La Lettre n°149 de Avril 2017

Actualités : Application android

Afin de continuer à vous aider dans votre pratique quotidienne de la finance, l’appli Vernimmen est maintenant disponible sous Android.

En la téléchargeant, vous pourrez accéder à un glossaire des 500 principaux termes financiers, aux résumés des chapitres de l’ouvrage, à un quizz complet pour tester vos connaissances en finance et aux 12 dernières lettres vernimmen.net.

Cette application est gratuite. Une extension optionnelle à 9,99 € permet d’avoir accès à un glossaire plus large (2 600 termes définis).

Pour la télécharger cliquez ici :

La version Apple a été lancée en 2011 et a été téléchargée 33 000 fois à ce jour.



Actualités : La réaction des investisseurs à une augmentation de capital

Le jour de l’annonce d’une augmentation de capital, le cours de Bourse de l’entreprise reste rarement stable. En voici quatre exemples récents :

  • Le 13 avril, Erytech Pharma annonce une augmentation de capital de 70 M€ représentant 26 % du capital. Son cours de Bourse progresse de 3,3 %.
  • Le 15 mars, Tesla annonce une augmentation de capital de 250 M$ (et 750 M$ d’obligations convertibles), soit 2,4 % de son capital. Son cours de Bourse progresse de 2,5 %.
  • Le 7 mars, EDF annonce une augmentation de capital de 4 Md€, soit 30 % de son capital. Son cours de bourse régresse de 11 %.
  • Le 5 mars, Deutsche Bank annonce une augmentation de capital de 8 Md€, soit 43 % de son capital. Son cours recule de 10 %.

Qu’est-ce qui explique que, dans certains cas, le cours de bourse monte à l’annonce d’une augmentation de capital, et baisse dans d’autres cas ?

Disons qu’il y a un cas général, deux cas particuliers et du bruit autour.

 

1/ Le cas général

Le cas général est celui d’une entreprise qui se porte bien, pour laquelle on ne nourrit pas d’inquiétude quant à sa solvabilité ou à sa liquidité. Alors le paramètre essentiel d’explication de la réaction du cours de Bourse est l’anticipation des investisseurs quant à la capacité de l’entreprise à gagner plus, moins ou autant que son coût du capital sur les investissements qui seront financés par l’augmentation de capital.

Compte tenu de l’historique de destruction de valeur depuis 2008, pas une année où la rentabilité économique de EDF n’ait été au moins égale au coût du capital, les investisseurs n’ont pas anticipé autre chose à l’avenir dans ce secteur aux cycles longs que la poursuite d’une rentabilité économique inférieure (3,3 % par an d’ici 2020 selon Exane BNP Paribas) au coût du capital (6 %). Dans les deux jours de l’annonce, la baisse du cours (hors détachement du droit de souscription) a été de 1 € par action, représentant une destruction de valeur de 2,7 Md€ pour une augmentation de capital de 4 Md€, soit les 2/3 tiers des fonds levés. Le jugement est sévère, mais c’est le jugement. Le raisonnement est similaire pour Deutsche Bank.

Pour Tesla et Erytech Pharma, bien que ces deux entreprises n’aient pas encore gagné un euro de résultat, et que de ce fait leur rentabilité économique soit négative, les investisseurs ont estimé que leurs perspectives dans le domaine de la voiture électrique et de la recherche sur des formes rares de cancer et de maladies orphelines étaient suffisamment prometteuses pour laisser espérer à un horizon indéfini des perspectives de rentabilité économique supérieure au coût du capital. D’où une hausse de leurs cours de Bourse à l’annonce de l’augmentation de capital.

