La Lettre n°125 de Septembre 2014

Actualités : Le Vernimmen 2015 vient de paraître

Votre nouveau Vernimmen s’ouvre par un texte de mise en perspective de l’actualité économique et financière des 12 derniers mois et de réflexions sur les 12 prochains mois.

Des développements nouveaux ont été écrits concernant en particulier le seuil de rentabilité et les paramètres de choix entre offre amicale et offre hostile pour la prise de contrôle d’une entreprise.

Naturellement, nous avons fait notre travail habituel de mise à jour pour vous offrir un outil de travail au quotidien, aussi précis, fiable et exhaustif et pertinent que possible, intégrant :

• les nouvelles dispositions boursières (comme la loi « Florange »), juridiques (le décret « Alstom » et la sauvegarde accélérée), comptables et fiscales (comme le nouveau taux d’impôt sur les sociétés pour les groupes réalisant plus de 250 M€ de ventes) ;

• l’ensemble des statistiques et graphiques actualisés présentant les données les plus récentes à juin 2014 (plus de 100 tableaux et graphiques). Vous éviterez par exemple de prendre comme prime de risque sur le marché action un chiffre vieux d’un an (8 %), de deux ans (9,4 %), de trois ans (6,5 %), de quatre ans (8 %), de cinq ans (7,6 %), voire de 7 ans (3,4 %). Et donc une sous-évaluation ou une surévaluation de l’actif à valoriser du simple au double ou au triple ;

• les derniers travaux de recherche ayant des applications pratiques.

C’est ainsi que cette année entrent dans le Vernimmen les termes Alternativa, covenant light et cov lite, cut-off, EMIR, garantie de bonne fin, garanties de bonne exécution, garantie de soumission, heure de caisse, impasse de refinancement, Isodev, lender led, performance bond, sauvegarde accélérée, unirate, etc.

Comme tout classique, le Vernimmen vous offre des socles de savoir forgés par la pratique et enrichis par des réflexions conceptuelles, lesquelles ne vous laissent jamais désarmés face à un problème ou une situation financière :

• le plan type d'une analyse financière et d’une analyse boursière ;

• les outils de mesure de la création de valeur ;

• les techniques de placements des actions, des obligations, des crédits syndiqués ;

• etc.

Pour vous aider à mieux utiliser « votre Vernimmen », chaque chapitre se clôt par un résumé, des exercices (174 en tout) et des questions corrigées (771).

Nous avons utilisé le rabat de couverture pour présenter dans un lexique français-anglais-américain les principaux termes de la finance, ainsi qu'une antisèche (« le Vernimmen » résumé en une page !).

Tant en annexe que dans le corps du texte, de très nombreux graphiques et tableaux vous donnent des éléments de référence et de comparaison. Afin de vous aider à aller au-delà, si besoin, chaque chapitre est doté d'une bibliographie avec des conseils d'orientation vers des papiers de recherche fondamentale ou des articles de presse ou des livres. Enfin, l'index comprend plus de 1 700 entrées.

Voici ce que certains de ses utilisateurs ont écrit sur le Vernimmen 2015 :

« Le Vernimmen est l’ouvrage de référence en finance. Il est clair, exhaustif, et vivant. Du coût du capital à la politique de redistribution et de l’évaluation de l’entreprise à la gestion de la trésorerie, tous les éléments de la finance d’entreprise sont étudiés en détail. Alliant théorie et pratique, le Vernimmen vous apprendra à aimer la finance, vous préparera aux entretiens, et vous accompagnera durant votre carrière. »

Raphaël Charbit, étudiant en MBA à NYU Stern

« Chaque année, j’attends la nouvelle édition du Vernimmen, comme on attend avec curiosité et confiance le nouveau millésime d’un grand cru. J’ai pu bénéficier – et avec quel plaisir – de l’enseignement de Pierre Vernimmen. Je n’en suis que plus reconnaissant à Pascal Quiry et à Yann Le Fur d’avoir non seulement maintenu, mais enrichi, modernisé et complété, après année après année, le livre de référence. Cet ouvrage est aujourd’hui, pour tout ce qui est finance d’entreprise, de l’analyse financière à la politique et à la gestion financières, une institution vivante, évolutive et, in fine, pédagogique, au sens le plus beau et le plus généreux du terme. »

Olivier Klein, directeur général de la BRED

« En réunion avec mes collaborateurs, combien de fois n'ai-je pas dit, vérifions ensemble tout de suite dans le Vernimmen ! »

Xavier de Mézerac, directeur financier du Groupe Auchan

« Le Vernimmen est une référence pour les acteurs du monde financier. Or dans un domaine en très forte évolution, chacun a absolument besoin de repères.

