La Lettre n°65 de Mai 2008

Actualités : L'action de concert : une arme entre les mains de l'AMF pour débusquer les prises de contrôle rampante


Les tentatives de prises de contrôle rampantes - c'est-à-dire non précédées d’une OPA - se multiplient en France depuis quelques années comme le montrent les exemples de Valeo, d’Atos, de Saint-Gobain ou d’Eiffage. Elles ne devraient pas disparaître dans le contexte actuel des marchés financiers : avec la baisse des cours, les difficultés rencontrées sur le marché de la dette pour financer de grosses acquisitions, les fonds financiers hésitent de moins en moins à se lancer dans des prises de participation minoritaires, mais significatives, dans des sociétés cotées. On l’a vu récemment, chez Eurazeo, Wendel, Blue Capital, sans compter les fonds anglosaxons Centaurus, Pardus, Colony… Financés souvent par de la dette et garantis par des opérations d’«equity swap» (1), les montages imaginés par ces fonds conduisent souvent ces nouveaux actionnaires à faire pression sur les managements pour obtenir d’importantes cessions d’actifs assurant des retours rapides de cash.


Le phénomène n’est pas spécifiquement français. On trouverait des exemples similaires de prise de contrôle sans OPA dans de nombreux pays européens où existent pourtant des règles d’OPA. On a même vu un actionnaire en Allemagne utiliser les règles en vigueur pour effectuer une OPA factice - c'est-à-dire faite à un prix bien inférieur au cours de bourse, l’assurant ainsi de son échec  - afin de se libérer par la suite de toute contrainte d’OPA véritable, le jour où il prendrait le contrôle de la société (2). Il n’y a pratiquement que l’Angleterre qui soit à l’abri de ces prises de contrôle : le groupe Bolloré a pu prendre en France le contrôle d’Havas avec un peu moins du tiers du capital ; avec un pourcentage à peine plus faible, il n’est pas parvenu à prendre en Angleterre le contrôle d’Aegis.


Le débat est ouvert sur le bien fondé de ces prises de contrôle. Certains les trouvent parfaitement normales. Ainsi, Pierre-Henri Leroy, Président de Proxinvest, considère-t-il que les actionnaires activistes n’existent que parce qu’il existe des actionnaires passifs. Les fonds activistes permettent, selon lui, des remises en cause salutaires de la stratégie et des équipes de direction.

Ceux-là s’insurgent contre toutes mesures qui viendraient entraver le pouvoir des actionnaires, et refusent toutes clauses statutaires comme la limitation des droits de vote, précisément  parce que cette clause représente la seule mesure efficace pour contrer les prises de contrôle rampantes. Rien ne doit pouvoir entraver les droits des actionnaires : une action, une voix !


En fait le problème est souvent mal posé. Il ne s’agit pas d’approuver ou de condamner en soi les prises de contrôle par des actionnaires minoritaires. Après tout, il est vrai que s’ils parviennent à s’imposer en AG et à prendre le contrôle des Conseils d’Administration, c’est parce que les autres actionnaires restent passifs. De même, on peut juger préoccupant que des actionnaires court-termistes viennent remettre en question la stratégie de grands groupes industriels qui, fondée sur le développement de projets ou de contrats à long terme, nécessite du temps pour être créatrice de valeur. Mais ce débat est finalement un débat de démocratie actionnariale qui appelle argumentations, explications des stratégies poursuivies et efforts de communication. Rien de plus normal.

Ce qui est en revanche contestable, ce sont les méthodes, les moyens utilisés pour s’assurer d’une majorité en Assemblée en vue de prendre le contrôle de sociétés cotées. Le prêt emprunt de titres qui permet  à l’emprunteur, le temps du prêt, de disposer des votes attachés aux actions prêtées sans prendre le risque d’actionnaires, soulève ainsi débat, comme l’a souligné le récent rapport d’Yves Mansion. L’action de concert occulte, non déclarée, en soulève un autre qui a été au cœur du conflit qui a opposé Sacyr et Eiffage et qui vient de s’achever par l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 2 avril dernier.


