La Lettre n°146 de Janvier 2017

Actualités : Entretien avec le directeur financier de Touax

Ce mois-ci nous avons profité de l’intervention de Thierry Schmidt de La Brélie devant les participants à l’ICCF@HEC Paris pour vous proposer une interview du directeur financier d’une entreprise cotée de petite taille, mais très sophistiquée en matière de financement.

Touax est une société capitalisant un peu moins de 100 M€ et réalisant 248 M€ de ventes dans 4 principaux domaines d’activités : la location de containers maritimes, de constructions modulaires, de wagons ferroviaires, et de barges fluviales.

La nature d’une large part de ses activités (location) en fait une société avec de forts points communs avec une institution financière (un loueur en crédit-bail par exemple). Mais la comparaison n’est pas parfaite car la gestion des «boîtes», comme Thierry Schmidt de la Brélie les appelle (les containers et les constructions modulaires qui font 5/6 du chiffre d’affaires), nécessite un savoir-faire particulier, notamment en termes de maintenance en fin de période de location. Donc même si la gestion des flux financiers est certainement plus centrale dans l’activité quotidienne de Touax, ce n’est pas pour autant une société financière.

Thierry, quels sont les modes de financements retenus par Touax ?

Touax dispose de financements à différents « étages » :

  • Tout d’abord, compte tenu de la nature des actifs financés, il a été très facile de mettre en place des financements adossés à des actifs spécifiques (notamment les containers et les wagons) :
    • Crédits-baux
    • Prêts à terme adossés à des actifs
    • Financement en ware-housing, c’est-à-dire des financements sur courte période de portefeuilles d’actifs qui ont vocation à être cédés à des investisseurs qui les détiendront
    • Location opérationnelle et gestion pour compte de tiers
  • Par ailleurs Touax a structuré des financements au niveau de holdings intermédiaires :
    • Titrisation (historiquement, car Touax ne met plus en place ce type de financement)
    • Financement sans recours, de type LBO, pour permettre de la croissance externe sans impacter les autres financements du groupe
  • Enfin des financements (plus classiques, en particulier s’agissant des deux premiers) au niveau de la société mère :
    • Crédits bancaires syndiqués (ligne revolver et term loan)
    • Crédits spot
    • TSSDI (Titres Super Subordonnés à Durée Indéterminée)
    • Obligations convertibles de type ORNANE (Obligations Remboursables en Numéraire et en Actions Nouvellement Emises).
    • EuroPP

Pourquoi privilégier des financements sur actifs ?

Une des particularités de Touax est la durée de vie de ses actifs (30 à 40 ans pour les containers, 20 à 30 ans pour les constructions modulaires, 30 à 50 ans pour les wagons par exemple), leur rentabilité ne se matérialise qu’après une longue période de location.

Les financements classiques ne permettent pas d’adosser les flux de financement avec les flux de locations de nos boîtes. Donc si nous ne financions que par des prêts classiques à 3 ou 5 ans l’acquisition de nouveaux actifs, nous serions fortement bridés dans notre développement, car ils seraient bien inférieurs à la valeur de nos boîtes.

Quel était le but de l’émission de TSSDI ?

Comme vous le savez, les TSSDI sont des titres hybrides entre capitaux propres et endettement. En IFRS, ils sont intégrés aux capitaux propres. Cette émission nous a donc permis de renforcer notre structure financière sans induire de dilution.

Comme toute société familiale, Touax est très sensible à la dilution immédiate et potentielle. Ses actionnaires ont su par le passé accepter une certaine dilution (augmentation de capital, obligations convertibles) pour permettre à la société de croître, mais bien évidemment lorsqu’on peut émettre un produit qui a les avantages des capitaux propres sans en avoir les inconvénients…

Vous noterez que Touax n’est aujourd’hui pas notée par les agences de rating, notre analyse de ce produit aurait certainement été différente si nous avions dû gérer un rating.

Une telle complexité n’est-elle pas lourde à gérer ?

Si bien sûr. Tout d’abord, il faut acquérir les compétences pour chacun des financements mis en place, ce qui s’est fait au fur et à mesure mais nécessite une bonne gestion des équipes. Le suivi quotidien et la coordination (notamment sur les maturités) de chacun des financements est bien évidemment très complexe, mais c’est certainement le prix à payer pour optimiser les conditions (notamment la maturité) et le volume d’endettement.