Parce qu’il allie théorie et pratique, rigueur académique et souci de ne faire l’impasse sur aucun développement majeur en finance (actualisation annuelle et nouveaux chapitres), le Vernimmen est sans cesse plébiscité par les praticiens, les enseignants et les étudiants. L’ouvrage est complété par un site internet et une newsletter mensuelle. Le tout constitue une boîte à outils et un dispositif de « veille » épatant pour qui veut non seulement apprendre mais aussi suivre efficacement les évolutions du monde financier.

Plus fondamentalement, ce qui distingue le Vernimmen, c’est la volonté de ses auteurs P. Quiry et Y. Le Fur, tous deux professionnels et enseignants en finance, de rendre accessible à tous, l’expérience des meilleurs praticiens. Les lecteurs, chaque année plus nombreux, toujours exigeants mais fidèles, ne s’y sont pas trompés. »

Christine Servey-Chassaigne, professeur à l’EM Strasbourg

« Le Vernimmen est la référence absolue pour les professionnels et les étudiants de la finance. Il permet de comprendre des théories complexes grâce à des explications claires, précises et fiables. C'est un outil pédagogique complet (version papier et numérique, site internet, lettre mensuelle) qui a su évoluer au fil du temps pour proposer une combinaison optimale entre théorie et pratique.

Aujourd'hui, je ne peux pas me passer du Vernimmen. Je ne cesse de le consulter et je continue d'apprendre et de comprendre au fil de mes lectures. »

Omar Senhaji, dirigeant associé SOFABEME, intervenant à HEM

 

Tant la version électronique en ligne que la version iPad du Vernimmen vous offrent en plus :

•       les podcasts de nos MOOC sur l’analyse financière ou l’évaluation des entreprises et de nos cours à HEC Paris (sur le LBO, les fusions-acquisitions, l’augmentation de capital, la structuration de la dette, etc.) ;

•       la totalité (pour la version en ligne) ou la quasi-totalité (pour la version iPad) des archives de La Lettre Vernimmen.net depuis son premier numéro de juin 2001 (soit 1 000 pages environ) ;

•       un glossaire de plus de 2 300 termes de la finance. Pour la version en ligne, nous réalisons à mi-année une actualisation des statistiques et des tableaux et incluons les changements majeurs des réglementations comptables, fiscales, juridiques et boursières ;

•       le chapitre consacré à l’histoire de l’analyse financière.

Naturellement les abonnés à la version électronique en ligne du Vernimmen (www.vernimmenenligne.fr) disposent de la nouvelle édition 2015 depuis début août. Si vous souhaitez les rejoindre, cliquez ici.

Si vous disposez d’un iPad et souhaitez y intégrer le Vernimmen 2015 enrichi, cliquez ici.

Pour vous procurer l’édition papier du Vernimmen 2015, cliquez ici. Ses propriétaires bénéficient de conditions tarifaires réduites pour s’abonner aussi à la version en ligne.

Nous vous souhaitons autant de plaisir à utiliser votre nouveau Vernimmen 2015 que nous en avons eu durant ces 700 heures nécessaires pour le créer !



Actualités : Gérer les finances d'une entreprise en période de déflation

Peu de nos lecteurs ont été confrontés dans leur vie professionnelle à la situation de devoir gérer les finances d'une entreprise en période de baisse régulière des prix. Il est vrai que la dernière fois où cette situation a été observée en Europe est dans les années 1930.

Avec actuellement une inflation annuelle moyenne en Europe de 0,3 %, on ne peut pas dire que l'économie de cette zone soit entrée en période de déflation. Mais derrière une moyenne, il y a le plus souvent une dispersion ; certains segments de l'activité économique sont sans aucun doute entrés en déflation. Ainsi les cabinets d'audit dont les honoraires ont baissé de 4 % en 2013 par rapport à 2012 sur le segment des membres du CAC 40 : 731 M€ contre 756 M€. Sur les 12 derniers mois, les prix de l’alimentation ont baissé de 1,5 % en France et ceux des produits manufacturés de 1,3 %. Certains secteurs sont structurellement confrontés à des baisses de prix de leurs produits, comme le matériel informatique par exemple.