Dans cette affaire, l’AMF, en s’appuyant sur la notion d’action de concert a considéré qu’elle était en présence d’une tentative de prise de contrôle rampante de la société Eiffage par le groupe espagnol Sacyr qui, avec l’aide de quelques amis espagnols, avait, de concert avec eux, franchi le seuil du tiers du capital d’Eiffage, seuil déclenchant normalement une OPA obligatoire.


La tentative de Sacyr avait d’abord été contrariée en AG puisque le bureau de l’AG avait privé de leurs droits de vote en avril 2007, 89 actionnaires d’Eiffage sous prétexte qu’ils agissaient de concert et qu’ils ne l’avaient pas déclaré. Sacyr qui détenait seul un peu moins du tiers du capital d’Eiffage, déposait alors un projet d’offre publique d’échange que l’AMF allait déclarer non conforme en lui imposant le dépôt d’une offre d’achat et non d’échange, seule offre réglementairement acceptable en cas d’offre obligatoire. C’est sur cette décision de conformité que la Cour d’Appel s’est prononcée le 2 avril dernier en apportant un utile éclairage sur la notion de concert (3).


1. La Cour d’Appel confirme, en effet, l’analyse de l’AMF sur l’existence d’une action de concert. L’action de concert résulte, on le sait, selon la loi, d’un « accord en vue d’acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique vis-à-vis de la société ». Tout le problème est d’en démontrer l’existence.


Tout le monde considérait jusque là que la preuve de l’existence d’un concert était extrêmement difficile à apporter.


L’AMF, dans sa décision sur l’OPE de Sacyr de juin 2007, allait relever le défi en considérant que l’ensemble des indices qu’elle avait détectés dans la démarche des actionnaires espagnols «ne peuvent constituer au cas présent une série d’opérations individuelles et autonomes dont la conjonction serait fortuite mais qu’à l’inverse, leur accumulation ne peut s’expliquer que dans le cadre d’une intention commune visant l’acquisition du contrôle de la société en donnant à Sacyr des moyens de mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis d’Eiffage».Pour cela, l’AMF s’était appuyée sur un faisceau d’indices :


• Elle avait ainsi relevé que Sacyr comptait sur sa banque conseil pour la rapprocher d’investisseurs qui puissent voter avec elle lors de l’Assemblée Générale, et que la banque conseil de Sacyr envisageait même le cas où Sacyr obtiendrait le contrôle d’Eiffage à travers «  l’accumulation de participations amies ».
• Elle relevait par ailleurs qu’un certain nombre d’actionnaires ayant progressivement constitué leur participation à partir de juin 2006, avait une participation individuelle souvent très légèrement inférieure au seuil statutaire de 1%, dont le franchissement aurait conduit à déclaration.
• Elle note les relations d’ordre personnel, capitalistique et d’affaires existant entre ces actionnaires et les dirigeants de Sacyr.
• La logique financière de ces actionnaires, leur objet social, le mode de financement de leur investissement - les montants investis par certains intervenants représentaient jusqu’à 13 fois leur bilan et jusqu’à 57 fois leurs revenus ! -, les volumes échangés sur le marché, les variations de cours - +70% pendant les trois semaines au cours desquelles ont eu lieu les achats-, les prix d’achat - très supérieurs aux cours cible affichés par les analystes financiers-, sont également repris par l’AMF qui en conclut qu’on ne saurait être en présence d’un simple parallélisme de comportement.
•Enfin, le comportement de Sacyr qui s’est conduit « comme si elle faisait son affaire personnelle de la défense des intérêts du groupe d’actionnaires privés des droits de vote », fait l’objet d’une attention particulière.


L’enquête minutieuse à laquelle s’est ainsi livrée l’AMF lui a permis de détecter suffisamment d’indices sur lesquels elle a pu asseoir son intime conviction d’être en présence d’un concert. L’AMF cherchait ainsi à déjouer les tentatives de prises de contrôle rampantes qui seraient facilitées par des concerts occultes. Pas besoin pour elle de fournir une preuve absolue de l’existence d’un concert qu’il sera toujours impossible d’établir : un faisceau d’indices concordants lui suffit à établir la présomption.


