La Lettre n°10 de Mai 2002

Actualités : Pourquoi tant d'obligations convertibles ?

Rien qu'au mois d'avril Péchiney, Agache, Vinci, CGIP, Club Méditerranée, Anglo-American, Accor ont levé plus de 4 Md€ grâce à des obligations convertibles ou des obligations échangeables(1). Au même moment, Penauille annulait son augmentation de capital faute de demande.

Trois types de raisons peuvent expliquer cette situation :

1. Des raisons propres aux caractéristiques du produit qui en font un produit relativement facile à vendre :

Vis-à-vis de l'émetteur, la banque vante souvent le taux d'intérêt plus bas que celui d'un emprunt classique en cas de non conversion et la faculté d'émettre des capitaux propres avec une prime par rapport au cours actuel en cas de conversion. C'est le produit miracle !

Avec la liberté de ton que nous connaissent nos lecteurs, nous dirons que ceci est un argument de vendeur de savonnettes ! S'il y a conversion, c'est donc que la valeur de l'action à la conversion sera supérieure au prix de conversion, les actionnaires seront donc dilués dans de mauvaises conditions de prix pour eux, puisque la société émettra de nouvelles actions pour éteindre sa dette obligataire à un prix inférieur au cours du moment de ses actions. L'investisseur de son coté paie l'option de conversion par le biais d'un taux d'intérêt servi plus faible que ne le justifie le risque crédit de l'émetteur. Il ne s'agit donc pas d'un miracle, au mieux d'un mirage !

Matériellement le placement peut être effectué très rapidement et c'est un plus dans des marchés volatiles ; de surcroit sans implication du management dans des road shows ou des entretiens avec les investisseurs ni besoin d'une notation financière. La raison tient à la faible asymétrie d'information entre les dirigeants et les investisseurs que protége la composante obligataire.

Enfin, le coût de l'obligation convertible est apparemment très faible ; combien de fois ne l'avons nous pas vu assimilé au taux d'intérêt de la composante obligataire ! Il est en fait conceptuellement égal à la moyenne du coût de la dette et du coût des capitaux propres, moyenne pondérée par la probabilité de conversion. Autre affirmation fréquente, l'obligation convertible abaisserait le coût du capital. Si cela était vrai, il y a longtemps que les entreprises ne se financeraient plus que par obligations convertibles. On en est loin ! Seule une baisse du risque de l'actif économique peut réduire le coût du capital(2).

2. Des raisons conjoncturelles

Pour qu'un marché se développe bien, il faut qu'il y ait à la fois une offre et une demande vigoureuse. C'est actuellement le cas.

Du coté de l'offre, le segment des augmentations de capital est quasiment fermé, au moins en France. L'entreprise qui veut émettre des capitaux propres se rabattra sur les obligations convertibles en espérant qu'elles seront converties. Par ailleurs, pour une entreprise émettre une obligation convertible revient à vendre de la volatilité ; hors celle-ci est très élevée depuis plusieurs semestres. C'est donc le moment d'émettre d'autant que sur les dernières semaines elle a tendance à baisser.

Du coté de la demande, compte tenu de la forte hausse des cours de bourse puis de leur baisse depuis 18 mois, il existe finalement relativement peu de véritables obligations convertibles sur le marché. Plus de la moitié sont devenues des dettes sans beaucoup d'espoir de conversion, 13% sont devenues très proches d'une action et seulement 35% des obligations convertibles émises sont toujours de vraies obligations convertibles. Dès lors la demande pour de nouvelles obligations convertible est présente.

Enfin, pour l'investisseur en proie au doute face aux incertitudes boursières, l'obligation convertible qui le protège à la baisse et lui donne la faculté de participer à une partie de la hausse paraît être le produit idéal.