Une situation de déflation plus ou moins généralisée qui durerait plusieurs années se caractériserait par une baisse continue des prix de ventes, par des volumes de ventes en baisse (pourquoi acheter maintenant si je pense que demain je peux me procurer le même bien moins cher), des volumes de production en baisse (pourquoi produire autant si les ventes en volume baissent), des marges en baisse (produire avec des coûts d’hier et vendre à des prix de demain plus bas), des taux d'intérêt réels élevés (car on a peine à imaginer que les taux d'intérêt nominaux aux entreprises puissent devenir négatifs) ; tout ceci débouchant sur un taux de faillite élevé et des baisses des valeurs des capitaux propres.

Notre objet ici n'est pas de prédire si tous les secteurs de l'économie connaîtront une telle évolution, ni combien de temps cette situation peut durer, mais de regarder quelles sont les mesures qu'un directeur financier soucieux de protéger son entreprise contre le risque de déflation pourrait proposer au dirigeant de l'entreprise.

Sept mesures de nature financière et non opérationnelle nous semblent devoir figurer sur la liste de notre directeur financier :

1/ Se désendetter au maximum car la dette risque d'avoir en période de déflation un taux d'intérêt réel élevé, même si les taux nominaux sont très faibles ; soit un effet ciseau très négatif compte tenu d'une activité en volume qui baisse. C’est en effet un paradoxe en période de taux d’intérêt nominaux très bas (par exemple 2 %) que d‘avoir un taux réel élevé (par exemple 5 %). Il suffit pour cela que l’inflation soit de - 3 %. On retrouverait alors les taux d’intérêt réels des années 1980 de lutte contre l’inflation.

Source : INSEE.

À cet effet, l'entreprise pourra procéder à des augmentations de capital pendant qu'il en est encore temps (c'est-à-dire avant que la déprime ne s'installe sur le marché des actions), céder des capacités de production qui risquent de devenir excédentaires pendant un certain temps, et céder des actifs hors exploitation (immobilier hors exploitation, participations minoritaires, diversifications).

On ne pourra être que frappé des annonces répétées, depuis le début de l’année, de grands groupes faisant part de leur volonté de céder des actifs devenus périphériques pour se concentrer sur quelques produits phares de leur portefeuille : BHP Billiton dans les mines, GlaxoSmithKline et Sanofi dans la pharmacie, Unilever dans les biens de consommation, etc.

2/ Céder tout ou partie de l'immobilier d'exploitation qui peut être cédé afin de se désendetter et le prendre en location à des loyers indexés qui ont toutes chances de baisser dans le futur.

3/ Passer le solde de l'endettement bancaire et financier à taux variable afin de pouvoir bénéficier de taux d'intérêt nominaux qui ont toutes chances de baisser.

4/ Allonger la durée de l'endettement résiduel, afin de limiter les sorties annuelles de liquidités.

5/ Dans la limite du possible, réduire le BFR, tant les stocks afin de limiter les sources de moins-values potentielles (produits finis) ou de surcoûts (matières premières) que les postes clients, sources de pertes potentielles (faillites).

6/ Investir les liquidités dans des actifs dont le directeur financier aura vérifié par lui-même la solvabilité à l'aune de cette nouvelle période économique. Il faut se rappeler que durant la crise des années 30, les agences de rating n'avaient pas démontré une capacité supérieure à anticiper les insolvabilités. Les exemples plus récents d’Enron et des subprimes ne montrent malheureusement pas une amélioration significative sur ce point.

Ces liquidités seront utilisées le moment venu, pour acheter à bon compte des outils industriels bradés par ceux pris à la gorge par la dette.

7/ Privilégier, pour restituer des liquidités aux actionnaires, les rachats d'actions aux dividendes plus difficiles à réduire.

Au niveau opérationnel, le directeur financier devra plaider pour des stratégies de « variabilisation » des coûts et pour le maintien de dépenses de recherche et développement car l’innovation est probablement l’un des moteurs de protection contre la déflation.

                                                                        *             *             *

Au total, et sans beaucoup de surprise la déflation étant l’opposé de l’inflation, gérer financièrement en période de déflation consiste à faire l’opposé des mesures prises en période d’inflation : s’endetter à taux fixe pour profiter de taux d’intérêt réels négatifs, surproduire et surstocker pour faire des profits d’inflation.

Si ces mesures au niveau des entreprises font sens, il est clair qu´au niveau macroéconomique, elles contribuent à renforcer les pressions déflationnistes et donc à entretenir ce que l'on craint. Une fois de plus, la psychologie est très importante en finance.



