La Lettre n°108 de Juin 2012

Actualités : Y-a-t-il quelque chose à tirer des other comprehensive income ?

Les normes comptables IFRS et américaines imposent depuis quelques années la comptabilisation de changements de juste valeur d’éléments d’actifs ou de passifs, soit en résultat net de l’exercice, soit en capitaux propres. Dans ce dernier cas, la contre partie comptable de cette écriture a lieu, soit dans un tableau à part regroupant ces « autres éléments du résultat global » (other comprehensive income), soit dans un seul tableau qui les regroupent avec le compte de résultat classique. On l’appelle alors « état du résultat global » (statement of comprehensive income). Cette deuxième option est très peu suivie et à juste titre à notre avis car le contenu informatif de ces autres éléments de résultat est faible et ils pollueraient pour une bonne part la lecture du résultat net.

A quoi correspondent ces autres éléments du résultat global ?

En IFRS, six points, et en normes américaines les quatre derniers de notre liste :

1/ Les changements de juste valeur (fair value) des actifs immobilisés corporels

En normes IFRS, les entreprises peuvent valoriser leurs actifs corporels en juste valeur à l’actif de leurs bilans. La plus-value latente fait alors partie des autres éléments du résultat global et des capitaux propres. Ultérieurement, en cas de baisse de la juste valeur, cette baisse est d’abord imputée sur les autres éléments du résultat global jusqu'à effacer leur montant cumulé en capitaux propres, puis, le cas échéant, passe dans le compte de résultat directement comme il se doit.

Très peu de groupes ont opté pour cette possibilité en raison de la complexité de sa mise en œuvre, Portugal Télécom est une exception. Cette option est à différencier de celle permise au moment du passage aux IFRS qui a, par exemple, vu Publicis réévaluer son immeuble du haut des Champs-Elysées (13 500 m² de bureaux et de commerces) de 5 M€ à 164 M€ en 2004 dégageant une plus value latente brute de 159 M€ inscrite en capitaux propres. L’immeuble est dorénavant amorti sur cette base, la valeur historique ayant simplement été réévaluée en 2004 et ne l’a pas été depuis.

Nous pensons qu'un groupe qui recourrait à cette option se singulariserait et signalerait ou confirmerait une situation financière peu brillante puisque ayant besoin d’extérioriser des plus values latentes.

2/ Les changements de juste valeur des actifs immobilisés incorporels

Le principe est le même que pour les actifs immobilisés corporels.

3/ Les changements de valeur des engagements de retraite dus à des changements d’hypothèses

Actuellement en normes IFRS, ils peuvent être inscrits dans le compte de résultat ou passer en autres éléments du résultat global, ou être comptabilisés par la méthode du corridor (1). Avec la nouvelle version de la norme IFRS qui s’appliquera à partir de 2013, la totalité des changements de valeur induits par un changement d’hypothèse en matière de mortalité, de taux de turnover, de date de départ en retraite, d’augmentation des salaires ou des prestations de retraite, devra passer en autres éléments du résultat global. En revanche, les différences entre les taux de rentabilité attendus sur les actifs des plans de retraite et les taux effectivement réalisés chaque année passeront dans le compte de résultat lui-même.

Quel est le contenu informatif de ces variations pour l’analyste ? Faible à notre avis. Tout au plus attirent-ils son attention sur des hypothèses qui ont été prises et qui ne sont plus d’actualité indiquant éventuellement l’agressivité comptable plus ou moins forte des dirigeants.

4/ Les écarts de conversion dus à la consolidation de filiales présentant leurs comptes dans une devise autre que celle de sa maison mère

Sur ce point rien que de très classique, le même principe s’applique depuis longtemps en normes françaises. Le contenu informatif de ces éléments est faible pour l’analyste puisque ces écarts de conversion ne font qu’acter un changement dans le montant comptable de la quote part des capitaux propres des filiales consolidées revenant à la maison mère dû à des variations de change.


