Sophie Javary, Vice-Chairman CIB EMEA à BNP Paribas.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ? 

Beaucoup de questions en une ! Mon parcours de carrière a été assez rectiligne, toujours dans la banque d’affaires, tout en ayant changé de banque plusieurs fois : débuts en tant qu’analyste junior à la Bank of America, puis Indosuez, ensuite 16 ans chez Rothschild (dont j’ai été associé-gérant à compter de 2002) et, depuis 2011, BNP Paribas. J’y suis actuellement Vice Chairman CIB EMEA après avoir dirigé 5 ans le corporate finance EMEA. 


Une vocation ? Non ; à HEC, j’aimais la finance et l’économie et je fais un stage à la Bank of America qui propose de m’embaucher. Je découvre un métier qui permet d’être commercial tout en étant très technique, je reste en prise avec la macro-économie et je progresse bien. Le métier de banquier qui traite avec les Clients en haut de bilan vous offre diversité des situations et secteurs, challenge intellectuel, stimulation des opérations. Donc je n’ai jamais eu envie de faire autre chose d’autant que j’ai eu de belles opportunités aussi d’y faire du management d’équipes. 


J’ai aussi été portée par la création et l’essor d’un métier, l’Equity Capital Markets, dans les années 90 et la croissance de Rothschild, encore une petite boutique en 1994. J’ai aussi relevé des défis, créer une équipe commune avec ABN AMRO dans une JV qui a bien fonctionné, entrer dans le restructuring à la crise de 2008. Et je n’ai pas hésité à voir ailleurs lorsque je craignais de plafonner.


Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

Comment mener tout de front ? Je ne veux surtout pas laisser penser que tout a été facile. De temps en temps, il faut serrer les dents, accepter de stagner pour le bien de sa famille (mais la route est longue). Quand on élève 3 enfants en même temps, il faut se doter de règles claires sur ce qui est important des deux côtés, carrière et enfants, s’organiser et ne jamais transiger sur quelques points d’équilibre. Une carrière se vit au long cours, le temps des hommes n’est pas le temps des femmes, tant les femmes qui font carrière que leurs employeurs doivent en tenir compte.


Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

Les qualités ? Beaucoup de banquiers très différents réussissent et chacun à leur manière. Mais les qualités de base sont le travail, travailler ses dossiers, l’écoute des clients, le désir de conciliation en interne, l’éthique. Et une dose d’audace, prendre des sujets nouveaux, oser prendre la parole en public, ce qui est clé pour être visible en interne et en externe.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

La question des « role models » est souvent posée. On peut très bien faire carrière sans en avoir un en spécifique. Pour moi, j’en ai eu plusieurs, hommes ou femmes d’ailleurs. Il est important pour certaines femmes de leur indiquer le chemin de ce que peut être le pouvoir au féminin. J’ai souvent pensé à des femmes politiques : Indira Gandhi, Madeleine Albright, … Et maintenant dans des conférences, je montre des photos de Madame Merkel face à Trump, et même de la reine Elizabeth. Aucune femme en les observant ne peut se dire que le sommet est inaccessible.


Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Oui la profession de la finance n’avance pas assez vite. Directeurs financiers, banquiers, pourquoi tant de talents à l’entrée et si peu au top 25 ans plus tard ? C’est une vraie question d’égalité et de justice. Les freins sont encore réels surtout pour nommer des femmes à la tête de P&L. Il faudra encore se battre en en faisant un vrai principe de management et que les dirigeants prennent parole fortement pour que cela bouge significativement. Les femmes dans la finance doivent encore se battre, être un peu meilleures que les hommes, et exprimer leur ambition clairement. Certains freins sont encore culturels mais sont bien moindres qu’il y a 10 ou 20 ans ! Ce n’est rien par rapport à ce que Marie Curie avait eu à affronter et pourtant elle est un des seuls scientifiques à avoir eu deux prix Nobel !


Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Je dis donc aux jeunes femmes qui sortent de grandes écoles, de Dauphine, ou autres : foncez dans la finance, le faible pourcentage actuel de femmes ne va pas durer, vous serez aidées et pas freinées dans vos carrières si vous exprimez votre ambition. Vos qualités propres, dans la négociation notamment, votre sérieux sont des atouts forts pour la finance. Vous y serez plus visibles que les hommes avec vos Clients et vous vous y épanouirez !