La Lettre n°167 de Avril 2019

Actualités : Interview du directeur financier d'une biotech cotée

En tant qu’auteurs du Vernimmen, sur la simple bonne foi de notre intérêt pour la finance, nous avons la chance de pouvoir rencontrer des financiers passionnés. Nous avons souhaité partager ce mois-ci notre échange avec Cyrille Tupin, directeur financier de Cerenis Therapeutics, société de biotechnologie française cotée. Cyrille Tupin occupe ce poste depuis la création de Cerenis en 2005[1]. Fort d’une expérience en audit (cabinet indépendant et big four) en France et à l’international (Canada), Cyrille Tupin a décidé de rejoindre une jeune start-up.

En quoi une biotech est-elle une société particulière ?

 L’animal est particulier, en effet :

  • La société n’a que des coûts et pas de ventes.
  • Ses développements sont très longs, entre 5 et 10 ans minimum, et nécessitent des sommes importantes (une étude phase II sur une thérapie coûte en moyenne 30 à 40 M€) avec une rentabilité potentielle uniquement à long terme.
  • Les projets ont une probabilité de ne pas aboutir non nulle. La volatilité des résultats à venir est donc très forte.
  • La société est en levée de fonds quasi permanente.
  • Son activité est très complexe et difficilement appréhendable par un non spécialiste.

Pouvez-vous nous décrire très succinctement les produits que Cerenis développe ?

Cerenis développe des thérapies basées sur les HDL (High-density Lipoprotein, le « bon cholestérol »). La société a un portefeuille de plusieurs produits à des stades différents de développement et visant différentes pathologies (maladies cardiovasculaires, maladies « orphelines » métaboliques, cancer).

Quelles ont été les étapes de financement de Cérénis ?

Cerenis est passé par les stades classiques de financement d’une start-up : Séries A, B et C et introduction en bourse. De manière synthétique :

  • La Série A a permis de financer la première fabrication du produit (HDL).
  • La Série B a financé la phase I et la moitié de la phase II d’un traitement visant à réduire le risque de maladie cardio-vasculaire.
  • La Série C a financé la fin de la phase II et le développement sur les maladies orphelines.
  • L’introduction en Bourse en 2015 a permis aux fonds de trouver une liquidité mais aussi de financer la seconde phase II pour les maladies cardio-vasculaires et la phase III du traitement sur les maladies orphelines.

Cerenis a ainsi levé au total 170 M€.

Quels sont les avantages et les inconvénients d’avoir des fonds de capital développement au capital versus un actionnariat éclaté ?

Les fonds de venture capital (BPI France, Alta, Sofinnova, Healthcap, TVM Life Science) sont généralement présents au conseil d’administration (typiquement s’ils ont plus de 10 % du capital). Ils sont alors très impliqués et disposent de professionnels spécialisés dans les biotechnologies. À l’opposé, les fonds dotés d’un avantage fiscal de type ISF sont passifs, ils ne contribuent pas à la réflexion et aux développements. Ils peuvent même être assez handicapants lorsque le fonds arrive à maturité et que la pression pour assurer une liquidité est forte.

L’interaction avec les fonds spécialisés est très enrichissante et, dans notre cas, à la sortie des fonds, des administrateurs indépendants sont venus remplacer les représentants des fonds. Ce n’est souvent à mon avis qu’un pis-aller, car pour certains la motivation n’est clairement pas la même. C’est pourquoi nous avons offert, lors de l’introduction en Bourse et à l’occasion de l’augmentation de capital de 2018, l’opportunité aux membres du conseil d’investir dans les titres Cerenis.

Quelle part de votre temps est dédiée à la levée de fonds ?

Je dirais 30 % soit près de 4 années occupées à lever des fonds (sur les 13 ans passés dans la société). Mais loin d’être répétitif, la diversité des investisseurs (fonds early stage, fonds spécialisés biotech, particuliers, …) et des situations de la société (lancement, avancée de la R&D, échec d’un programme de recherche et réorientation) rendent l’exercice passionnant.