5/ Les changements de juste valeur des actifs financiers classés comme disponibles à la vente

Ils sont réévalués au bilan, la plus value latente n’est pas extériorisée au compte de résultat mais passe en autres éléments du résultat global et donc dans les capitaux propres. Le jour où l’actif est cédé, le supplément de valeur obtenu par rapport à la dernière valeur réévaluée au bilan, grossi de toutes les plus-values passées en autres éléments du résultat global, se retrouve au compte de résultat pour constituer la plus-value avant impôt, différence entre le prix de vente et le prix de revient historique.

Quand une perte de valeur doit entraîner une dépréciation de l’actif financier disponible à la vente, celle-ci passe en compte de résultat.


6/ La partie efficace d’une couverture d’un risque financier

Rappelons en effet qu’en l’état actuel de la norme sur les instruments financiers (IAS 39), les variations de juste valeur de la partie jugée non efficace de la couverture en cash flow hedge passent en compte de résultat. Les variations de juste valeur de la partie jugée efficace de la couverture passent eux en autres éléments du résultat global et en capitaux propres. Plus précisément, ceci ne s’applique qu’aux couvertures en cash flow hedge (par exemple les intérêts sur une dette à taux variable) et non aux couvertures de juste valeur (fair value hedge, par exemple la valeur d’une dette à taux fixe).

Lorsque la transaction couverte se produit, les éléments comptabilisés précédemment en autres éléments du résultat global sont alors virés au compte de résultat pour neutraliser le gain ou la perte de valeur sur l’élément couvert puisque la couverture avait été jugée efficace.

* * *

Les autres éléments du résultat global correspondent donc à tous les éléments qui font varier les capitaux propres à l'exception du résultat net, des transactions avec les actionnaires (dividendes, augmentations de capital, annulations d’actions) et des effets des corrections d'erreurs et des changements de méthodes comptables.

Les normes IFRS comme les normes américaines prévoient que les entreprises classent les autres éléments du résultat global soit :

• en éléments qui pourraient être ultérieurement virés au compte de résultat ;
• en éléments qui ne seront pas virés ultérieurement au compte de résultat ;

Parmi ces derniers, signalons principalement les changements de juste valeur d’actifs qui ont été dépréciés dans le passé. On pourrait y ajouter les écarts de conversion sur des filiales qui ne seraient jamais cédées pour autant que l’on puisse dire jamais dans ce domaine … Mais comme ce n’est pas le cas, ils sont comptabilisés avec les premiers.

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Une petite étude sur 41 groupes européens de la banque, de la grande distribution et des télécoms montre que les autres éléments du résultat global (AER) semblent aléatoirement répartis avec des particularités sectorielles : prédominance des changements de juste valeur pour les actifs financiers disponibles à la vente pour les banques et des effets de change pour les groupes industriels.

L’étude plus approfondie dans la durée des résultats de Carrefour et Vodafone ne montre pas, pour ces deux groupes, que les autres éléments du résultat global représentent un biais positif ou négatif systématique, ce qui aurait été troublant pour l’analyste.

Les autres éléments du résultat global semblent donc n’être qu’un réceptacle à volatilité, que cela soit de la volatilité subie (écart de conversion, changement des hypothèses actuarielles des retraites) ou qui a été créée en introduisant de la juste valeur dans le bilan (changement de juste valeur d’actifs, comptabilité de couverture).



Merci à Strahinja Ninic et Oussama Lemsyeh pour leurs recherches et réflexions qui ont nourri cet article.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 8 du Vernimmen 2012.


Tableau : Les CDS sectoriels

De même que l’on compare les niveaux de CDS pour les pays pour avoir une vue sur la façon dont les investisseurs apprécient leurs solvabilité, le même exercice peut être fait sur les secteurs économiques à partir des CDS individuels des sociétés qui les composent.

