère comme indispensables pour exercer mon métier :

 

  • L'écoute : écoute des clients bien sûr, mais également des collaborateurs, de la société, et de manière générale de toutes les parties prenantes de l'entreprise et des signaux, parfois faibles qu'elles nous envoient. Il faut savoir écouter, analyser, comprendre avant toute chose.
  • La vision stratégique : c'est aussi donner le sens, ce qui est essentiel pour guider l'entreprise sur un chemin et concentrer les énergies vers le même objectif.
  • Décider : décider, c'est avancer. C'est aussi avoir le courage de prendre le risque de se tromper, et accepter que parmi toutes les décisions que l'on est amenées à prendre, quelques-unes ne soient pas nécessairement des plus heureuses, l'important étant alors de savoir changer d'avis suffisamment vite !
  • Travail collaboratif : c'est la capacité à travailler de façon coordonnée pour faire avancer l'entreprise ensemble, et de valoriser chacun dans son rôle ; on ne pourra jamais pas faire seul ce que l'on sera capable d'accomplir à 10, à 100 ou à 100 000.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Il n'y a pas nécessairement une ou deux personnes en particulier qui m'ont inspirée dans mon travail au quotidien. J'observe beaucoup les gens qui m'entourent, quels qu'ils soient, hommes ou femmes, mes chefs, mes collaborateurs, mes pairs, et je vois dans beaucoup d'entre eux un aspect qui va pouvoir m'inspirer. Ça peut être par exemple un responsable de métier qui aura une aisance à formuler une vision stratégique limpide, une de mes collaboratrices qui communique particulièrement bien, ou encore un manager qui sait fédérer ses équipes.

Sur mon positionnement en tant que femme dans la vie professionnelle, les deux personnes qui m'ont inspirée sont très proches puisqu'il s'agit de ma mère et ma grand-mère maternelle : ma grand-mère maternelle était élevée dans une famille de paysans bretons et a appris à parler le français à l'école en primaire. Elle est devenue institutrice et s'est mariée à un instituteur, et a fait exactement le même type de carrière que son mari, pour le même salaire déjà à l'époque ! Sa fille, ma mère donc, est quant à elle devenue médecin spécialiste, s'est également mariée à un médecin exerçant la même spécialité, et a eu les mêmes succès professionnels que son mari. Elevée dans ces schémas d'équilibre femme/homme et d'ascension sociale par l'éducation et le travail, la question de la capacité des femmes à faire d'aussi belles carrières que les hommes ne s'est donc jamais posée pour moi, je crois que c'est une vraie force qui m'a aidée à m'établir dans le monde professionnel.

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Malgré une amélioration très notable ces dernières années en termes de représentation des femmes (par exemple, chez BNP Paribas Factor, les femmes représentent 40% de l'effectif des cadres et 40% des managers), il reste des marges de progression sur la représentation des femmes dans le monde de la Finance. Comment améliorer la situation ?

Le sujet commence à mon sens hors de la sphère professionnelle : au sein de la cellule familiale, je pense qu'il faut que les femmes osent se positionner en tant que modèle vis-à-vis de leurs enfants, qu'elles aient une activité professionnelle ou pas d'ailleurs. Il est important qu'elles donnent une image positive du monde professionnel aux jeunes enfants (filles et garçons) et montrent au jour le jour la capacité de chacun, homme ou femme, à réussir dans ce monde-là, gage de leur liberté individuelle plus tard.

Dans le monde professionnel, repérer les femmes (et hommes) à potentiel, les accompagner pour leur permettre d'accéder aux responsabilités auxquelles elles peuvent prétendre ce sont des actions essentielles qui peuvent se trouver facilitées à différents niveaux :

  • les lois paritaires ont déjà permis de faire bouger les lignes. L'obligation de publier la note de l'index égalité femmes-hommes pour, prochainement, toutes les entreprises de plus de 50 salariés est également une avancée considérable pour donner un outil de mesure, de communication et donc d'action, sur le sujet.
  • au niveau de l'entreprise, promouvoir des politiques ambitieuses d'égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes, cela peut passer par des actes forts d'engagement contre le sexisme au travail et de formation des acteurs, par la politique salariale, par la création de réseaux de promotion des femmes aux postes à responsabilités, ou par l'adhésion à des initiatives externes de type « HeforShe » ou « Jamais sans Elles ». Je suis fière de travailler dans une entreprise très active et particulièrement engagée sur ce type de démarches et d'avoir ainsi pu publier un index d'égalité de 99/100 !
  • Enfin au niveau individuel, faire progresser ces thématiques c'est d'abord et avant tout être exemplaire dans ses comportements et avoir un niveau d'exigence élevé vis-à-vis de ses collaborateurs sur ces sujets ; et coacher les femmes (et parfois aussi les hommes, l'égalité c'est aussi cela !) pour qu'ils atteignent les postes à responsabilité qu'ils méritent.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Le monde de la finance est structurant dans la vie d'une société, c'est un pilier essentiel au bon fonctionnement de toute économie, avec un rôle sociétal fort, mais cela ne l'empêche pas d'être en perpétuel mouvement. Cette génération qui a besoin de changement et de diversité peut en effet s'épanouir dans la finance car ce n'est pas un métier mais une multitude de métiers faisant appel à des compétences très variées (du créatif à l'ingénieur, de l'expert au communiquant, du commercial à l'organisateur…), avec des possibilités d'évolution particulièrement nombreuses, et des métiers qui se créent ou se réinventent notamment autour du digital.