Je suis en quelque sorte un urgentiste de la finance ! Toujours sur le chemin pour lever des fonds quand il y a un intérêt des investisseurs, car la valorisation de la biotech peut très vite virer brutalement dans un sens et dans un autre. C’est difficile de lever des fonds quand votre cours vient de baisser de 50 ou 75 % suite à des déceptions sur des essais cliniques. Quand l’argent est disponible, il faut le prendre car on ne meurt pas d’un excès de capitaux propres, mais d’une insuffisance.

Pensez-vous qu’être coté est un avantage ou un inconvénient pour Cerenis ?

Je constate d’abord que cela a été une évolution naturelle et nécessaire pour nous. Les fonds de venture capital ont financé notre développement pendant une dizaine d’années, mais nous arrivions en 2015 à un stade où ils devaient trouver une liquidité. La Bourse était alors attractive pour les biotech (2014 ayant été l’année où le plus de biotech se sont lancées en Bourse, plus de 70…) et l’introduction en Bourse nous a permis de lever 53,4 M€. Des gestionnaires d’actifs « classiques » sont rentrés au capital à cette occasion (JP Morgan Asset Management et AXA Investment Managers notamment). Le public s’est également intéressé à la société.

Avec l’échec de la seconde phase II sur les maladies cardio-vasculaires en mars 2017, le cours a fortement chuté. La capitalisation boursière de la société est alors devenue trop faible pour intéresser les gestionnaires d’actifs classiques. Ils sont donc sortis du capital, parfois brutalement. Hormis la participation résiduelle de certains VC et le management, le capital est maintenant principalement détenu par des investisseurs individuels, souvent des petits porteurs.

L’enjeu est que la faible liquidité du titre induit maintenant une très forte volatilité, même en l’absence de toute nouvelle sur l’avancée des recherches cliniques.

Mais ne nous cachons pas derrière notre petit doigt. Si nous réussissons l’un de nos programmes de recherche en cours, il faudra aller se faire coter aux États-Unis, car c’est là-bas que ce modèle d’externalisation de la recherche médicale dans des petites entités comme Cerenis a été inventé, et c’est là-bas qu’il y a les fonds pour des montants bien plus significatifs qu’ici et avec une vraie expertise médicale parmi des investisseurs spécialisés, que l’on peine à trouver ici, sauf peut-être à la BPI.

Qu’est-ce qui explique que des petits porteurs soient actionnaires de Cerenis ?

Souvent ce type d’investisseurs, qui détiennent collectivement un peu moins de 50 % de notre capital, se sentent touchés par ce que nous faisons. Ils veulent faire avancer la recherche médicale et que leur argent permette de faire reculer le cancer, les AVC, les maladies orphelines. Parfois, eux-mêmes ou des proches ont été confrontés aux maladies pour lesquelles nous cherchons des traitements.

Quelles ont été les phases les plus compliquées à gérer pour vous ?

Sans surprise, la réduction de la voilure qui a suivi l’échec de la phase II sur les maladies cardio-vasculaires a été un moment charnière. On est passé de plus de 120 personnes avec les consultants et sous-traitants à seulement 7 aujourd’hui. L’effectif est aujourd’hui réduit au strict minimum pour minimiser le cash burn non affecté directement aux études cliniques. Mon rôle de directeur financier est donc avec une acception très très large… mais c’est également ce qui est passionnant !

Quelles prochaines étapes pour Cerenis ?

Le management de Cerenis est convaincu que les thérapies à base d’HDL représentent un potentiel à peine exploré de la médecine.

Les développements sur les maladies orphelines sont clairement les plus prometteurs à court terme. Bien que le marché sous-jacent soit réduit, une réussite dans ce domaine nous permettrait de prouver l’efficacité des HDL et certainement de relancer l’intérêt pour les développements dans le domaine cardio-vasculaire.

Nous avons récemment réalisé une levée de fonds auprès du management, des administrateurs et de quelques investisseurs pour financer les premiers pas pour explorer si les HDL pouvaient être utilisés pour véhiculer des traitements en cancérologie et les rendre plus efficaces.

L’échec de la phase III lancée dans les maladies orphelines a conduit la société et le conseil d’administration à évaluer, les différentes options stratégiques s’offrant à Cerenis. Parmi ces dernières, Cerenis a décidé d’entrer en négociation exclusive avec une autre société pour un projet de fusion-absorption. L’objectif est d’intégrer un nouveau candidat-médicament afin de relancer la recherche et le développement tout en maximisant la valeur du portefeuille actuel pour les investisseurs.

