La Lettre n°73 de Février 2009

Actualités : Quel dividende verser en 2009 ?

Avant de répondre à cette question qui peut tarauder les administrateurs de bon nombre de sociétés, que l’on nous permettre de rappeler quelques idées simples dans ce domaine :

1) Le dividende n’a rien d’obligatoire. Par définition, et contrairement aux frais financiers qui doivent être payés à défaut de faire faillite, le dividende est facultatif et l’actionnaire n’a aucun fondement juridique ou contractuel à exiger le paiement d’un dividende. Certaines sociétés vivent très bien sans avoir jamais versé un dividende (Ubisoft ou Google par exemple), d’autres l’ont supprimé dans le passé pour le rétablir plus tard (France Télécom en 2002 par exemple (1)).

2) Contrairement au salaire dont le versement enrichit le salarié, le versement d’un dividende n’enrichit en rien l’actionnaire puisque la valeur de l’action baisse théoriquement et pratiquement du montant du dividende. S’il en était autrement, il y a belle lurette que les sociétés verseraient des dividendes tous les jours et que la pauvreté aurait été éradiquée de ce bas monde ! Quand une société verse un dividende à un actionnaire, celui-ci ne fait que récupérer une partie de son patrimoine sous forme de numéraire. Prétendre que les actionnaires doivent se serrer la ceinture parce que les salariés font de même est peut être politiquement juste mais financièrement faux. L’un est rémunéré, l’autre liquéfie une partie de son patrimoine. N’oublions pas enfin sur ce point que le développement de l’actionnariat salarié fait que de nombreux collaborateurs d’un groupe en sont aussi les actionnaires.

3) Bien qu’étant versé au titre des résultats 2008 (que les analystes ne voient qu’en baisse de 5% comparés à 2007), le dividende est arrêté en ayant en tête une prévision des résultats 2009, qu’il est bien difficile aujourd’hui d’établir avec un peu de certitude ! C’est son aspect signal (2).

4) Le dividende a une dimension psychologique considérable qui fait que son montant est normalement mûrement réfléchi. Ainsi, Dow Chemical a pris le soin d’annoncer le 27 janvier qu’il réfléchissait à réduire son dividende pour la première fois depuis 1912 après 389 dividendes trimestriels sans recul !
5) Enfin d’un point de vue financier, une entreprise est tout à fait fondée à ne pas distribuer de dividendes afin de pouvoir ainsi financer la réalisation d’investissement au taux de rentabilité espéré supérieur au coût du capital et qui ne pourraient pas être financés autrement que par autofinancement. Quand Telefonica annonça fin 1998 qu’elle ne verserait pas de dividende au titre de cet exercice afin de saisir les nombreuses opportunités d’investissement en Amérique Latine que la crise économique qui frappait cette région créait alors, son cours de bourse monta de 9 % dans la journée. Qui a dit que les actionnaires raisonnaient à court terme ?

Ceci étant précisé, que faire ?

D’abord arrêter les rachats d’actions qui détruisent des capitaux propres et augmentent l’endettement des entreprises. La plupart des groupes l’on déjà fait (voir l’article suivant pour les entreprises du CAC 40), soit pour pouvoir faire face aux échéances de leurs prêts dans ces temps de credit crunch, soit pour être prêt à faire des acquisitions à bon compte vu les niveaux de cours (3). Seuls les groupes sans endettement significatif, bien portants et sans opportunité de croissance externe peuvent poursuivre les rachats d’actions. Ils seront l’exception et ce faisant ils contribueront à remettre de l’argent dans les circuits économiques plutôt que de le thésauriser et de le placer à 2 % en bons du Trésor, ce qui n’est probablement pas ce qu’attendent les actionnaires des dirigeants.

Ensuite avoir une réponse différente selon les situations.

Il ne nous paraît pas fondé que des entreprises dans des secteurs relativement peu atteints par le ralentissement économique (agro-alimentaire, pétrole, biens de grande consommation, etc …) et peu endettées, aux profits stables ou en hausse, suppriment ou baissent nettement leur dividende. Ce serait ajouter la confusion à l’inquiétude ambiante.

