La Lettre n°148 de Mars 2017

Actualités : Quelques réflexions sur le projet d'offre de Heinz Kraft sur Unilever

Le vendredi 17 février, on apprend que Kraft Heinz (110 Md$ de capitalisation boursière) a approché Unilever pour lui proposer de le racheter à un prix de 143 Md$, avec une prime de 18 % sur le cours de bourse. Kraft Heinz est contrôlé à 49 % par le fonds 3 G qui regroupe des entrepreneurs brésiliens actionnaires d’AB Inbev et Berkshire Hathaway de Warren Buffett.

Deux jours plus tard, face à l’opposition des dirigeants de Unilever et l’attitude non positive du gouvernement britannique, l’offre envisagée est retirée.

Celle-ci n'a pas manqué de frapper les esprits pour deux raisons. Elle visait l'une des plus grosses capitalisations boursières européennes (115 Md€ en l’occurrence ; il n'y a que 17 groupes dépassant 100 Md€ de capitalisation boursière en Europe) et elle a été si vite retirée avant même d'avoir été déposée.

Cette offre virtuelle illustre plusieurs points :

1/ La taille n’est pas une protection contre la sous-performance dans la durée

Depuis le point bas de mars 2009 (qui correspond à peu près à l’arrivée du dirigeant actuel en janvier 2009) et le rebond qui a suivi, le cours de bourse de Unilever a naturellement progressé (de 152 %), mais a significativement sous-performé ses pairs : + 250 % pour l’indice STOXX 600 HPC. Quand cette situation dure longtemps, 8 ans en l'occurrence, tôt ou tard, un groupe doit rendre des comptes et donner des explications. L'offre publique ou la menace d'une offre publique joue un rôle disciplinaire sain que le prix Nobel M. Jenssen avait mis en évidence[1]. Il ne s’agit pas de capitalisme débridé, mais de s’assurer qu’une ressource rare, les capitaux propres, sont alloués là où ils paraissent les plus utiles et que les combinaisons d’actifs qu’ils financent soient les plus efficaces possibles.

L’offre sur Unilever nous rappelle qu’aucun groupe, quelle que soit sa taille ou sa réputation, n'est à l'abri d'une offre d'un tiers. Et quand la taille dépasse un certain seuil (disons environ 150 Md€ à l'heure actuelle), un ou des actionnaires activistes peuvent néanmoins agir comme cela a été montré par D. Einhorn et C. Icahn qui ont poussé la plus grosse capitalisation boursière mondiale, Apple, à cesser de thésauriser des masses oisives et inutiles de trésorerie en 2012 et 2013.

2/L’abondance de liquidités permet de financer des offres avec une composante majeure en numéraire

Les commentateurs ont noté que l’offre de Kraft Heinz valorisant Unilever à 143 Md$ en aurait fait la 3ème plus grosse acquisition au monde de tous les temps. Il nous aurait paru plus intéressant de regarder la composante cash de cette offre qui atteignait 100 Md$, ce qui l'aurait mis au premier rang de toutes les acquisitions comprenant du numéraire.

En effet l’offre de Vodafone sur Mannesmann (181 Md$ en 2001) et celle de AOL sur Time Warner (162 Md$ en 2000) étaient entièrement en actions, sans un euro de cash. On était alors en pleine bulle TMT (Télécom Media Technologie), où un chien affublé d’un point com pouvait valoir 1M$ et un chat, avec aussi un point com, valait 0,5 M$. La seule façon de réaliser une opération de croissance externe dans un tel contexte était de payer en titres et non en liquidités : un chien valait deux chats. Le relatif permettait de contourner l’absolu sur lequel les gens raisonnables commençaient à avoir des doutes ; la preuve, ils n’étaient pas prêts à payer en numéraire[2].

Avec une offre à 70 % en cash, les principaux actionnaires de Kraft Heinz n'ont pas envoyé le message qu’ils pensaient que leur titre était surévalué, au contraire.