On comprend donc, pour une entreprise qui n’est pas capable de convaincre les investisseurs de sa capacité à utiliser correctement les fonds qu’elle leur demande, c’est-à-dire de sa capacité sur le moyen terme à dégager une rentabilité en rapport avec le risque, qu’il soit très difficile de procéder à une augmentation de capital. Que l’on nous permette de dire que c’est très sain ainsi. Les capitaux propres n’existant qu’en quantité limitée, autant essayer de ne pas les gaspiller en les allouant à des projets portés par des dirigeants qui ne convainquent pas.

C’est ainsi que les banques italiennes ont eu et ont beaucoup de mal à lever des capitaux propres compte tenu de leur constance dans la destruction de valeur depuis 2008, voir par exemple Monte dei Paschi di Siena. Mais celle qui a pris le taureau par les cornes, UniCredit, en changeant de dirigeants, en cédant des actifs et en dépréciant ceux qui devaient l’être, en engageant un plan de restructuration à la hauteur des enjeux (perte 2016 de 11,8 Md€), a pu lever 13 Md€ en février dernier et semble être repartie du bon pied.

 

2/ Le premier cas particulier

C’est celui de l’entreprise très, trop, endettée qui procède à une augmentation de capital pour réduire sa dette. C’est parfois sa seule alternative à un dépôt de bilan. Pensons par exemple à Solocal en février dernier qui procéda, à l’issue d’une longue procédure, à une augmentation de capital de 398 M€.

La baisse du cours de Bourse à l’annonce de l’augmentation de capital est souvent automatique, car il y a un transfert de valeur entre les actionnaires et les prêteurs. En effet, l’augmentation de capital redonne de la valeur aux dettes : une partie va être remboursée au nominal, et l’autre partie se trouve de ce fait financer dorénavant une plus grande fraction de l’actif économique. Elle ne peut que valoir que plus. Comme la dette vaut plus suite à l’augmentation de capital, que l’on ne voit pas comment la valeur de l’actif économique pourrait être plus grande du simple fait de l’annonce d’une augmentation de capital destinée à changer la structure financière et non à faire des investissements ; nécessairement la valeur des capitaux doit s’ajuster à la baisse.

Nos lecteurs férus de la théorie des options appliquée à la structure financière[1] savent, depuis les travaux de Robert Merton, qu’une action peut être assimilée à une option d’achat de l’actif économique pour un prix d’exercice correspondant au montant de la dette à rembourser.

Comme une option, la valeur de l’action peut être décomposée entre valeur intrinsèque et valeur temporelle[2]. Pour ce type d’entreprises trop endettées, la valeur intrinsèque de l’action est très faible ou nulle puisque correspondant à la différence entre la valeur de l’actif économique et le montant des dettes à rembourser. En effet, la valeur de l’actif économique est le plus souvent proche du montant des dettes à rembourser. La valeur temporelle de l’action est, quant à elle, maximum puisque valeur de l’actif économique et prix d’exercice de l’option coïncident. Dans ces conditions, une augmentation de capital a deux effets contraires :

  • elle accroît de son montant la valeur intrinsèque des capitaux propres ;
  • elle réduit la valeur temporelle des capitaux propres puisque le prix d’exercice de l’option (le montant de la dette à rembourser) devient inférieur à la valeur de l’actif économique.

Il y a donc logiquement une perte de valeur de l’action induite par l’augmentation de capital à cause des transferts de valeurs au profit des créanciers. Néanmoins, les actionnaires ne reculent pas devant la recapitalisation nécessaire, car perdre un peu est mieux que tout perdre (dépôt de bilan).

