La Lettre n°131 de Mars - avril 2015

Actualités : L'administrateur judiciaire

Le métier d’administrateur judiciaire est relativement méconnu des financiers. Méconnu certainement car ils sont peu nombreux (de milliers de fois moins que les banquiers !), mais peut être aussi car se pencher sur la procédure à suivre lorsqu’une entreprise va mal est quelque chose que l’on ne souhaite pas faire avant d’y être contraint.

Pour nous aider à comprendre ce métier qui nécessite une maitrise du droit, de la finance et de la stratégie, nous avons interrogé un(e) des administrateurs(trices) judiciaire les plus en vue actuellement, Hélène Bourbouloux.

La fonction d’administrateur judiciaire a été créée en 1985 par le démembrement de la fonction de syndic de faillite en administrateur judiciaire défendant les intérêts de la société et de mandataire judiciaire ayant pour but de défendre les intérêts des créanciers de l’entreprise. L’administrateur judiciaire est nommé par le tribunal dans le cadre de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire (mais également de sauvegarde accélérée ou sauvegarde financière accélérée)[1]. Afin d’essayer de sauver l’entreprise, l'administrateur judiciaire assiste ou même parfois (mais rarement) se substitue au management pour gérer l’entreprise. Il analyse les difficultés et  entreprend des actions pour les résoudre. Lorsque l’entreprise n’est pas viable en l’état et doit être cédée pour tout ou partie,  l’administrateur organise le processus de cession. Il devient alors banquier d’affaires en organisant les due diligence (dataroom, …) et en menant à bien la négociation avec les acquéreurs potentiels[2].

Dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement, l’administrateur a avant tout un objectif de pérennisation de l’entreprise, celui-ci prime sur la sauvegarde de l’emploi qui reste néanmoins un but clair de sa mission tout comme le paiement de ses dettes par l’entreprise. L’administrateur préparera ainsi le plan de redressement ou de sauvegarde de l’entreprise.

Notons que son rôle est plus intrusif dans le cadre d’un redressement où son rôle peut aller jusqu’à la représentation de la société que pour une sauvegarde où il exerce une surveillance et prodigue une assistance. Dans le cadre d’un redressement judiciaire, l’administrateur devra ainsi autoriser l’ensemble des paiements de l’entreprise, ce qui lui donne de fait une maîtrise très large des décisions mais aussi une connaissance intime de l’environnement de l’entreprise (fournisseurs, clients, employés). Son pouvoir inclura également la décision de poursuivre un contrat ou non ou la mise en œuvre d’un plan social.

De par leur connaissance des sociétés en difficulté et des procédures collectives, les administrateurs judiciaires sont également particulièrement bien placés pour jouer le rôle de conciliateur ou de mandataires ad’hoc dans les procédures préventives amiables que sont la conciliation et le mandat ad’hoc. Ces procédures prévoient la nomination d’une personne indépendante capable d’analyser la situation, d’organiser la négociation entre les parties et de conseiller le management dans les décisions à prendre en matière opérationnelle, financière mais aussi en termes de prochaines étapes de la procédure.

Rappelons les arcanes des procédures de la réglementation française pour les sociétés en difficulté :

Les missions exécutées dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire sont rémunérées selon un barème fixé par la loi. Les honoraires dans le cadre d’une conciliation ou d’un mandat ad’hoc sont libres. L’équilibre des missions doit donc être trouvé par l’administrateur entre les  missions de conciliations en moyenne mieux rémunérées et les missions d’administrateur désigné par le tribunal qui sont généralement financièrement beaucoup moins attractives (rapport temps passé/rémunération) mais qui revêtent un caractère essentiel à l’économie et qui apportent des enseignements forts.

En effet, la maîtrise de l’ensemble des procédures est un atout majeur de l’administrateur judiciaire pour maximiser ses chances d’atteindre les objectifs qui lui sont fixés : pérennisation de l’entreprise, sauvegarde de l’emploi, dédommagement des créanciers. Il est à noter que même dans le cadre d’une conciliation ou de mandat ad’hoc la rémunération bien que contractuelle doit être avalisée par le tribunal.