L’offre de AB InBev sur SABMiller à l’automne 2015 avec une composante en numéraire de l’ordre de 75 Md$ avait déjà montré la profondeur du marché de la dette. Avec 100 Md$, l’offre sur Unilever aurait constitué un nouveau record.

3/ Une tactique qui a réussi n’est pas toujours une tactique qui réussira

Le retrait rapide de l'offre envisagée s'explique, nous semble-t-il, par une erreur de tactique. Dans la mesure où l'un des deux partenaires de l'offre, Warren Buffett, avait encore récemment réaffirmé qu'il ne ferait pas d'offre hostile, il fallait tout faire pour éviter qu’une offre sur Unilever soit ainsi désignée par le management en place. Une offre qui affiche une prime de seulement 18 %, contre une moyenne générale de l'ordre de 25-30 %, n’est pas à même de faire hésiter un management naturellement rétif à perdre son pouvoir et à faire monter au créneau des actionnaires importants pour exiger que l’offre soit prise en considération. Mais le leader du consortium, 3G, a lui une expérience réussie de commencer par offrir de petites primes, puis de mettre progressivement la pression en relevant son offre et de proposer des primes de plus en plus fortes, jusqu'à faire tomber les résistances. C’est ainsi que sur SAB Miller, il avait commencé par offrir 38 £ pour un cours avant annonce de 29,34 £ (+ 30 %), puis 40 £, puis 42,15 £, puis 43,50 £ pour finir avec une prime de 50 % à 44 £.

Dans ces conditions, il aurait probablement été plus avisé de mettre sur la table une offre financièrement irrésistible, donnant cette fois du premier coup toute la réserve que s'était gardée 3 G. Toujours plus facile à dire qu'à faire, surtout après.

Avec une hausse de son cours le vendredi de la fuite de 11,3 Md$, Kraft Heinz aurait eu les moyens financiers de relever significativement son offre, sans probablement atteindre le niveau de la prime qu’il avait payée en 2010 pour acquérir Cadbury (49 %). Mais entre les deux, il y avait de la marge.

4/ De l’importance de respecter ses engagements

Il nous semble que cette tactique de négociation aurait été d'autant plus nécessaire que le gouvernement britannique, depuis l'offre réussie de Kraft sur Cadbury en 2010, ne semble plus aussi disposé qu'auparavant à considérer que la nationalité de l'actionnariat des grands groupes britanniques n'est pas son sujet. On l'a déjà vu au moment de l'approche de Pfizer sur Astra Zeneca en 2014. C'est encore plus vrai en période de préparation des négociations du Brexit pour ne pas accréditer l'idée que, la baisse de la livre post referendum aidant, les groupes britanniques sont à vendre à l'encan.

Mais il est clair aussi que l'attitude du groupe Kraft, post acquisition de Cadbury, reniant ses promesses faites en matière d’emplois pour faciliter sa prise de contrôle, n'a certainement suscité aucun mouvement de sympathie à son endroit dans les sphères gouvernementales. Et c'est très bien ainsi. Les promesses sont faites pour être tenues par ceux qui les ont données, et pas uniquement dans le pays dont la Bourse a pour devise "My word is my bond".

5/ Deux gouvernances bien différentes

L'accusation portée contre 3 G d'être un coupeur de coûts sans limite et d'abandonner le long terme au profit du court terme, nous semble contradictoire avec le fait qu'il garde le contrôle des entreprises qu'il a acquises (AB Inbev, Kraft Heinz, Burger King), contrairement à un fonds de LBO classique par exemple. Il sera donc en première ligne pour en supporter les éventuelles conséquences de son éventuel court-termisme qui nous paraît plus relever de la critique facile et superficielle que d’une analyse sérieuse.

Sa gouvernance d’entrepreneurs actionnaires opérationnels ne paraît pas spontanément moins bonne que celle d’un grand groupe coté, sans actionnaire principal, dans un contexte de gestion passive sans cesse plus importante dans le capital des groupes. C’est un euphémisme.

6/ Et maintenant ?

