La Lettre n°57 de Juin 2007

Actualités : La gestion des émissions de carbone

Le sujet des quotas d’émission de CO2 pourrait apparaître à notre lecteur comme éloigné de notre cœur de compétence, la finance d’entreprise. En réalité il n’en est rien et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la mise en place des quotas d’émission de CO2 qui est liée ont des conséquences financières fortes dans certaines industries (énergie, industrie lourde). Ensuite, parce que les mécanismes mis en place pour l’échange des quotas d’émission reposent sur une logique financière : un marché. Le développement de projet de réduction des émissions est une nouvelle industrie en très forte progression. Enfin, et peut-être de manière plus anecdotique parce que les quotas de CO2 peuvent représenter un support de financement pour l’entreprise.


Le marché des quotas est aujourd’hui d’environ 30 milliards d’euros, il pourrait atteindre 50 milliards d’euros d’ici 2010.


1/ Le mécanisme des quotas d’émission de CO2


La prise de conscience au niveau supranational des risques liés à un changement climatique a permis la signature de deux traités internationaux (Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique, CCNUCC signée à Rio et Protocole de Kyoto). Le protocole de Kyoto, signé en 1998 et entré en vigueur en 2005 fixe des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet pour les pays développés (il a été décidé qu’imposer de telles réductions pour les pays en voie de développement était susceptible d’entraver le développement économique). L’objectif est une réduction de 5,2% de l’effet de serre pour 38 pays à horizon 2012. Cet objectif est de 8% en moyenne pour les pays de l’Union Européenne.
Les objectifs nationaux de réduction des émissions sont déclinés au niveau des Etats par l’allocation de quotas annuels « Kyoto » correspondant au nombre de tonnes de CO2 qu’un Etat a le droit d’émettre au titre de son engagement de Kyoto.


Le caractère innovant du Protocole de Kyoto est qu’il s’appuie sur des mécanismes de « flexibilité » permettent au niveau des Etats de moduler leurs objectifs de réduction. Ces mécanismes de flexibilité sont de deux types :


- des mécanismes de marché qui permettent d’acheter le droit d’émettre plus que le quota initialement fixé ;
- des mécanismes de projet qui permettent aux opérateurs développant des projets propres de gagner des crédits d’émission de CO2. On parle de mécanisme de mise en œuvre conjointe (MOC) et de mécanisme pour un développement propre (MDP, spécifiques pour les projets dans les pays en voie de développement).


Ainsi, afin de respecter ses engagements de réduction des gaz à effet de serre, un Etat a la possibilité de (1) réduire ses émissions directes via des politiques publiques (biocarburants, amélioration de l’habitat, contraintes sur les transport…), (2) d’acheter des quotas à un Etat qui aura un excédent ou (3) d’acheter des crédits d’émission provenant de mécanismes de projets.


Enfin, en Europe, les Etats membres ont décidé de transmettre directement une partie de ces quotas aux principaux sites industriels émetteurs de CO2 au travers d’un système d’échange des droits à émission (European Emission Trading Scheme, ou EU ETS). Ce marché est ouvert à chacun des principaux sites responsables des émissions de CO2 (11 500 sites visés représentant environ 50% du volume de CO2 émis en Europe) à qui ont été attribués un droit d’émission de CO2. Les droits d’émission peuvent être soit utilisés, soit reportés sur l’année suivante, soit vendus sur le marché.


Tous les ans (le 30 avril) les comptes sont faits pour s’assurer que chaque site dispose d’assez de droits compte tenu de son volume d’émission de CO2. La première phase de ce marché (considérée comme une phase test) a fixé des objectifs pour la période 2005-2007, la seconde phase couvre la période 2008-2012. Les Etats européens ont (ou vont) présenter fin 2006 ou au cours de l’année 2007, leur plan national d’allocation des quotas. La France a proposé le  projet de plan national d’affectation des quotas d’émission de gaz à effet de serre pour la période 2008-2012 (PNAQ II) à la Commission Européenne en décembre 2006. Bien évidemment les objectifs pour les périodes au-delà de cette « période d’engagement » de 2008-2012 seront fixés dans le futur en fonction des évolutions climatiques et de la réussite des plans passés.


L’existence d’un marché permet de réduire sensiblement la facture au niveau macro-économique de la mise en œuvre des réductions d’émission et donc de faciliter sa mise en oeuvre (1). En effet, une entreprise pouvant réduire à moindre coût ses émissions au-delà des objectifs fixés sera fortement incitée à le faire, car ce faisant elle se créera des droits à émission qu’elle pourra vendre sur le marché avec un profit. Une autre entreprise, pour qui la réduction des émissions de CO2 serait extrêmement onéreuse, préfèrera acheter des droits sur le marché plutôt que de réaliser les transformations nécessaires sur ses sites. Au total, le niveau global de la pollution aura bien été réduit du montant décidé par le pouvoir politique. Le marché est là pour s’assurer, grâce aux achats et ventes de droits à émission, que ce sont les industriels qui ont le plus de facilité à le faire que le feront en premier, ce qui rend moins pénible pour l’ensemble de l’économie l’effort nécessaire. Au global, on peut estimer que le coût de la mise en œuvre des premiers objectifs de Kyoto sera réduit pour l’Europe de 6,8 Md€ à 3,7 Md€ grâce à la simple mise en place d’un marché du droit à émission.