 

3/ Le second cas particulier

C’est celui de l’entreprise qui n’a pas comme la précédente un problème de solvabilité, mais un problème de liquidité. Par exemple l’entreprise a une échéance de dette importante à court terme et ne dispose pas des ressources internes pour y faire face. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit insolvable[3]. Dès lors, dans un monde où la liquidité est correcte, il lui suffit de refinancer cette échéance de dette par une nouvelle dette. Mais il arrive que la liquidité se tarisse (fin 2008, début 2009 ou fin 2015 pour les groupes miniers dans un contexte de baisse brutale des prix des minerais). Apparaît alors ce que Yann Aït-Mokthar appelle un Asset Liability Refinancing Gap (ALRG), c’est-à-dire un passif nouveau de l’entreprise qui correspond conceptuellement à la valeur actuelle des suppléments de frais financiers sur la dette refinancée par rapport à la dette en place. Plus la crise de liquidité est forte, plus le coût de la future dette de remplacement sera élevé et plus la valeur de l’ALRG sera importante. Comme il n’y a pas de raison que la valeur de l’actif économique croisse en parallèle, le développement d’un ALRG ne peut se faire qu’au détriment de la valeur des capitaux propres comme un cancer qui détruit des cellules saines.

Le jour où le problème de liquidité est résolu, souvent par l’annonce d’une augmentation de capital, l’ALRG se résorbe et disparaît, la valeur des capitaux propres reprenant sa place. On a donc une augmentation du cours de l’action à l’annonce de l’augmentation de capital qui matérialise la disparition du problème de liquidité. C’est ce que l’on a observé en février 2009 quand Lafarge a annoncé une augmentation de capital de 1,5 Md€ ou en septembre 2015 quand Glencore fit de même pour 2,5 Md$.

Si cette réaction à une augmentation de capital diffère de la précédente, c’est que cette analyse remet en cause l’un des postulats du modèle de R.Merton (1973), celui d’une liquidité toujours présente sur le marché. On pouvait le penser avant 2008 ; plus maintenant.

 

4/ Le bruit autour[4]

Une augmentation de capital est naturellement une opération de fréquence exceptionnelle qui attire l’attention des investisseurs sur l’entreprise. À cette occasion, certains investisseurs se livreront à un arbitrage entre l’action et les droits préférentiels de souscription (DPS), vendant l’action à découvert et achetant le DPS si son prix est inférieur à sa valeur théorique. Ou vendant l’action à découvert si le marché du prêt-emprunt de titres le permet, pour la racheter plus tard sur le marché ou via les DPS. Certains investisseurs préfèrent différer leurs éventuels achats sur le titre sachant que les mouvements précédents vont faire baisser sa valeur, ce qui constitue un autre facteur de baisse temporaire.

 

 

[1] Que l’on retrouve dans le chapitre 38 du Vernimmen 2017.

[2] Comme expliqué au chapitre 27 du Vernimmen 2017.

[3] Pour ne pas confondre liquidité et solvabilité, voir les chapitres 13 et 15 du Vernimmen 2017.

[4] Merci à Valérie Vitter Mouradian qui nous a aidé à préciser nos idées sur ce point.

 



Tableau : La prime de liquidité aux États-Unis

Deux enseignements peuvent être tirés de cet intéressant graphique de l’édition 2017 du Credit Suisse Global Investment returns yearbook de E. Dimson, P. Marsh et M. Staunton:

Sur 90 ans, la différence entre la rentabilité des actions cotées aux États-Unis est de 3 % par an entre les grandes capitalisations boursières et les micro-capitalisations. On peut considérer que c’est le reflet de la prime de liquidité que les investisseurs demandent pour investir dans les petites sociétés.

Sur 90 ans, une rentabilité supplémentaire de 3 % par an donne une somme finale 11,4 fois plus grande ! Et si vous extrapoliez sur 10 ans de plus en utilisant les mêmes rentabilités, la somme finale serait 14,9 plus grande. Méfiez-vous des petites différences sur une longue période !

Il va sans dire que ce graphique n’est pas une publicité pour un investissement dans les petites ou très petites capitalisations boursières puisque le risque ce type d’investissement n’est pas étudié.