Alors pourquoi ne pas retenir un mode de financement plus centralisé ?

C’est une question que nous nous sommes posée, nous avons même été plus loin car nous avons initié un processus pour émettre des obligations high yield qui avaient pour vocation de venir refinancer une bonne part des financements spécifiques mis en place.

Nous avons été quasiment jusqu’au bout du processus : rédaction de la documentation, rencontre avec les investisseurs. Mais le résultat a été décevant, car même s’il était possible pour Touax d’émettre ces obligations, le rendement exigé par les investisseurs était prohibitif (proche de 8%). Il est apparu qu’un certain nombre d’investisseurs comprenaient nos activités et demandaient une rentabilité que nous jugions raisonnable (environ 5,5 %), mais la demande de ces investisseurs ne couvrait pas la taille que nous voulions faire (200 M€), il aurait donc fallut convaincre (en le payant dans le taux d’intérêt) des investisseurs regardant notre société comme une société industrielle « classique » avec un levier démesuré.

Nous avons donc décidé de ne pas aller de l’avant avec ce processus. Touax était prêt à payer un taux d’intérêt plus élevé qu’en moyenne sur ses financements en place : c’est le prix de la simplicité (et pour l’investisseur le risque de ne pas avoir d’emprise directe sur les actifs), mais dans le cas présent, le surcoût ne nous a pas semblé justifié.

Le niveau d’endettement pourrait paraître extrêmement élevé pour une entreprise industrielle classique, considérez-vous que c’est le cas pour Touax ?

Avec la dégradation en 2015 de la profitabilité en bas de cycle, l’endettement de Touax est monté jusqu’à 9,8 fois l’excédent brut d’exploitation, ce qui est certainement trop élevé. Néanmoins, Touax est une entreprise disposant d’actifs dont la durée de vie est très longue, ce qui lui permet d’avoir une bonne visibilité sur sa génération de flux de trésorerie, et autorise un levier plus élevé que les entreprises traditionnelles. Ainsi il me paraît raisonnable pour Touax de viser un levier de 5 à 6 fois l’EBE. Mais en réalité, l’endettement de Touax ne doit pas se mesurer en fonction de l’EBE, mais de la valeur des actifs. Ainsi, un ratio Loan to Value de 70% est tout à fait raisonnable, même s’il est équivalent à un levier de 6 (que les banques n’accepteraient certainement jamais pour une société dont les actifs ne sont pas liquides comme les nôtres, sauf pour des contrats de location de longue durée de 5 à 6 ans).

Vous avez raison de rappeler que le levier maximum de l’ordre de 3,5x l’EBE n’est pas une norme, mais dépend largement du secteur d’activité, de la visibilité sur les flux de trésorerie futurs et de la liquidité des actifs financés.

Comment choisissez-vous entre endettement à taux fixe et à taux variable ?

On aime bien le taux variable pour deux raisons. C’est le plus souvent moins cher que le taux fixe. Par ailleurs notre activité nous donne une couverture naturelle contre les fluctuations de taux d’intérêt puisque les loyers que nous facturons à nos clients montent avec les taux d’intérêt et baissent avec eux.

Cela dit, notre niveau élevé d’endettement en  cette période de taux d’intérêt bas nous a conduit à avoir par prudence 80 % de notre dette à long terme à taux fixe. Ce pourcentage n’est que de 50 % sur la dette globale qui inclut la dette à court terme, structurellement à taux variable.

La capitalisation boursière de Touax est très petite au regard des autres sociétés cotées, la cotation est-elle néanmoins importante pour vous ?

Il est vrai que nous ne pouvons pas nous considérer comme une large cap ! Et le flottant (en montant) et la liquidité du titre sont certainement trop faibles pour attirer les grands asset managers. Malgré les coûts et les contraintes que cela induit, la cotation nous semble encore aujourd’hui essentielle.

Tout d’abord, et même si ce n’est pas le meilleur argument, c’est historique, Touax est cotée depuis 1906.

Ensuite, c’est pour Touax une réelle source de financement, en effet, la société a procédé à deux placements privés dans un passé récent, lui permettant de lever 11 M€ en actions ordinaires et émis des obligations convertibles (ORNANE) pour un montant de 23 M€, ce qui aurait été beaucoup plus compliqué pour une société non cotée.

Par ailleurs, cela impose aux équipes une discipline en matière de reporting financier.