2/ Le marché EUA


L’EUA (European Union Allowance) est donc devenu un nouveau produit sous-jacent financier. Tous les opérateurs des marchés financiers peuvent en acheter ou en vendre (et ce, bien évidemment, même s’ils ne sont pas des industriels gérant de site émettant du CO2 !).


Le marché des EUA représente une large part des échanges de quotas : 25 Md€ soit plus des 4/5èmes des échanges. Le marché est en très forte croissance (5 Md€ en 2005, 14 en 2006).



Le prix de cet actif dépend de nombreux facteurs notamment :


- le prix des matières premières : certains sites (notamment de production d’électricité) peuvent utiliser au choix différentes sources d’énergie (chacune étant plus ou moins polluante en CO2). Le prix de l’EUA a ainsi des impacts industriels importants ainsi on peut estimer que au-delà de 25 € l’utilisation de charbon au lieu de lignite devient « économique » (l’économie sur les émissions de CO2 compensant le coût plus élevé de la matière première) ;
- la quote-part de MOC et MDP autorisées. En effet, les émissions de CO2 ne peuvent que partiellement être compensées par l’acquisition de MOC/MDP ;
- les évolutions technologiques et la vitesse à laquelle les industriels mettent en place des processus économes en CO2 ;
- la conjoncture économique générale (qui a une influence directe sur la consommation d’énergie) ;
- les conditions météorologiques, qui influent notamment sur la production d’électricité par les éoliennes et les barrages…


Les quotas sont fixés de manières ambitieuses afin de créer une tension sur le prix des EUA et de pousser ainsi les entreprises à réduire leurs émissions. Néanmoins, comme le prix des EUA dépend de facteurs exogènes difficilement prévisibles à l’avance, les cours affichent une très forte volatilité.


Les dates  anniversaires de constatation de respect ou non des contraintes par chaque site sont des rendez-vous clés du marché : sont alors mis en évidence la pénurie ou au contraire de l’excédent d’EUA par rapport aux émissions physiques de CO2. Ainsi, en mai 2006, le marché a constaté avec la publication des émissions 2005 que les autorisations allouées étaient supérieures aux besoins réels (d’environ 4%), il s’en est suivi une chute du cours de l’EUA.


L’EUA vient compléter le marché financier, il est particulièrement intéressant parce que très largement décorrélé de l’évolution des marchés financiers en général (son béta est donc faible).


Notons que pour les entreprises visées, les EUA peuvent servir de sous-jacent (tout comme d’autres actifs) pour des financements. Les EUA présentent l’avantage d’être une créance sur l’Etat et permettent donc de lever de la dette à faible coût.


Les lecteurs qui voudront approfondir ce sujet pourront notamment consulter www.ft.com/carbon, lire la recherche de Deutsche Bank, EU Emissions Trading, Kyotonomics : pricing carbon over 2008-2012, du 26 avril 2006, ainsi que plusieurs articles dans la revue Analyse Financière du second trimestre 2007.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 19 du Vernimmen.









Tableau : Volatilitéet spreadde crédit

De prime abord, la relation entre la volatilité des actions et les marges actuarielles (spread en franglais), des crédits ou des obligations ne saute pas aux yeux.


On peut mieux la percevoir en se rappelant qu’une action peut s’analyser comme une option d’achat de l’actif économique à un prix d’exercice égal au montant des dettes à rembourser (1).


De la même façon, la dette peut s’analyser comme une dette sans risque (cf. une obligation d’Etat) majorée d’une option de vente sur l’actif économique à la main des actionnaires et dont le prix d’exercice est le montant de la dette à rembourser.


Quand la volatilité de l’action baisse, celle de l’actif économique fait mécaniquement de même, ce qui réduit le risque de la dette. En effet, d’ici l’échéance de la dette, la probabilité que la valeur de l’actif économique tombe en dessous du montant de la dette à rembourser sera plus faible. En conséquence, la marge actuarielle des crédit baisse, reflétant l’amélioration du risque de crédit. C’est ce que nous voyons depuis 2003.

Rappelons que ce qui baisse peut aussi monter comme l’observation des données 1998 – 2002 le rappelle …
(1) Pour plus de détail, voir le chapitre 35 du Vernimmen 2005.




Recherche : La valeur des liquidités

La recherche sur la structure du capital des entreprises a fourni de nombreuses études sur la valorisation de l’endettement par les marchés financiers. Beaucoup plus rares sont les articles mesurant la valeur des liquidités d’une entreprise pour ses actionnaires. La théorie suggère pourtant qu’il existe un compromis à trouver entre deux effets opposés :


• beaucoup de liquidités (y compris les valeurs mobilières de placement) permettent de saisir des opportunités d’investissement sans recourir à un financement extérieur supplémentaire. Elles permettent ainsi d’éviter les asymétries d’information et les coûts de transaction liés à ces financements extérieurs ;
• trop de liquidités ont un coût d’opportunité : mieux vaut les distribuer aux actionnaires, notamment pour éviter un détournement de ces liquidités au profit des dirigeants.