Tableau : Les taux d'impôt dans le monde

Le taux moyen d’impôt sur les sociétés dans les pays de l’OCDE s’est établi en 2014 à 24,11 % en baisse continue depuis 1993 (38 %) ! Mais les pays de l’ex-bloc soviétique ont fait baisser la moyenne d’autant que le périmètre de l’étude de KPMG s’est élargi à de nombreux petits pays qui ont plutôt des faibles taux d’impôt pour attirer les investissements. Cela dit, de plus en plus de grands pays européens ont des taux d’impôt aux alentours de 20 % : Suède 22 %, Royaume-Uni à 21 % (et avec un objectif de 20 % en 2015 contre 30 % en 2008), la Russie y est déjà et la Pologne est un peu en-dessous comme la Suisse.

Taux faciaux d’impôt sur les sociétés dans les pays de l’Union européenne, de l’OCDE et dans le monde (Source : KPMG).

L’écart entre la France et le Royaume-Uni est maintenant pour les groupes de 17 points. Autrement dit, le même bénéfice avant impôt se traduit par un résultat après impôt de 27,4 % supérieur outre-Manche à ce qu’il est ici, et donc par un autofinancement supérieur. Et comme on croit comprendre que le projet du gouvernement de réduire le taux de l’imposition sur les sociétés françaises à 30 % sera à coût budgétaire nul, de nouvelles taxes étant créées pour compenser, cet écart n’est pas près de se réduire, malheureusement pour la compétitivité des entreprises françaises.

Comme Henri Lagarde l’a très bien montré[1] ces taux ne sont que des taux faciaux qui cachent des modalités d’application qui, en France, ont tendance à alourdir le taux effectif.

[1] Voir La Lettre Vernimmen.net n°110 d’octobre 2012.

 



Recherche : Culture et couverture

avec la collaboration de Simon Gueguen - Enseignant-chercheur à Paris Dauphine

Nous avons présenté dans le précédent numéro de La Lettre Vernimmen un article qui montrait l’influence de la régulation financière sur le comportement des entreprises (en l’occurrence, les décisions d’investissement en R&D). S’il est avéré que l’environnement légal a des conséquences nombreuses en finance d’entreprise, il est probable qu’il ne constitue pas la seule explication aux différences de pratiques entre les pays. L’article que nous présentons ce mois[1] montre que la « culture » d’un pays est aussi à prendre en compte, au-delà des caractéristiques légales formelles. Il porte sur le comportement des entreprises du secteur de l’énergie en matière de couverture (couverture contre le risque de taux, le risque de change, et le risque de variation de cours des matières premières), selon les caractéristiques culturelles du pays dans lequel elles se trouvent.

La difficulté pour ce genre d’étude est de construire des instruments de mesure pour une notion aussi peu quantifiable que la culture. Les auteurs s’en sont remis pour cela à un ouvrage publié en 2001[2], qui a proposé différents indices de mesure selon différentes caractéristiques culturelles. Quatre caractéristiques ont été étudiées par l’article présenté :

  • L’orientation long terme. Cet indice mesure la capacité à attendre des résultats sur le long terme, par opposition à des pays court-termistes dans lesquels les résultats doivent être immédiats. Sur les 23 pays testés, les pays les plus long-termistes sont des pays asiatiques (la Chine, Hong-Kong, Taiwan, le Japon, la Corée du Sud). Les plus court-termistes sont le Pakistan et le Nigeria. Les États-Unis et la Grande-Bretagne sont relativement court-termistes (17e et 18e sur 23). La France n’est pas dans la liste.
  • L’aversion à l’incertitude. Les pays avec un indice élevé n’aiment pas l’incertitude (et sont donc prêts à payer pour l’éviter). Les plus élevés sont la Grèce et le Portugal, les plus faibles la Jamaïque et Singapour. La France a un indice élevé, les États-Unis et la Grand Bretagne un indice faible.
  • La distance au pouvoir. Lorsque l’indice est élevé, la société accepte plus facilement les inégalités de pouvoir ; potentiellement, les chefs d’entreprise auront davantage de marges de manœuvre. La Malaisie, le Guatemala et plusieurs pays sud-américains ont les indices les plus élevés ; les plus faibles sont pour l’Autriche, Israël et le Danemark.
  • La « masculinité » des valeurs. Sont considérés comme « masculins » des pays dans lesquelles les valeurs privilégiées sont la compétitivité et la réussite matérielle, alors que sont « féminins » les pays dans lesquels la modestie, la douceur et la qualité de vie sont mises en avant. Nous laissons ces appréciations à la responsabilité de l’auteur ! Ainsi, seraient « masculins » le Japon, l’Autriche et le Venezuela, et « féminins » la Suède, la Norvège et les Pays-Bas.