3. Une raison structurelle (jusqu'à nouvel ordre ?)

Alors qu'il y a encore deux ans, l'essentiel des obligations convertibles étaient souscrites par des fonds obligataires classiques ou spécialisés, aujourd'hui plus de la moitié des émissions est absorbée par des fonds d'arbitrage qui souscrivent l'obligation convertible et vendent l'action sous jacente qu'ils doivent emprunter. Le fonds ne se positionne donc pas sur le niveau de l'action, il est normalement neutre à ses variations grâce à la vente, mais sur l'évolution de la volatilité de l'action qu'il espère voir augmenter. Comme souvent pour ces fonds d'arbitrage, l'opération n'est pas un arbitrage mais une spéculation(3). La popularité de ces fonds est actuellement forte : Carrefour en distribue depuis un mois à ses clients…

En conséquence, il est fréquent que l'action chute à l'émission d'une obligation convertible puisque les fonds d'arbitrage la vende, souvent de 3 à 5%. Qui vous avait dit que l'obligation convertible avait un faible coût ?

(1) Notre lecteur peut retrouver les caractéristiques de ces produits dans le chapitre 42 du Vernimmen 2000.
(2) Pour plus de détails voir le chapitre 37 du Vernimmen 2000.
(3) Pour plus de détails, voir la page 334 du Vernimmen 2000.



Actualités : Retour sur Bruxelles par Antoine Giscard d'Estaing, directeur général finances de Schneider Electric

Le 10 octobre 2001, la Commission Européenne a rendu publique sa décision d'interdire le rapprochement de Schneider Electric et de Legrand, ruinant les espoirs de voir se constituer un groupe industriel capable de renforcer la compétitivité de l'Europe face aux acteurs mondiaux de ce secteur. Schneider Electric s'est heurté à une procédure, à des critères d'analyse et à des conditions d'instruction qui ne correspondent plus à la réalité et aux exigences de la vie actuelle des affaires. La proposition par la Commission d'un « livre vert » destiné à poser les bases d'une révision de la procédure du contrôle communautaire illustre le caractère inadapté et néfaste des dispositifs actuels. Tels qu'ils existent, ceux-ci sont peu propices à la création d'une économie européenne compétitive à l'échelle mondiale, seule capable de créer des richesses pour les consommateurs, les salariés et les actionnaires.

Schneider Electric a pu constater de nombreux points de dysfonctionnement, notamment sur les aspects suivants, qui ont été relevés par l'AFEP (Association Françaises des Entreprises Privées) dans sa réponse au livre vert (les citations sont celles du rapport en réponse au livre vert).

1/ Définition du marché pertinent

« L'autorité de concurrence, qui sollicite volontiers l'aide des entreprises notifiantes pour obtenir des données générales de marché, devrait prêter attention aux explications des services de marketing des entreprises concernées sur la caractérisation des marchés pertinents en termes de substituabilité de la demande ou de l'offre. Il devrait lui appartenir d'indiquer les raisons pour lesquelles, éventuellement, elle ne les retient pas. Dans cette démarche, elle devrait bien noter que les segmentations en sous-marchés à but de simple organisation du marketing n'ont rien à voir avec une délimitation de marchés pertinents.
D'une manière générale, la Commission devrait se montrer plus attentive à la réalité des marchés géographiques, et plus souple dans leur appréciation, qu'il s'agisse de marchés de dimension locale en raison de la nature des produits ou des services en cause, ou à l'inverse, de marchés dont la dimension européenne ou mondiale est la caractéristique évidente, potentielle sinon immédiate.
Dans cette deuxième catégorie, les opérations de concentration tendent à élargir la taille des marchés considérés et les marchés nationaux deviennent plus contestables. En outre, un contrôle européen des concentrations trouve sa pleine justification lorsqu'il apprécie la concurrence dans des marchés de taille européenne. »

2/ Concepts de dominance collective et d'effet de portefeuille

« D'une manière générale, dans ces domaines doctrinaux, il faut se garder de s'en tenir à la seule résonance d'un concept pour tenir lieu de démonstration. C'est l'analyse exacte des faits qui appartient à l'autorité de concurrence, non l'usage des mots. »

3/ Prise en compte de l'ensemble des impacts d'une opération

« La notion de bilan économique doit occuper une place primordiale dans l'analyse des effets d'une concentration, y compris dans ses projections futures.