Recherche : Investissements : le cycle du chef d'entreprise

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine

Le niveau d’investissement des entreprises est influencé par plusieurs facteurs : cycle des affaires, contraintes financières, degré de stabilité réglementaire, incertitude politique… Dans un monde où il n’existerait pas de problème d’agence, le chef d’entreprise choisirait à chaque instant les projets créateurs de valeur compte tenu de ces contraintes. L’article que nous présentons ce mois[1] montre qu’il existe en fait un « cycle du chef d’entreprise », c’est-à-dire des choix d’investissements qui varient en fonction du temps écoulé depuis la prise de fonction du principal dirigeant de l’entreprise.

L’étude, qui porte sur près de 3 000 entreprises américaines entre 1992 et 2009, s’intéresse à la fois aux investissements (investissements internes de type acquisition d’immobilisations et investissements de croissance externe) et aux désinvestissements. Le principal résultat est le suivant : en début de mandat du dirigeant, les désinvestissements sont fréquents, et diminuent ensuite progressivement. L’inverse est vrai des investissements ; relativement faibles en début de mandat, ils augmentent avec le temps.

L’effet est significatif. Le taux d’investissement moyen mesuré par les auteurs[2] est de 9,4 %. Une augmentation d’un écart-type du nombre d’année depuis la nomination du chef d’entreprise, soit 4 ans, se traduit par une augmentation de 2 points de pourcentage du taux d’investissement (un demi-pourcent par an). Il s’agit du même ordre de grandeur que les effets déjà identifiés dans la littérature (cycle des affaires, contraintes financières, etc.).

Il existe plusieurs interprétations possibles de ce résultat. Par exemple, l’explication pourrait venir du fait que les changements de dirigeant auraient lieu le plus souvent dans les périodes de faible investissement. Mais les auteurs vérifient que le cycle du chef d’entreprise apparaît quelle que soit la raison du changement : maladie, décès ou départ en retraite du prédécesseur, changement malgré une bonne performance, etc. Une autre explication pourrait être l’effet d’apprentissage. Si la capacité du dirigeant à identifier les bons projets augmente avec le temps, il est rationnel d’investir davantage en fin de mandat. Là encore, les auteurs écartent cette piste, car ils constatent au contraire une détérioration de la qualité des investissements choisis avec le temps[3].

Finalement, l’explication privilégiée est celle d’un cycle du chef d’entreprise lié à une augmentation progressive des problèmes d’agence. Il est connu depuis longtemps que les dirigeants ont une tendance au surinvestissement (pour des raisons de salaire ou de prestige) : on parle d’empire building[4]. En obtenant avec le temps un certain contrôle sur le conseil d’administration, le dirigeant peut progressivement augmenter le montant des investissements, en les choisissant sur des critères qui lui sont spécifiques et ne correspondent pas forcément à la création de valeur. Puis, lorsqu’un nouveau dirigeant est nommé, il se débarrasse d’une partie des actifs issus de ces investissements, et un nouveau cycle s’enclenche.

Les auteurs émettent une suggestion assez radicale pour éviter le surinvestissement : des changements plus fréquents des équipes dirigeantes dans les sociétés cotées. Cette conclusion reste ouverte à discussion tant les effets de la stabilité des équipes dirigeantes sur l’ensemble des politiques de l’entreprise (choix d’investissement et autres) sont multiples et restent à étudier. Mais ces résultats mettent une nouvelle fois en lumière le rôle spécifique des dirigeants dans la performance des entreprises, dans un monde où les préférences des agents ne sont pas toujours alignées.

[1] Y.Pan, T.Y.Wang et M.S.Weisbach (2016), CEO Investment cycles, Review of Financial Studies, vol.29(11), pages 2955 à 2999

[2] Somme des acquisitions d’immobilisations corporelles et des acquisitions externes rapportée au montant comptable des actifs

[3] Ils mesurent pour cela la réaction du marché à l’annonce de ces investissements

[4] Cette idée est présente par exemple chez le Prix Nobel Oliver Williamson (1964),The Economics of discretionary behavior: managerial objectives in a theory of the firm, Prentice-Hall

 



Q&R : Quel est le coût du capital pour une banque ?