Le cours de Unilever n'est pas revenu à son niveau d'avant l'annonce de la possibilité d'une offre ; il lui est supérieur de 21 %, donc plus que de la prime proposée. Les investisseurs anticipent que Unilever, ayant senti le vent du boulet passer de près, va revoir sa stratégie et sa gestion pour améliorer ses résultats et éviter que pareille mésaventure pour lui ne se reproduise. C’est d’ailleurs ce à quoi ses dirigeants semblent s’être attelés. S’ils y parviennent, son cours, son cours progressera, ce qui constituera sa meilleure protection contre une nouvelle offre. S’il échoue, une offre reviendra et il sera beaucoup plus difficile de la contrer une seconde fois (cf. Zodiac et Safran).



Tableau : Maturité moyenne des obligations des firmes américaines

Elle est nettement à la hausse à plus de 16 ans et c’est très bien ainsi pour les entreprises américaines qui s’économisent ainsi un facteur de fragilité.

Source : Financial Market Association



Recherche : La performance des gestionnaires de fonds de private equity : de moins en moins persistante

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine

Nous nous intéressons comme le mois dernier à un article portant sur le private equity. Il s’agit cette fois d’une étude empirique sur la persistance de la performance des gestionnaires de fonds (General Parters, ou GPs)[1]. La question de la persistance de la performance est cruciale en finance. Lorsqu’ils peuvent afficher une surperformance passée, les intermédiaires financiers utilisent cet argument pour lever des fonds. Et les investisseurs prennent souvent en compte ces performances passées dans leur choix d’investissement. Il est donc intéressant du point de vue opérationnel de savoir si la performance passée est un bon prédicteur de la performance future, autrement dit si la performance est persistante dans le temps.

Des études précédentes ont montré que la persistance est rare pour la plupart des classes d’actifs, mais significative en ce qui concerne le private equity[2]. Par rapport à la littérature existante, l’article présenté propose deux nouveautés. D’abord, il utilise une nouvelle base de données, obtenue à partir d’informations recueillies par des fonds de fonds. Cette base a pour avantage de permettre l’évaluation de la performance au niveau des investissements réalisés (au lieu de se situer seulement au niveau des fonds). En effet, les études qui se situent au niveau des fonds risquent de surestimer la persistance réelle par gestionnaire ; par exemple, il est fréquent que l’investissement dans une entreprise soit divisé entre deux fonds successifs (avec le même gestionnaire). L’exposition à des conditions économiques et financières semblables donnera alors l’illusion de la persistance. Ce risque est fortement diminué avec la base utilisée. Ensuite, cet article s’intéresse à l’évolution de la persistance au cours du temps.

La base contient 13 523 investissements réalisés par 865 fonds de private equity[3] gérés par 269 GPs, entre 1974 et 2010[4]. La première étape consiste à mesurer la persistance de la performance obtenue par les GPs sur les investissements réalisés. L’étude confirme une persistance statistiquement significative : une performance plus élevée de 1 % sur un investissement est associée à 10,2 points de base de performance supplémentaire pour l’investissement suivant. Le résultat est du même ordre de grandeur lorsque l’on ajoute des contrôles pour la zone géographique et la période de l’investissement (comme le notent les auteurs, l’opportunité de ces contrôles n’est pas évidente : la capacité à bien choisir la zone et la période peut relever de la compétence des gestionnaires !).

Afin de mesurer l’évolution de cette persistance, les auteurs découpent la période en 2 : avant 2001, 1 % de performance supplémentaire se traduit par 11,9 points de base de plus sur l’investissement suivant. Après 2001, le gain n’est plus que de 4,7 points de base (et moins encore en ajoutant les variables de contrôle). Économiquement, la persistance est donc devenue faible.

Enfin, l’article montre que la persistance est particulièrement faible lorsque la concurrence entre les fonds est élevée ; la hausse globale de cette concurrence pourrait donc être une des sources de la baisse de la persistance. Notons que, lorsque l’on s’intéresse aux GPs qui obtiennent les plus mauvaises performances, la persistance reste forte quel que soit l’état du marché ! Les auteurs suggèrent qu’il existe sur le marché des investisseurs peu avisés qui choisissent des gestionnaires peu performants de manière répétée.