L'intérêt du consommateur est une donnée importante, mais non la seule.
La Commission présente souvent l'intérêt du consommateur comme l'alfa et l'oméga de sa politique en matière de concentrations. La réalité stratégique est que l'avantage pour le consommateur ne peut venir que des effets d'efficience et d'innovation permettant aux entreprises de devenir plus compétitives.
Il faut encore pousser plus avant l'analyse en observant que le poids du critère d'efficience et d'innovation est pris en compte différemment par les autorités de contrôle des différents pays; il joue un grand rôle dans la pratique américaine.
Cette différence de prise en compte des effets positifs entre la pratique américaine et communautaire, est finalement plus lourde de conséquences que des écarts de concepts, souvent de faible portée. Elle devrait inciter les autorités communautaires à la vigilance sur l'impact des politiques structurelles de concurrence des différents pays sur la compétitivité internationale et adopter, dans le respect des principes de non discrimination, des politiques réalistes donnant réellement ses meilleures chances à l'industrie européenne. »

4/ La prénotification

« Le dialogue de prénotification est fait pour avancer, et non pour faire surgir des contraintes ou des obstacles ; il doit conserver un caractère constructif, jamais comminatoire.

Dès la prénotification et dans toute la suite de la procédure, il devrait apparaître en permanence que la notification d'un projet de concentration n'est pas une comparution mais un dialogue, une négociation sans doute, mais pas un marchandage. Il devrait toujours demeurer perceptible que l'enjeu n'est pas seulement la sauvegarde de la concurrence, comme dans une banale affaire de cartel, mais aussi la recherche de ce qui est favorable au développement des entreprises.
A la fin de cet exercice préparatoire, il faudrait pouvoir distinguer clairement ce qui est admis et sur quoi on ne reviendra plus, ce qui n'attend qu'une vérification et ce qui n'est qu'estimation momentanée. Une sorte de closing avec les dirigeants des entreprises notifiantes serait opportun. »

5/ Climat de l'instruction des dossiers

« La proposition de transposer purement et simplement, au cas des concentrations, les prérogatives de type policier, inscrites dans la proposition de règlement du 29 septembre 2000 au profit de la Commission pour être applicables aux ententes, cartels et abus de position dominante, est une solution de facilité contestable et choquante. Elle traduit un état d'esprit préoccupant de la part de l'autorité de contrôle, comme si la notification d'une concentration n'était pas une opération honorable et pouvait être assimilée à une infraction. »

« Depuis plusieurs années, un fossé semble s'être creusé entre, d'une part, les propos apaisés et rassurants des états majors de la DG Concurrence sur le déroulement des notifications et, d'autre part, la dure réalité vécue par les entreprises notifiantes auprès des services de la Merger Task Force. »

(1) Faisant suite à notre article Les règles anti-concentration européennes du mois précédent



Tableau : Principales différences entre les règles comptables françaises, internationales et américaines

