La Lettre n°11 de Juin/Juillet 2002

Actualités : Stock-options, valeur et compte de résultat

Comme nous l'indiquions dans la précédente Lettre Vernimmen.net, les normes comptables américaines permettent soit de comptabiliser les stock-options octroyées comme des charges, soit de les mentionner en note annexe aux comptes. On sait que seules deux sociétés du SP500 suivent la première faculté mais leurs rangs devraient vite grossir. Coca Cola, qui n'est pas un parangon de vertu comptable(1), vient d'annoncer son ralliement ainsi que Amazon.com, Banc One, le Washington Post… Dans le contexte actuel, rendre obligatoire une telle comptabilisation donne l'impression de la rigueur et de nombreuses voix s'élèvent dans ce sens. Mais la précipitation n'est jamais été bonne conseillère. Avant de prendre une telle disposition, nous voudrions rappeler un certain nombre d'idées simples : -

  • les stock-options constituent-elles un mode de rémunération de ceux qui les reçoivent ? Oui ; la pratique de leur attribution s'étant généralisée au niveau mondial à plusieurs centaines de milliers de cadres, il s'agit bel et bien d'une rémunération et souvent d'une partie importante de la rémunération comme le rappelle ce graphique tiré du Vernimmen 2002(2).

  • les stock-options appauvrissent-elles les actionnaires ? Oui, car leur éventuel exercice conduit à émettre des actions à un prix inférieur à leur valeur du moment. Certes, on peut espérer que leur octroi s'accompagne d'une meilleure motivation et d'une plus grande fidélité des collaborateurs de l'entreprise qui viendrait compenser a minima la dilution. Mais autant cette dernière est certaine, autant les effets positifs sont plus difficiles à mesurer et ils peuvent s'accompagner d'effets pervers chez les dirigeants pourvus de stock-options : rétention de dividendes, biais en faveur des investissements les plus risqués et de l'endettement, sans parler de la manipulation comptable qui est d'une toute autre nature.

Faut-il, dès lors, faire apparaître leur valeur au moment de leur octroi comme une charge au compte de résultat ? Nous ne le pensons pas.

Le compte de résultat mesure la création de richesse de l'entreprise sur la période considéré économique. Peut-on dire que l'entreprise se soit appauvrie du montant des stock-options ? Non, ce sont les actionnaires qui se sont appauvris potentiellement au profit des bénéficiaires des stock-options, pas l'entreprise dont l'actif et les dettes valent toujours autant. Ainsi on ne passe pas non plus en charge dans le compte de résultat le coût des capitaux propres qui doit venir en moins du résultat net pour mesurer la valeur créée. De la même façon, seul l'intérêt nominal des obligations convertibles (1 à 3 %) est comptabilisé, le solde qui correspond à la valeur de l'option de conversion n'apparaît pas (ou pas encore) dans le compte de résultat.

Soit le compte de résultat mesure la création de valeur (au sens EVA ou profit économique) et dans ce cas tous les coûts qu'ils soient comptables ou d'opportunité sont à enregistrer, soit il mesure le résultat comptable qui revient à l'actionnaire et dans ce cas on ne voit pas bien pourquoi certains coûts d'opportunités seraient comptabilisés et d'autres pas.

Conceptuellement une charge comptable est un élément qui augmente le montant d'un passif exigible (dotation aux provisions pour risques et charges, frais financiers capitalisés dans une obligation zero-coupon…), qui amoindrit la valeur d'un actif (provision pour dépréciation, dotation aux amortissements, consommation de matières…) ou qui se traduira tôt ou tard par un débours de trésorerie (les autres charges). Or ici il n'en est rien : l'octroi de stocks-options ne se traduira par aucun flux pour l'entreprise si elles ne sont pas exercées et par de nouveaux capitaux propres si elles le sont. De façon lapidaire, une charge peut entraîner une faillite puisqu'elle génère tôt ou tard un amoindrissement des actifs ou une hausse des dettes ; l'octroi de stock-options renforce au contraire la solvabilité de l'entreprise. Comment alors l'octroi de stock-options peut-il être comptabilisé comme une charge ?

A notre avis comptabiliser les stock-options comme des charges est en contradiction avec la définition conceptuelle que donne l'IASB des charges, avec la conception prédominante en Europe (Royaume-Uni compris) de l'entreprise comme une entité dotée d'une personnalité morale qui ne se confond pas avec ses actionnaires.