Enfin, c’est un gage de sérieux et de crédibilité vis-à-vis de sa communauté financière qui, comme vous l’avez compris, est nombreuse et très internationale.



Tableau : Rachats d'actions et dividendes en 2016

Alors que depuis 2011 le montant des dividendes et des rachats d’actions des groupes du CAC 40 était stable à environ 43 Md€[1], 2016 casse cette tendance et se rapproche des plus hauts observés de 2007 et 2008 avec un total de 55,7 Md€.

Source : Compilation des informations réglementées publiées par les sociétés

Si le montant de 2016 n’est plus qu’à 1,4 Md€ de celui de 2007, sa composition est bien différente. En 2007, le trio de tête faisait 27 % des volumes et regroupait  Total pour 6,0 Md€, BNP Paribas pour 5,0 Md€ et Axa pour 4,3 Md€. En 2016, les 3 premiers font maintenant 33 % du volume et sont  constitués de Sanofi (6,7 Md€), Total (5,9 Md€) et Vivendi (5,6 Md€). De façon plus général, le quatuor des financières (BNP Paribas, Axa, Crédit Agricole et Société Générale), avec ArcelorMittal et Orange qui faisaient en 2007 38 % du total avec 21,9 Md€, ne fait que 18 % du volume de 2016 avec 10,3 Md€. Les besoins de renforcement de leur structure financière ou les pertes pour ArcelorMittal expliquent cette évolution. Une partie de leur place a été prise par L’Oréal, LVMH, Schneider et Airbus passés en 9 ans de 6 à 14 % du volume, du fait d’une progression régulière de leurs activités dans la profitabilité.

En procédant à 9,5 Md€ de rachats d’actions en 2016, les entreprises du CAC 40 ont augmenté les restitutions de liquidités sous cette forme à leur actionnaires. En effet, le chiffre de l’an passé et la moyenne sur les 5 dernières années[2] est de 5,2 Md€.

Source : Compilation des informations réglementées publiées par les sociétés

Ce montant s’explique à hauteur de 30 % par Sanofi qui est le champion de la régularité dans ce domaine, jusqu’au jour où il réalisera une grosse acquisition. Derrière Sanofi, on trouve Vivendi qui rend ainsi à ses actionnaires une partie du produit de ses cessions récentes, et six groupes ont consacré autour de 500 M€ chacun aux rachats en 2016 : L’Oréal, LVMH, Vinci, Schneider, Airbus et Saint Gobain.

Au total, 14 groupes ont procédé à des rachats d’actions significatifs en 2015 (au moins 100 M€).

Coté dividendes, 46,2 Md€ ont été versés en 2016, soit une hausse de 13 % par rapport à l’an dernier, une fois neutralisé le dividende exceptionnel de Vivendi (3,7 Md€).

Rappelons que la progression des dividendes ne traduit nullement un enrichissement de l’actionnaire, contrairement à celles des salaires pour les salariés[3].

Cette progression est le reflet d’un meilleur niveau des résultats en 2015 (les dividendes versés en 2016 correspondent aux résultats de 2015) : il n’y a plus qu’un groupe en perte (ArcelorMittal) contre quatre l’année précédente (ArcelorMittal, Alstom, Peugeot et Alcatel-Nokia). Mais ce niveau de résultat n’a rien d’exceptionnel puisqu’il est en retrait de 7 % par rapport à celui de 2010 par exemple. Même corrigé de ArcelorMittal, passé d’un profit de 2,2 Md€ en 2010 à une perte en 2015 de 4,4 Md€, la progression des résultats des groupes du CAC 40 n’est que de 1,3 % sur la période, soit nettement moins que l’inflation sur la même période.

7 groupes, soit un de moins que l’an passé, ont choisi cette année de proposer un paiement de leurs dividendes en actions, ce qui montre qu’ils estiment avoir besoin de capitaux propres complémentaires sans néanmoins faire une augmentation de capital classique (Crédit Agricole) ou que le maintien d’un dividende, alors que les flux de trésorerie disponible sont négatifs, nécessite le recours à cet outil (Total). Alternativement, ils optimisent leur fiscalité puisque les dividendes payés en actions sont exonérés de la taxe de 3 %. On remarquera que Technip a procédé à des rachats d’actions pour 234 M€, tout en payant 136 M€ de son dividende en actions et en affichant de neutraliser la dilution en résultant par des rachats. Nous n’en voyons pas la logique, mais c’est ainsi.