Devenir administrateur judiciaire est particulièrement complexe : cela nécessite de passer un concours après un stage de 3 ans, et il n’y a que quelques élus par an. Au total, environ 130 administrateurs judiciaires officient en France. Même s’il peut exercer sur l’ensemble du territoire, l’administrateur judiciaire est souvent proche d’un tribunal particulier et reçoit généralement ses missions de celui-ci. Mais à l’instar de FHB, le cabinet d’Hélène Bourbouloux, des administrateurs peuvent de regrouper pour couvrir une zone géographique plus large.

Les administrateurs judiciaires sont les premiers observateurs du fonctionnement des procédures et de leur efficacité, ils sont donc force de proposition essentielle dans l’évolution de la réglementation.

Les évolutions récentes (création de la sauvegarde financière accélérée et de la sauvegarde accélérée) ont permis de traiter la problématique d’un créancier très minoritaire bloquant un plan, ou d’un créancier « perdu » puisqu’elles ne nécessitent pas l’unanimité des créanciers, mais seulement un accord à la majorité des deux tiers.

En amélioration permanente, les lois sur les faillites doivent maintenant s’inscrire dans un contexte européen, voire international. C’est un des axes de réflexion actuel pour éviter des arbitrages entre les filiales étrangères d’un groupe.

Au-delà de cette problématique, Hélène Bourbouloux estime que les voies d’amélioration de la législation actuelle incluent :

  • un travail sur l’intégration de la notion de groupe dans les procédures de redressement,

  • une catégorisation des créanciers plus en phase avec la réalité économique. Aujourd’hui, les créanciers sont regroupés dans des comités par nature : fournisseurs, établissements de crédit, obligataires. Or dans les dossiers de taille importante ou sophistiqués (LBO notamment), la position des créanciers est naturellement guidée par la valeur et la seniorité de leur créances bien plus que par leur nature. Un investisseur obligataire subordonné a des intérêts très différents d’un obligataire senior. L’idéal serait de répartir les créanciers par classe homogène en fonction de la valeur de leur créance.

 

 Nul doute qu’avec son expérience et son énergie, Hélène saura faire entendre sa voix pour faire avancer les dispositions règlementaires dans le bon sens. A noter que malgré les améliorations toujours possibles, elle défend le cadre français et le juge comme un des plus efficaces au monde.

Pour écouter Hélène Bourbouloux, notre lecteur peut suivre le lien suivant :

http://www.tvdma.org/entreprenariat/les-entreprises-en-difficulte/le-role-de-ladministrateur-dans-la-sauvagarde-et-le-redessement-judicaire-bourbouloux-helene/

 

 

[1]Pour plus de détails sur ces procédures, voir le chapitre 51 du Vernimmen 2015.

[2] Pour plus de détails, voir le chapitre 48 du Vernimmen 2015.

 



Tableau : Le taux d'intérêt des nouveaux crédits aux petites entreprises en Europe

En France, comme chacun sait, nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons les taux d’intérêt les plus bas des grands pays de la zone euro pour les prêts aux très petites entreprise (TPE, faisant moins de 2 M€ de ventes et de total de bilan, employant moins de 10 salariés).

Un esprit facétieux pourrait se demander si le risque est correctement rémunéré en France quand on voit qu’en Allemagne, les taux sont de presque 1% supérieurs !  Mais comme les banques de détail françaises sont plus rentables que leurs homologues d’outre Rhin, et que le taux d’acceptation d’une demande de crédit est plus élevé, l’explication n’est pas là.