Le coût du capital d'une banque est le coût de ses capitaux propres et non la moyenne pondérée de son coût de capitaux propres et de son coût de la dette comme pour une entreprise industrielle et commerciale. Le coût des capitaux propres d'une banque est mesuré de la même manière que le coût des capitaux propres pour une société non financière en utilisant le MEDAF[1] et le bêta de ses capitaux propres.

Ce coût des capitaux propres est ensuite comparé à la rentabilité des capitaux propres pour vérifier si la banque, au cours de plusieurs années, a créé ou détruit de la valeur.

On peut se demander pourquoi il y a une différence entre les groupes financiers et non financiers sur ce point ?

La principale raison, nous semble-t-il, est qu'une banque n'est fondamentalement qu'un intermédiaire contraire à une entreprise non financière. Ceci est illustré par 2 faits : une banque ne vend pas ses produits (prêts) en chiffrant un prix (x €), mais un spread : Euribor + x %, Euribor étant normalement son coût marginal de financement (le prix de ses matières premières). Son chiffre d'affaires n'est pas la somme de tous les intérêts reçus sur les prêts. C'est la somme de tous les spreads reçus sur les prêts (le produit net bancaire).

Les concepts d'immobilisations et de besoin en fonds de roulement, qui sont essentiels pour une entreprise non financière et constituent la base du calcul de la rentabilité économique, sont inutiles pour une banque : les clients paient ce qu'ils doivent en temps voulu sans retard de paiement. En effet, la banque détient et tient les comptes de l'entreprise : elle prend simplement l'argent à la date d'échéance ! Les stocks sont inexistants ou négligeables ; les fournisseurs d'argent reçoivent leurs intérêts, s'il y a lieu, sans retard de paiement. Les immobilisations corporelles sont très faibles par rapport aux prêts accordés par une banque.

Si la rentabilité économique et l'actif économique ne sont pas pertinents, le coût du capital dans son acceptation la plus large ne l'est pas non plus. Par conséquent, il reste la rentabilité des capitaux propres et le coût des capitaux propres, parfois appelé coût du capital d'une banque par analogie et dans une simplification excessive.

 



Commentaire : PORTRAIT DE FEMMES FINANCIÈRES

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la page Facebook du Vernimmen a publié les portraits de 5 financières dont nous reproduisons ici les 3 derniers, les 2 premiers l’ayant été en mars[1].

 

Véronique Ehrhard, directrice financière de Leo Pharma France, Benelux Canada.

Ayant le goût des modélisations et du langage des chiffres, le choix de la Finance s’est imposé assez naturellement à moi lors de mes études à HEC. Ensuite, le choix de la Finance d'entreprise (par rapport à la Banque par exemple) découle d'une nécessité pour moi d’être "au cœur" du business, de pouvoir y contribuer en direct. Personnellement, je n’ai demandé l'avis de personne pour faire mes choix. Par contre, j'ai pu constater que l'appétence des groupes pour faire évoluer les femmes sur ce type de poste est encore inégalement partagée. Aujourd'hui, j'ai donc choisi d’être dans un groupe de taille modeste (1,3 Md€) dans un secteur favorable aux femmes : la pharmacie, en tant que directrice financière France, et plus récemment Benelux, Canada.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Pour moi, les qualités essentielles à la réussite en Finance d'Entreprise sont : rigueur, agilité, esprit d'équipe et confiance en soi !

 

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (SBF 120 et Alternext). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

Pour moi, il faut travailler sur 2 fronts :

 

1) faire monter l'offre en luttant contre l'"auto censure". Pour cela, peut-être mieux faire connaître ces métiers auprès des femmes (il n'y a pas de la technique - au contraire) et en valorisant le parcours de Femmes qui y ont réussi (on peut être DAF et extraverti !).