La corrélation est nette entre les leviers opérationnels, les structures financières et le niveau des CDS :

Depuis 3 mois les écarts se sont considérablement accrus, compte tenu de la montée de l’aversion au risque dans un climat économique qui se dégrade. On paie ainsi 15 fois plus cher pour se protéger contre une défaillance dans le secteur des compagnies aériennes que dans le secteur pharmaceutique contre « seulement » 12 fois il y a encore 3 mois. Mais comme les 3 grandes compagnies aériennes européennes sont actuellement en perte, il ne faut pas s’en étonner. Après tout n’est-ce pas Richard Branson, fondateur de Virgin Airways qui disait : » Comment devenir millionnaire ? Commencez par être milliardaire, puis achetez une compagnie aérienne »!
(1) Credit default swap, pour plus détails voir le chapitre 53 du Vernimmen 2012


Recherche : Le crédit entre amis, ou l'amitié utile aux affaires

avec la collaboration de Simon Gueguen
Enseignant-chercheur à Paris Dauphine

Par rapport au financement désintermédié, le crédit bancaire se caractérise par des liens institutionnels forts entre la banque et l’entreprise. De nombreux travaux ont étudié ces liens et leurs conséquences en matière de financement.  L’article que nous présentons ce mois-ci (1) s’intéresse à un type particulier de lien : les relations interpersonnelles. Lorsque le prêteur et l’emprunteur se connaissent de longue date, pour avoir étudié ensemble ou travaillé dans la même, le crédit est négocié à de meilleures conditions.

L’analyse porte sur un très vaste échantillon de 19 554 crédits, accordés par des banques américaines (1 924 banques, essentiellement non cotées) à des entreprises cotées (5 057 entreprises différentes) entre 2000 et 2007. Sur cet échantillon, les auteurs ont obtenu (2) la liste des organisations dans lesquelles ont étudié ou travaillé les 65 074 cadres et dirigeants concernés. Ils ont considéré qu’il existait un lien personnel entre un cadre de la banque et un cadre de l’entreprise lorsque l’une de ces deux conditions était vérifiée :

• ils ont obtenu un diplôme de la même école/université  à moins de deux ans d’écart ;
• ils ont travaillé en même temps dans la même société, ou ont fait partie du même conseil d’administration. Ceci doit être vérifié au moins 5 ans avant la date du prêt et concerner une société différente de la banque et de l’entreprise qui contractent le prêt (3).

Selon ces critères, il existe au moins un lien interpersonnel  dans 29% des crédits de l’échantillon. L’analyse économétrique montre que, à caractéristiques du prêt équivalentes (4), le spread  (écart entre le taux d’intérêt et le LIBOR, pris comme référence) facturé par la banque est 28 points de base (0,28%) inférieur en cas de relation interpersonnelle. Ceci est très significatif : le spread moyen de l’échantillon s’élève à 88 points de base. Le gain est d’autant plus important que le rating de l’entreprise est faible : 8 points de base pour les crédits les mieux notés (entre AAA et A), et jusqu’à 51 points de base pour les moins bien notés (CCC et en-dessous).  Les auteurs vérifient que ces conditions avantageuses ne sont pas compensées par d’autres clauses contractuelles

La question suivante est de savoir si ces conditions avantageuses sont justifiées. On pourrait concevoir que la connivence se traduise par un « cadeau » au bénéfice de l’emprunteur et au détriment des actionnaires du prêteur. L’article montre qu’il n’en est rien. D’abord, l’évolution du rating des entreprises après l’octroi du prêt est plus favorable dans le cas de relations interpersonnelles. Ensuite, ces entreprises surperforment boursièrement de plus de 5% par an (sur un horizon de trois ans) celles qui ont contracté un crédit sans lien interpersonnel.

Les auteurs concluent que ces liens facilitent en réalité la sélection et le suivi des projets par la banque. Ils permettent de réduire les phénomènes classiques d’aléa moral et de sélection adverse, particulièrement importants lorsque les ratings sont faibles. Les conditions apparemment  avantageuses seraient donc justifiées par la performance future des emprunteurs. Qui a dit que l’amitié n’avait pas de prix ?