Ceci dit, n’oublions pas que le but ultime des sociétés de biotech est d’améliorer le bien-être et la qualité de vie des patients. C’est pour cette raison que ce n’est pas parier sur les biotechnologies qui est risqué, c’est parier contre elles.

Avant d’être racheté par Johnson & Johnson pour 30 Md$, Actelion était passé par l’échec de deux phases III et avait failli mettre la clé sous la porte. L’espoir est donc permis, mais comme le montre notre cours de Bourse, the jury is still out.

[1] Depuis notre entretien, Cyrille Tupin a été nommé directeur général adjoint.



Tableau : Les taux des emprunts d'État en France depuis 1752

Fruit des travaux de David le Bris, ce graphique qui raconte l’histoire économique de la France, laisse rêveur.

À quoi ressemblera celui que nous publierons dans le numéro 784 de La Lettre Vernimmen.net en avril 2098 ?

 



Recherche : La trésorerie sur très longue période

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à l’Université
de Cergy-Pontoise

Pour expliquer des phénomènes récents, l’analyse de long terme est souvent utile. On observe depuis le début des années 80 une forte augmentation de la part de la trésorerie sur le total des actifs. Pour les entreprises américaines, le ratio liquidités/total des actifs est passé de 10 % environ en 1980 à plus de 20 % aujourd’hui. Deux chercheurs ont voulu analyser cette tendance en la replaçant dans une perspective de très long terme[1] ; ils ont étudié les déterminants de la détention de trésorerie depuis 1920.

Cette augmentation de la détention de cash est généralement expliquée par la hausse de la volatilité des flux de trésorerie (entraînant une détention de trésorerie de précaution) et par la baisse du coût d’opportunité du cash (autrement dit, des taux d’intérêt). Mais la perspective historique adoptée par l’étude permet de mieux comprendre la tendance : les auteurs ont étudié les entreprises américaines cotées (sur le NYSE, l’Amex et le NASDAQ) entre 1920 et 2014.

La première observation, simple mais cruciale, est que la hausse de la détention de cash n’est vraie que si l’on effectue une moyenne équipondérée des entreprises. Si l’on regarde le même ratio de manière agrégée, l’augmentation est à peine perceptible. L’explication est simple : la totalité de la hausse est due aux petites sociétés de croissance introduites en Bourse depuis les années 80 (le plus souvent au Nasdaq). Sur la même période, pour les entreprises existantes, le taux de détention de cash n’augmente pas.

Ensuite, les auteurs montrent que, entreprise par entreprise, les facteurs qui influencent le taux de détention de cash n’ont pratiquement pas changé en un siècle. Par exemple, les entreprises qui détiennent le plus de cash sont :

  • Les plus petites ; leurs coûts de financement sont plus élevés et elles ont besoin de cash pour les projets futurs.
  • Celles dont la valeur de marché est supérieure à la valeur comptable ; ceci est indicateur d’opportunités d’investissement.
  • Celles dont les flux sont les plus volatils ; elles ont besoin d’une trésorerie de précaution.

Concernant la détention de cash agrégée sur un siècle, les facteurs purement macroéconomiques (taux d’intérêt, croissance économique) ont un pouvoir explicatif très faible. Trois facteurs dominent et expliquent à eux seuls 48 % des variations observées : les flux de trésorerie (agrégés) des entreprises, les investissements, et la productivité[2]. Ces résultats suggèrent que le niveau de cash des entreprises varie largement en fonction de leurs revenus et de leurs dépenses d’investissement. S’il existe éventuellement des niveaux cibles, les fluctuations autour des cibles sont très importantes selon les entrées et sorties de trésorerie.

Enfin, les auteurs confirment qu’une partie significative de la hausse de la détention de trésorerie depuis le début des années 2000 est liée à la fiscalité américaine sur le rapatriement de cash (trésorerie bloquée dans des filiales étrangères). Une hausse au moins aussi spectaculaire fut observable dans les années 30 et 40, avec une explication différente : une trésorerie de précaution dans un contexte de crise et de conflits mondiaux.