Comme les années précédentes, le trio de tête des versements de dividendes représente de l’ordre du tiers des dividendes versés, il est composé de Total, Sanofi et Vivendi. Si on ajoute BNP Paribas, Axa et Engie, on atteint avec 6 groupes presque 50 % des dividendes. Et les 10 premiers font 59 % du volume des dividendes. Comme quoi, même au sein du CAC 40, les inégalités sont criantes !

ArcelorMittal rejoint cette année Peugeot dans le club des abstinents du dividende au titre de 2015.

Le taux de distribution des entreprises du CAC 40 qui ont versé un dividende est de 57 %, au-dessus du chiffre de l’an passé (51 %). Rappelons à notre lecteur qui serait tenté de jeter la pierre aux gros distributeurs de dividendes que le seul critère financièrement pertinent d’appréciation d’une politique de distribution est le taux de rentabilité marginale des fonds réinvestis, sans parler de la capacité des entreprises à en verser un, compte tenu de leur objectif de structure financière. Le dividende n’est ni une idole ni une icône !

 

Sans dividende et rachat d’actions, il n’y a pas de réallocation de capitaux propres de secteurs qui en ont eu besoin vers des secteurs nouveaux qui en ont besoin[4]. Il ne nous semble pas que cette restitution accrue en 2016 vers les actionnaires du CAC 40 se fasse au détriment des investissements. En témoigne un niveau d’endettement de ces groupes qui apparaît, sauf exception, raisonnable et laissant une marge de manœuvre comme Danone et Air Liquide l’ont démontré en 2016[5].

[1] Une fois éliminés le dividende en actions Hermès de LVMH (7Md€) et le rachat d’actions de L’Oréal pour réduire la part de Nestlé dans son capital (6 Md€) de 2015, qui n’avaient pas vocation à la récurrence.

[2] Hors le rachat d’actions de L’Oréal pour réduire la part de Nestlé dans son capital (6 Md€)

 



Recherche : Catastrophes et psychologie des managers

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine

Dans leurs prises de décision, les managers doivent estimer la probabilité de différents scénarios et événements futurs. C’est le cas par exemple dans leurs choix d’investissement, mais aussi leur politique financière. Les principales théories de la finance d’entreprise supposent que les probabilités utilisées par les managers sont calculées de façon rationnelle, en fonction de l’information dont ils disposent. Pourtant, les psychologues, et avec eux les spécialistes de l’économie comportementale (behavioral economics), considèrent que la perception des probabilités est subjective. En particulier, les individus évaluent les risques en utilisant des heuristiques, raccourcis mentaux qui permettent d’aboutir plus rapidement à une probabilité (souvent biaisée). Le cas le plus classique est celui de la proximité de l’occurrence d’un choc. L’article que nous présentons ce mois[1] montre que les dirigeants ont tendance à surévaluer la probabilité d’un choc lorsqu’ils observent ce choc à proximité, de la même façon qu’un automobiliste va temporairement craindre de subir un accident lorsqu’il aperçoit des véhicules accidentés sur l’autre voie.

Pour montrer cela, les auteurs ont collecté des données sur les cyclones aux Etats-Unis. Ces données présentent de nombreux avantages sur le plan statistique. D’abord, le risque de cyclone est un risque stationnaire ; la probabilité d’occurrence d’un cyclone dans le futur n’est pas modifiée lorsqu’un cyclone survient dans une zone donnée (contrairement au risque de tremblement de terre par exemple). Ainsi, toute modification de la perception de ce risque après le passage d’un cyclone est irrationnelle. Ensuite, le passage d’un cyclone étant un événement précisément localisé, il est possible de définir une zone de proximité et de comparer l’évolution du comportement des managers dans cette zone avec l’évolution au même moment hors de cette zone (méthode difference-in-differences, déjà présentée ici).

L’étude porte sur 15 cyclones majeurs (dégâts matériels supérieurs à 5 Md$) ayant touché les Etats-Unis entre 1989 et 2008. Les auteurs montrent que les entreprises localisées à proximité du cyclone (mais non touchées par la catastrophe) voient leur détention de disponibilités augmenter en moyenne de 1,1 point de pourcentage du total des actifs, soit 15 M$ dans l’année qui suit le choc. Cette augmentation est économiquement significative : le montant de l’augmentation est du même ordre de grandeur que la perte effective subie par les entreprises touchées. Autrement dit, le comportement des managers de ces entreprises est compatible avec la perception d’un risque prochain de cyclone de près de 100% (alors que le risque annuel n’est pas modifié et reste de 6%). Elle est aussi temporaire et disparaît deux ans après le choc.