PRINCIPES COMPTABLES

Français
Internationaux (IAS)
Américains
Ecarts d'acquisition
Il n'y a pas de durée maximale d'amortissement du goodwill. En pratique, ces durées sont comprises entre 20 et 40 ans.
Le plan initial d'amortissement ne doit pas être modifié sauf si, pour des changements défavorables et matériels, une dépréciation exceptionnelle doit être constatée.
Il est de coutume de pré-supposer que la durée d'amortissement n'excède pas 20 ans.
Une entreprise doit examiner la période d'amortissement ainsi que la méthode annuellement.
Si les écarts d'acquisition le nécessitent, des dépréciations exceptionnelles peuvent être enregistrées. Des règles précises définissent les situations où ces dépréciations exceptionnelles peuvent être reprises. L'IASB a mis en chantier une réforme de ses normes qui devraient tendre vers les normes américaines.
Aucun amortissement du goodwill n'est autorisé (FAS 141) applicable depuis le 30/06/01. Tous les écarts d'acquisition (nouveaux et anciens) doivent donner lieu à un « impairment test » consistant à une réévaluation annuelle des écarts d'acquisition et débouchant, le cas échéant, sur des provisions.
Pooling of interest
Les combinaisons d'activité doivent normalement donner lieu au calcul d'un écart d'acquisition. Cependant, une mise en commun d'intérêt (pooling of interest) peut être utilisée si les 4 conditions suivantes sont respectées :
- la transaction est effectuée en une seule fois et inclut au moins 90% du capital de la société cible
- le paiement doit être effectué au travers de l'émission de nouvelles actions de l'acquéreur
- le montant payé en cash (ou équivalent : CVGs) ne doit pas excéder 10% de l'émission de nouvelles actions
- la substance de la transaction ne doit pas être remise en cause pendant au moins 2 ans.
Le « Pooling of interest » est extrêmement rare car les conditions à respecter sont très strictes. Notamment, l'interprétation des règles IAS fait qu'aucun acquéreur ne doit pouvoir être identifié (JVs, fusions entre égaux...). L'IASB a mis en chantier une réforme de ses normes qui devraient tendre vers les normes américaines.
Le FAS 141 a supprimé le « Pooling of Interest ».
Coûts de démarrage Les coûts correspondants à la période postérieure à l'acquisition / réception d'un actif (ex : usine) jusqu'au moment où cet actif devient effectivement productif sont capitalisables. Idem que les normes françaises. Tous les coûts de démarrage sont considérés comme des charges.
Capitalisation des coûts de R&D Les coûts de R&D sont la plupart du temps considérés comme des charges. Cependant, pour un projet clairement identifié et dont la probabilité d'être profitable est élevée, les coûts de R&D peuvent être capitalisés. Les coûts de développement de logiciels ne peuvent être capitalisés que si le succès technique est garanti, l'utilisation prévue longue et importante pour la société. Les dépenses de recherches doivent être considérées comme des charges. Les dépenses de développement peuvent être considérées comme des immobilisations incorporelles à la condition que cela respecte toute une série de règles (notamment la faisabilité technique de manière à ce que l'actif final puisse être utilisé ou vendu, l'intention d'aller jusqu'au bout du projet, la capacité à vendre ou utiliser l'actif, la manière dont l'actif générera des profits futurs, la capacité de mesurer les dépenses relatives au développement du projet). Tous les coûts de R&D, sans exception, doivent être considérés comme des charges.
Comptabilité des couvertures de change En général, les couvertures de change donnent lieu à une provision si une moins-value potentielle est constatée.
Si ces instruments sont considérés comme des instruments de couverture, alors ils peuvent être amortis sur la période de couverture. Les critères de couverture sont la désignation, la corrélation et la réduction du risque. Il n'y a pas de règles écrites précises en la matière et cela peut laisser place à interprétation. Ainsi, il est possible de comptabiliser directement en euro des opérations en devise au taux de couverture.
Les contrats de change à terme appartiennent à la famille des instruments dérivés soumis à l'IAS 39 et doivent être reconnus à leur valeur de marché (des plus ou moins values étant prises en compte dans le compte de résultat). Des exceptions à cette règle existent lorsque l'instrument est clairement identifié comme un instrument de couverture. Trois catégories bien identifiées existent :
- Le « Fair Value Hedge » pour un titre libellé dans une devise étrangère ;
- Le « Cash Flow Hedge » ;
- L' « Investment Hedge »
Idem que les règles IAS mis à part le fait que le « Fair Value Hedge » inclut les cas d'engagements fermes (ordre de commande signé par exemple)
Stock Options Aucune règle pour reconnaître ces avantages basés sur la performance du cours de l'action de la société. Idem que les normes françaises, mais en cours de convergence vers les normes américaines. Choix entre deux règles :
-l'APB 25 : la valeur intrinsèque (différence entre le prix de l'action et le prix d'exercice) doit être constatée lorsqu'elle dépasse le seuil de 15% lors de l'octroi des stock options
- le SFAS 123 où une « Fair Value » est calculée et où le seuil considéré est de 5%, la charge étant étalée sur la période de vie de l'option. La méthode, ainsi que les paramètres de calcul de la « Fair Value » doivent être décrits (Volatilité...). Peu d'entreprises utilisent cette dernière règle.
Amortissement des immobilisations Les immobilisations incorporelles qui ne perdent pas de valeur dans le temps et qui bénéficient d'une protection juridique (marques...) ne sont pas amorties. Tous les actifs (sauf les terrains) doivent être amortis sur une période n'excédant pas 40 ans. Tous les actifs (sauf les terrains) doivent être amortis sur une période n'excédant pas 40 ans. Cependant, les nouvelles règles FAS 142 précisent que les actifs incorporels avec une durée de vie indéterminée/indéfinie ne sont plus amortis mais font l'objet d'un « impairment test » annuellement qui peut déboucher sur une dépréciation.