Ces résultats ne constituent pas une bonne nouvelle pour les investisseurs qui comptent sur les classements de performance pour choisir les bons gestionnaires, ni pour les gestionnaires qui publient leurs bonnes performances pour espérer attirer de nouveaux investisseurs. Jamais la fameuse phrase Les performances passées ne préjugent pas des performances futures ne semble avoir été aussi justifiée.

Enfin ces résultats ouvrent un vaste champ de recherche : quels sont les bons critères de sélection ?

 

[1] R. Braun, T. Jenkinson et I. Stoff (2017), How persistent is private equity perfoormance? Evidence from deal-level data, Journal of Financial Economics, vol.123, pages 273 à 291.

[2] Voir par exemple S. Kaplan et A. Schoar (2005), Private equity performance : returns, persistence, and capital flows, Journal of Finance, vol. 60, pages 1791 à 1823.

[3] Plus précisément, des fonds de LBO, les fonds de Venture Capital (VC) n’étant pas retenus pour cette étude.

[4] Une fois n’est pas coutume, les données utilisées ne sont pas uniquement américaines mais internationales !

 



Q&R : Pourquoi les taux de rentabilité exigés par les investisseurs ne sont pas calculés après leur fiscalité ?

Car chaque investisseur a une fiscalité différente. Prenez le cas d'un investisseur français et d'une action. Selon qu'il investit via un PEA, un PEE, une assurance vie, une société holding, un FCP dédié ou en direct, vous avez déjà 6 cas différents. Si c'est en direct, il y a 7 tranches au barème de l'IR compte tenu de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Maintenant prenez la situation d’un investisseur étranger. Tout va dépendre pour lui de la convention fiscale qui unit ou pas son pays à la France pour ces aspects fiscaux.

Bref, il est impossible de déterminer un taux moyen d'impôt qui s'applique à tous.

Notez déjà que pour nombre d'investisseurs, il n'y a pas ou peu de fiscalité : fonds d'investissement, SICAV, FCP et autres véhicules de placement collectifs qui sont fiscalement transparents, les entreprises qui bénéficient du régime mère-fille acquis dès que la participation dépasse le seuil de 5 % pour au moins deux ans, les fonds souverains, les fondations philanthropiques. En fait le problème de la fiscalité concerne surtout les particuliers qui sont rarement directeurs sur un marché. Ainsi ils ne détiennent, en moyenne, que 9 % des actions du CAC 40.

Par ailleurs, si les investisseurs qui étaient plus lourdement imposés demandaient un taux de rentabilité (avant impôts pour eux) plus élevé pour compenser leur imposition, ils sortiraient du marché. Face à d'autres investisseurs moins imposés, ils demanderaient toujours un prix moins élevé sur l'action pour l'acheter et seraient donc toujours battus par des investisseurs moins imposés qui pourraient se permettre d'acheter cette action à un prix plus élevé et d'obtenir néanmoins le taux de taux rentabilité moins élevé qu'ils souhaitent.

Dans un monde ouvert, sans barrière aux investissements, la fiscalité des investisseurs est donc supportée par les investisseurs sans qu'ils puissent la répercuter aux entreprises (et c'est heureux qu'il en soit ainsi !). Ce n'est que dans un monde fermé, sans investisseurs étrangers, où la fiscalité serait la même pour tous que les investisseurs pourraient répercuter leur fiscalité aux entreprises. Espérons que nous n'y reviendrons pas.



Autre : PORTRAIT DE FEMMES

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, la page Facebook du Vernimmen a publié les portraits de 5 financières dont nous reproduisons ici les 2 premiers, les 3 suivants seront pour le numéro d’avril[1].

Mathilde Bluteau, CFO de la branche Freight Forwarding de Geodis

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?

Voilà près de 25 ans que j’exerce mon métier dans le domaine de la finance d’entreprise. J’ai toujours su que je ferai un métier dans le monde des chiffres qui pendant toute ma scolarité restait mon domaine d’apprentissage préféré (au travers des Maths notamment), mais je souhaitais aussi depuis toute petite évoluer dans un monde international. Aller à la rencontre des cultures diverses, être entourée de personnes d’horizons variés m’a toujours attiré.

