La Lettre n°13 de octobre 2002

Actualités : Pourquoi tant de LBO ?

Alors même que le marché des fusions et acquisitions subit une des plus importante crise de son histoire (volume en baisse de 70 % depuis 2002), et que le marché du « venture capital » a été stoppé net dans son expansion par le dégonflement de la bulle internet, les opérations de LBO se multiplient. Leur part de marché a atteint en Europe 16 % sur les neufs premiers mois de 2002 grâce à des opérations de taille supérieure au milliard d’euros : TDF, Legrand, Aprovia en France ; NCP, Unique Pub au Royaume Uni, Smurfit en Irlande, Demag/stabilus en Allemagne ….

Cette évolution devrait définitivement éliminer deux contre-vérités sur les LBO :

  • les LBO créent de la valeur car ils jouent sur l’effet de levier et bénéficient de la déductibilité fiscale des intérêts de la dette ;
  • les fonds de LBO ne peuvent pas payer plus cher que les industriels qui bénéficient eux de synergies industrielles.

La véritable création de valeur des LBO n’est ni fiscale ni comptable (effet de levier de l’endettement), mais opérationnelle. De nombreuses recherches académiques ont démontré que les sociétés en LBO avaient des performances opérationnelles nettement supérieures aux autres entreprises du même secteur. Le poids de la dette agit comme une contrainte forte sur l’équipe de direction qui est parallèlement associée au capital et peut espérer faire fortune pour trois générations. En contrepartie, c’est le retour au rythme de travail de la classe préparatoire pour 3 - 5 ans !

Voici pourquoi des fonds de LBO peuvent payer aussi cher que des industriels qui bénéficient des synergies. Si l’avantage fiscal de la dette était le moteur des LBO, son érosion régulière depuis 10 ans sous l’effet cumulé de la baisse des taux d’imposition et des taux d’intérêt aurait dû tuer les LBO. Puisqu’il n’en est rien, c’est très probablement que son importance est bien mineure (1).

Quelles sont donc les raisons du développement des LBO ?

Des levées de fonds récentes et importantes

Les fonds de capital investissement ont levé durant les années fastes du marché des fusions et acquisitions des sommes importantes (85 Md€ en 2000 et 2001) dont environ 45% pour des opérations de LBO, peut-être auprès d’investisseurs qui ont oublié le risque pour ne retenir que la rentabilité (souvent 20 à 25 % grâce à l’effet de levier comptable de la dette). Il existe aujourd’hui des véhicules dotés de capacités d’investissement importantes qui ne sont que partiellement investies. Les gérants de fonds ont une forte pression pour investir ces sommes rapidement sans quoi ces fonds pourraient être « vidés » bien que cela soit illégal.

Une sophistication croissante des équipes et des techniques

La formation des équipes de LBO mais également des avocats, des banques et des investisseurs à ce type d’opération a permis de fluidifier ce marché et d’innover, par exemple par les techniques de titrisation ou de securitization buy-out (2). C’est le cercle vertueux.

Par ailleurs, la taille croissante des équipes des différents fonds, poussée par l’ouverture de bureaux en Europe continentale, renforce ce besoin de réaliser des investissements. Au risque de paraître cynique, nous pensons en effet que les gérants de fonds doivent justifier leur rémunération souvent élevée, la taille des équipes, voire même l’existence d’un bureau dans les différents pays d’Europe continentale par la réalisation d’opérations ….. C’est le début du cercle vicieux.

Même si l’organisation des fonds, qui donne une totale autonomie de gestion à l’équipe qui ne s’engage que sur un rendement à terme et surtout pas sur un rythme précis d’investissements et de désinvestissements, est censée lui conférer la liberté nécessaire pour faire les bons choix, au premier rang desquels celui de ne rien faire si la période n’est pas favorable.

La concentration accentuée de certains secteurs

De nombreux secteurs sont aujourd’hui tellement concentrés que lorsqu’une entreprise d’une taille significative doit être cédée, seuls des acheteurs financiers peuvent réglementairement acquérir l’entreprise dans son ensemble. Ou, ce qui est équivalent, les conditions qui seraient imposées par les autorités de contrôle des concentrations sont telles pour les acheteurs industriels que le prix qu’ils peuvent mettre en avant n’est pas compétitif malgré les synergies éventuelles (celles-ci étant par ailleurs souvent beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre que prévu (3)).