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

Pour bien évoluer dans l'entreprise, les femmes ne doivent pas chercher à imiter les hommes en essayant de se placer sur le même terrain qu'eux. Simplement miser sur ses compétences, rester soi-même, ne pas considérer les hommes nécessairement comme des concurrents ou des ennemis, mais plutôt comme des alliés qui ont tout aussi besoin de nous que nous d'eux. Et être convaincue soi-même de ses capacités !



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière.

 

Faut-il interdire aux entreprises qui demandent un soutien financier de l’État de verser des dividendes ou de procéder à des rachats d’actions ?

Rappelons que les dividendes correspondent dans les entreprises correctement gérées à des liquidités dont l’entreprise n’a pas l’utilité dans son activité une fois qu’elle a atteint une structure financière qui correspond à son objectif. 

Si du fait de la crise sanitaire que nous connaissons, une entreprise a des besoins de liquidités, il faut être cohérent et supprimer ou fortement réduire les dividendes versés, qui ne sont en rien un engagement éternel inscrit dans le marbre, mais une sortie de trésorerie discrétionnaire.

Ensuite et seulement ensuite, l’entreprise pourra se tourner vers les pouvoirs publics pour obtenir leurs concours. En arrêtant de verser des dividendes, elle renforcera ainsi sa solvabilité (ou évitera de l’affaiblir) avant d’accroître sa liquidité et son endettement grâce aux pouvoirs publics (voir notre billet du vendredi 20 mars).

Il nous paraît donc financièrement (et politiquement) approprié pour les pouvoirs publics de conditionner leur aide financière à l’arrêt du versement des dividendes et des rachats d’actions.

 

Le dividende n’est ni une idole ni un tabou ! C’est ainsi que nous concluons notre étude annuelle sur les dividendes et les rachats d’actions. Si nous n’avons jamais été pour ou contre les dividendes, nous sommes contre leur sacralisation. Et actuellement nous assistons à leur re-sacralisation. 

On a salué dans un billet précédent les entreprises qui supprimaient ou réduisaient fortement leurs dividendes, car elles avaient soudain, du fait de la crise sanitaire, des besoins de trésorerie inattendus. Et c’est tout à fait rationnel et logique, car le dividende correspond à un excès de cash non utile à l’entreprise. De la même façon que verser un dividende n’est pas créateur de valeur, arrêter d’en verser un pour de bonnes raisons (parce que l’entreprise en a besoin dans son activité) n’est pas destructeur de valeur.

La position de l’AFEP (qui regroupe 110 des plus grandes entreprises privées de France), conseillant à ses membres ayant opté pour un recours au chômage partiel pour une partie de leurs effectifs de réduire de 20 % leur dividende à verser en 2020, est peu compréhensible. Soit le grand groupe a la trésorerie nécessaire, sans pénaliser ses activités opérationnelles, pour verser un dividende qui reflète sa politique de distribution et ses résultats 2019, et dans ce cas nous ne voyons pas pourquoi il le réduirait de 20 %, comme si c’était un symbole que l’on adresserait à l’opinion publique. Soit il n’en a pas les moyens, ce que laisse supposer son recours au chômage partiel financé par la collectivité qui lui permet d’éviter des débours de trésorerie, et dans ce cas on comprend mal pourquoi une réduction de 20 % et pas de 100 %.

Aussi peu compréhensible est la rumeur que l’on prête à un grand groupe de vouloir supprimer son dividende, alors qu’il n’est que marginalement affecté par la crise sanitaire. Par solidarité susurre-t-on. Mais par solidarité avec qui ? Supprimer le dividende ne va pas accroître les moyens des hôpitaux, mais va réduire les recettes fiscales des États qui en ont pourtant bien besoin en ce moment.

Aussi peu compréhensible est la rumeur que l’on prête à tel autre groupe outre-Rhin de vouloir maintenir son dividende alors que son activité est de façon évidente touchée significativement.

S’il doit y avoir un seul fétichisme sur le dividende, c’est que la liquidité de l’entreprise cotée doit prévaloir sur celle des actionnaires. En effet, si l’actionnaire de l’entreprise cotée a besoin de liquidité, il peut toujours vendre les quelques pourcents de son portefeuille que représente en moyenne le taux de rendement des dividendes des grands groupes, alors qu’il est bien évidemment quasi impossible de procéder à des augmentations de capital en ce moment. 