Après mes études au sein du Paris School of Business (PSB) ex ESG, j’ai intégré EDS société américaine dans le domaine de l’informatique et ai eu la chance d’être très rapidement nommée manageur. J’ai ensuite évolué dans divers groupes informatiques emblématiques, CISCO, PeopleSoft, Apple, puis Microsoft en France et à l’étranger. J’ai très rapidement été poussée par mes manageurs pour prendre petit à petit de plus amples responsabilités. Je viens tout juste après 4 ans chez Microsoft en tant que Directrice Financière pour la filiale Française, de prendre de nouvelles fonctions en tant que CFO de la branche Freight Forwarding de la société Geodis, filiale de la SNCF.

Je suis actuellement en charge de toute la finance de la branche qui évolue dans près de 70 pays. Je n’ai jamais rencontré de difficultés pour évoluer ayant toujours eu le soutien de mes manageurs hommes ou femmes. Le monde de l’informatique est passionnant, mais il me semble que ma nouvelle mission m’offre enfin un scope à la hauteur de mes attentes, très international avec le scope complet des fonctions finance : comptabilité, recouvrement, investissements, contrôle de gestion, développement stratégique travaillant en véritable binôme du CEO de la branche.

Est-ce difficile de concilier vie de femme, vie de famille, vie de mère de famille et vie de directrice financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Concilier vie de famille, et développement professionnel est accessible à toutes, j’en suis convaincue. Cela demande en revanche une organisation sans faille, et bien sûr de l’aide. En cela nous ne sommes pas différentes des hommes. L’aide de son conjoint, d’une nounou lorsque les enfants sont petits, est évident. Il faut aussi savoir bien séparer les moments, celui du temps en entreprise, et celui consacré à ses proches qui doit rester du temps de qualité. Peut-être faut-il également naturellement avoir quand même beaucoup d’énergie, et veiller à rester en bonne santé avec une vie équilibrée. J’ai toujours également pris le temps de pratiquer un ou plusieurs sports, je ne me suis jamais arrêtée, et enfin je surveille toujours la qualité de mon sommeil, celui-ci est non négociable, un peu comme un sportif qui pour être efficace doit être en bonne forme physique. Parce qu’il y a une évidence, les femmes continuent toujours en très grande majorité de consacrer beaucoup plus de temps aux tâches ménagères que les hommes. Il me semble néanmoins que la nouvelle génération est bien plus soucieuse de cet équilibre de vie, et du partage des tâches à la maison, c’est une excellente chose. En même temps cette évolution reste fragile, il ne va pas falloir se dire que tout est acquis et poursuivre l’évolution de notre société vers encore plus de partage et batailler encore pour l’égalité des genres.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspiré au cours de votre parcours ?

Ma maman, qui était tout d’abord femme au foyer, mais a dû reprendre ses études à l’âge de 34 ans avec 4 filles à la maison et qui a dû batailler fort, mais qui a brillamment réussi et dans son travail et à maintenir un équilibre de vie, toujours passionnée par plein de sujets. Je pense qu’elle nous a vraiment éveillées à l’idée de l’épanouissement des femmes. Parce qu’il ne s’agit pas bien sûr de travailler et progresser dans sa carrière pour l’unique plaisir de devenir manageur ou directeur ; il s’agit de s’épanouir dans ce que l’on fait au quotidien et d’y trouver sa place que l’on soit femme ou homme.

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (du SBF 120 et d’Alternext). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Le pourcentage est probablement similaire dans les autres fonctions, à savoir le pourcentage de femmes à des postes de direction, le sujet est donc bien la progression des femmes à des postes à responsabilité. Le nombre de femmes ultra compétentes que j’ai pu rencontrer et qui progressent bien, voire très bien jusqu’à la naissance de leurs enfants. Elles ont alors peur du temps que des fonctions de responsable vont leur demander. Les entreprises prennent petit à petit conscience du besoin de work life balance équilibre entre vie privée et vie professionnelle. J’y suis ultra favorable. L’efficacité en entreprise n’est pas une question du temps consacré, elle est une question d’impact et de choix, de drive et de leadership.