Recherche : Conglomérats et diversification

Un certain nombre d'articles récents se penchent sur la décote des conglomérats et cherchent à tester les théories développées principalement dans les années 1970. Nous illustrerons cette recherche au travers de quatre articles qui traitent de différentes facettes de la décote de conglomérat.

Selon la littérature financière « classique » les bénéfices de la diversification sont les suivants :

  • Les économies d'échelle et un nombre plus important d'activités rentables (Weston, 1970 et Chandler, 1977)
  • Une plus grande capacité d'endettement compte tenu d'un plus faible risque (Lewellen, 1971)
  • La possibilité d'améliorer l'efficacité des investissements par la mise en place d'un marché interne de capitaux (Stein, 1997)

A ces arguments en faveur d'une politique de diversification, répondent les inconvénients suivants, principalement liés à des coûts d'agence supérieurs :

  • des coûts de structure plus importants (frais de siège, …) ;
  • une moins bonne compréhension de la valeur par le marché, on parlera alors d'asymétrie d'information plus élevée (quel analyste financier spécialisé sectoriellement affecter à Bouygues : télécom, media, BTP, services publics ?) ;
  • des investissements inefficaces et une subvention croisée des divisions entre elles (Berger et Ofek, 1995) et une mauvaise allocation des ressources (vers des filiales de faible rentabilité ou avec des opportunités d'investissement limitées) due à des luttes de pouvoir internes (Rajan, Servaes et Zingales et Stulz, 2000) ;
  • une tendance à investir dans des projets à valeur actuelle nette négative (Jensen, 1986 et Meyer, Milgrom et Roberts, 1992) ; le comportement des managers de division, qui cherche à étendre leur pouvoir, tend à faire investir le groupe dans des projets peu rentables et à pervertir le marché interne de capitaux tel que défini par Stein en 1997 (Scharstein et Stein, 2000).

Selon la littérature financière récente, la diversification d'une entreprise entraînerait donc des coûts d'agence, supérieurs à ceux d'une entreprise non diversifiée, qui auraient pour conséquence une destruction de valeur par rapport à une entreprise mono-activité.

Mansi et Reeb(1) apportent un nouvel éclairage sur la décote de conglomérat. D'après leur étude, la diversification n'a aucun impact sur la valeur d'entreprise des groupes diversifiés. Par contre, ces auteurs observent que la décision de diversification génèrerait un transfert de valeur des actionnaires vers les créanciers.

Le raisonnement est le suivant : personne ne conteste que le risque global de l'entreprise est réduit par la diversification. Le risque réduit est un risque par nature « diversifiable », néanmoins, le risque de défaut d'un groupe diversifié est effectivement plus faible que le risque de défaut d'un groupe mono-activité. Donc, même si les actionnaires ne valorisent pas la diversification d'un groupe (car ils peuvent éliminer eux mêmes le risque diversifiable dans leur portefeuille), la diversification sera bénéfique pour les créanciers. Une constatation empirique des auteurs vient corroborer leur hypothèse : plus un groupe diversifié est endetté, plus les actionnaires devront subir une décote de conglomérat.