Cette règle de bon sens devrait, si besoin était, simplifier les débats au sein des conseils d’administration qui ont naturellement besoin de temps, comme nous tous, pour arriver à la meilleure décision.

 

Si le chiffre d'affaires baisse de 10 % du fait de la catastrophe sanitaire, de combien vont se réduire les profits ?

C’est une question à laquelle il est aisé de répondre . . . jusqu’à un certain point.

Dans chaque édition annuelle du Vernimmen nous donnons la répartition des coûts fixes et des coûts variables estimée par Exane sur les principales sociétés cotées européennes. Avec un levier opérationnel de 2,7 estimé pour 2019, une baisse des ventes de 10 % se traduit en moyenne par une baisse du résultat d'exploitation de 27 %, et probablement un peu plus pour le résultat net du fait du caractère fixe des frais financiers. 

Cela dit, comme la pente d’une tangente à une hyperbole, le levier opérationnel se déforme et s’accroît plus l’on se rapproche du point mort. Par exemple, avec la baisse des ventes de 10 %, le levier opérationnel n’est plus de 2,7, mais de 3,2. Une nouvelle baisse des ventes de 10 % entraînerait cette fois une baisse de 32 % du résultat d’exploitation. On retrouve ainsi la première loi du point mort qui veut que plus on est près du point mort, plus la sensibilité des résultats à une variation de l’activité est forte.

Bon nombre d’entreprises ont toutefois un levier opérationnel plus élevé que celles cotées en bourse, car leurs marges sont inférieures à celles des ténors de la cote qui dégageaient en moyenne une marge d’exploitation de 15,1 %.

 

Une opération doublement intelligente

Le 10 mars dernier, dans un climat de tensions montantes, une société cotée en bourse, Digigram, et pour qui ce statut était devenu un handicap, a synthétiquement cédé sa cotation à un groupe financier souhaitant, lui, être coté, pour offrir de la liquidité à ses actionnaires et procéder à des levées de fonds pour développer son activité dans son secteur, adoré des investisseurs en bourse, l’énergie verte.

L’opération avait été préparée de longue date. Digigram a apporté tous ses actifs et ses passifs à une filiale à 100 %. Puis cette filiale a été acquise par le management et les principaux actionnaires de Digigram. Ces derniers se sont eux-mêmes financés en cédant en parallèle leurs actions Digigram, devenues une pure coquille, à Evergreen, la bien dénommée, qui en a ainsi pris le contrôle. Dans quelques temps, après désintéressement des actionnaires minoritaires de Digigram au même prix, Evergreen sera absorbée par Digigram et se trouvera ainsi cotée, ce qui est une performance dans le marché actuel . . . 

Quant au nouveau Digigram, devenu non coté, rien n’a changé pour lui d’un point de vue opérationnel, si ce n’est qu’il peut lever des capitaux propres sans avoir à payer en frais divers et variés 25 % des fonds levés (sic). Et cela change tout !

Comme quoi ce qui va (la bourse) aux uns (certains ETI et groupes) n’est vraiment pas fait pour les autres (PME). Bref, dans ce domaine aussi, chacun doit trouver chaussure à son pied. Et vous retrouvez ainsi l’introduction du Vernimmen 2020, à lire ou relire.

 

Réouverture du marché des obligations d’entreprises

Vendredi 21 mars 2020, deux émetteurs européens ont réouvert le marché obligataire fermé depuis quelques jours. Unilever a ainsi pu émettre pour 2 Md€, lorsqu’il en cherchait initialement 1 Md€, et Engie 2,5 Md€ en trois tranches, dont les plus longues (huit et douze ans) sont vertes. 

Pour Unilever qui empruntait à cinq et dix ans, les taux ont été de 1,251 % et 1,793 %, soit à peu près 0,5 % de plus qu’il y a six mois et avec une prime de nouvelle émission de 0,35 à 0,45 %, contre 0,10 % environ en temps habituels. Pour Engie, les taux actuariels se sont étagés entre 1,445 % et 2,221 %.

Lancés en début de matinée, les deux placements ont été bouclés à l’heure du déjeuner et sursouscrits de cinq fois environ, ce qui est une superbe performance. Les opérateurs de marchés estiment que plus de 80 % des investisseurs ont souscrit de chez eux.

Aucun n’avait de besoin de trésorerie pressant, mais ce qui est pris n’est plus à prendre. Il est probable que seuls des émetteurs de cette qualité (Unilever est noté A+ stable et Engie A- stable) pouvaient venir sur le marché ce vendredi.

Sans surprise, le marché obligataire américain s’est moins fermé et a été plus actif avec des émissions de Exxon, Verizon, Walt Disney, UPS, Grumman entre autres.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



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