Lorsque l’on est mère de famille en revanche les obligations de la vie privée sont plus contraignantes, c’est une évidence. Et pour cela les outils informatiques de productivité permettent aujourd’hui de mieux s’organiser (mobilité, connexion à distance). Ils doivent être accessibles aux femmes ET aux hommes, les uns et les autres peuvent alors par exemple plus facilement partager, et par exemple un RDV médical pour un enfant, ou travailler depuis la maison exceptionnellement pour veiller un enfant malade. Les manageurs doivent créer un environnement de confiance, montrer dans ce cadre de flexibilité de l’organisation les droits et obligations de chacun (manageurs et collaborateurs) et ouvrir les principes de flexibilité encore une fois ET aux femmes et aux hommes.

Les entreprises qui ont compris cela et le mettent en œuvre bénéficieront d’un développement plus rapide, grâce à une plus grande diversité de genre parmi leurs collaborateurs et dirigeants, elles bénéficieront également d’une plus grande efficacité et donc productivité.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Je ne peux pas me faire à l’idée que mes conseils soient différents, qu’ils soient donnés aux femmes ou aux hommes ; je leur conseille donc de choisir ce métier s’ils aiment, s’ils sont passionnés par l’analyse, les chiffres, mais également intéressés par le métier de l’entreprise. Un bon financier, une bonne financière est celui, celle qui allie et capacité d’analyse de la performance, chiffrée donc principalement, mais aussi une bonne connaissance et maîtrise de l’écosystème, de la dynamique du marché dans lequel l’entreprise évolue. Je conseille de concevoir leur métier non pas comme un agent restant derrière son écran d’ordinateur à longueur de journée, mais comme un collaborateur qui sait et consacrer du temps au data computing et consacrer du temps aux opérationnels, proche du terrain et proche du métier. Mais mon conseil dédié aux femmes, n’oubliez pas une chose, une seule chose : vous êtes toutes aussi compétentes que les hommes, lorsque l’on vous propose un nouveau poste, pensez à tout ce que vous savez déjà faire et tout ce que vous allez apprendre, et mettez cela en valeur, ne pensez pas à tout ce que vous ne savez pas (encore) faire, focalisez-vous sur votre potentiel, c’est cela qui compte, il ne demande qu’à être développé.

 

 

Sylvie BRETONES, CFO - Programme Management chez VINCI Concessions

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?

Depuis 19 ans, mes expériences professionnelles ont pour fil conducteur, la finance d’entreprise dans des univers de grands projets d’infrastructures, le travail en mode projet, et le lancement de réseaux pour mes activités associatives bénévoles (fondatrice des réseaux HEC Finance d’entreprise et Fi+ Alumni).

J’ai découvert la finance d’entreprise en école d’ingénieurs, à la junior entreprise où j’étais trésorière. Puis j’ai fait le Mastère de finance d’HEC. Pascal Quiry a d’ailleurs été mon professeur de Finance d’Entreprise, il a fini de me convaincre que j’avais trouvé ma voie ! Après une année en tant qu’analyste sur les marchés financiers, j’ai rejoint le conglomérat industriel CNIM, ensemblier de grands projets de type usines d’incinération. On ne va pas se mentir, être une des rares femmes dans cette petite grande entreprise oblige à beaucoup de persévérance. C’est certainement devoir se battre plus que les autres pour être dans les bons radars, c’est s’affirmer et bâtir tous les jours sa légitimité jusqu’au jour où celle-ci prend le pas.