La Cour d’Appel a repris cette analyse en considérant que les acquisitions successives d’actions Eiffage par Sacyr et par les autres sociétés espagnoles ont procédé « non d’un simple parallélisme de comportement, mais d’une démarche collective organisée tendant à la poursuite d’une finalité commune consistant à se grouper pour apparaître en force afin d’imposer ensemble, par surprise, lors de l’AGE d’Eiffage, une recomposition à leur avantage du Conseil d’Administration, leur permettant ensuite de réaliser le rapprochement entre les deux sociétés ».


La Cour invoque ainsi des éléments qui rappellent les critères de l’action de concert :
• «une démarche collective organisée», ce qui suppose l’existence d’un accord qui, on le sait peut être non écrit et qui – la précision est nouvelle – n’a pas besoin d’être contraignant ;
• «visant à une recomposition du Conseil d’Administration lors de l’AG», c'est-à-dire obtenu grâce à un exercice en commun de leur droit de vote ;
• «en vue d’une finalité commune», ce qui ramène à la politique commune visée dans la définition légale de l’action de concert.


En se fondant sur ces éléments, la Cour d’Appel de Paris conclut : « eu égard au caractère subreptice de ces manœuvres, qui méconnaissaient notamment les obligations d’information sur les prises de participation …, c’est à bon droit que l’AMF a estimé que le projet d’offre publique d’échange présenté par Sacyr dans ces conditions ne respectait pas les principes de transparence et de loyauté… et ne pouvait être déclaré conforme… »


La cour d’Appel confirme ainsi la non conformité de l’OPE de Sacyr sur Eiffage, décidée par l’AMF : Toute tentative de prise de contrôle rampante en AG réalisée de manière occulte, sans respecter les règles transparence et de loyauté (franchissement de seuil, déclaration d’intention), si elle échoue, ne peut être suivie d’une offre publique volontaire d’échange car celle-ci ne respecterait pas les principes généraux des offres publiques.


2. En revanche, la Cour s’est abstenue de considérer dans son arrêt, comme l’AMF l’avait fait dans sa décision de non-conformité, que les initiateurs du projet d’OPE déclaré non conforme, devaient déposer en lieu et place une offre publique obligatoire d’achat telle que la réglementation l’exige dans le cas de franchissement du tiers du capital, c'est-à-dire, à un prix correspondant au prix le plus élevé des prix payés par ceux qui ont franchi le seuil.


Pour cela, la Cour a d’abord observé que «  l’AMF n’était pas tenue de formuler dans le cadre de la procédure de conformité dont elle était saisie », une telle demande d’OPA obligatoire et que si elle voulait le faire, elle devait utiliser la procédure de l’injonction laquelle ne pouvait être prononcée à l’encontre des autres actionnaires espagnols agissant de concert avec Sacyr, qu’en respectant la procédure prévue à cet effet qui prévoit notamment que les personnes concernées puissent présenter leurs explications. Or, si l’AMF a bien adressé des questionnaires détaillés à ces actionnaires sur les conditions dans lesquelles ils avaient acquis des actions Eiffage, elle ne les a pas formellement avisés du franchissement de seuil qui leur était imputé, ni invités à présenter leurs observations. C’est donc au nom des droits de la défense que la partie de la décision de l’AMF imposant le dépôt d’une OPA obligatoire aux concertistes est annulée.