Source : Banque de France, Bulletin Stat Info du 23 février 2015



Recherche : Performance et valorisation des fonds de private equity

avec la collaboration de Simon Gueguen - Enseignant-chercheur à Paris Dauphine

La mesure de la performance des fonds de private equity et leur valorisation présentent de nombreuses difficultés techniques. Leurs spécificités (surperformance, illiquidité, mode de rémunération des gestionnaires) rendent inopérants les modèles standards. Pourtant, ces fonds représentent aujourd’hui une part substantielle de l’économie, en particulier dans le portefeuille des investisseurs institutionnels[1]. L’article dont nous présentons les résultats ce mois-ci[2] est essentiellement théorique : il s’agit d’une proposition de modèle de valorisation des fonds de private equity. Nous laisserons le lecteur friand de formules mathématiques se référer à l’article pour le détail du modèle. Son principal intérêt pour nous est qu’il permet, en le calibrant à partir de données empiriques existantes, de fournir une mesure assez fiable des coûts et de la performance moyenne des fonds de private equity.

La construction du modèle repose sur le schéma suivant. Un investisseur institutionnel répartit son portefeuille entre trois actifs : un actif sans risque, le portefeuille de marché (regroupant les titres des sociétés cotées), et un fonds de private equity. Ce dernier présente trois particularités :

  • sa performance peut être supérieure à celle des titres cotés, à risque de marché équivalent (il possède un alpha positif, lié à la compétence des gestionnaires) ;

  • les gestionnaires du fonds sont rémunérés selon les encours et la performance (typiquement, 2% du capital et 20% des profits) ;

  • il est illiquide, et cette illiquidité ne peut être couverte par d’autres investissements ; il y a donc pour l’investisseur un coût lié à cette illiquidité.

Les résultats chiffrés sont obtenus en calibrant le modèle, c’est-à-dire en fixant ses paramètres à partir des résultats d’études empiriques précédentes. Les auteurs proposent de nombreuses mesures en fonction des différents paramètres. Leur méthode consiste à calculer le niveau de performance du fonds (alpha) minimum tel que les différents coûts (rémunération du gestionnaire, illiquidité) soient couverts. Si la performance effective est supérieure à ce seuil, le fonds crée de la valeur pour l’investisseur ; dans le cas contraire il en détruit.

Pour un levier financier égal à trois (3 dollars de dette pour 1 dollar investi en capitaux propres), l’alpha nécessaire est égal à 2,06%. Les auteurs montrent que cela correspond à la performance moyenne des fonds observée dans d’autres études[3]. Ainsi, la performance des fonds est en moyenne juste suffisante pour couvrir les coûts (en incluant la rémunération de l’illiquidité).

En l’absence de problème d’illiquidité (par exemple si les marchés permettent de se couvrir parfaitement, ou si l’investisseur est neutre à l’égard du risque), l’alpha nécessaire ne serait que de 1,01%. Cela signifie que l’illiquidité pèse pour environ la moitié du coût total. Les auteurs montrent aussi que l’autre moitié (rémunération du gestionnaire) se partage à part égale entre les « 2% du capital » et les « 20% des profits ».

Enfin, le levier financier permet de réduire le niveau minimum d’alpha. L’idée est la suivante : si le levier est élevé, la rémunération du gestionnaire est plus faible en proportion du total des actifs (sur lesquels est obtenu l’alpha). Ainsi, pour un levier égal à zéro, l’alpha nécessaire serait 3,08% (au lieu de 2,06%).

Ce modèle élégant, probablement généralisable à l’ensemble des fonds gérés activement, offre une nouvelle contribution au débat sur la performance réelle de ces fonds. En l’occurrence, les fonds de private equity semblent obtenir une performance suffisante pour justifier la rémunération des gestionnaires et l’illiquidité subie par l’investisseur, mais pas davantage.

 

[1] Par exemple plus de 10% du fameux fonds de pension américain CalPers en 2014.

[2] M.SORENSEN, N.WANG et J.YANG, Valuing Private Equity, Review of Financial Studies, vol.27, n°7, pages 1977 à 2021.

[3] Ce niveau d’alpha correspond à un Public Market Equivalent de 1,30 proche de la moyenne obtenue sur de nombreuses études récentes.