Les problèmes de succession des entreprises familiales

Un large nombre de PME européennes se sont créées ou fortement développées sous l’impulsion de leur actionnaire majoritaire dirigeant durant les années 60 - 70. Arrivant à l’âge de la retraite, ces dirigeants/ actionnaires souhaitant céder leur entreprise sont tentés par les fonds de LBO comme alternative à la cession au concurrent direct souvent perçu comme « le diable en personne » ou à une sortie par la bourse devenue quasiment impossible. Cette réaction peut être exacerbée lorsque l’entreprise porte le nom de la famille, nom qui risque d’être perdu par la cession à un autre industriel.

Au demeurant, le développement de l’actionnariat des salariés et en particulier des équipes de direction rend plus « normal » à terme la mise en place d’un LBO soutenu par le management.
Enfin, l’espoir pour les dirigeants de faire fortune sur le moyen terme les pousse clairement à favoriser une opération de LBO à une cession à un industriel qui pourrait mettre en péril leur emploi.

L ’incessant recentrage des groupes

Les filiales non core de grands groupes ont toujours été par nature des cibles privilégiées pour les fonds de LBO. La crise financière actuelle contraint des groupes à céder des filiales (annuaires téléphoniques, pipelines …) pour résoudre des difficultés financières ou des crises de liquidité.

Ces branches entières du groupe peuvent ne pas être « prêtes » pour d’autres types de cessions car elles regroupent des activités trop diverses pour être cédées en un bloc à un industriel, ou sont trop petites pour une introduction en bourse.

La fermeture du marché actions

La contraction et la volatilité actuelle du marché actions rendent beaucoup plus complexe la cession par introduction en bourse, solution souvent partielle, car il est difficile de céder ainsi 100 % du capital.

Au contraire se développe le P to P (Public to Private) qui consiste à racheter une entreprise cotée à l’aide d’une structure à effet de levier. Ce type d’opérations se nourrit des déceptions face aux performances des sociétés cotées, en particulier pour les sociétés de taille petite et moyenne, boudées par les investisseurs.

La chute des valorisations boursières est clairement un élément favorisant les LBO ; même si le niveau de dette accepté par le marché a également baissé (les 6 à 7 fois l’EBE ont laissé place plus généralement à un 4 à 5 fois), le pouvoir d’achat des « financiers » est souvent devenu comparable à celui des industriels.

La fermeture du marché actions, la crise de liquidité et dans certains secteurs la crise économique font que les industriels n’ont plus ni appétence pour la croissance externe, ni moyens financiers pour la mener à bien. Quand le feu est à la grange, il y a mieux à faire que d’acheter le terrain du voisin ! Les fonds de LBO ont le champs libre.

Le développement des LBO secondaires

Enfin le marché du LBO génère son propre renouvellement par le développement des LBO secondaires (ou LBO sur LBO) qui consistent à organiser un nouveau financement par dette et un nouveau tour de table sur une société qui a déjà fait l’objet d’une opération de LBO. Cette opération revient à décapitaliser à nouveau la société alors que ses résultats depuis la première opération de LBO avaient permis de rééquilibrer sa structure financière. Cet été, le rachat d’Elis par PAI a constitué le plus gros LBO secondaire jamais réalisé en France.

Compte tenu des conditions de marché actuelles, cette formule est une des plus sécurisantes pour toutes les parties prenantes, offrant des garanties sur la qualité des comptes de la cible et le niveau d’exigence du vendeur en termes de valorisation car tous les fonds raisonnant de la même façon aboutissent à des estimations très proches. Cependant, ce n'est qu’un pis-aller pour les fonds qui doivent expliquer que la vente est une bonne opération et que l ’achat est aussi une bonne opération à leurs actionnaires qui sont souvent les mêmes d’un fonds à l’autre... De surcroît, le potentiel d’améliorations opérationnelles est souvent limité à l‘issue d’un LBO. Où est alors la création de valeur ?

L’avenir est-il pour autant rose pour tous les fonds LBO ? Non car certaines performances, très décevantes compte tenu des risques pris, conduiront certains acteurs à sortir du marché par incapacité à lever de nouveaux fonds. La concentration s’annonce même si le marché devrait continuer à croître dans les années à venir.

1) Voir chapitre 38 du Vernimmen 2002.
2) Voir chapitre 52 du Vernimmen 2002 ou l’ouvrage de Xavier Thoumieux : Le LBO.
3) Voir la Lettre Vernimmen.net de septembre 2002.