Le message général à retenir de l’article est que la hausse de la détention de cash dans les entreprises cotées est principalement due aux nouveaux entrants et à des considérations fiscales. Il ne faut donc pas y voir le signe d’un changement radical de pratique dans la gestion de trésorerie.

 

[1] J.-R. Graham et M.-T. Leavy (2018), « The evolution of corporate cash », Review of Financial Studies, vol. 31, pages 4 288 à 4 344.

[2] Mesurée ici par le ratio des ventes sur le total des actifs.

 



Q&R : Deux questions autour des prêts d'actionnaires

Quel devrait être le taux que facturerait une maison mère à sa filiale pour un prêt d’actionnaire qu’elle lui accorderait sur une durée de moyen terme ?

Un prêt d’actionnaire devrait être attribué à un taux d’intérêt similaire à celui qu’une banque accorderait sur la même période et la même durée, majoré d’une certaine marge. Cette marge supplémentaire rémunère le fait qu’au contraire d’un prêteur classique qui, en cas de difficulté de la filiale, pourra ne pas hésiter à forcer une faillite pour récupérer son dû, une mère ne fera pas cela avec sa filiale. En quelque sorte, le prêt d’actionnaire est subordonné de facto au remboursement des prêts aux autres emprunteurs qui souvent demanderont que ceci soit acté d’une façon ou d’un autre.


Est-ce que l’actionnaire devrait exiger une rentabilité différente sur les capitaux propres de la filiale en fonction du scénario de financement (prêt actionnaire ou un prêt classique) ?

Il devrait exiger un taux de rentabilité plus élevé sur les capitaux propres de la filiale quand elle est financée par un prêt bancaire que lorsqu’elle est financée par un prêt d’actionnaire (de lui-même), puisque la maison mère n’est pas schizophrénique et qu’elle ne va pas mettre en défaut sa filiale, alors qu’un prêteur bancaire pourrait le faire.

Et c’est assez logique car dans le cas d’un financement par prêt d’actionnaire, les capitaux propres de la filiale coûtent moins cher que dans le cas d’un financement bancaire, avec une dette d’actionnaire qui coûte plus cher qu’un crédit bancaire ; mais à l’opposé dans un financement bancaire, les capitaux propres de la filiale coûtent plus cher que dans le cas d’un financement par prêt d'actionnaire, avec une dette bancaire qui coûte moins cher qu’un prêt d'actionnaire. De sorte que le coût moyen pondéré de ces sources (capitaux propres et prêt d’actionnaire ou prêt bancaire) est identique, et c’est le coût du capital de l’entreprise qui ne dépend pas de la façon dont on finance l’entreprise.

 



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation avec des enseignants que nous avons sélectionnés par l’excellence de leur pédagogie :

Ingénierie financière le 7 novembre 2019 à Paris

Les mécanismes du LBO et l’environnement du Private Equity le 24 octobre 2019 à Paris

Gestion de la trésorerie et des risques financiers : quelles priorités en 2019 le 2 octobre 2019 à Paris

Définir la structure de financement adaptée à votre entreprise le 19 novembre 2019 à Paris

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. Exceptionnellement, pour ne pas alourdir le contenu de cette lettre, vous ne les trouverez pas ici, mais sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen.

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen le portait de cinq femmes dont la réussite dans une carrière financière est éclatante. En espérant que cela aide nos jeunes lectrices à faire le bon choix !

Voici les deux derniers de ces portraits, les trois autres étant parus dans le numéro de mars que vous pouvez retrouver ici, ainsi que ceux des années précédentes.

