La Lettre n°97 de Mai 2011

Actualités : L'OPA qui rate tout en atteignant son objectif ou comment faire échec au machiavélisme

Nos lecteurs auront peut être été surpris de découvrir qu’au début du mois Volkswagen avait lancé une offre publique d’achat sur MAN à 95 € alors que l’action MAN cotait environ 98 €.

Qui donc irait apporter ses titres à une offre à 95 € alors qu’il peut les céder sur le marché pour 3 € de plus ? Cette offre semblerait donc, dès le début, condamnée à l’échec. Dès lors pourquoi la lancer ?

Voici une réflexion pleine de bons sens et dénuée d’esprit machiavélique !



Pour comprendre pourquoi l’OPA de Volkswagen a peu de chance de réussir, sauf baisse du cours de l’action MAN pendant la période de l’offre, et pourquoi néanmoins, Volkswagen sablera le champagne quand son offre aura échoué, un petit rappel du droit boursier allemand est utile.

En Allemagne, lorsqu’une personne franchit seule ou de concert, directement ou indirectement le seuil de 30 % des droits de vote d’une société cotée allemande, elle est tenue de déposer une offre publique sur le solde du capital qu’elle ne détient pas encore.

Le prix de cette offre obligatoire doit être égal au plus élevé :

• du prix le plus élevé payé par l’initiateur de l’offre durant les six derniers mois précédant le franchissement de seuil ;

• du cours moyen pondéré des volumes des trois derniers mois précédant le franchissement de seuil.
Autrement dit, Volkswagen a acheté début mai assez d’actions MAN pour franchir le seuil de 30 % (passant ainsi de 29,9 % à 30,5 % des droits de vote) et donc se trouve dans l’obligation de lancer une OPA. Volkswagen n’ayant pas acheté de titres MAN sur les six derniers mois outre ce bloc, le prix de l’offre est le cours moyen des trois derniers mois, soit 95 €.

Une fois cette offre formelle faite, Volkswagen sera délié de toute obligation de faire une nouvelle offre car le concept « d’excès de vitesse » (obligation de faire une offre quand un investisseur qui détient entre 30 % et 50 % augmente sa participation de plus de 2 % par an comme en France) n’existe pas en Allemagne (1).

En un mot, l’offre qui rate permet à Volkswagen d’acheter ensuite autant de titres qu’il veut sur le marché et de prendre le contrôle de MAN sans payer la moindre prime de contrôle.

Ce schéma est devenu un grand classique en Allemagne ; c’est ainsi que ACS est en train de prendre le contrôle de Hochtief, que Porsche a failli prendre le contrôle de Volkswagen.

L’opération n’est pas sans risque comme Schaeffler l’a expérimenté à ses dépens en 2008. En effet, il avait acquis un paquet d’actions Continental, puis lancé une offre purement formelle sur les actions Continental pour franchir le seuil de 30% et purger cette obligation. Las, le cours de Continental a fortement baissé pendant l’offre de Schaeffler (Lehman ayant fait faillite dans l’intervalle …) et l’offre, loin d’être l’échec espéré, a été un grand succès, le contraignant à acheter beaucoup plus de titres Continental qu’il ne le pouvait raisonnablement.


Un tel schéma est-il possible en France ?

Peut être mais pas sûr ! Certes rien n’empêche un investisseur de ramasser jusqu’à 29,9 % des actions d’une société cotée au capital éclaté, puis de se placer en offre obligatoire en acquérant sur le marché au moins un an plus tard un bloc lui faisant franchir le seuil de 30 %.

Le prix de l’offre obligatoire en France doit être au moins égal au prix le plus élevé payé par l’initiateur de l’offre dans les douze mois précédant le franchissement du seuil de l’offre obligatoire (article 234-6 du Règlement général de l’AMF).

On peut penser qu’en choisissant bien le moment de l’achat du bloc qui lui permet de franchir le seuil fatidique, l’initiateur bénéficierait d’un prix de l’offre correspondant au prix du bloc et donc au prix du marché à ce moment là.

Si l’offre réussit, l’initiateur aurait acquis le contrôle de sa cible sans payer de prime de contrôle.

Si l’offre échoue, il pourra tranquillement monter au capital de sa cible de 2 % par an au plus sans avoir à lancer une nouvelle offre.

Cela dit, c’est peut-être aller un peu vite en besogne car un autre article du Règlement général de l’AMF (le 234-2) stipule que le projet d’offre publique doit être  « …. libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré conforme par l'AMF ».

Ainsi l’AMF aurait les moyens de s’opposer à cette manœuvre en exigeant que le prix d’offre soit supérieur au prix d’achat du bloc. De combien ? On ne sait pas. Le contexte sera certainement important. Une offre « au ras des pâquerettes » aura plus de chances d’être déclarée conforme qu’une offre « où l’on se moque du monde » à l’allemande. 

Si l’initiateur est représenté par des administrateurs au conseil d’administration de la cible, un rapport devrait être demandé à un expert indépendant (2) afin d’éclairer le conseil avant qu’il ne statue sur l’offre puisque la présence en son sein de représentant de l’initiateur créée un conflit d’intérêt. Si l’expert conclut négativement quant au prix de l’offre, l’AMF devrait de surcroît s’appuyer sur cet avis pour refuser de prononcer la conformité de l’offre.