 

et 2) : travail de longue haleine pour faire évoluer les mentalités au sein des équipes dirigeantes et les boards, i.e. ceux qui choisissent les DAFs . C'est je pense, une démarche indissociable de celle de l'évolution de la part des femmes au sein des équipes dirigeantes en général. Pour cela, la meilleure arme reste l’image publique de l'entreprise (publication d'études, statistiques …).

 

Susanne Liepmann, directrice financière du      groupe Ethypharm, Présidente Fi+.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?

 

Je suis allemande, et j’ai toujours aimé les maths et les langues, ce qui m’a conduit à faire des études de gestion internationales dans les deux pays. Lors d’un forum d’entreprises, j’ai découvert les métiers de l’audit, j’y ai fait un stage en Angleterre ce qui a abouti à mes 5 premières années professionnelles en cabinet chez Arthur Andersen. Cette expérience m’a appris les bases de tout ce que je fais aujourd’hui. J’ai par la suite rejoint le groupe Automatic Data Processing, entreprise américaine cotée au Nasdaq et qui venait de racheter le groupe GSI en Europe. J’y suis rentrée comme financière Fusions-Acquisitions et ai par la suite évolué sur plusieurs postes de contrôle de gestion en BU comme au siège, pour terminer sur le poste de CFO France et Tunisie.

 

J’y ai aussi eu mes deux enfants. Au bout de 17 ans dans le même groupe, j’ai décidé de voir ailleurs et ai rejoint le Groupe Ethypharm, entreprise pharmaceutique de taille moyenne spécialisée dans la douleur et l’addiction : changement de secteur, de taille d’entreprise et de poste, car je suis maintenant Directrice Financière Groupe d’une entreprise sous LBO. Mes activités principales sont désormais l’animation et la structuration des équipes Finance, Achats et IT dont je m’occupe, la communication financière et les activités de financement. Très différent de tout ce que j’ai pu faire avant, et pas moins passionnant.

J’ai été soutenue par mes différents managers, notamment chez ADP. Mais j’y ai aussi connu des phases de stagnation, notamment suite à mes congés maternité. Toutefois, ces petits accidents de carrière m’ont aussi permis de prendre du recul par rapport au travail qui a toujours pris une grande place dans ma vie. J’ai même fait un 4/5e un temps quand le poste qu’on me proposait ne me convenait pas complètement – un vrai win-win car par la suite, j’ai retrouvé un poste international à ma mesure tout en ayant pu consacrer plus de temps à ma famille.

 

Ethypharm est une nouvelle aventure pour moi. Ayant maintenant investi aux côtés de mon management dans le LBO, la prochaine étape sera donc de réussir ce LBO tout en gardant en tête qu’il faut réfléchir à mon développement au-delà de cet horizon. J’ai ainsi très envie de retourner sur les bancs d’une école internationale pour approfondir des sujets de management du changement, au-delà de la finance. Ceci par goût et aussi pour mettre d’autres cordes à mon arc que la finance.

 

Est-ce difficile de concilier vie de femme, vie de famille, vie de mère de famille et vie de directrice financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

 

Je n’ai pas de famille nombreuse, mais 2 enfants de 12 et presque 15 ans, puis 3 chats. Et surtout un mari qui a fait le choix de travailler à 4/5 et qui participe grandement à l’organisation familiale (bien que l’administratif et l’école soient pour moi ;-)) . Nous avons aussi un filet de sécurité avec des amis qui habitent autour et avec qui nous nous rendons des services de garde d’enfants. Je peux aussi, tant que je ne suis pas en déplacement, travailler de la maison ce qui rend l’organisation davantage souple.

 

Cependant, je ne crois pas en un « secret » d’organisation. C’est un jonglage permanent, car tant que tout « roule », ça va, mais dès qu’il y a quelque chose qui ne va pas, notamment pour suivre les enfants à l’école, cela devient compliqué car on ne peut pas tout externaliser au risque de perdre tout contact avec eux.