Les auteurs remarquent aussi que les publications comptables de ces mêmes entreprises mentionnent près de deux fois plus le risque de cyclone l’année qui suit le choc. Deux ans après, comme les disponibilités, ces mentions reviennent dans la normale. Ce retour à la normale permet d’écarter l’hypothèse selon laquelle les managers ignoreraient (ou sous-estimeraient) le risque de cyclone avant d’en observer un à proximité, auquel cas la variation devrait être permanente. L’hypothèse privilégiée par les auteurs (une augmentation temporaire et irrationnelle de la probabilité attribuée à ce risque) est soutenue par ces résultats.

Cette décision d’augmenter les disponibilités, qui semble donc irrationnelle, est aussi coûteuse. Les auteurs montrent en particulier que l’excès de cash est sous-valorisé par les actionnaires. Cet article fournit donc un soutien empirique solide à l’existence de biais comportementaux des managers, sources de décisions destructrices de valeur. Une conséquence opérationnelle de ces résultats porte sur les processus de décision dans l’entreprise. Les chocs de toute nature sont nombreux et susceptibles d’altérer la perception des risques par les managers ; il serait intéressant d’étudier dans quelle mesure certaines structures de gouvernance (rôle des administrateurs externes ?) permettent de réduire ces biais.

[1] O.DESSAINT et A.MATRAY (2016), Do managers overreact to salient risks? Evidence from hurricane strikes, Journal of Financial Economics, à venir.



Q&R : Qu'est-ce que les fonds monétaires CNAV, VNAV, et LVNAV ? ou un peu plus qu'une affaire d'arrondis

De par le monde, les fonds monétaires peuvent se répartir en deux grandes catégories :

- Les fonds Constant Net Asset Value, CNAV, qui valorisent les titres dans lesquels ils investissent sur la base du coût amorti et dont la valeur des actions/parts est de 1,00 $, 1,00 €, 1,00£, etc. avec une précision de 2 décimales, ce qui fait qu’une variation de leur actif net par action (comme ils le calculent) ne se matérialise que si elle dépasse 0,5 % (0,994 par exemple qui conduit à un prix de 0,99). Ce qui est beaucoup pour un fonds monétaire investi en théorie dans des actifs de courte maturité et de faible risque de crédit. Une déviation par rapport à la valeur constante de l’unité n’est arrivée que 2 fois en 1994 et en 2008 post faillite de Lehman. La valorisation au coût amorti signifie qu’un titre acheté par le fonds à 99,7 % et remboursé à 100 % est valorisé par le fonds chaque jour comme le prix d’achat initial (99,7%) majoré de 0,3 % au prorata du temps passé par rapport au temps total entre l’achat du titre et son remboursement. Ce n’est que si l’écart entre le coût amorti et la valeur de ce titre dépasse un certain seuil qu’un mécanisme correctif est mis en œuvre. Les revenus nets des frais de gestion donnent lieu, non à une progression de la valeur, puisque celle-ci est fixe, mais à l’attribution de parts supplémentaires aux souscripteurs.

- Les fonds Variable Net Asset Value, VNAV, qui valorisent les titres dans lesquels ils investissent sur la base de leur valeur de marché et dont la valeur des parts est calculée avec une précision de 3 ou 4 décimales.

Il est reproché aux fonds CNAV, du fait de leur règle d’arrondi et de leur mode de comptabilisation des actifs, d’inciter en période de crise les souscripteurs malins à se précipiter pour demander le remboursement pour 1,00, alors que les actifs ne valent plus que 0,996 par exemple, avant qu’ils ne tombent à 0,994 ce qui conduirait à afficher un prix de 0,99.  Une telle incitation est naturellement pro-cyclique, de nature systémique et lèse les souscripteurs  les moins vifs qui supportent le coût de sortir à 1,00 les investisseurs véloces  alors que la valeur de marché de la part n’est plus en réalité que 0,996.

Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, les fonds monétaires sont très majoritairement de type CNAV, même si, par exemple, Aviva a abandonné les fonds CNAV au profit des fonds VNAV il y a quelques années. En Inde, les CNAV sont interdits ; en France, les fonds VNAV sont très largement prédominants.