Les résultats de l’étude économétrique sont mitigés. Les seuls impacts significatifs, économiquement et statistiquement, sur les comportements de couverture sont les suivants :

  • l’orientation long terme réduit à la fois la probabilité de se couvrir et le montant de la couverture ;
  • la masculinité réduit la probabilité d’utiliser des options (plus coûteuses que les futures, car asymétriques) comme instruments de couverture.

Cette étude est certainement critiquable par bien des aspects : la mesure quantitative (reprise d’un autre auteur) des spécificités culturelles, le secteur unique, les liens de causalité peu clairs (est-ce la culture qui influence les entreprises, ou le comportement des entreprises qui constitue la culture ?)… Mais l’article est utile pour au moins deux raisons. Il montre que le comportement de couverture dépend en partie du pays où se trouve le siège de l’entreprise, et que les caractéristiques importantes des pays ne se limitent pas aux aspects formellement légaux.             

[1] M. Lievenbruck et T. Schmid (2014), “Why Do Firms (Not) Hedge – Novel Evidence on Cultural Influence”, Journal of Corporate Finance, n° 25, pages 92 à 106.

[2] G. Hofstede (2001), Culture’s Consequences: Comparing Values, Behaviors, Institutions, and Organizations across Nations, vol. 2, Sage Publications, Thousand Oaks.

 



Q&R : Quel est le fondement des tax inversion transactions ?

Depuis quelques trimestres, on a pu voir une recrudescence des opérations de fusion-acquisition impliquant un acquéreur américain qui se fait « acquérir » par sa cible étrangère, en particulier, mais non exclusivement, par des sociétés anglaises et dans le secteur de la pharmacie. Les spécialistes parlent alors de tax inversion et chiffrent le montant des opérations en cours ou réalisées depuis 2013 à presque 200 Md$ (Chiquita Brands-Fyffes, AbbVie-Shire, Medtronic-Covidien, Liberty Global-Virgin Media, Burger King-Tim Hortons, etc.).

On se rappelle[1] que le régime mère-fille qui exonère quasiment d’impôt sur les sociétés les dividendes perçus de filiales sur des profits déjà imposés en France ou à l’étranger[2] n’existe pas aux États-Unis. Quand une entreprise américaine rapatrie aux États-Unis des dividendes de ses filiales étrangères, elle est normalement imposée sur ces dividendes au taux normal d’imposition des bénéfices aux États-Unis (35 % au niveau fédéral) en bénéficiant toutefois d’un crédit d’impôt plafonné à l’impôt payé sur ces profits dans le pays de leur réalisation. Ainsi un résultat avant impôt sur les sociétés de 21 % au Royaume-Uni de 126, conduit à un résultat net de 100. Si 50 est versé en dividende à la maison mère américaine[3], celle-ci payera aux États-Unis un impôt de 35 % x 63 – 21 % x 63 = 9. Les 63 correspondent à la moitié du résultat avant impôt de la filiale anglaise qui est versé en dividende. Dès lors qu’ils sont rapatriés aux États-Unis, les bénéfices des filiales étrangères des groupes américains sont donc imposés in fine au taux américain de 35 %, sauf ceux réalisés dans des pays ayant un taux d’impôt plus élevé comme la France pour les entreprises faisant plus de 250 M€ de chiffre d’affaires[4].

Cette structure fiscale explique que bon nombre de groupes américains ne rapatrient aux États-Unis que le minimum de dividendes nécessaires pour faire face à la charge de leurs dettes et des dividendes qu’ils payent à leurs actionnaires, sauf quand ils proviennent de pays imposant plus lourdement les bénéfices. Le solde reste dans les filiales étrangères dans l’attente hypothétique d’une amnistie fiscale temporaire comme il y en a eu dans le passé. Souvent l’optimisation fiscale, voire la fraude, viennent se rajouter : par le biais des prix de cession interne, de redevances, etc., les profits avant impôts sont localisés dans les pays européens les plus cléments (Irlande à 12,5 %, Suisse en moyenne à 18 %, Royaume-Uni à 21 % et 20 % l’an prochain, venant de 28 %).

Si dans le cadre d’une opération de fusion-acquisition, une entreprise américaine se fait acheter par une entreprise étrangère, que les actionnaires étrangers gardent au moins 20 % de cette société étrangère pendant au moins 12 mois et que 25 % au moins des actifs, ou des salariés ou de la masse salariale ou du résultat sont réalisés dans le pays de l’entreprise étrangère, alors le domicile fiscal du groupe américain peut migrer des États-Unis vers ce pays. Comme notre lecteur l’aura compris, la règle des 20 % minimum du capital détenu par les actionnaires non américains permet au groupe américain, même devenu anglais ou irlandais, de continuer à être contrôlé par les mêmes actionnaires, le plus souvent américains.