(1) J.ENGELBERG, P.GAO et C.A.PARSONS (2012), Friends with money, Journal of Financial Economics, vol.103, pages 169-188.
(2) Ils ont utilisé le fournisseur de données BoardEx, spécialisé dans les relations interpersonnelles.
(3) Ces conditions sont posées de manière à s’assurer que la relation est très antérieure au prêt. Les auteurs veulent éliminer la possibilité d’une causalité inverse (un siège dans un conseil d’administration obtenu en échange de conditions favorables par exemple).
(4) Sont notamment utilisées comme variables de contrôle le rating, la maturité, les relations institutionnelles passées, le nombre de prêteurs.



Q&R : Qu'est-ce qu'un prêt unitranche ?

C'est une dette que l'on retrouve plus fréquemment depuis la crise financière de 2007 dans les financements de LBO de taille petite ou moyenne où un seul prêteur accorde la dette senior et subordonnée sous forme d'un prêt obligataire de 5 à 8 ans, remboursable in fine. Les montants unitaires sont de quelques dizaines de M€ au maximum.

Autrement dit, et à la différence d'un prêt senior, l'emprunteur ne fait face à aucune échéance de remboursement pendant la durée de vie de son emprunt, ce qui réduit la pression pesant sur lui dans le LBO et accroit sa marge de manoeuvre pour faire des investissements de croissance interne ou externe.

Le prêteur est très souvent en France un fonds de dettes ou un fonds mezzanine qui n'ayant pas le statut d'établissement de crédit ne peut pas accorder de prêts compte tenu du monopole bancaire mais peut souscrire à des obligations (du shadow banking !). . .

Une partie des intérêts est versée en numéraire pendant la durée de vie des obligations, une autre partie est capitalisée et payable in fine au moment du remboursement des obligations (on parle de PIK, payment in kind). Une rémunération complémentaire sous forme de bons de souscription d'actions (BSA) est parfois prévue comme dans une mezzanine (equity kicker).

Le coût actuariel d'un emprunt unitranche est à mi-chemin entre celui d'une dette senior et celui d'un financement mezzanine, soit de 11 à 13%, ce qui correspond à la logique de ce produit.

Accordé par un seul investisseur, il présente donc le double avantage d'une rapidité de mise en place, et d'une absence de conflits d'intérêt entre plusieurs prêteurs, en particulier si la dette doit être renégociée du fait de difficultés de l'entreprise. Comme on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, en cas de problèmes, le fonds de private equity propriétaire de l’actif risque de le perdre rapidement au profit du créancier mezzanine qui, étant seul créancier, ne devrait pas avoir trop de mal à se mettre d’accord avec lui même pour présenter un front uni face à l’actionnaire !

Restent aux chercheurs dans quelques années à vérifier que les entreprises sous LBO avec un financement unitranche créent autant de valeur que celles sous un schéma de financement LBO plus classique. Il est possible que cela ne soit pas le cas, une moindre performance moyenne

pourrait provenir d'un degré plus faible de contrôle de l'utilisation des cash flows par les prêteurs compte tenu du remboursement in fine de ce produit.

En attendant, les difficultés régulières de la syndication de dettes bancaires LBO et la succession de phases d'ouvertures et de fermetures du marché des emprunts high yield font de la dette unitranche un produit qui ne devrait pas disparaitre en un jour.


Autre : Choisissez la couverture du Vernimmen 2013

Comme chaque année à la même époque, nous mettons la dernière main à la nouvelle édition du Vernimmen qui comprendra, cette année, un nouveau chapitre. Comme chaque année, nous vous proposons de voter pour la couverture de votre choix entre ces deux options, en vous rendant sur la page d’accueil du site vernimmen.net en cliquant ici.



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