Comme le G20 avait demandé une réforme des fonds monétaires, l’Union européenne a abouti à un texte qui devrait entrer en application en 2017 et qui prévoit que les CNAV seront remplacés par deux types de fonds : les CNAV gouvernementaux qui devraient détenir 5 ans après l’application du texte, au moins 99,95 % de titres d’Etat et assimilés, dont au minimum 80 % de titres d’Etats de l’UE, et les LVNAV, Low Variable Net Asset Value. Les LVNAV seront des CNAV qui basculeront en VNAV quand la valeur de marché des parts baissera de plus de 0,2 % par rapport à la valeur théorique constante de la part.

Par ailleurs, les fonds VNAV se verront imposer un double ratio de liquidité : 7,5 % au moins des actifs de ces fonds devraient venir à échéance le jour même, permettant de faire face à autant de retraits quotidiens sans avoir besoin de céder des titres en portefeuille ; et 15 % à l’horizon d’une semaine. Les fonds CNAV sont déjà soumis à de tels ratios.

Les fonds CNAV gouvernementaux et les fonds LVNAV devront appliquer des droits de sortie au cas où ils ne respecteraient plus leurs ratios de liquidités, voire mettre en place des barrières pour échelonner les sorties.

Nos lecteurs familiers de la comptabilité ne manqueront pas de sourire en remarquant que sur ce dossier, la France était parmi les tenants de la juste valeur (fair value) et les Etats-Unis et le Royaume-Uni parmi ceux du coût amorti. . .

Au total, on peut espérer un peu moins de risques sur les CNAV, anticiper un peu moins de performance pour les VNAV et s’attendre à surtout plus de complexité. Ainsi va le monde.



Commentaire : COMMENTAIRES de l'actualité financière postés sur la page Facebook du Vernimmen

Régulièrement nous publions sur la page Facebook du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. Vous en trouverez quelques-uns publiés le mois dernier dans cette rubrique :

Gestion active, gestion passive

Standard and Poor's indique que 87,5 % des gérants actifs de fonds actions américains sous-performent le marché actions sur les 10 dernières années. Cela veut donc dire que 12,5 % le surperforment. C'est moins que 50 % comme si on faisait un tirage purement aléatoire ; mais un tirage aléatoire n'a pas de frais de gestion à couvrir en surplus, ni de frais de transaction ni une rémunération des capitaux propres de la société de gestion.

On peut penser que ce pourcentage devrait progressivement s'élever. Non pas que les gérants deviennent meilleurs, mais parce que l'ubérisation de ce secteur en route depuis quelques décennies s'accélère. L'ubérisation de ce secteur a pour nom la gestion indicielle qui vise à dupliquer un indice sans chercher à savoir quelle action est sous-évaluée et quelle autre est surévaluée, et a pour outil principal les ETF[2]. Sa part ne cesse de progresser, éliminant du marché les gérants actifs les moins efficaces, et c'est ce qui nous fait penser que la part des gérants surperformants devrait progressivement s'accroître. Mais ceci prend du temps, compte tenu de l'inertie des investisseurs et des canaux de distribution.

En fait, cette évolution vers un monde de la gestion actions cotées polarisé autour de fonds passifs dupliquant l'indice, et d'un nombre limité de fonds actifs, capables de survivre dans la durée car ils font au moins aussi bien que l'indice, était clairement en germe dans les travaux des pères fondateurs du MEDAF des années 1950 et 1960.

En effet, l'enseignement opérationnel du MEDAF, comme expliqué dans le Vernimmen[3] depuis 1977, est bien de détenir un portefeuille qui duplique aussi fidèlement que possible les variations du marché actions et de régler le niveau de risque souhaité par chaque investisseur avec des emprunts ou des placements dans l'actif sans risque. Cette stratégie offre le couple rentabilité/risque le plus efficace.

Mais la part de la gestion passive, même si elle est plus efficace que la plupart des gestionnaires actifs, n'atteindra jamais 100%. En effet, si tel devait être le cas, les cours des actions cotées varieraient tous parallèlement de concert en fonction des arrivées ou des départs de liquidités à placer sur le marché actions. Or les performances économiques des entreprises n'ont nulle raison, dans la durée, d'être toutes parallèles. Une évolution parallèle des cours créerait alors des sous-évaluations ou des sur-évaluations qu'un gérant astucieux (c'est-à-dire ayant bien assimilé son Vernimmen) saisirait pour surperformer le marché. Les gérants ne seront donc pas tous remplacés par des robots !