Tableau : La courbe des taux d'intérêt

Courbe des taux d'intérêt dans le monde (octobre 2002)

Les courbes de taux d'intérêt actuelles sont pour la plupart de forme « inversée » à court terme, ce qui signifie que les marchés attendent sur les 3-6 mois prochains une poursuite de la baisse des taux qui atteint déjà des records : l ’argent à 9 mois coûte 1,75% aux EU, soit moins que l‘inflation. Sur les maturités plus longues, la courbe des taux reprend sa forme "normale" (taux long terme supérieurs aux taux court terme) : les marchés s'attendent donc à plus long terme à une progression des taux courts par rapport à leurs niveaux actuels.

Sur des maturités de 10 ans, le taux d’intérêt réel de l’ordre de 2 %, apparaît inférieur au potentiel de croissance en volume de l’activité (environ 3%, au moins aux Etats-Unis), ce qui laisse supposer soit que les marchés sont pessimistes pour l’avenir de la croissance en volume, soit qu’ils sur-valorisent la dimension havre de paix des produits obligataires face à la chute des marchés actions.

La baisse des taux bénéficie-t-elle aux entreprises ? Pas vraiment puisque parallèlement les spreads se sont encore tendus.

Enfin, on ne manquera pas de remarquer la faiblesse des taux d'intérêt japonais : l'argent au jour le jour coûte 0,05% (sic !) et l'Etat japonais s'endette à 30 ans à 2,16 %. C'est le fruit d'efforts jusqu'à présent vains pour relancer l'activité économique qui reste obérée par le poids de l'endettement.



Recherche : La prime de risque

La prime de risque est l’écart entre le taux de rentabilité anticipé sur le marché boursier dans son ensemble et le taux de rentabilité d’un actif sans risque, souvent une obligation d’Etat à 10 ans.
Cette prime de risque peut être calculée de deux façons (1) :

  • soit à partir des données prévisionnelles, les flux de trésorerie futurs, et du cours de bourse actuel, dont on déduit, après quelques calculs le taux d’actualisation utilisé, et donc la prime de risque puisque le taux d’actualisation est égal pour l’ensemble du marché au taux de l’argent sans risque plus la prime de risque. Associés en Finance publie ainsi régulièrement cette donnée ;
      
  • soit à partir des données historiques des taux de rentabilité obtenus puisque sur longue période. Dans des marchés efficients, les taux de rentabilité obtenus doivent être égaux au taux de rentabilité exigés.

On sait cependant que cette dernière méthode présente deux biais :

  • statistique, le biais du survivant : les calculs de rentabilité passée ignorent le cas des entreprises qui ont fait faillite sur la période étudiée puisque cette méthode ne s’intéresse qu’à l’évolution des cours des entreprises existantes aujourd’hui. Or, le fondement d’un taux de rentabilité est bien la rémunération du risque qui peut faire qu’à un moment donné une entreprise fasse faillite. Il n’est donc pas surprenant qu’elle aboutisse à des chiffres de prime de risque plus élevés (7 % environ) que la méthode prospective (4 % environ). De surcroît en toute rigueur, elle aboutit à une fourchette très large plutôt qu‘à un chiffre précis, même si souvent le milieu de la fourchette est retenu ;
      
  • opérationnel : peu importe la valeur de la prime de risque sur les 50 ou 100 dernières années; ce qui compte opérationnellement est sa valeur aujourd’hui. L’euro vaut 0,98 contre le dollar, peut vous chaut que sa moyenne sur les six dernières années soit à 1,03. C’est à 0,98 que vous l’achèterez ou le vendrez aujourd’hui, pas à 1,03.

E. Fama et K. French (2) ont approfondi la seconde méthode en travaillant sur des données américaines comprises entre 1872 et 2000. La prime qui peut être calculée à partir des taux de croissance des cours, des dividendes ou des bénéfices nets est la même de 1872 à 1950 : 4,17 % à 4,40 %. Mais sur la période 1951 - 2000, les primes de risques calculées divergent fortement : 2,55 % à partir de l’analyse des dividendes, 4,32 % pour celle résultant des résultats et 7,43 % pour celle résultant de l’évolution des cours de bourse.

E. Fama et K. French concluent que les taux de rentabilité obtenus sur les 50 dernières années ont été largement supérieurs aux anticipations en raison d’une baisse des taux de rentabilité exigés expliquée :

  • par une plus grande diffusion de l’investissement action dans le patrimoine financier des individus et des institutions : la demande d’actions étant plus forte, les taux de rentabilité exigés déclinent ;
     
  • par une plus grande facilité à obtenir à moindre coût des portefeuilles diversifiés grâce à l’explosion de la gestion collective ;
     
  • et grâce à la formidable baisse des taux d’intérêt sans risque sur la période dont témoigne l’évolution des taux de rendement : 7,18 % en 1950, 1,22 % en 2000 et des PER moyens : 7,5 en 1950, 28,9 en 2000.