Quant aux autres, il nous paraît sage de réduire le dividende 2008, voire le supprimer, pour garder des liquidités afin de faire face à l’échéance des dettes ou des lignes de crédit qui pourraient ne pas être renouvelées, aux dérapages des BFR, aux coûts des restructurations ou saisir des opportunités de croissance interne par prise de parts de marché sur des concurrents affaiblis ou des opportunités de croissance externe à bon compte qui ne tarderont pas à se produire si elles ne sont pas déjà là.

C’est en effet dans les périodes de crise économique que les meilleurs investissements sont effectués par ceux qui ont à la fois le courage et les moyens de le faire. Il en est ainsi de l’acquisition de The Equitable par Axa en 1991, de Citroën par Peugeot en 1976, de Point P par Saint-Gobain en 1996, etc …. Il pourrait en être de même, dans le domaine de la croissance interne, du ralliement annoncé la semaine passée de Steven Spielberg à Disney après 30 ans chez Universal qui produisit son premier film.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 44 du Vernimmen 2009.
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 44 du Vernimmen 2009.
(3) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 71 de décembre 2008.



Tableau : Rachats d'actions et dividendes en 2008 en France


En 2008, et selon nos estimations, les sociétés du CAC 40 ont racheté (en net de cessions d’actions) pour environ 11,2 Md€ d’actions, soit 1 % de leur capitalisation boursière moyenne 2008, soit un recul de 42% en un an que la conjoncture économique et financière explique aisément. Au demeurant si avions compilé nos données par semestre, nous verrions très nettement une césure entre un premier semestre actif malgré une disparition des rachats d’actions par les financières (qui représentaient 30% du total en 2007 soit 5,7Md€) et un second semestre où la plupart des gros racheteurs d’actions (ArcelorMittal, Total, L’Oréal, Sanofi Aventis, etc) ont cessé ces opérations. 

En 2008, les rachats sont le fait d’un nombre limité de groupes puisque ArcelorMittal, , GDF Suez, Sanofi Aventis, Total et L’Oréal font 78% des rachats. L’an passé, il fallait compter 10 groupes pour atteindre ce même pourcentage. 13 groupes n’ont pas fait de rachats d’actions significatifs en 2008.

En montant le champion est pour la seconde année consécutive ArcelorMittal qui a racheté pour 3 fois plus d’actions qu’il n’a versé de dividendes à ses actionnaires. Ce choix illustre bien les usages différents des deux outils. Le rachat d’actions sert à rendre à l’actionnaire le cashflow excédentaire transitoire alors que le dividende est un socle que l’on espère pérenne. Dans un secteur comme la sidérurgie, marqué par une activité qui connaît de grandes variations et des coûts fixes élevés, trop augmenter le dividende ferait courir le risque de ne pas pouvoir le maintenir à l’avenir. Le rachat d’actions est alors la variable d’ajustement et en phase haute de conjoncture le taux de distribution de dividendes est faible : 15% en 2008 pour ArcelorMittal.

On le vérifie également en remarquant que la part des rachats d’actions dans le total des fonds restitués aux actionnaires est passée de 33% en 2007 à 20% en 2008. En 2009 on sera certainement en dessous de 10% car on ne voit pas comment les rachats d’actions pourraient dépasser quelques milliards (2, 3 ?) d’euros alors qu’ils avaient culminé à 19Md€ en 2007.

Avec une progression de près de 14% par rapport à 2007, moindre que les 21% de l’année précédente, la masse de dividendes versés en 2008 par les membres du CAC 40 atteint 43 Md€ et présente la même concentration qu’en 2007. Le trio de tête (Total, GDF Suez et France Télécom) verse toujours à peu près 30% des dividendes du CAC 40.

Le taux de distribution moyen des dividendes, à  42 %, est sans surprise pour des groupes faiblement endettés et ayant publié des résultats 2007 en croissance, fruit le plus souvent d’investissements importants. Avec les rachats d’actions, on atteint un taux de distribution global de 52 % environ, ce qui laisse environ 50 Md€ de profits réinvestis, de quoi financer des inévitables dérapages de BFR, des restructurations et une réduction de l’endettement bienvenue pour faire de la place dans les bilans bancaires aux PME.