Nous préconisons pour traiter les stock-options de raisonner en termes fully diluted, comme si toutes les options octroyées qui sont dans la monnaie étaient exercées et que les fonds ainsi recueillis servaient soit à racheter des actions existantes pour leur valeur actuelle (treasury method), soit à rembourser une partie de la dette ou à accroître les disponibilités (méthode de placement des fonds(3)). Le nombre d'actions est naturellement ajusté en conséquence. Pour les options hors de la monnaie, il convient de leur appliquer le même traitement après avoir pris soin de multiplier leur quantité par leur delta qui mesure la probabilité qu'elles achèvent leur vie dans la monnaie. De la même façon en matière de valorisation, la valeur des capitaux propres de l'entreprise qui a émis un nombre important de stock-options est égale à la valeur des actions majorée de la valeur des stock-options.

(1) Voir la Lettre Vernimmen.net de février-mars 2002
(2) Qui sera publié le 5 septembre 2002
(3) Voir page 558 du Vernimmen 2002.


Tableau : Le crédit interentreprises en Europe

La Banque de France (1) publie régulièrement des enquêtes sur les poids des créances clients dans les grand pays occidentaux qui montre une convergence des pratiques et une réduction de l'écart entre les créances clients et les dettes fournisseurs à 4% du total du bilan en moyenne, contre 6,3% en 1989. La France se trouve au même niveau que les Etats-Unis et au niveau de la moyenne.

 

De son coté D&B (anciennement Dun & Bradstreet) montre dans son étude des pratiques européennes de délais de paiement que les plus grosses entreprises sont celles qui respectent le moins les délais convenus à l'inverse des très petites entreprises qui sont les plus ponctuelles. Qui a dit que le besoin en fonds de roulement était l'expression d'un rapport de force ?

Plus inquiétant, seules 50% des entreprises belges, françaises et hollandaises respectent les délais convenus contre environ 65% en Italie et au Royaume-Uni, et 80% en Allemagne.

(1) Dans son Bulletin n° 96 de décembre 2001.


Recherche : La cotation à l'étranger

Joanne Hamet vient de publier une synthèse de ses travaux de recherche (1) qui couvrent l'ensemble des modalités, motivations et conséquences d'une cotation à l'étranger pour une entreprise française.

Au début des années 1970 la cotation à l'étranger (essentiellement Belgique, Suisse et Allemagne) revêtait une connotation plutôt symbolique. La volonté d'être coté au Royaume-Uni puis aux Etats-Unis s'est développé dans les années 1980 et 1990. Aujourd'hui près de 70 entreprises françaises sont cotées sur une place étrangère.

Ces travaux permettent d'abord de nous rafraîchir la mémoire sur les techniques de cotation à l'étranger en particulier aux Etats-Unis avec les American Depositary Receipts (ADR). Par cette technique, une banque américaine reçoit des actions de l'entreprise et émet en contre-partie des ADR qui ont en réalité exactement les mêmes caractéristiques financières que les titres mais ne leur sont pas assimilables. La banque américaine joue en quelque sorte un rôle de miroir.

Ainsi que le rappelle J. Hamet, la cotation à l'étranger représente généralement une contrainte pour l'entreprise. Le marché américain en particulier affiche des exigences importantes en matière de niveau d'information communiqué au marché et de publication des comptes. La cotation à l'étranger engendre donc des coûts directs et indirects importants. On peut alors s'intéresser aux motivations des entreprises pour entreprendre malgré tout cette cotation ; les principales motivations mises en avant sont :

  • des motivations financières : faciliter des augmentations de capital par un accès à un plus grand nombre d'investisseurs, rendre possible les offres publiques d'échange sur des sociétés étrangères, réduire le coût des capitaux propres ou, ce qui est équivalent, accroître la valorisation du titre ;
  • des motivations commerciales : accroître la notoriété de l'entreprise ou de la marque à l'étranger, facilitant ainsi les relations/motivations avec les clients ou les fournisseurs ;
  • disposer d'un moyen de rémunération du personnel des filiales étrangères (stock-options).

La réduction du coût du capital est certainement la motivation la plus stimulante intellectuellement. Elle repose principalement sur la constatation que les marché internationaux demeurent segmentés, les investisseurs domestiques conservant une motivation forte (juridique, fiscale ou culturelle) pour investir dans des titres domestiques. La cotation multiple permet en effet non seulement d'accéder à un plus grand nombre d'investisseurs mais également de réduire l'asymétrie d'information du fait des règles généralement contraignantes de publication, et de véhiculer un signal positif vers son propre marché. Le cliché veut en effet qu'une entreprise qui est passée au travers des fourches caudines de la SEC aura une meilleure image !