Une fois devenu « anglais », notre groupe américain continuera de payer un impôt fédéral au taux de 35 % sur ses profits américains, mais n’aura pas de surcharge d’impôts à payer pour remonter les profits de ses filiales vers sa maison mère « anglaise » puisqu’il existe au Royaume-Uni un régime de type mère-fille. L’économie peut donc être substantielle (le cours de Walgreens a baissé de 14 % quand la société a annoncé début août qu’elle ne saisirait pas l’occasion de l’acquisition du solde du capital d’Alliance Boots pour réaliser un changement de domicile fiscal).

À côté des gagnants, il y a des perdants : le fisc américain bien sûr qui réfléchit à modifier le seuil de 20 % pour le faire passer à 50 %, ce qui impliquerait une perte de contrôle de l’entreprise américaine par ses actionnaires actuels, de nature à les faire réfléchir à deux fois avant de réaliser une tax inversion. Mais aussi les concurrents des groupes américains dans la réalisation d’une acquisition qui ne bénéficient pas de cet avantage fiscal et sont donc moins susceptibles de l’emporter. Il y a enfin les dirigeants de sociétés situées dans les pays à faible taux d’impôt, cibles toute désignées des tax inversion (cf. AstraZeneca). Voilà au moins un risque auquel ne sont pas soumis les groupes français... 

[1] Voir La Lettre Vernimmen.net de mai 2013, n°115.

[2] Voir le chapitre 37 du Vernimmen 2015.

[3] On néglige ici l’impact des retenues à la source.

[4] Voir La Lettre Vernimmen.net de février 2014, n°122.

 



Autre : NOS LECTEURS ÉCRIVENT : Système monétaire international : faut-il contrôler les flux de capitaux ? Note de lecture : « Dilemma not Trilemma », intervention d'Hélène Rey à Jackson Hole, 2013 par François Meunier.

Hélène Rey, une économiste française, a présenté en 2013 un papier qui fait date. Elle l’a présenté devant l’aréopage des banquiers centraux du monde entier, réunis comme chaque année à Jackson Hole[1]. Le papier traite bien sûr de finance internationale, mais certaines considérations font appel à la finance d’entreprise, sujet plus habituel de La Lettre Vernimmen.net.

La thèse : on présentait habituellement le système des taux de change flexibles comme la recette miracle. Un pays pouvait s’inscrire dans un monde ouvert où les capitaux circulent librement (et donc ramasser les avantages supposés de la mondialisation financière) tout en conservant sa pleine autonomie en matière de politique économique et monétaire. Par exemple, selon la vision classique, si la FED hausse ses taux et devient restrictive dans la création monétaire aux États-Unis, il reste possible pour les banques centrales de l’UE ou du Japon de rester « accommodantes » en maintenant leurs politiques de taux bas. La variable d’ajustement est le taux de change – le dollar vis-à-vis de l’euro ou du yen –, qui va, dans l’exemple précis, s’apprécier par rapport aux deux autres devises.

Hélène Rey montre qu’il n’en va pas ainsi. Il y a empiriquement une forte corrélation entre les flux de capitaux et entre les prix d’actifs ; il y a de même un cycle de crédit global. De plus, ce cycle de crédit est fortement relié à la conjoncture monétaire et financière des grands centres financiers internationaux, à commencer par les États-Unis. Il est relié aussi à l’index VIX qui mesure la volatilité implicite du S&P500. Autrement dit, il est vain pour un pays périphérique de penser pouvoir s’isoler des décisions prises par la FED, même s’il adopte un taux de change complètement flexible. Ainsi, la politique de taux bas adopté par Greenspan aux États-Unis au début des années 2000 a inondé de crédit le reste du monde. L’ajustement par les taux de change n’a pas joué. C’est un peu comme si on en était restés à un système de taux de change fixes, cas où un boom du crédit dans un pays dominant se déverse dans les pays voisins. (Pour illustrer ce dernier point, le recyclage direct et indirect des excédents de balance courante allemands dans la zone euro – qui maintient par définition un taux de change fixe – a causé les booms meurtriers de l’immobilier en Espagne et en Irlande, une réalité que Madame Merkel a du mal à reconnaître.)