On aurait tort d’en déduire que la Cour d’Appel, n’a pas été au bout de la logique de l’action de concert, qu’elle n’a pas affirmé avec la même force que l’AMF, l’existence d’une action de concert entre Sacyr et ses amis espagnols devant conduire au dépôt d’une offre obligatoire en numéraire. Bien au contraire ! La Cour a repris intégralement la démonstration de l’AMF : elle a d’abord confirmé la non-conformité de l’OPE aux principes de transparence et de loyauté dans la mesure où le concert avait volontairement omis, à la suite de différentes manœuvres, de déclarer le franchissement du seuil du tiers ; elle a ensuite confirmé implicitement l’obligation de dépôt d’une OPA par le même concert, dans la mesure où elle relève que la procédure d’injonction qui s’impose en cas d’offre obligatoire, n’a pas été correctement appliquée par l’Autorité de Marché. On a parlé à propos de cet arrêt d’un « jugement de Salomon ». Peut être, si l’on considère qu’il est finalement  parvenu à satisfaire les intérêts des deux partis : Eiffage qui pouvait ainsi retrouver son indépendance (on sait que les titres Sacyr ont été reclassés) ; Sacyr dont la situation financière ne lui permettait pas de financer une OPA. Mais le raisonnement juridique qui sous-tend cet arrêt apparaît sans faille. C’est du Saint Louis sous son chêne, formé par les meilleurs professeurs de droit !


A la suite de cet arrêt, l’AMF décidait, le 21 avril 2008 de publier une décision concernant Eiffage dans laquelle, prenant acte du fait que Sacyr ne possédait plus aucun titre Eiffage et prenant acte de l’arrêt de la Cour d’Appel, elle décidait «au vue de ces éléments, qu’il n’y a pas lieu de faire obligation à la société Sacyr de déposer un projet d’offre publique visant les actions de la société Eiffage».


La décision de l’AMF est étonnante à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle relance une affaire qui paraissait entendue, la Cour d’Appel s’était prononcée, les titres Eiffage étaient reclassés, plus personne n’en parlait … et voilà que l’AMF relance le débat en publiant une décision qui fait d’ores et déjà l’objet d’un recours devant la Cour d’Appel. Trois possibilités étaient offertes à l’AMF : Ne rien faire -  l’arrêt de la Cour d’Appel paraissant suffisamment clair – ce qui permettait de clore définitivement cette affaire (un recours sur une non décision de l’AMF paraissant difficile à imaginer). Lancer à l’inverse, en respectant les formes, une procédure d’injonction visant à contraindre Sacyr au dépôt d’un projet d’offre - cette démarche pouvait paraître cohérente juridiquement avec la première décision de l’AMF et avec l’arrêt de la Cour d’Appel mais rompait le difficile équilibre auquel on était parvenu pour sortir d’une situation difficile. Troisième possibilité, publier une décision libérant formellement Sacyr de toute obligation de dépôt d’offre. C’est la voie que l’AMF a curieusement retenue.


Le mystère demeure sur les raisons qui ont poussé l’AMF à publier une telle décision. Elle permettra en tout cas aux juristes de continuer à se passionner pour cette affaire. Sa décision de ne pas exiger le dépôt d’une offre se fonde essentiellement sur le fait que Sacyr ne détient plus aucun titre Eiffage – un peu comme si, sur un plan pénal, un crime était lavé par l’enterrement du cadavre ! Qui plus est, l’AMF dans sa décision estime que l’application des principes gouvernant les offres publiques, l’application des règles d’offre obligatoire… doivent « nécessairement tenir compte de l’ensemble des circonstances de fait qui prévalent à ce jour ». Si l’application d’une règle de droit dépend de circonstances de fait que l’AMF apprécie, on ne sera pas étonné que la Cour d’Appel soit invitée à trancher.


Quoi qu’il en soit, l’affaire Sacyr / Eiffage aura remis au centre du droit boursier l’action de concert comme moyen de contrer les tentatives de prises de contrôle rampantes. Quelques mois plus tard, avec l’affaire Gecina, l’AMF allait avoir une autre occasion de peaufiner sa jurisprudence sur l’action de concert pour contrer une nouvelle tentative de prise de contrôle rampante. Mais cette affaire en est encore au stade de la Cour d’Appel. Gageons qu’elle apportera une nouvelle pierre à la construction de l’action de concert.