 

Je pense aussi qu’il faut aussi faire des choix conscients et les assumer. Je n’aurais jamais aimé être une mère au foyer, et je pense qu’il vaut mieux avoir des parents épanouis, que des êtres aigris par leur choix de rester à la maison. Mais tout en assumant, il y a aussi des choses qu’on ne doit décider qu’en famille ; l’expatriation par exemple. J’aurais bien aimé encore découvrir un autre pays (en tant qu’allemande, je suis en effet déjà « expatriée » de fait), mais ma famille n’en a pas envie. Ce n’est donc pas une option pour nous, et nous l’avons décidé ensemble.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Pour exercer dans le domaine de la finance, il faut bien sûr avoir le bagage des chiffres, mais surtout les faire parler pour donner les clés de la décision. La transversalité devient de plus en plus importante, de même que la communication, aussi bien interne qu’externe. La finance est le lieu dans l’entreprise où, peu importe l’organisation, tout converge à un moment ou un autre. La DAF a ainsi les clés pour faire passer les informations entre différents stakeholders, différents services ou Business Units par exemple. Les femmes ont, je pense, davantage les qualités de ce go in-between car il faut écouter, tisser des liens et s’intéresser aux autres.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspiré au cours de votre parcours ?

 

Je n’ai jamais pensé mon parcours en tant que femme et donc forcément bridée, je n’ai donc pas vraiment cherché des modèles. La première fois que j’ai participé à un groupe de femmes exécutives, cela m’a fait tout drôle ! Aujourd’hui, les réseaux de femmes sont des compléments à mes réseaux professionnels ou privés. Et je pense qu’il ne faut pas se replier sur soi, mais au contraire pousser la mixité.

 

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (SBF 120 et Alternext). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

Je suppose que la proportion des femmes chute après le premier bébé. Il est rare de revenir de congé maternité et de trouver son poste intact, sa trajectoire au point où on l’a laissée. Souvent, l’entreprise n’attend pas que vous revenez et avance à pas de charge dans son développement. Cependant, ce sont aussi des moments précieux qui vous permettent de vous réorienter, de rebondir sur autre chose. Posez-vous la question avant le congé maternité sur ce que vous voulez faire en revenant. C’est toujours plus facile de l’organiser quand on est encore là. Le congé maternité est tout de même la seule absence longue qui est planifiable… Et, surtout, profitez de votre absence pour faire autre chose – nous avons ce privilège envers les hommes !

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

Comme dans tout, il faut être passionné par ce que l’on fait. J’aime faire parler les chiffres, et faire partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. « La Finance » englobe aussi beaucoup de facettes, de la finance de marché à la finance d’entreprise en passant par toutes les fonctions de conseil…. C’est donc très riche et diversifié. Faites des stages, des rencontres réseau et participez à la vie des clubs finances de vos écoles. Il y a aussi beaucoup d’associations de professionnel(le)s qui organisent des événements qui permettent d’approfondir des thèmes d’actualité et de faire des connaissances via des activités de networking. Et restez pragmatiques, choisissez un domaine d’activité qui vous parle – vous n’en serez que plus performantes car passionnées !

 

Valérie Vitter Mouradian, Managing Director chez HSBC.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?

 