Pour éviter de tels dilemmes ou incertitudes ou tenter inutilement des vocations, n’est-il pas plus sage d’attaquer le mal à la racine :

• en supprimant la clause d’excès de vitesse permettant de grimper de 2 % par an sans avoir à lancer d’offre. Ceci a déjà été fait au Royaume-Uni et on ne voit vraiment plus à quoi sert cette clause si ce n’est à permettre une prise de contrôle sans offre et sans prime ;

• en introduisant une clause de caducité automatique de l’offre si, à l’issue de celle-ci, l’initiateur ne parvient pas à atteindre au moins 50 % du capital et des droits de vote. Cela l’inciterait à faire une offre avec une prime telle qu’elle puisse lui permettre d’emporter le contrôle de sa cible. En cas d’échec, c'est-à-dire d’obtention de moins de 50 % du capital de la cible, l’offre n’aurait pas de suite et l’initiateur resterait un peu au dessus de 30 %, ne pouvant pas monter au capital sans faire une nouvelle offre puisque la clause de l’excès de vitesse aurait, elle aussi, été supprimée. Sans vouloir tomber dans l’anglophilie primaire, notons que la clause de caducité à 50 % existe déjà au Royaume-Uni.



Dans les années 1970 on entendait souvent dire que l’union est un combat permanent. Quelques décennies après, on pourrait mentionner que l’amélioration de la réglementation boursière est un combat permanent.

Après l’abaissement du seuil de l’OPA obligatoire de 33,3 % à 30 % entré en vigueur il y a peu (3) et dont les principaux motifs étaient de se rapprocher du seuil de l’offre obligatoire le plus fréquent en Europe et de rendre plus difficile la prise de contrôle rampante, cette évolution serait, nous semble-t-il, de nature à parachever cet effort et utile pour ne pas prendre le risque de converger, sur ce point, avec l’Allemagne.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 48 du Vernimmen 2011.
(2) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 48 de mai 2006.
(3) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 94 de janvier 2011.


Tableau : Le BFR des groupes du CAC 40

Le classement des groupes du CAC 40, à l’exclusion des financières et des immobilières, fait apparaître que la moitié d’entre eux ont, à la clôture de leur exercice social, un BFR négatif. Le BFR négatif est ainsi l’un des attributs d’un groupe puissant et il ne fait pas s’étonner de trouver de nombreux groupes puissants dans les membres du CAC 40 qui rassemble l’élite de l’économie française ! Comme nous avons eu l’occasion de l’écrire (1) « Le BFR est le témoin d’un rapport de force entre l’entreprise, ses clients et ses fournisseurs ». Il n’y a donc pas que la grande distribution à avoir un BFR négatif. Au total, le CAC 40 a un BFR négligeable de 3,7 Md€ pour 1 067 Md€ de chiffre d’affaires, soit l’équivalent d’un jour de chiffre d’affaires :

Globalement, la situation a peu changé par rapport à l’an passé, surtout si l’on met de coté deux cas atypiques Veolia et EDF. Mais il n’y avait pas de raison particulière non plus pour qu’elle change beaucoup en 2010. Il en serait différemment en cas de redémarrage sérieux de l’inflation (2).
(1) Voir le chapitre 12 du Vernimmen 2011.
(2) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 95 de janvier 2011.  


Recherche : L'inné ou l'acquis en finance ?

Les publications originales en finance sont souvent liées à l’exploitation de bases de données qui n’étaient pas destinées aux chercheurs. C’est le cas de l’étude que nous présentons de ce mois-ci (1). Trois chercheurs d’universités américaines ont eu l’idée de travailler sur des  données suédoises sans équivalent dans le monde : la plus grande base de données sur les jumeaux (Swedish Twin Registry), et les données collectées par la Swedish Tax Agency sur le patrimoine financier des individus dans le cadre de l’impôt sur la fortune (2).

L’étude se situe à la frontière entre la finance et la psychologie ; l’objectif est de déterminer la source du profil d’épargne des individus, en distinguant l’inné de l’acquis. Des études en psychologie ont montré que l’aversion au risque des individus, mais aussi leur comportement social et leurs capacités cognitives, avaient une composante génétique. D’autres études, dans le champ de la finance, ont montré que ces éléments étaient déterminants dans les choix de portefeuille des individus. Les auteurs ont voulu faire le lien entre ces deux littératures, et montrer l’existence d’une composante génétique dans le choix de portefeuille (3).

L’étude porte sur les jumeaux âgés de plus de 18 ans en 2002. Les données exploitées correspondent à 37 504 jumeaux, dont 29% sont des « vrais » jumeaux (homozygotes, partageant le même capital génétique) et 79% de « faux » jumeaux (hétérozygotes). Les statistiques descriptives indiquent que les proportions sont conformes à celles trouvées dans d’autres études. Les portefeuilles des deux sous-échantillons (« vrais » et « faux » jumeaux) ont une valeur moyenne semblable (de l’ordre de 30 000 dollars), la même proportion moyenne de cash (42%) et la même proportion moyenne d’actions (46%).