Laetitia Léonard-Reuter, Directrice Financière
et membre du Comité Exécutif de Generali France.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

Durant mes études je n’avais aucune idée précise de la manière dont j’allais mener ma carrière. J’étais une étudiante curieuse, avide de connaissances, qui aimait les maths et l’humain. Dans mes rêves les plus fous, je m’imaginais Directeur Financier (à l’époque le nom de la profession n’était pas encore féminisé !) ou DRH. Soucieuse de ne me fermer aucune porte, je me suis naturellement tournée vers une formation généraliste. Pendant des études à HEC, l’université de Saint-Gall en Suisse et l’université de New-York, des stages en France et à l’étranger, confirment mon intérêt pour la Finance. Je me lance dans la vie active, en intégrant la banque d’affaires JPMorgan à Londres, en tant qu’Analyste Fusions-Acquisitions dans le secteur des Télécoms, Média et Technologies, alors en pleine bulle Internet. Après cette première expérience de trois ans très formatrice, je rejoins le siège du Groupe AXA ou j’exerce successivement pendant plus de dix ans diverses fonctions touchant à la finance d’entreprise et de marché, au middle-office, à la gestion du capital et des risques, avec comme point culminant la responsabilité de Directeur Financier d’AXA Global P&C. Je suis bien souvent la seule femme au niveau de responsabilité que j’exerce, mais je suis entourée d’hommes qui croient en moi, me donnent confiance et dont je peux témoigner du soutien dans les étapes importantes de ma carrière. En 2016, j’amorce un nouveau virage, plus opérationnel, dans ma carrière professionnelle en devenant Responsable Marketing et Services Entreprises chez AXA France. C’est le patron de l’entité France, mon sponsor dans le cadre d’une initiative de « Sponsorship Tandem » à destination des femmes du Groupe AXA, qui m’ouvre les portes de sa société. Puis, attirée par l’analytics et la transformation, je me positionne en 2017 sur le poste émergent de Chief Data Officer d’AXA France, avec pour objectif de faire fructifier le patrimoine collectif que constituent les données, en tirant parti des nouvelles technologies. En novembre dernier, je rejoins Generali France en tant que Directrice Financière et membre du Comité Exécutif. Ce poste est un terrain de jeu fantastique pour jouer un rôle moteur dans notre nouveau plan de conquête business et de transformation Excellence 2022. Je milite pour une Finance utile aux métiers, « architecte de la performance », c’est-à-dire qui oriente les décisions grâce à la mise à disposition d’informations fiables et structurées, dans une culture « data-driven ».

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Oui, indéniablement. Ma méthode tient en 3 idées simples :

Bien s’entourer : Vous devez tout d’abord choisir votre boss aussi sur ce critère, et poser vos limites. Lors de mon entretien annuel d’évaluation, mon responsable, CEO de Generali France, a abordé de lui-même le sujet de mon équilibre vie pro/vie perso, car il sait l’importance que j’y accorde, et est un ardent promoteur de la mixité. Vous devez aussi constituer autour de vous une équipe solide, que ce soit vos N-1 ou votre nounou (j’ai 3 enfants), et apprendre rapidement à déléguer. Miser ici sur des personnes de confiance, car cela réduit la charge mentale.

Anticiper : Avec mon assistante nous construisons mon agenda d’abord en fonction de mes priorités plutôt que des contraintes. Je lui demande d’exercer une action bouclier : on positionne les RDV importants, du temps de réflexion pour les sujets stratégiques, les matins où j’accompagne mes enfants à l’école ; on prévoit également des plages de temps libres quasi-quotidiennes à disposition de mes collaborateurs pour gérer les imprévus.

Renoncer : Arrêtons enfin de jouer les femmes parfaites, que ce soit au bureau ou à la maison. Cela fait bien longtemps que je ne réponds plus à 100 % de mes mails, par exemple. Certains sujets s’auto-nettoient et si c’est vraiment important, les gens vous relancent.

Une fois tout cela évoqué, je crois finalement que le secret c’est d’abord d’aimer ce que l’on fait, car c’est ce qui donne la pêche au quotidien…

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

La Fonction Finance doit sortir de ses attributions traditionnelles de garant de la solidité financière de l’entreprise et devenir une boussole pour guider sa transformation vers la création de valeur. Dans ce cadre, l’expertise technique indispensable à nos métiers doit être augmentée d’une vision stratégique de plus en plus détaillée de l’entreprise, d’une appétence pour les nouvelles technologies et d’une bonne dose de « soft skills » en matière de développement des compétences des collaborateurs ou de gestion du changement.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Dans mon univers professionnel proche, je n’ai malheureusement pas de nom qui me vienne instantanément à l’esprit. J’ai plutôt été entourée d’hommes qui m’ont fait confiance.

