Stéphanie Billet, Directrice Financière et membre du Comité Exécutif du Groupe Tereos.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

J'aurais du mal à vous parler de vocation : plus jeune, je rêvais d'archéologie… Et puis finalement, mon parcours a été fait d'opportunités prudentes (ou de peur de l'échec, allez savoir…) et de belles rencontres. Après une école de commerce et une première expérience en audit, me voilà partie dans la consolidation chez Lafarge. S'ensuit un voyage de 18 ans avec chaque année de nouveaux horizons, de nouveaux challenges, des changements de postes tous les trois/quatre ans et des terrains de jeu idéalement larges : des normes comptables, du M&A, de la communication financière et des projets, des projets et encore des projets. Et toujours des rencontres avec des gens passionnés, fiers de leur savoir-faire et de ce qu'ils accomplissent au quotidien. La marque d'une industrie proche de la terre. Une marque que je retrouve chez Tereos : la terre et les femmes et les hommes qui font le groupe. Là aussi, de la passion, des racines, des savoir-faire chevillés au corps et une belle diversité de cultures. J'y occupe aujourd'hui la direction financière.
Des difficultés dans mon parcours liées au genre ? Je ne crois pas en avoir vu beaucoup et certains vous diront donc que je n'en ai pas eues. C'est vrai que j'ai eu la chance de travailler dans des groupes très internationaux dans lesquels l'acceptation de la différence est une condition pour opérer et chez qui le genre est une forme de diversité parmi d'autres. Je crois aussi que j'ai choisi d'ignorer les difficultés « mineures », de ne pas me laisser intimider et de rendre en opiniâtreté ce que certains cherchaient en agressivité.

Est-ce difficile d'articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

La difficulté, nous la créons quand nous cherchons à être parfaites en tout et à équilibrer des mondes que nous mettons trop en opposition. J'ai essayé de sortir de cette « Guerre des Mondes ». La chose la plus importante pour moi a toujours été d'être libre dans mes choix. Je me suis laissé guider par la curiosité et le plaisir de la découverte : découverte d'un métier, découverte d'une culture, découverte de personnes, découverte (ô sublime !) d'un petit être qui n'est jamais à vous mais est déjà plein et entier à la seconde où il vient au monde. Pour pouvoir profiter de toutes ces découvertes, j'ai eu la chance d'avoir un solide partenaire de vie qui a toujours considéré que ce qui était important pour moi était important pour l'équilibre familial et non pas l'inverse. Je me suis aussi reposée sur une solide organisation avec des gens de confiance : j'ai opéré avec une véritable PME pour gérer nos présences intermittentes quand nos filles étaient petites. Et j'aime sans doute viscéralement les surprises - y compris le coup de fil de l'école qui annonce qu'il faut foncer aux urgences...
Sur ce chemin, j'ai rencontré les mêmes frustrations que dans mes voyages : on n'arrive jamais à tout voir. Pourtant, si on a réussi à voir l'essentiel, je crois qu'on a gagné. Je ne suis pas sûre qu'il y ait de secret et chacune et chacun doit trouver son propre équilibre. J'ai appris en tous cas à ne pas écouter les conseils en la matière. Votre équilibre est toujours une abomination pour d'autres. En vérité, personne ne peut le comprendre car il n'est qu'à vous.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

D'abord et avant tout la curiosité : les chiffres ne parlent que quand on sait comprendre ce qu'il y a derrière. Comprendre le métier, les hommes, comment telle décision peut influencer tel indicateur technique ou telle organisation. Le bon financier est celui qui sait poser les bonnes questions et faire parler les chiffres. Cette curiosité doit permettre d'apporter les outils et solutions techniques en soutien des métiers que nous accompagnons. Et bien sûr, beaucoup d'intégrité, d'indépendance et de courage.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Je n'ai pas vraiment suivi de modèle féminin en particulier. Beaucoup de figures féminines qui m'ont inspirée ou poussée sur mon parcours, à commencer par ma mère dont j'ai essayé d'approcher l'indépendance d'esprit et la résilience.
Une personne m'a aussi bousculée dans mes convictions : Catherine Blondel, coach de grand talent qui invente et anime avec passion des programmes formidables de développement au féminin. C'est elle qui m'a ouvert les yeux sur le fait que ne jamais avoir eu de problème personnel avec le genre ne signifiait pas qu'il n'y en avait pas. Il en existe encore beaucoup trop et ils vont généralement de pair avec des relations violentes et irrespectueuses. C'est là qu'est le combat : pas le genre en soi mais la promotion de relations qui ne marginalisent pas et ne brutalisent pas. Je suis convaincue que la richesse vient de la différence et que la seule véritable intelligence est ouverte et tolérante. C'est pour cela que se battre pour promouvoir la diversité dans les entreprises est clé pour moi. J'aimerais laisser à mes deux filles – les deux autres figures féminines qui mènent ma vie – un monde professionnel qui valorise un style de leadership un peu moins brutal, un peu plus respectueux et un peu plus inclusif qu'hier. Elles ont, comme toutes les jeunes femmes de leur âge, un potentiel incroyable et la vie devant elles. Je voudrais qu'elles puissent se développer sereinement, quelle que soit la voie qu'elles vont choisir. C'est au cœur de mon engagement et je crois fermement que c'est en occupant le terrain que la question de leadership au féminin ne se posera bientôt plus.

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

C'est trop peu. On sait que pour que les barrières tombent, il faut atteindre un seuil d'un tiers. C'est à ce moment-là qu'une « minorité » n'en est plus une et que donc les chances sont libérées pour tous. Savoir comment on arrive à ce niveau est toujours une question délicate : on aimerait que les choses se fassent intelligemment, c'est-à-dire volontairement, mais cela prend trop de temps.
Comme toujours, c'est sans doute d'une combinaison de facteurs que viendra la solution. Il faut tout d'abord encourager les femmes à prendre des responsabilités, car il y a encore trop de femmes qui se disent « je n'y arriverai pas » et s'auto-censurent. Il faut donc occuper le terrain et multiplier les exemples. Il faut enfin une dose d'incitation pour accélérer le mouvement : cela peut venir des politiques, des investisseurs, des organismes de régulation de la gouvernance. Je crois qu'il ne faut pas renverser le problème et penser que les quotas soient honteux. Ce qui est honteux, c'est l'immobilisme des comportements qui ne laisse pas d'autre alternative… Vu le nombre de femmes diplômées dans notre pays aujourd'hui, il n'y a aucune raison de ne pas avoir au moins un tiers des directions financières françaises occupées par des femmes !

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Foncez ! Pas besoin de se poser beaucoup de questions car le seul choix pour la vie que l'on fait en se lançant dans la finance, c'est celui de la découverte permanente. Choisir la finance, c'est comme prendre un pass qui ouvre n'importe quelle porte. Vous pourrez changer aussi souvent que vous voulez de sujet, à l'intérieur d'une même entreprise ou dans plein d'entreprises différentes. Les options et combinaisons sont infinies et vous n'avez jamais fini d'apprendre.

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

Il faut s'amuser pour avancer et le plaisir de la réussite est meilleur quand le défi paraît impossible ! Et ne jamais regarder en arrière !