Sarah Roussel, Directrice Générale de BNP Paribas Factor.

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

En cours de scolarité à l'ESSEC, j'ai signé mon tout premier contrat chez Paribas, en apprentissage. La finance n'était pas une vocation, j'y suis allée un peu par hasard grâce à ce premier contrat...et j'y suis restée ! C'est la richesse intellectuelle du métier de banquier et la dimension internationale du Groupe BNP Paribas qui m'ont intéressée. J'ai donc démarré en tant qu'auditrice au sein de l'Inspection Générale ; au bout de six ans, j'ai complété mon cursus académique par un MBA à l'INSEAD. À mon retour, j'ai travaillé près de dix ans au sein de la gestion financière du Groupe à Paris, période pendant laquelle j'ai eu trois enfants, avant de prendre la direction financière de BNP Paribas à Londres. De retour à Paris, j'ai ensuite pris la direction du contrôle de gestion de CIB. En 2013, j'ai rejoint le pôle Domestic Markets en tant que Directrice financière. Puis, après cette longue période dans la fonction finance, j'ai eu envie de prendre le rôle plus opérationnel de Directrice Générale de la filiale d'affacturage du Groupe : BNP Paribas Factor, poste que j'occupe actuellement.

Je n'ai jamais rencontré de difficultés dans mon orientation, bien au contraire. J'ai toujours été soutenue par mes managers, hommes ou femmes, qui m'ont accompagnée dans ma progression et mes démarches de mobilité. A aucun moment le fait d'être une femme, par ailleurs mère de trois enfants, n'a constitué un frein à ma progression de carrière, ni en termes de responsabilités, ni en termes de rémunération ; sans doute parce que je n'ai moi-même jamais douté sur ce point, personne n'a eu l'occasion d'y penser pour moi !

Est-ce difficile d'articuler vie de femme, vie de famille, et vie professionnelle ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

A mon sens, le secret c'est de ne jamais regretter de ne pas faire assez soi-même. Je privilégie la qualité du temps passé plutôt que sa quantité. Concrètement cela signifie que lorsque je suis à la maison, je suis 100% disponible pour mes proches, et inversement, quand je suis au travail, je suis 100% concentrée sur les problématiques professionnelles. Cela implique d'avoir mis en place un système qui permette de déléguer certaines tâches de la vie familiale à des personnes de confiance. De la même manière, bien s'entourer au niveau professionnel quand on devient manager et bien construire et faire jouer son réseau de manière générale est un facteur clé de succès.

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans votre métier ?

Laissez-m'en citer quatre que je considère comme indispensables pour exercer mon métier :

  • L'écoute : écoute des clients bien sûr, mais également des collaborateurs, de la société, et de manière générale de toutes les parties prenantes de l'entreprise et des signaux, parfois faibles qu'elles nous envoient. Il faut savoir écouter, analyser, comprendre avant toute chose.
  • La vision stratégique : c'est aussi donner le sens, ce qui est essentiel pour guider l'entreprise sur un chemin et concentrer les énergies vers le même objectif.
  • Décider : décider, c'est avancer. C'est aussi avoir le courage de prendre le risque de se tromper, et accepter que parmi toutes les décisions que l'on est amenées à prendre, quelques-unes ne soient pas nécessairement des plus heureuses, l'important étant alors de savoir changer d'avis suffisamment vite !
  • Travail collaboratif : c'est la capacité à travailler de façon coordonnée pour faire avancer l'entreprise ensemble, et de valoriser chacun dans son rôle ; on ne pourra jamais pas faire seul ce que l'on sera capable d'accomplir à 10, à 100 ou à 100 000.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

Il n'y a pas nécessairement une ou deux personnes en particulier qui m'ont inspirée dans mon travail au quotidien. J'observe beaucoup les gens qui m'entourent, quels qu'ils soient, hommes ou femmes, mes chefs, mes collaborateurs, mes pairs, et je vois dans beaucoup d'entre eux un aspect qui va pouvoir m'inspirer. Ça peut être par exemple un responsable de métier qui aura une aisance à formuler une vision stratégique limpide, une de mes collaboratrices qui communique particulièrement bien, ou encore un manager qui sait fédérer ses équipes.