J’ai eu la chance d’avoir 2 grands-mères très inspirantes : l’une, issue d’un milieu modeste en Corse où les parents ont tout sacrifié pour les études de leurs enfants, filles comme garçons, et qui s’est élevée jusqu’à l’École Normale (ancêtre de l’IUFM), considérée à l’époque comme élite du peuple insulaire ; l’autre qui a rompu très jeune les liens avec sa famille conservatrice pour accomplir sa passion professionnelle dans le milieu artistique.

J’ai été aussi fortement marquée par un TED talk de Sheryl Sandberg, COO de Facebook, https://www.ted.com/talks/sheryl_sandberg_why_we_have_too_few_women_leaders?language=fr#t-5359 qui remarquait que bien souvent les femmes se mettent en retrait dans leur carrière professionnelle, dès que l’idée d’un enfant germe dans leur esprit. Au lieu d’être en stand-by professionnel pendant les quelques mois du congé maternité, elles se mettent en retrait des opportunités professionnelles des mois, voire des années, à un moment déterminant dans l’accélération d’une carrière, autour de la trentaine.

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? 

J’expliquerais ce déficit de femmes dans la finance par deux facteurs : l’exigence du poste en termes de disponibilité, plus difficilement compatible avec la vie de famille (il est plus aisé de recruter un homme avec une disponibilité totale, sans interruption de carrière) et aussi les freins psychologiques dans la tête des femmes. Là où un homme fonce, nous nous posons trop de questions du type : serai-je à la hauteur ? Qui va s’occuper des enfants ? C’est pourquoi je pense que la meilleure façon de faire augmenter ce chiffre c’est de donner volontairement un coup de pouce et que le message soit porté au plus haut niveau dans l’entreprise. Chez Generali, la promotion de la diversité et de l’égalité des chances est un enjeu des politiques RH depuis plusieurs années. Elle se traduit par des engagements et des actions concrètes : budget spécifique dédié à l’égalité femmes/hommes dans le cadre des augmentations salariales, identification de femmes dans les plans de succession, attention particulière dans le cadre des promotions, fixation d’objectifs en matière de parité. Il me paraît également essentiel d’encourager les femmes à intégrer des réseaux féminins comme les « Elles de Generali », par exemple, pour échanger sur leurs problématiques. Fin 2018, je suis fière de dire que la part des femmes à la Direction Financière de Generali France est de 53 % et qu’au sein de mon Comité de Direction Finance nous sommes exactement à l’équilibre.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Ce sont des métiers :

  • d’excellence et de challenge, au centre de la révolution de la data,
  • qui demandent non seulement de l’expertise, mais aussi de la vision stratégique, une capacité à et une envie de transformer,
  • avec des opportunités de carrière importantes, en France comme à l’international.

Plus généralement, nous vivons le début d’une période d’opportunités pour les femmes, où les exigences politiques et sociétales en faveur de l’égalité hommes/femmes vont conduire les entreprises à féminiser massivement leurs lignes managériales et leurs lignes de décisions dans les années qui viennent, et la finance ne fera pas exception. Les portes s’ouvrent, alors :

Foncez, osez,

Cultivez votre réseau,

Soyez solidaires !

Florence Saliba, Directrice Financement et Trésorerie de Danone, Présidente de l'AFTE.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ? 

En quelques mots voici mon profil :

Diplômée d’HEC en 1990, spécialisation Audit, Comptabilité, Expertise et en 2017 du Certificat des administrateurs de sociétés IFA/Sciences Po.

Entrée chez Danone en 1990. Dans les dix premières années, j’occupe différents postes en finance principalement en Audit, Trésorerie et Credit Management au sein des divisions « Produits Frais » et « Eaux » ainsi qu’en gestion des risques financiers en étant responsable de la salle des marchés du groupe, puis deviens incubateur de start-up.

Ensuite, les dix années suivantes, j’occupe différents postes dans la fonction Ressources Humaines sur un périmètre groupe : développement des ressources de la fonction financière, Gestion RH d’une entité, responsabilité du système d’information RH du Groupe et enfin Rémunération et avantages sociaux. Et retour à la finance en 2010 en tant que trésorier.