Nos lecteurs les plus férus de finance retrouveront ici la théorie des options appliquée à la valorisation des capitaux propres(2) !

Maksimovic et Phillips(3) ont testé l'hypothèse de mauvaise allocation des ressources au sein des conglomérats. La conclusion générale de leur étude est que les conglomérats n'allouent pas plus mal leur ressources que les groupes non diversifiés. Les divisions les plus productives reçoivent selon leur étude la majeure partie des ressources, la morale économique est sauve ! La décote de conglomérat ne serait donc pas due d'après ces auteurs aux problèmes d'agence, mais à des phénomènes de taille : selon leur étude, les unités de production d'un groupe diversifié sont moins productives que celles d'un groupe non diversifié de même taille. Ce manque de productivité est dû principalement aux divisions les plus petites des groupes diversifiés.

De leur coté, Graham, Lemmon et Wolf(4) mettent à mal une partie de la littérature académique récente sur la décote de conglomérat. Un certain nombre d'articles récents, mettant en évidence la présence d'une décote de conglomérat dans les groupes diversifiés, reposent sur une évaluation des différentes divisions sur la base des niveaux de valorisation des groupes mono-activités de la même industrie. Les auteurs mettent en avant un biais dans cette méthodologie : d'après leur étude, les caractéristiques mêmes des divisions font qu'elles sont sous-cotées par rapport aux entreprises comparables. Cette décote « a priori » de ces divisions peut notamment être observée au moment de leur acquisition : les groupes opérant une diversification par acquisition achètent en moyenne des cibles moins bien valorisées que leur secteur. Il n'y a aucune raison que cette sous-valorisation (qui peut parfaitement être justifiée) disparaisse après acquisition. Après cette destruction en règle, le terrain est laissé vierge par les auteurs qui ne tranchent pas sur l'existence ou non d'une décote de conglomérat dans les groupes diversifiés !

Denis, Denis et Yost(5) ont une approche originale de la diversification puisque leur article est centré sur l'analyse de la diversification internationale des entreprises. Leur étude démontre que les groupes américains ont tendance à accroître leur diversification internationale. Mais surtout, les auteurs mettent en avant l'existence d'une décote de diversification internationale. Cette décote serait du même ordre de grandeur que la décote de diversification sectorielle, soit de l'ordre de 20%, les deux types de décote pouvant de surcroît se cumuler. Ceci tend à montrer que les synergies internationales sont en moyenne surpassées par les coûts liés à une présence multinationale (complexité d'organisation, asymétrie d'information entre le siège et les différentes filiales, ainsi que l'ensemble des causes énoncées pour la diversification sectorielle).

Avec la baisse des coûts de transaction internationaux, il est maintenant aisé pour un investisseur d'acquérir les titres d'une entreprise danoise ou mexicaine. L'investisseur n'a donc pas besoin d'une entreprise pour diversifier son portefeuille à l'international, c'est le même argument que pour la diversification sectorielle.

Force est de constater que la diversification ou le recentrage ne font pas l'unanimité en matière de création de valeur. C'est heureux pour les banques d'affaires qui peuvent en toute bonne conscience continuer à fusionner, scinder, acquérir, céder les différentes entreprises et pour les chercheurs universitaires qui peuvent encore chercher !

(1) Corporate diversification : what gets discounted ?, Journal of Finance, à paraître en octobre 2002.
(2) Voir le chapitre 35 du Vernimmen 2000.
(3) Do conglomerate firms allocate resources inefficiently across industries, Journal of Finance, décembre 2001.
(4) Does corporate diversification destroy value ? Journal of Finance, avril 2002.
(5) Global diversification, industrial diversification, and firm value, Journal of Finance, à paraître en octobre 2002



Q&R :



Facebook Google + Twitter LinkedIn