Jean-François Biard
(1) Note de la rédaction : voir les Lettres Vernimmen.net n° 64 d’avril 2008 et n° 15 de décembre 2002.
(2) Voir à ce sujet l’offre de Porsche sur Volkswagen - Jean-François Biard Revue de Droit Bancaire et Financier juillet-août 2007, pages 36 à 39.
(3) Pour plus de détails sur la décision de l’AMF dans l’Affaire Sacyr / Eiffage voir Jean-François Biard - Revue de Droit Bancaire et Financier septembre-octobre 2007, pages 66 à 69.


Tableau : Les différents présentations des comptes de résultat 2007

Il existe de par le monde deux grands types de comptes de résultat qui diffèrent par la présentation des charges et des produits des cycles d’exploitation et d’investissement (1) :


• soit les produits et les charges sont présentés par nature et l’on rencontrera des production stockées, des achats de marchandises ou de matières premières, des variation de stocks, des autres consommations externes, des frais de personnel, des impôts et taxes, des dotations aux amortissements ;
• soit les produits et les charges sont présentés par fonction (ou destination), c’est-à-dire en fonction de leur utilisation dans le cycle d’exploitation et d’investissement, et l’on verra des coûts des produits vendus, des frais commerciaux, des frais de recherche et développement et des frais généraux, dont certains détails figurent dans les annexes des états financiers.


Un troisième format fait progressivement son apparition : c’est principalement une présentation par fonction, mais la dotation aux amortissements n’est plus ventilée entre les coûts des ventes, les coûts commerciaux, les coûts administratif ou de recherche et développement, mais est isolée sur une ligne à part.


La présentation par nature prédomine très largement en Italie, en Inde, en Espagne, en Belgique et en France pour le PME et les groupes de tailles moyenne. Aux Etats-Unis, et au Royaume-Uni, la présentation par fonction est quasi exclusive.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 3 du Vernimmen.


Recherche : L'activisme des hedgefunds

La recherche sur la gouvernance des entreprises se trouve enrichie cette année par un article de 4 chercheurs américains (1) qui se sont intéressés au rôle particulier des hedge funds(2), devenus des acteurs majeurs sur les marchés depuis une dizaine d’années. Leurs travaux, qui portent sur les marchés américains de 2001 à 2006, montrent que les interventions des hedge funds sur la gouvernance des entreprises se sont révélées durablement créatrices de valeur pour les actionnaires. Ce résultat est fondamental pour au moins deux raisons : il va à l’encontre de la réputation court-termiste des hedge funds, et il attribue à ces derniers un rôle distinct des autres investisseurs institutionnels.


Les études empiriques réalisées jusqu’à présent n’ont pas démontré d’impact significatif des fonds d’investissement sur la création de valeur. Contrairement à la plupart des OPCVM, les hedge funds ne sont pas contraints par des obligations de diversification ou de disponibilité des actifs. Par ailleurs, les gestionnaires de ces fonds sont rémunérés par une partie des plus values réalisées et non un pourcentage des actifs sous gestion et sont donc fortement intéressés à la performance. En se focalisant sur les interventions de ce type de fonds, les auteurs aboutissent à une surperformance moyenne des entreprises cibles d’environ 7 %, un taux particulièrement élevé.


Les interventions analysées sont celles décrites par les gestionnaires de ces hedge funds sur les formulaires : maximisation de la valeur actionariale (dans la moitié des cas), modification de la structure du capital ou de la stratégie, ou encore remplacement des dirigeants. Au total, les objectifs affichés sont remplis dans les deux tiers des cas, que l’intervention se fasse de manière hostile ou en coopération avec les dirigeants.


La surperformance des entreprises cibles au moment de l’annonce de l’intervention n’est pas suivie d’une moindre performance l’année suivante. Les auteurs expliquent que cette performance ne doit pas être attribuée à la seule sélection des valeurs par les fonds, mais à une amélioration durable de la gouvernance des sociétés cibles, ce qui va à l’encontre de la réputation court-termiste des hedge funds. Le cours de ces sociétés est également soutenu par une amélioration de l’opinion des analystes financiers après l’intervention.