Avec des taux d’intérêt sans risque à 10 ans actuellement de 3,90 % aux Etats-Unis et de 4,50 % en Europe, la baisse des taux semble derrière nous et une éventuelle hausse à moyen terme des taux d’intérêt a de grandes chances de produire les effets exactement inverses de ceux de la baisse …



Q&R : Comment valoriser les intérêts minoritaires ?

Comment traiter les intérêts minoritaires dans une évaluation par actualisation de flux de trésorerie disponibles ?

Les intérêts minoritaires correspondent à la part du résultat ou à la part des capitaux propres qui revient aux actionnaires minoritaires dans les filiales consolidées par intégration globale.

Soit les projections financières sont disponibles filiales par filiales. Dans ce cas il est possible de calculer la valeur de chaque filiale. La valeur des actions du groupe est alors égale à la somme des valeurs des actions de chaque filiale multipliée par le pourcentage de détention de la maison mère dans le capital de chaque filiale.

Soit des projections financières ne sont pas disponibles filiales par filiales, mais uniquement au niveau du groupe. La valeur résultant de l’actualisation des flux de trésorerie disponibles est alors celle du groupe comme si celui-ci possédait ses filiales à 100 %. Cette valeur n’est donc pas seulement attribuable aux actionnaires de la maison mère, mais aussi aux actionnaires minoritaires des filiales.

Une approche simple par multiple pourra être retenue. En simplifiant à l’extrême, le PER implicite du groupe pourra être appliqué au résultat net revenant aux minoritaires pour avoir une première idée de la valeur des intérêts minoritaires. Alternativement, le PBR (3) implicite du groupe pourra être appliqué aux intérêts minoritaires apparaissant au bilan. En revanche, nous déconseillons de retenir pour valeur des intérêts minoritaires le montant comptable qui figure au bilan qui n’est qu’un pis-aller un peu rapide.

1) Voir le Vernimmen 2002, page 467.
2) The Equity Premium, Journal of Finance - avril 2002.
3) C’est à dire le price to book ratio, rapport de la valeur de marché des capitaux propres sur leur montant comptable.


Autre : BIBLIOGRAPHIE : Marchés financiers de B. Jacquillat et B. Solnik

Bertrand Jacquillat et Bruno Solnik viennent de faire paraître la quatrième édition de leur ouvrage de référence « Marchés Financiers, gestion de portefeuilles et des risques » qui est à la finance de marché ce que le Vernimmen est à la finance d’entreprise.

 

Le premier chapitre est consacré à la présentation des institutions financières et à leur environnement. Il permet au lecteur d’acquérir une certaine familiarité avec le cadre institutionnel et opérationnel des marchés financiers. Puis les auteurs développent le concept de marché efficient qui est la pierre angulaire de tout raisonnement ; l’oublier conduit à s’exposer à des déconvenues. Les quatre chapitres suivants sont consacrés à la théorie de portefeuille, à l’analyse du risque et à la rentabilité qui débouche sur l’évaluation de l’action. Les auteurs y glissent astucieusement des développements consacrés à la VAR où ils montrent bien qu’à l’instar de certaines pièces vestimentaires, la VAR cache l’essentiel. La VAR n’est pas la perte maximum possible mais une mesure de la perte possible dans des conditions relativement normales de marché. Le vrai risque est au-delà de ces conditions et la VAR ne la chiffre pas.

Après un chapitre consacré à la gestion obligataire, les contrats à terme et les options font l’objet des développements suivants. Les deux derniers chapitres sont consacrés à la gestion de portefeuille proprement dite : types de gestion et mesures des performances des gérants.

Les deux auteurs sont uniquement bien placés pour produire un ouvrage qui présente les concepts et les techniques modernes d’analyse des marchés financiers et leurs applications à la gestion de portefeuilles et des risques. Chercheurs reconnus, pédagogues familiers de Berkeley, HEC, Stanford, Dauphine, Insead, Polytechnique et Sciences Po. Paris, patriciens des affaires.

B. Jacquillat est co-fondateur et le président d’Associés en Finance qui évalue en continu 300 entreprises européennes et en déduit notamment des paramètres de coût du capital (primes de risque et de liquidité).
B. Solnik est le conseil régulier de banques et d’institutions financières internationales et son dernier article de recherche vient d’être couronné par l’association américaine des professionnels de l’investissement financier.



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