Sur mon positionnement en tant que femme dans la vie professionnelle, les deux personnes qui m'ont inspirée sont très proches puisqu'il s'agit de ma mère et ma grand-mère maternelle : ma grand-mère maternelle était élevée dans une famille de paysans bretons et a appris à parler le français à l'école en primaire. Elle est devenue institutrice et s'est mariée à un instituteur, et a fait exactement le même type de carrière que son mari, pour le même salaire déjà à l'époque ! Sa fille, ma mère donc, est quant à elle devenue médecin spécialiste, s'est également mariée à un médecin exerçant la même spécialité, et a eu les mêmes succès professionnels que son mari. Elevée dans ces schémas d'équilibre femme/homme et d'ascension sociale par l'éducation et le travail, la question de la capacité des femmes à faire d'aussi belles carrières que les hommes ne s'est donc jamais posée pour moi, je crois que c'est une vraie force qui m'a aidée à m'établir dans le monde professionnel.

Aujourd'hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d'une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu'est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

Malgré une amélioration très notable ces dernières années en termes de représentation des femmes (par exemple, chez BNP Paribas Factor, les femmes représentent 40% de l'effectif des cadres et 40% des managers), il reste des marges de progression sur la représentation des femmes dans le monde de la Finance. Comment améliorer la situation ?

Le sujet commence à mon sens hors de la sphère professionnelle : au sein de la cellule familiale, je pense qu'il faut que les femmes osent se positionner en tant que modèle vis-à-vis de leurs enfants, qu'elles aient une activité professionnelle ou pas d'ailleurs. Il est important qu'elles donnent une image positive du monde professionnel aux jeunes enfants (filles et garçons) et montrent au jour le jour la capacité de chacun, homme ou femme, à réussir dans ce monde-là, gage de leur liberté individuelle plus tard.

Dans le monde professionnel, repérer les femmes (et hommes) à potentiel, les accompagner pour leur permettre d'accéder aux responsabilités auxquelles elles peuvent prétendre ce sont des actions essentielles qui peuvent se trouver facilitées à différents niveaux :

  • les lois paritaires ont déjà permis de faire bouger les lignes. L'obligation de publier la note de l'index égalité femmes-hommes pour, prochainement, toutes les entreprises de plus de 50 salariés est également une avancée considérable pour donner un outil de mesure, de communication et donc d'action, sur le sujet.
  • au niveau de l'entreprise, promouvoir des politiques ambitieuses d'égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes, cela peut passer par des actes forts d'engagement contre le sexisme au travail et de formation des acteurs, par la politique salariale, par la création de réseaux de promotion des femmes aux postes à responsabilités, ou par l'adhésion à des initiatives externes de type « HeforShe » ou « Jamais sans Elles ». Je suis fière de travailler dans une entreprise très active et particulièrement engagée sur ce type de démarches et d'avoir ainsi pu publier un index d'égalité de 99/100 !
  • Enfin au niveau individuel, faire progresser ces thématiques c'est d'abord et avant tout être exemplaire dans ses comportements et avoir un niveau d'exigence élevé vis-à-vis de ses collaborateurs sur ces sujets ; et coacher les femmes (et parfois aussi les hommes, l'égalité c'est aussi cela !) pour qu'ils atteignent les postes à responsabilité qu'ils méritent.

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

Le monde de la finance est structurant dans la vie d'une société, c'est un pilier essentiel au bon fonctionnement de toute économie, avec un rôle sociétal fort, mais cela ne l'empêche pas d'être en perpétuel mouvement. Cette génération qui a besoin de changement et de diversité peut en effet s'épanouir dans la finance car ce n'est pas un métier mais une multitude de métiers faisant appel à des compétences très variées (du créatif à l'ingénieur, de l'expert au communiquant, du commercial à l'organisateur…), avec des possibilités d'évolution particulièrement nombreuses, et des métiers qui se créent ou se réinventent notamment autour du digital.

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

Pour bien évoluer dans l'entreprise, les femmes ne doivent pas chercher à imiter les hommes en essayant de se placer sur le même terrain qu'eux. Simplement miser sur ses compétences, rester soi-même, ne pas considérer les hommes nécessairement comme des concurrents ou des ennemis, mais plutôt comme des alliés qui ont tout aussi besoin de nous que nous d'eux. Et être convaincue soi-même de ses capacités !