Une question importante est de savoir pourquoi les variations de change ne sont pas suffisantes pour absorber les chocs qui adviennent dans le pays financièrement dominant, alors qu’elles s’effectuent avec des coûts de frottement infinitésimaux. Une raison possible, selon Rey, vient des grandes institutions financières internationales et notamment, dans la période de montée des tensions jusqu'à la crise financière de 2008, des grands acteurs européens du trade finance, dont BNPP et SocGen. Ces banques se sont massivement refinancées sur le marché monétaire en dollars aux États-Unis pour prêter dans le monde entier, et notamment en Europe (ce qui a aidé aussi à certaines bulles de crédit). Un carry trade classique. La politique de crédit facile conduite par la FED a été ainsi une politique de crédit facile pour le monde entier, quelles qu’aient été les conditions monétaires dans les autres grands pays.

Pour un banquier central « orthodoxe », cette corrélation mise en évidence arrive comme un cafard dans le potage familial. Pour être précis, sa doctrine reposait sur le triangle d’impossibilité (ou trilemme) de Mundell, selon lequel il est impossible d’avoir simultanément une politique monétaire indépendante, des taux de change librement fixés sur le marché et une complète ouverture aux flux de capitaux. (Par exemple, si le pays fixe son taux d'intérêt à travers sa politique monétaire et souhaite piloter son taux de change, l’équilibre se fera forcément par des sorties ou des entrées de capitaux. Même raisonnement pour les variables prises deux à deux.) D’un point de vue pratique, le banquier central utilisait ce résultat à l’envers, sans trop respecter la logique : il pensait possible, comme dit plus haut, de piloter les taux d'intérêt du pays tout en maintenant l’ouverture des capitaux, le taux de change faisant le travail d’ajustement. Il restait lucide, bien-sûr, et savait que les mouvements du taux de change peuvent soutenir sa politique monétaire via les taux d'intérêt. Pour illustrer ceci d’un exemple, Mario Draghi souhaite maintenir des taux bas dans la zone euro frappée d’un malaise conjoncturelle, au moment où la FED s’essaye au tapering, c'est-à-dire à une remontée toute progressive des taux. Ceci alimente un mouvement de remontée du dollar face à l’euro, qui précisément sert les objectifs de la BCE, puisqu’il augmente la compétitivité de l’Union européenne face aux États-Unis et réduit celle des imports.

Or, il y a un coût important à cette circulation mondiale du crédit : le boom peut advenir précisément lorsque le pays en question doit au contraire restreindre son offre de crédit. L’effet est déstabilisant. Il a été à la base de la propagation de la crise financière des subprimes des États-Unis vers le reste du monde.

Ce coût doit être mis en regard des deux avantages décisifs attribués à la globalisation financière, à savoir : 1) une allocation meilleure des ressources, là où le rendement attendu du capital est le plus élevé, et 2) une mutualisation du risque et donc un rôle d’assurance accru du système financier international.

Pour autant, ces avantages représentent-ils au final un gain pour les pays périphériques ? Hélène Rey cite de nombreux travaux qui montrent que le gain est au total assez élusif. Tout au plus arrive-t-on à discerner le fait que les flux d’IDE (investissement direct à l’étranger) sont plus efficaces du point de vue de la croissance et du bien-être que les flux d’autres types de capitaux ; ou encore que l’ouverture favorise davantage les pays à système financier mûr plutôt que ceux dont les systèmes financiers sont embryonnaires. (Elle concède toutefois qu’il existe des gains indirects, mais particulièrement difficiles à mesurer. Par exemple, la plus grande intégration financière d’un pays dans les marchés de capitaux internationaux représente un apport d’expertises, de profondeur financière, de technicité en matière de gestion du risque, qui au total est bénéfique pour la croissance du pays.)

Comment améliorer le système financier international ?

Dès lors, la balance coûts/avantages tourne au négatif. Quels sont les moyens de contrevenir à ce que Rey appelle le « duo irréconciliable » (liberté des capitaux et politiques monétaires étanches) ? Elle cite :

  • le contrôle des capitaux, bien-sûr, autrefois un vilain mot pour les décideurs du FMI ;
  • mieux, pour les économies avancées, la politique prudentielle, celle qui vise à la santé du système bancaire et financier du pays. Par exemple, en cas de surchauffe du crédit dans un pays, différents moyens sont à disposition des autorités monétaires pour le refroidir : par exemple, exiger des apports personnels plus élevés ou des ratios dette / valeur d’actifs moindre sur le crédit immobilier. Par exemple aussi, accroître cycliquement le ratio de solvabilité requis pour les banques du pays. Un ratio de fonds propres élevés pour les banques (une mesure dont beaucoup se font les avocats dans le débat actuel sur la régulation des banques) a aussi la vertu d’accroître l’étanchéité : elle limite la capacité d’endettement des banques dans les pays dont les taux sont bas (le carry trade) ;
  • Hélène Rey est plus sceptique sur ce qui lui apparaît pourtant comme une nécessité future, à savoir la coordination des banquiers centraux, de façon à ce que les répercussions d’une option de politique monétaire dans les grands pays soient collégialement examinées avant toute décision. C’est politiquement et pratiquement difficile à faire ; ce peut être aussi en contradiction avec les mandats respectifs des banques centrales.