Ingénieur diplômée de l'Ensimag et titulaire d'un MSc HEC en Finance Internationale, j’ai dès la fin de mes études été très attirée par le monde de la finance et des marchés qui connaissaient une forte croissance (programme de privatisation, développement des marchés dérivés …). J’ai débuté ma carrière au sein de la banque Neuflize, Schlumberger, Mallet (Groupe ABN AMRO). J’ai pleinement bénéficié de la stratégie de développement d’un groupe qui avait une forte volonté de conquête de marchés. J’y ai gagné mes galons un à un. Entrée comme chargée d’affaires en épargne salariale et actionnariat salarié, j’ai travaillé sur des projets de plus en plus complexes, en accédant à toujours plus de responsabilités et d’autonomie ». C’est en travaillant sur l’actionnariat salarié dans le cadre des privatisations que j’ai ensuite évolué vers le marché primaire actions et la banque d’affaires. En 1998, j’ai rejoint ainsi ABN AMRO Rothschild France, spécialiste des activités de marché primaire actions et en deviens co-responsable en 2006. En 2008, j’ai intégré la Royal Bank of Scotland à Paris, en tant que responsable de l’activité marché primaire actions pour la France et quatre autres pays européens, et je suis devenue membre du comité exécutif. [Valérie a notamment à son actif l’ensemble des opérations du Groupe Orange pendant 10 ans, l’introduction en bourse d’Airbus ou encore d’Euronext]… En 2013, j’ai rejoint HSBC en tant que Managing Director, un nouveau métier pour moi qui accompagne désormais les grands clients corporate d’HSBC dans leur développement en France et à l’international et dans leur réflexion stratégique.

 

Est-ce difficile de concilier vie de femme, vie de famille, vie de mère de 3 enfants et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

 

Un engagement fort, une grande capacité de travail, une ouverture d’esprit, de l’authenticité et des convictions directrices ont été certainement permis de join the dots dans ma vie très active. Nous avons toutes nos secrets mais je ne crois pas à la recette miracle. Organisation (au travail et à la maison), confiance (il faut déléguer et lâcher prise car on ne peut pas tout gérer) et soutien (de son entourage familial, de son entreprise) sont cependant de bons ingrédients à recommander !

 

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Un solide bagage académique, de l’ambition, de la rigueur et de l’ouverture sans oublier de l’envie… L’envie d’aller plus loin, l’envie de découvrir de nouvelles problématiques, l’envie de rencontrer d’autres professionnels de la finance.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspiré au cours de votre parcours ?

 

Forcément, à chaque étape de ma carrière, j'ai eu la chance de trouver des leaders qui m’ont permis de progresser et de me dépasser, des personnes qui vous soutiennent et vous guident vers l’objectif. J’ai eu des patrons qui m’ont inspirée mais qui m’ont aussi challengée et, par là même, m’ont permis de progresser. J’ai aussi eu des rôles modèles qui m’ont confortée dans l’idée que c’était possible de progresser et de réussir. Mais un rôle modèle n’est pas forcément quelqu’un à qui on s’identifie totalement. On prend un peu de chacun. Le fait d’avoir plusieurs références permet de se constituer un melting pot personnalisé. C’est beaucoup plus riche et d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, dans nos organisations, tout le monde ne suit pas le même chemin, chacun a son sommet.

 

Aujourd’hui, les femmes ne représentent que 15 % des effectifs des directrices financières (SBF 120 et Alternext). Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

La mixité dans les instances de direction des banques est un enjeu partagé par beaucoup aujourd’hui partant que la diversité est source de performance complémentaire, d’innovation et de créativité.

 

Il y a de nombreuses actions à mener pour améliorer ce constat dans le futur dès lors que la prise de conscience est déjà partagée. Pour ma part, je me suis engagée dans l’association 50/50 au Féminin de promotion pour davantage de mixité dans les instances de direction chez HSBC France et en suis présidente depuis un an. Nous travaillons avec notre direction générale et notre DRH pour faire évoluer notre culture. Plus spécifiquement au sein de l’association nous avons 5 axes forts : développement personnel, networking, échange avec la DG, prise de conscience du rôle des femmes dans la performance collective, témoignage de personnalités inspirantes.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

Il faut oser et ne pas hésiter à utiliser les réseaux pour bénéficier des expériences d’autres personnes. Les métiers de la finance sont divers, les évolutions sont réelles et il y a de la place pour des jeunes femmes talentueuses de s’y accomplir.

[1] Ils sont disponibles sur le site vernimmen.net en cliquant ici.

 



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