L’article montre également que les entreprises cibles améliorent leurs performances financières (marge d’exploitation notamment) et augmentent les dividendes versés à leurs actionnaires (de 0,5 point) les années qui suivent l’intervention. La réaction positive des marchés au moment de l’annonce se trouve donc justifiée.


Finalement, cet article semble démontrer que les hedge funds améliorent la gouvernance des sociétés cotées par leurs interventions, qu’elles soient hostiles ou concertées.


Cette conclusion ne semble pas avoir échappé à la vénérable famille Rockfeller, actionnaire d’Exxon Mobil, un des rejetons de l’ancienne Standard Oil, et qui pour la première fois vient de manifester publiquement son désir de voir améliorer la gouvernance du groupe pétrolier. Il n’est jamais trop tard pour bien faire !


Il faut toutefois noter que la surperformance enregistrée sur la période est passée de près de 16% en 2001 à 3,4% en 2006. Les auteurs attribuent cette baisse à une amélioration effective de la gouvernance des entreprises, diminuant ainsi les opportunités des hedge funds à la manière d’un profit d’arbitrage qui baisse avec le temps au fur et à mesure où il est mis en oeuvre.
 (1) A. Brav, W. Jiang, F. Partnoy et R. Thomas (2008), Hedge Fund Activism, Corporate Governance, and Firm Performance, Journal of Finance (à paraître).
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 24 du Vernimmen.


Q&R : Avances clients et valeur

Certaines sociétés, du fait de cycles d’exploitation longs bénéficient d’avance clients importantes qui leur donne un besoin en fonds de roulement négatif : ingénierie, construction navale, construction de centrales nucléraires, BTP, etc …


Ces avances peuvent être parfois très significatives. Ainsi au 31 décembre 2007, Technip bénéficiait d’un solde d’avances net des coûts supportés et des pertes à terminaison de 1,58 Md€, à comparer par exemple à des capitaux propres comptables de 2,2 Md€ ou à une capitalisation boursière de l’ordre de 6 Md€. Ces avances sont volatiles et non pérennes car ces contrats vont et viennent. Bouygues n’a jamais pu retrouver un niveau d’avances similaire à celui du fameux contrat de l’université de Ryadh.


Comment tenir compte de la part non consommée de ces avances en matière de valorisation ? On peut penser à deux approches :


• les considérer comme un élément du BFR normal dont la contrepartie en trésorerie vient en moins de l’endettement net ;
• les considérer comme un élément du BFR normal mais pas comme un élément qui vient en déduction de l’endettement bancaire et financier de l’entreprise, puisque ces fonds vont être affectés avec certitude et dans peu de temps au paiement des coûts nécessaires pour remplir les contrats auxquels s’est engagée l’entreprise.


Dans cette seconde approche, l’avantage conféré du fait de ce préfinancement par les clients est pris en compte en intégrant en produit d’exploitation les produits financiers générés par ces avances clients tant qu’elles ne sont pas consommées. Cela nous paraît mieux correspondre à la réalité économique car la négociation commerciale de ces contrats résulte souvent d’un arbitrage entre prix de vente et montant des avances clients : le prix de vente pouvant être plus bas si les avances clients sont généreuses.


C’est d’ailleurs le traitement comptable que retient Technip qui a enregistré en 2007 91 M€ de produits financiers liés à cette trésorerie que le groupe a comptabilisé en chiffre d’affaires et non pas en autres produits ou en produits financiers, confirmant par là la lecture économique de ce phénomène.


La première approche ne nous paraît possible que si l'on peut démontrer que ces avances se renouvellent régulièrement et que le montant de ces avances est constant dans le temps. Ceci nous paraît contradictoire avec la nature profonde des contrats long terme qui sont soumis à des cycles, voir par exemple la construction de centrales nucléaires.


Nous préconisons donc de retenir la seconde approche qui revient a valoriser l'avantage procuré à la seule hauteur des produits financiers que l'entreprise est capable d'obtenir sur le placement de ces avances tant qu'elles ne sont pas consommées.


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