Au total, appuyé par un appareillage statistique impressionnant, le papier bouscule pas mal d’idées convenues et d’orthodoxie des banquiers centraux. C’est une contribution de plus, et peut-être une des plus décisives, dans le changement d’angle du FMI qui juge désormais que ses politiques d’ajustement des balances des paiements conduites à la hache précédemment –on se souvient des critiques qui lui ont été adressées à propos de ses actions lors de la crise asiatique de la fin des années 90 – ont été absolument néfastes, ce que Stiglitz répétait à l’envi.

Quel lien avec la finance d’entreprise ?

Le papier oblige à s’interroger sur la fonction d’assurance jouée par l’internationalisation financière. On sait bien-sûr qu’ouvrir les frontières aux flux de capitaux élargit le champ de placements des investisseurs financiers et assure ainsi une meilleure diversification de son patrimoine.

Mais un autre lien existe, qui passe par la structure de bilan des pays.

Pour le faire comprendre, imaginons deux entreprises, 1 et 2, portant chacune à leur bilan un actif économique A1 et A2. En plus de cela, supposons que l’entreprise 2 investisse en fonds propres dans l’entreprise 1 et finance cet investissement en émettant des titres de dette acquis par l’entreprise 1. Le lien est circulaire – et peu réaliste –, mais a des caractéristiques de risque très particulières.

En effet, supposons que l’actif économique de l’entreprise 2 soit beaucoup plus solide et moins risqué que celui de l’entreprise 1. Dans ce cas, l’entreprise 2 joue un rôle d’assureur de l’entreprise 1. Si ça va mal pour cette dernière, l’entreprise 2 prend sa part des pertes. Par contre, les pertes de l’entreprise 1 sont limitées par le fait que l’actif financier immobilisé par elle en titres de dette de l’entreprise 2 reste très solides. Notez qu’à la différence d’un assureur, qui touche une prime pour sa prise de risque, l’entreprise 2 a une position symétrique : si l’entreprise 1 va très bien, l’effet de levier joue positivement. L’entreprise 2 gagne abondamment d’avoir financé par dette son investissement en actions.

Revenant au papier d’Hélène Rey, c’est cette situation qui se présente à l’échelle internationale. L’entreprise 1, celle qui assure, ce sont les États-Unis ; l’entreprise 2, c’est pour faire simple le reste du monde. En effet, les États-Unis se sont massivement endettés au cours de la décennie 2000 par émission de titres de dette US, notamment par bons du Trésor, et en revanche ont exporté tout aussi massivement leurs capitaux sous forme d’IDE ou d’achats d’actions. (Il y a aussi une transformation court terme/long terme, puisque la dette US est très fortement composée de bons du Trésor, quand bien sûr les investissements en actions n’ont pas d’échéance contractuelle.)

En clair, les États-Unis ont fonctionné et fonctionnent très largement encore comme un gros hedge fund, extrêmement endetté. C’est ce qui explique le paradoxe américain, très visible dans toute la période d’avant la crise financière, celui d’un pays qui jouit de confortables revenus financiers malgré un très fort déficit de sa balance courante et d’une position nette très débitrice vis-à-vis du reste du monde. Évidemment, au moment du retournement conjoncturel de 2008-09, la valeur financière des actifs en actions s’est effondrée alors que la valeur de la dette publique américaine a été préservée, et s’est même accrue en devenant valeur refuge. Le transfert de valeur des États-Unis vers le reste du monde a été gigantesque. L’effet de levier a joué en sens inverse, et très violemment. Au total, le service d’assurance offert par les États-Unis peut être présumé très important. Ils en profitent bien.

Notons enfin, douloureuse découverte récente, que ce service d’assurance lié à la mondialisation financière ne va pas sans générer un risque d’une autre nature, systémique, par lequel des phénomènes de contagion, de défaut de coordination des agents financiers, se mettent en place et peuvent faire basculer d’un coup le système financier.



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