Aujourd’hui, depuis bientôt 10 ans chez Vinci Concessions, je participe à la réalisation de grands projets d’infrastructures en Partenariat Public - Privés où le juridique et le financier sont core business et intimement liés aux opérations. C’est par exemple la ligne ferroviaire grande vitesse Tours – Bordeaux ; un projet de 8 Md€ qui illustre bien mon métier. En tant qu’administratrice de la société qui développe ce projet, nous traitons aussi bien de sujets de construction (l’équivalent de 2 Mont Saint Michel terrassés, 9 000 personnes sur le site au plus fort de la construction), mais aussi de sujets auxquels on pense moins comme la mise en place et le financement de passages spéciaux pour le vison à pattes blanches qui est une des 420 espèces protégées sur cette ligne. Ces projets sont fascinants quand ça marche. Le 2 juillet prochain, Paris sera à 2h de Bordeaux. Mais c’est tout aussi fascinant quand c’est difficile, et j’ai été conduite à mener plusieurs restructurations ces dernières années.

Je me suis aussi investie dans la vie associative pour mieux faire connaître mon métier, son dynamisme, sa richesse et sa variété. Je n’aime pas ce concept de « fonction support ». C’est pourquoi j’ai créé le club professionnel des financiers d’entreprise de l’Association HEC car je souhaitais mettre en lumière et incarner la dynamique des métiers de la finance d’entreprise. Aujourd’hui HEC Finance d’Entreprise fédère plus de 2 500 membres. Le recueil que nous avons publié à 12 000 exemplaires illustre cette variété (lien : http://www.nxtbook.fr/newpress/hec/Metiers_Finance_d_entreprise/index.php?pg=37&cid=archive). Il ne met pas en valeur une trajectoire unique (qui pourrait être celle du directeur financier d’un groupe du CAC40), mais des trajectoires. Enfin, je suis également administratrice de l’Association Nationale des directeurs financiers, la DFCG.

Est-ce difficile de concilier vie de femme, vie de famille, vie de mère de famille nombreuse et vie de directrice financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Je suis comme mon mari : je travaille beaucoup et je m’organise ! Nous avons longtemps investi dans une logistique « sans faille », par exemple la combinaison nounou à la maison et jeune fille au-pair pour assurer les nuits lorsque nous sommes tous les deux en déplacement.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

La rigueur, évidemment, une grande capacité de travail, et de la créativité.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspiré au cours de votre parcours ?

Ma mère, qui a élevé seule ses trois enfants, a été mon premier role model ; elle m’a transmis une volonté d’indépendance très forte. Parmi les financiers, Laurence Debroux, actuellement CFO du groupe Heineken, m’a fait prendre conscience de l’existence d’un role model féminin. Ayant toujours travaillé dans le secteur de l’industrie et de la construction, mes interlocuteurs sont essentiellement masculins, mes role models également. Un role model féminin, mine de rien, cela change tout.

 

[1] Ils sont toutefois disponibles sur le site vernimmen.net en cliquant ici.

 



Autre : NOS LECTEURS ECRIVENT : La raison de Suzon est toujours la meilleure

Merci aux Sieurs Modigliani et Miller

Dans un siècle lointain qu’on a dit des Lumières

La fille d’un marchand se voulut fair’corsaire.

Elle partit à Saint-Malo

Pour y chercher le bon bateau.

Elle y trouva un armateur

Disposé à faire son bonheur.

Il lui parla d’une frégate

Prompte à courir sus au pirate.

- Combien, demanda-t-elle, pour larguer les ris ?

- Cent mille ! Et croyez-moi, je vous fais là un prix !

- C’est que…geignis Suzon, je n’ai que la moitié !

L’homme se rembrunit puis la prit en pitié :

- Mais je pourrais, ma mignonette,

Vous demander cinquante mille

Et j’étancherais votre dette

En me payant sur les barils

Que vous aurez soustraits aux bateaux abordés.

Les premiers seront miens à hauteur de cent mille.

- Et cent cinquante mille il me faudra payer

Une frégate qui vaudra toujours cent mille !

- Vous avez en main le marché,

Répliqua l’homme tout sourire.

L’apprentie corsaire a quitté,

Songeant à son futur navire.

Il lui sembla que le Malouin était rusé

Et qu’elle pouvait perdre, en topant le marché

Qu’il avait proposé. Elle se mit en quête

D’un prêteur éventuel, bienveillant et honnête.