Fonds de LBO

Le Financial Times se fait l’écho de la levée en cours du fonds de LBO CVC, l’un des principaux acteurs européens du secteur et qui pourrait au premier semestre 2017 lancer un nouveau fonds réunissant entre 12,5 et 15 Md€, alors qu’il aurait enregistré une demande d’investisseurs portant sur 25 à 30 Md€.

Matérialisation de la loi de l’offre et de la demande, les conditions financières pour les investisseurs qui pourront souscrire au fonds seront moins bonnes pour eux et meilleures pour la société de gestion du fonds : pas de réduction des frais de gestion pour les premiers investisseurs à souscrire et abaissement de 8 % à 6 % du taux de rentabilité minimum à obtenir pour les investisseurs, permettant aux gestionnaires du fonds d’obtenir 20 % de la plus-value réalisée par les investisseurs au-delà de ce seuil (appelé hurdle rate). Les investisseurs dans le fonds de CVC pourront se consoler en sachant qu’historiquement CVC a obtenu parmi les meilleures performances de ses pairs et que s’ils ont investi dans le fonds de Advent qui a levé 13 Md$ il y a quelques mois, le seuil de déclenchement de la participation à la plus-value a été abaissé à . . . 0 %.

Avec une rentabilité moyenne attendue sur les actions cotées de 7 % en Europe (source Associés en Finance), le seuil de 8 % est déjà très inférieur à ce qu’un investisseur en fonds de LBO est en droit d’exiger, de l’ordre de 12 à 15 %, compte tenu du risque lié à l’effet de levier propre aux LBO et de l’illiquidité de ce type d’investissements. Ce niveau de seuil n’est que le témoin d’un fait bien établi par la recherche académique, à savoir que ceux qui peuvent capter le plus souvent une sur-rentabilité sont les gestionnaires de fonds de LBO.

L'abaissement de ce seuil est la conséquence de la hausse du prix des actifs (le multiple moyen d’acquisition par les fonds de LBO dépasse en 2016 pour la première fois 10 fois l’EBE), entraînée par la baisse des coûts du capital (la prime de risque du marché est revenue à son niveau moyen depuis 2002) qui réduit assez mécaniquement les espérances de rentabilité future ; mais aussi de niveaux de dettes par rapport aux capitaux propres des LBO bien inférieurs au pic de 2007 limitant l’effet de levier de la dette, et de la rareté des cibles de taille significative.

 

Fusion Linde – Praxair

Linde et Praxair ont annoncé le principe de leur fusion d’égaux pour former le leader mondial des gaz industriels devant Air Liquide, avec une part de marché mondiale qui atteindrait 42 %.

La gouvernance a été « soignée aux petits oignons » : Le directeur général sera celui de Praxair, le président non exécutif celui de Linde, le directeur financier celui de Praxair et le nom du nouveau groupe celui de Linde. Les sièges sociaux de Munich et Danbury (Connecticut) seront gardés et le DG du nouveau groupe n’aura pas besoin de déménager, car il restera à Danbury. Mais un siège juridique dans un pays de l’Espace Economique Européen à déterminer, mais pas l’Allemagne, est à trouver.

Le nouveau groupe sera coté à New York et à Francfort, le capital et le conseil d’administration seront répartis à 50%/50% entre les anciens actionnaires ou administrateurs de Linde et de Praxair.

Il paraît peu probable que la fusion entre dans les faits avant au moins un an, tant les négociations avec les différentes autorités anti-trust dans le monde seront longues, vu la part de marché du nouveau groupe. Donc un an au moins d’immobilisme et des cessions à la clef pour renforcer les concurrents ; puis ensuite bon courage pour gérer un groupe avec une pareille gouvernance qui semble avoir été faite pour satisfaire les egos des uns et des autres plutôt que de donner de la manœuvrabilité au nouveau groupe.

Pas étonnant que le cours de Linde ait baissé de 4 % à l’annonce de ce projet, alors que les conditions de la fusion donnaient une petite prime à ses actionnaires de 5 %. Quant à celui de Praxair, il a aussi baissé de 4%. Peut-être que les investisseurs avaient en tête la comparaison avec une autre grande fusion germano-américaine, Chrysler-Daimler Benz qui est restée dans les mémoires comme un désastre industriel et financier, en partie en raison de différences culturelles massivement sous-estimées.

 

 



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