En 2009, les dividendes baisseront car les résultats 2008 sont plus faibles qu’en 2007. Il n’est pas besoin de vous donner rendez-vous dans la Lettre Vernimmen.net de février 2009 pour vérifier cela !

Au total l’argent rendu aux actionnaires en 2008 par le CAC 40 en dividende et en rachat d’actions est en recul de 5% par rapport à 2007. La crise est passée par là et ce sera pire en 2009. Ainsi va la vie !

Pour plus de détails sur la politique de dividendes et de rachats d’actions, voir le chapitre 44 du Vernimmen.


Recherche : Les lois sur les faillites

Les articles étudiant les conséquences des environnements légaux sur les systèmes financiers sont assez nombreux parmi les publications académiques. Nous avons présenté récemment un tel article, qui montrait que les caractéristiques des prêts bancaires variaient selon la tradition juridique du pays (1). Nous revenons ce mois-ci sur cette littérature. L’article qui a retenu notre attention (2) s’intéresse plus particulièrement aux cas de défaut de paiement des créanciers.

La manière dont sont gérés les défauts de paiement dans chaque pays modifie le pourcentage récupéré par les créanciers (et notamment les banques). Les auteurs présentent la législation sur les faillites dans trois pays européens (France, Allemagne et Royaume-Uni) et montrent que les banques tentent d’adapter leurs prêts à cette législation. Ils reprennent la notation d’un célèbre article (3) ayant attribué à la France le score minimum en matière de protection des créanciers, contre 3 à l’Allemagne et le maximum 4 au Royaume-Uni.

En France, la priorité absolue donnée à la poursuite de l’activité et au maintien de l’emploi a pour conséquence une moindre protection des créanciers. Les banques réclament donc davantage de garanties : plus de 100% de la valeur de la dette (contre 40% en Allemagne et 60% au Royaume-Uni). Les garanties hypothécaires sont peu utilisées, car les biens ont tendance à être bradés lors des procédures administratives. En revanche, les cautions personnelles, activables directement par les banques, sont privilégiées. Au Royaume-Uni, le défaut de paiement se traduit par une procédure dans laquelle les créanciers de premier rang possèdent un droit de veto sur les décisions administratives. Ils obtiennent un contrôle de fait de l’entreprise. En Allemagne, la situation est intermédiaire, les créanciers conservant un certain pouvoir dans les procédures de restructuration des crédits.

Malgré les efforts d’adaptation des banques, leurs taux de recouvrement restent très différents dans les trois pays : 92% au Royaume-Uni, 67% en Allemagne et 56% seulement en France. Pour des entreprises équivalentes, l’analyse économétrique donne un taux de recouvrement britannique 20% supérieur au taux français, une différence considérable. Dans le même temps, les taux de poursuite d’activité sont un peu moins bons en France que dans les deux autres pays : les objectifs de la législation ne sont donc pas atteints. A l’inverse, les banques au Royaume-Uni sont incitées à favoriser la poursuite d’activité, car elles obtiennent alors un meilleur taux de recouvrement.

Remarquons pourtant que les spreads pratiqués par les banques britanniques restent plus élevés que ceux des banques françaises (16 points de base à prêt équivalent). Les auteurs attribuent cela à une moindre concurrence entre les établissements, liée à un système financier dominé par les marchés. Par ailleurs, en se concentrant sur les entreprises qui ont fait défaut, la publication n’analyse pas les capacités préventives des trois systèmes (comme la « procédure d’alerte » en France). Compétitivité des banques, prévention des défauts de paiement : des éléments dont il faudrait aussi tenir compte pour une comparaison complète des mérites des législations nationales.