 



Q&R : Point mort et seuil de rentabilité

Il y a souvent une confusion de vocabulaire entre ces deux termes qui nous paraît devoir être clarifiée.

Le point mort est le niveau minimum d'activité qu'une entreprise doit atteindre sur un exercice donné pour commencer à faire des profits[1]. Il s'exprime en volume (nombre de livres vendus, nombre de pages de publicité consultées, nombre de tonnes vendues, etc.) ou en unités monétaire (faire un chiffre d'affaires minimum de 100 000 € ou 100 000 FCFA, etc.).

Le seuil de rentabilité correspond quant à lui au moment de l'année où toutes les charges de l'année sont couvertes (même celles à venir sur le reste de l'année) et où l'entreprise commence à faire du résultat comme si avant elle n'en faisait pas avant. Ainsi une épicerie qui fait 100 de chiffre d'affaires et un résultat de annuel de 2 dira que son seuil de rentabilité est le 24 décembre, 7 jours avant la fin d'année (en supposant qu'elle soit ouverte 7j/7), car au 24 décembre, il reste 7 jours avant la fin de l'année, soit 2 % de 365 jours dans une année. C'est très pédagogique pour des gens qui n'ont aucune connaissance en comptabilité ou en finance et pour qui c'est très parlant en communication interne de dire : "tout au long de l'année on travaille pour couvrir nos salaires, les couts des achats, les frais généraux, les impôts;  et à partir du 24 décembre (dans cet exemple) on travaille pour faire le profit pour les actionnaires."

C'est très pédagogique mais c'est très simpliste, car avant le 24 décembre dans notre exemple, l’entreprise a gagné de l'argent et après le 24 décembre tout le chiffre d'affaires ne constitue pas du profit comme supposé dans ce concept de seuil de rentabilité. En plus on suppose implicitement que les ventes sont les mêmes chaque jour, ce qui est très rare.

Voilà pourquoi le concept de point mort parait plus pertinent pour l'analyse financière d’une entreprise. Mais il est sûr que si nous gérions une équipe de personnes sans compétence en finance ou comptabilité, nous utiliserions le seuil de rentabilité en communication interne avec notre équipe car c'est facile à comprendre et très parlant pour démythifier le profit. Même si l’expression de seuil de rentabilité est peu heureuse, car au seuil de rentabilité l’entreprise n’est pas rentable ; elle commence simplement à être profitable. Une entreprise n’est rentable que lorsqu’elle dégage un taux de rentabilité sur son actif économique au moins égal à son coût du capital[2]

 

[1] Pour plus de détails, voir le chapitre 11 du Vernimmen 2015

[2] Pour plus de détails, voir les chapitres 30 et 31 du Vernimmen 2015

 



Autre : DROIT DE REPONSE : experts indépendants

Au titre du droit de réponse, nous publions ce courrier reçu d’une association d’experts agréées par l’AMF suite aux articles publiés dans les Lettres vernimmen.net d’octobre et de novembre 2014 consacrés à ce thème.

Rappelons que 3 experts indépendants (dont le premier est fondateur et président honoraire de l’APEI et de second membre de l’AEEE)  se sont succédés pour attester équitables en 2013 une OPRA sur Orchestra à 12 € à laquelle le majoritaire n’a pas participé, puis une OPA et une tentative d’expropriation des actionnaires minoritaires à 40 € à laquelle l’AMF s’est opposée en juillet dernier.

L’action cote actuellement 67 € dans un secteur  (la distribution textile pour enfant) qui n’a pas la volatilité d’internet ou des biotechnologies.

Dans beaucoup d’autres secteurs, une telle séquence d’événements aurait été qualifiée d’accidents industriels et des mesures correctives auraient été prises.

Alors que nos propositions d’amélioration du fonctionnement de l’expertise indépendante se plaçaient sur le terrain de la gouvernance, l’APEI nous répond sur celui de la procédure.



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