Elle trouva une officine

Installée tout au bout du quai,

Où un homme à tête de fouine

Faisait profession d’usurier.

C’était un vieux Lombard, enrichi dans la banque.

- Pour acquérir un bien de cent mille il me manque

Encore cinquante mille. Sauriez-vous me prêter

La somme s’il vous plaît, à quel taux d’intérêt ?

- Présentement le taux est à quarante,

Il vous en coûtera vingt mille.

- Et je serai ainsi gagnante :

Plutôt vingt que cinquante mille

Et la frégate, la Badine, n’en vaudra

Ni plus ni moins au jour qu’elle s’élancera

Sur les flots entrouverts et sus aux flibustiers

Topons là s’il vous plaît messire l’usurier !

Suzon retrouva son vendeur,

Posa sur la table la somme

Qu’avait demandée le bonhomme,

Lui expliqua que par bonheur

Elle avait obtenu un prêt intéressant

Et qu’elle refusait la dette proposée

Avec que le navire. En payant tout comptant,

Elle avait dans l’idée de n’être point grugée.

Pour conclure, notre Suzon

Fit à son vendeur la leçon :

- À votre commerce et celui de ce Lombard,

J’ai appris grâce à Dieu avant qu’il soit trop tard

Et que mes beaux projets risquent d’être ruinés,

Que la valeur des biens ne peut être fonction

De la façon

Dont ils sont financés.

 

George Fine

 

 

Petite explication pour ceux qui ne maîtrisent pas le théorème de Modigliani et Miller sur le bout des doigts :

 

Selon le théorème de Modigliani et Miller : en l’absence d’opportunité d’arbitrage, de coûts de friction (coûts de transaction, coûts d’information…) et d’impôt sur les sociétés, la valeur d’une entreprise est indépendante de la structure de son financement et est donnée par la valeur actuelle de ses revenus futurs actualisés au taux approprié à sa classe de risque. (Proposition (I) de Modigliani Miller [1958]).

Dans la fable, Suzon entreprend d’armer un bateau de corsaire et faute de disposer de fonds suffisants se trouve confrontée à la nécessité de recourir à l’endettement. Deux alternatives s’offrent à elle :

  • investir dans un bateau portant une dette (Et j’étancherais votre dette / En me payant sur les barils /Que vous aurez soustraits aux bateaux abordés. / Les premiers seront miens à hauteur de cent mille !) ;
  • s’endetter à titre personnel, au taux du marché pour le risque considéré (- Présentement le taux est à quarante, Il vous en coûtera vingt mille.) et acheter le bateau libre de dette.

Il découle du théorème, (Vernimmen p. 736 et 737) que : « Il n’existe pas de structure financière optimale, le taux de rentabilité exigé et donc la valeur de l’actif économique étant constants quel que soit le niveau de l’endettement de la firme. Selon F. Modigliani et M. Miller, les investisseurs peuvent s’endetter eux-mêmes comme les entreprises et n’accepteront pas de payer, via une valorisation supérieure des actions, ce qu’ils peuvent réaliser eux-mêmes sans coût. ».

Au taux de la dette pour ce profil de risque (Présentement le taux est à quarante), la valeur actuelle des flux demandés par l’armateur à Suzon si le bateau est chargé de dettes est de 121 000. La tentative de l’armateur de mieux valoriser son actif en proposant de le vendre chargé d’une dette à un taux très supérieur au taux du marché est vaine. Suzon a appris que La valeur des biens ne peut être fonction / De la façon / Dont ils sont financés.

 

Ou sinon à la manière de la Lettre Vernimmen.net n° 124 dans laquelle était diffusée la fable Le coup de massue :

Pour ceux d’entre vous qui voudraient réviser la théorie des marchés en équilibre et le théorème de Modigliani Miller, la section 4 du chapitre 36 du Vernimmen 2017 est faite pour vous.

Vous pouvez trouver d’autres fables financières de George Fine sur :

 http://fablesdelafinance.blogspot.fr .



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