Que l'on nous permette de dire que ceci est un mythe ! Les Etats-Unis ne constitue pas, dans ce domaine, un modèle au seul prétexte qu'ils disposent du marché financier le plus vaste, le plus liquide, le plus innovant et le plus efficient de la planète. Les règles comptables françaises et internationales (IAS) sont plus strictes que les règles comptables américaines. Que le directeur des affaires comptables de la COB et le directeur de la doctrine comptable de RSM Salustro Reydel aient pu imposer à Vivendi Universal sur une opération complexe un traitement comptable conforme à la réalité économique auquel les normes comptables américaines et la SEC ne contraignaient pas ce groupe en est une nouvelle preuve. Même si dans ce domaine tout n'est pas parfait de ce coté-ci de l'Atlantique, les européens sont plutôt en position de donner des leçons que d'en recevoir !

L'auteur souligne par ailleurs que la cotation sur différents marché peut perturber l'équilibre de ceux-ci. En effet les échanges sur chacun des marchés risquent d'être plus limités, ne facilitant pas le processus de découverte des prix. Mais les arbitragistes veillent au grain et la compétition des bourses internationales fait en revanche baisser les coûts de transactions.

Les cotations à l'étranger semblent donc présenter des avantages théoriques certains, cependant la pratique montre que les coûts sont importants pour une liquidité obtenue souvent faible. Voici comment se répartissent actuellement les volumes de transaction de plusieurs entreprises cotées en Europe et aux Etats-Unis :

ceci illustre clairement que les investisseurs institutionnels achètent et vendent des actions sur le marché le plus liquide, qui est dans l'immense majorité des cas le marché naturel de l'entreprise.

Croire que la cotation à l'étranger permet d'abaisser le coût du capital est donc assez illusoire. En revanche, elle peut faciliter les acquisitions payées en actions et la motivation des collaborateurs étrangers. Et enfin, la nature humaine étant ce qu'elle est, il est très chic d'être coté à New York…(2)

(1) La cotation des titres d'une entreprise française sur une marché étranger et ses conséquences pour l'actionnaire, PUF, 2001
(2) F. Bancel et U. Mittoo estimaient même que c'était là la première motivation…. Voir European managerial perceptions of the net benefits of foreign stock listings, European Financial Management Journal, vol 7, n° 2, p. 213-236, 2001.


Q&R : Location opérationnelle ou location financière ?

Dans quelles conditions une entreprise qui cède un actif pour le louer ensuite peut-elle le déconsolider ?

De deux choses l'une, soit le lease back est une location simple (operating lease) et l'actif sort alors définitivement du bilan, soit le lease back est une location financière (capital lease ou financial lease) et l'actif est réinscrit au bilan.

Pour pouvoir déterminer si une location est de nature financière ou simple, les normes comptables américaines utilisent l'arbre de décision suivant :

En normes internationales et françaises, les critères sont à peu près similaires même s'ils ne sont pas quantifiés.

Prenons ainsi l'exemple de la société FQD propriétaire d'un immeuble de bureaux d'une durée de vie de 99 ans, qu'elle « loue » à une société ad hoc, par exemple un trust. Celui-ci lui verse immédiatement la valeur actuelle des loyers futurs qui équivalent, compte tenu de la durée du contrat et de celle de l'immeuble (99 ans), à la juste valeur du bien. Immédiatement, le trust sous-loue cet immeuble à FQD pour 30 ans. La valeur actualisée des 30 années de loyer équivalant à 85% de la valeur actuelle de l'immeuble, le trust se finance par un prêt pour 85% de la valeur de l'immeuble, et pour le solde par capitaux propres apportés par un investisseur.

Le contrat de location est une location financière : durée de ce contrat supérieur à 75% de la durée de vie du bien, valeur actuelle des loyers supérieure à 90% de la juste valeur. Comptablement, le trust est devenu « propriétaire » de l'immeuble.

Le contrat de sous-location est une location simple : durée de cette location inférieure à 75% de la durée de vie du bien (30 ans sur 99 ans), valeur actuelle des loyers (85%) inférieure à 90% de la juste valeur. La propriété n'est donc pas transférée du trust vers FQD.

En conséquence, tant en normes américaines qu'internationales le bien sort sans retour de l'actif de FQD.

Economiquement, on remarquera que le trust n'a un risque à la baisse de la valeur de l'immeuble que de 15% (au-delà, compte tenu de sa structure financière, il fait faillite) et a tout le potentiel de hausse.

Si maintenant on ajoutait au schéma précédent une option d'achat au profit de FQD pour racheter le contrat de location à l'issue de la sous-location et une option de vente du contrat de location à l'issue de la sous-location permettant de garantir une rentabilité minimum au trust, alors le bien ne serait pas déconsolidé. En effet, FQD serait toujours en risque à la baisse de la valeur de l'immeuble du fait de l'option de vente consentie au trust et bénéficierait de l'appréciation grâce à l'option d'achat.

Extrait du chapitre 53 sur les montages déconsolidants du Vernimmen 2002.



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