(1) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 71 de décembre 2008.
(2) S.G. Davydenko et J.R. Franks (2008), Do Bankruptcy Codes Matter ? A Study of  Defaults in France, Germany and the UK , Journal of Finance, vol.63, pages 565 à 608.
(3) R. La Porta, F. Lopez-de-Silanes, A. Shleifer et R.W. Vishny (1998), Law and Finance, Journal of Political Economy, n°106, pages1113 à1155.



Q&R : Qu'est ce que le fonds de roulement propre ?


On sait que le fonds de roulement, différence entre l’actif circulant et le passif circulant, est un concept né au 19ème siècle avec le développement des banques commerciale afin de mesurer la solvabilité d’un emprunteur (1). En effet, un fonds de roulement de 10 signifiait que les actifs circulants pouvaient se déprécier de 10 avant que leur liquidation soit insuffisante pour rembourser les dettes à court terme. Dans ce monde où les prêts à moyen et long terme étaient inexistants et où seuls les capitaux propres finançaient les immobilisations, le fonds de roulement était le matelas de sécurité qui protégeait le prêteur contre le risque de l’impayé sur le crédit d’escompte ou contre celui de la mévente sur le crédit de campagne.

Après la seconde guerre mondiale, l’Etat français a mobilisé des ressources à long terme au profit d’un système bancaire largement nationalisé pour lui permettre d’accorder massivement des prêts à long terme aux entreprises afin de les aider à reconstruire et à développer leur appareil de production.

La perspective est alors passée du court terme au long terme avec le souci sain que les entreprises à qui les banques se mettaient à prêter sur des durées inouïes (au sens premier) ne fassent pas des “bêtises”, c’est à dire ne prennent pas un risque de liquidité, de transformation, en finançant du long terme avec des ressources court terme. Le fonds de roulement a été alors “recyclé” puisque calculé comme l’excédent des ressources à plus d’un an sur les emplois à plus d’un an, il montre bien si le long terme a été financé par du long terme.


Le fond de roulement propre, quant à lui, se calcule comme la différence entre les capitaux propres et les immobilisations ou, puisque les bilans sont équilibrés, comme l’écart entre les actifs circulants et l’ensemble des dettes de l’entreprise. Compte tenu de la frontière parfois floue entre endettement et BFR, et de la capacité de l’entreprise de jouer sur le niveau d’endettement net en cédant par exemple en fin d’exercice des créances pour rembourser des dettes ou d’obtenir des délais de paiement fournisseurs plus longs en achetant les biens ou les services à un prix plus élevé (2), le fonds de roulement propre est un outil peu utilisé, mais puissant, pour éviter de se faire avoir.

Un fonds de roulement propre de – 10 signifie que l’entreprise aurait encore une dette de 10 si elle utilisait tous ses actifs circulant pour payer toutes ses dettes. Cela veut aussi dire qu’elle finance tous ses actifs immobilisés par capitaux propres à l’exception de 10 d’endettement.

Quand on connait l’importance des actifs incorporels au sein des actifs immobilisés, à la valeur particulièrement incertaine dans le contexte actuel, on peut se dire que le fonds de roulement propre a de beaux jours devant lui. En effet, il est insensible à toute réévaluation à la hausse ou à la baisse de la valeur des immobilisations puisque la variation de valeur des actifs immobilisés s’impacte sur les capitaux propres et que le fonds de roulement propre est la différence entre les capitaux propres et les immobilisations.

Pour  notre part, nous avons utilisé ce concept qui n’est pas nouveau (3), soit :

• pour mesurer l’évolution de l’endettement global (au sens endettement financier – BFR) d’un groupe quand la frontière dette / BFR nous paraissait trop poreuse pour faire confiance aux chiffres formellement publiés ;
• pour garantir un certain niveau de situation financière dans des contrats de cession d’entreprises où la simple référence aux capitaux propres ou au montant de l’endettement est insuffisante. La première car des cessions ou des réévaluation ou des changements de méthodes comptables peuvent les modifier, la seconde car il suffit de réduire artificiellement le BFR pour réduire l’endettement.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 17 du Vernimmen 2009.
(2) Pour plus de détails, voir la Lettre Vernimmen.net n°18 d’avril 2003

(3) Voir l’édition 1988 du Vernimmen



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