Depuis novembre 2013, je suis Directeur du financement et de la trésorerie de Danone

Parallèlement je suis membre de l’AFTE (Association Française des Trésoriers d’Entreprise) depuis 2010, à l’origine de la création de la Commission Parcours de carrière en 2011, puis Responsable de la formation en 2012, Administrateur en juin 2013 et Présidente depuis avril 2018.

Étudiante, j’avais choisi l’audit car je ne connaissais pas les entreprises et j’avais compris que cela me permettrait de découvrir pour mieux choisir… Et ensuite l’enchaînement s’est fait grâce à des rencontres (je pourrais les citer) dans une entreprise qui laisse beaucoup de liberté pour les évolutions de carrière.

J’ai pendant longtemps nié la différence homme/femme dans le travail, jusqu’au jour où j’ai eu la chance de participer à un événement interne qui avait pour but de nous faire expérimenter cette différence pour en faire une richesse. Lorsque vous êtes la seule femme dans un groupe d’hommes, à la pause on parle sport, voire exploits sportifs, techno ou voiture, plus rarement fringues ou humeur, les codes de sympathie sont différents, exactement comme lorsque vous êtes le seul Frenchy dans un groupe d’Anglais. J’ai appris à rester en mode féminin (je ne fais plus l’ajustement). Je fais attention aujourd’hui quand l’inverse se produit (majorité féminine) pour rester inclusive. Je peux témoigner que les hommes présents ou les non French apprécient que le code de la majorité ne soit pas le code unique.

Je ne connais pas la prochaine étape, j’ai rarement anticipé, mais j’ai toujours veillé à continuer à apprendre. Mon rôle de Présidente à l’AFTE depuis avril dernier, renouvelle ma pratique en me faisant explorer de nouveaux territoires, plus dans la sphère publique.

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

L’organisation domestique n’incombe plus seulement aux femmes. C’est mon cas et je n’aurais pas pu porter seule la logistique de notre vie de famille….

Le secret c’est qu’il ne faut pas craindre de se faire aider et choisir ses priorités, en particulier du côté professionnel. Il est primordial d’accepter uniquement des postes en cohérence avec les choix de vie. Il est tout aussi important de ne pas tout traiter en mode perfection et de déléguer.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

Sans doute une appétence pour la création de valeur, les chiffres, pour la modélisation, et l’économie et plus spécifiquement pour exercer dans le financement et la trésorerie, des capacités relationnelles, de négociation et d’adaptabilité.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

J’aime beaucoup cette question. J’ai mis du temps à avoir des modèles professionnels. Un modèle c’est important car c’est une invitation à s’inspirer de gestes de l’autre au lieu de les inventer : on grandit plus vite. La première personne qui entre dans cette catégorie est une consultante, Françoise Sussmann — que j’ai plaisir à nommer pour lui rendre hommage — que j’ai vu tenir tête à un comité de direction (100 % masculin) mais en mode féminin : une révélation pour moi. Et ensuite il y en a eu d’autres, qui à chaque fois m’ont permis d’apprendre et m’ont encouragée à être moi-même. L’authenticité est une source d’inspiration.

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

On peut sans doute proposer deux explications. La première, est l’attractivité du monde financier, par comparaison la fonction Ressources Humaines est plus féminine. La seconde, est le fameux plafond de verre, qui n’est pas un mythe. La bonne nouvelle c’est qu’aujourd’hui il existe des moyens d’action. Ils sont de trois ordres et se complètent : les formations pour prendre conscience du sujet et éviter le déni de diversité, ensuite le coaching et le mentoring pour apprendre à gérer la diversité, et enfin des réseaux de femmes qui permettent des échanges. Et pour un maximum d’efficacité, c’est mieux lorsque les formations sont mixtes. Chacun est appelé à comprendre et gérer la diversité.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Les métiers de la finance changent… Ils sont devenus plus collectifs par nécessité. Aujourd’hui les choses sont tellement complexes qu’il faut souvent être à plusieurs (plusieurs expertises) pour trouver des solutions. Par conséquent le management est moins en pouvoir et plus en influence, « co-création » (pour employer un nouveau mot). Et du coup, cela laisse plus de place à l’humain. Et c’est une bonne nouvelle pour tout le monde.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et là pour LinkedIn.



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