La distinction entre « vrais » et « faux » jumeaux permet aux auteurs d’isoler la composante génétique de la composante liée à l’acquis. Le test économétrique indique que cette composante génétique explique près de 30% des variations dans la composition des portefeuilles. L’inclusion de variables de contrôle (richesse, activité entrepreneuriale, santé, statut marital) ne modifie pas les résultats. C’est la principale conclusion de l’étude : il y aurait bien une composante génétique dans le choix de portefeuille, et son influence serait très significative.

Un autre résultat de l’étude est intéressant : la composante liée à l’environnement familial dans les choix de portefeuille devient négligeable lorsqu’on tient compte de la composante génétique. Autrement dit, si l’on en croît les résultats de l’étude, l’influence des parents dans le choix de portefeuille de leurs enfants serait génétique et non culturelle.

Les études cherchant à expliquer l’allocation d’actifs des individus par leurs caractéristiques observables ont donné jusqu’à présent peu de résultat. Cette publication ouvre une nouvelle piste, qui ne manquera pas de faire réagir.
(1) A.BARNEA, H.CRONQVIST et S.SIEGEL (2010), Nature or nurture : what determines investor behavior ?, Journal of Financial Economics, vol. 98, pages 583-604
(2) La déclaration était faite par les institutions financières suédoises pour les patrimoines individuels supérieurs à 1 500 000 SEK. La loi a été abolie en 2006. Quel bonheur pour les contribuables suédois ! Quel malheur pour les chercheurs !
(3) Trois caractéristiques des portefeuilles sont prises en compte : la présence ou non d’actions, la proportion d’actions et la volatilité du portefeuille.
(3) Même les échantillons non retraités font apparaître une différence (plus faible) en faveur des sociétés non cotées.


Q&R : Acheter des actifs ou une société ? ?

Quand la question se pose, mais elle est loin de se poser systématiquement car le vendeur ne laisse souvent pas le choix, voici quelques éléments de réponse :

1.La liquidité du vendeur

Quand il vend les actifs d’une société, il ne récupère pas en direct le produit de la vente, c’est la société qui en bénéficie puisqu’elle était propriétaire des actifs. Cette situation peut l’arranger s’il a l’intention de transformer la société en une société holding et de réinvestir le produit de la vente dans de nouvelles activités.

Si par contre, il a besoin de liquidités, pour éteindre des dettes personnelles par exemple, il préfèrera naturellement recevoir des liquidités en direct et donc céder la société.

A ceci se rajoute l’optimisation de la contrainte fiscale car le taux d’imposition des plus values sur les actifs de l’entreprise, éventuellement cumulé à celui de la redistribution du cash vers l’actionnaire, a peu de chance d’être identique à celui qui s’applique à la cession des actions, ni de s’appliquer à la même base taxable.

2. La fiscalité de l’acheteur

L’achat d’actifs en direct, dans l’immense majorité des cas à un prix de cession supérieur au montant net pour lequel ils sont inscrits dans les comptes de la société vendeuse, permet à l’acheteur de les amortir sur la base de la valeur vénale et donc de bénéficier d’une charge d’impôt moindre car la dotation aux amortissements est alors plus élevée. Ceci n’est pas possible lorsque l’on rachète une société sauf à procéder à une réévaluation libre qui, dans la pratique, ne se fait que lorsque l’entreprise bénéficie d’importants reports fiscaux déficitaires qu’il est peu probable qu’elle puisse utiliser par ailleurs.

Selon les pays, l’achat d’actifs ou d’actions est soumis à des droits d’enregistrement particuliers qui doivent être intégrés au raisonnement.

3. Les aspects comptables pour l’acheteur

Il sont normalement neutres puisque les actifs acquis à travers une société sont normalement réévalués à leur valeur vénale (1) lors de leur première consolidation dans les comptes de l’acquéreur comme le seraient les mêmes actifs achetés en direct.

4. Le choix du périmètre

Quand on achète une société, on achète tous ses actifs et tous ses passifs déclarés, sauf accord particulier avec le vendeur. En particulier, on achète sans les connaître les éventuels passifs latents non encore apparents.
Certes l’acheteur bénéficie normalement d’une garantie du vendeur, mais pas toujours, et faut-il qu’il soit solvable au moment de sa mise en œuvre. Ainsi, nous n’avons pas l’impression que Barclays soit mécontent que le régulateur britannique l’ait empêché en septembre 2008 d’acheter Lehman Brothers, lui permettant quelques jours après d’acheter les actifs qu’il voulait et pas ceux qu’il ne voulait pas, de reprendre une partie des effectifs et pas la totalité.

5. Les aspects juridique et réglementaires

On choisira parfois entre achat des actifs et achat de la société pour éviter d’avoir à demander une autorisation administrative ou réglementaire, contourner un droit de préemption ou un droit d’agrément (2). Mais attention à l’abus du droit, le régulateur étant rarement l’idiot du village !
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 7 du Vernimmen 2011.
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 45 du Vernimmen 2011.


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