Deux chercheurs de l’Université Washington (à Saint Louis) ont apporté une contribution originale à cette question (1). Leur étude empirique, qui porte sur les sociétés non financières américaines cotées entre 1971 et 2001, apporte une confirmation chiffrée des hypothèses théoriques. Les auteurs mesurent quelle est la valeur qu’apporte aux actionnaires un dollar supplémentaire de liquidité pour l’entreprise.


Sur l’ensemble de leur échantillon, ils obtiennent une valorisation de 0,96 dollar pour 1 dollar de liquidité. Mais les principales conclusions viennent des différences très fortes de valorisation selon la situation des entreprises :


1. La valorisation d’un dollar supplémentaire de liquidité est d’autant plus faible que l’entreprise dispose déjà de beaucoup de liquidités. Ceci s’explique par le fait que la probabilité que ces liquidités soient utilisées dans l’investissement productif diminue à mesure que la proportion de ces liquidités dans le bilan de l’entreprise augmente ; l’effet lié à l’excès de liquidité devient dominant.


2. Cette valorisation est plus faible pour les entreprises très endettées. Sur l’échantillon analysé par les auteurs, un dollar de liquidité est valorisé 15 cents de plus dans une entreprise sans dette que dans une entreprise endettée à hauteur de 10%, une différence très significative. Dans une entreprise très endettée, l’amélioration des réserves de liquidité se fait essentiellement au profit des créanciers et non des actionnaires, puisque la probabilité de faillite est plus importante. En revanche, si l’endettement diminue, la probabilité de faillite devient faible, et les liquidités supplémentaires ont plus de chance de revenir effectivement aux actionnaires.


3. La contrainte financière à laquelle fait face une entreprise modifie également la valorisation de ses liquidités. Une entreprise qui a des difficultés à obtenir un financement extérieur a intérêt à disposer de davantage de liquidités pour faire face à des aléas ou pour entreprendre des investissements. Les auteurs vérifient cette hypothèse en utilisant 3 critères de contrainte financière : le taux de distribution (2) (généralement plus faible pour les entreprises contraintes), la taille de l’entreprise (les grandes entreprises ont un meilleur accès aux marchés financiers), et le rating de la dette de l’entreprise. Selon ces trois critères, la valorisation d’un dollar de liquidité est supérieure dans les entreprises contraintes. Par exemple, on passe de 0,71 dollar pour l’échantillon des plus grandes entreprises à 1,18 dollar pour les moins grandes.

Ces éléments empiriques laissent supposer qu’il existerait un niveau optimal de liquidité pour une entreprise cotée.
(1) Faulkender M. et Wang R., 2006, Corporate Financial Policy and the Value of Cash, Journal of Finance, vol.61 n°4.
(2) Rapport pour un exercice entre le total des dividendes versés et le bénéfice, voir chapitre 42 du Vernimmen 2005.




Q&R : Qu'est-ce que les bons Bretons ?

Le principe


Les bons d’offre permettent depuis mars 2006 à une cible cotée, objet d’une offre hostile, de se défendre en attribuant à ses actionnaires des bons qui, s’ils sont exercés, ont pour effet de diluer l’attaquant.


Il s’agit d’un moyen de défense dissuasif : l’initiateur potentiel sait qu’il risque, au cas où il réussit son offre, de se retrouver immédiatement dilué et de perdre le contrôle qu’il vient d’acquérir souvent au prix fort (le bon est exercé après l’avis de résultat).


Si l’offre est cependant lancée, la menace d’attribution du bon force l’initiateur à rechercher un accord avec la cible et donc le pousse à améliorer son offre. C’est un moyen pour la cible de forcer l’initiateur à négocier un meilleur prix. Quant au conseil d’administration de la cible, il sait aussi qu’il a intérêt à trouver un accord pour éviter d’avoir à activer les bons car l’exercice des bons ferait échouer l’offre et ferait planer sur lui une lourde responsabilité.


Suez, Saint-Gobain, Hermès, Bouygues, Pernod Ricard, Scor, … ont obtenu l’autorisation de leur AG pour émettre des bons « Breton ».


La création des bons


L’AGE peut autoriser préventivement, sans que l’entreprise soit la cible d’une offre (par exemple lors des assemblées annuelles), l’émission de bons de souscription d’actions dits bons « Breton », et de déléguer au conseil d’administration la compétence pour les émettre en cas d’offre où l’exception de réciprocité (prévue par la transposition en droit français de la directive européenne sur les offres publiques) peut être soulevée. La décision est prise par une AGE statuant aux conditions de quorum (20% sur première convocation et absence de quorum sur seconde convocation) et de majorité des AGO (majorité simple). L’autorisation doit avoir été donnée dans les 18 mois précédant le dépôt de l’offre pour qu’elle puisse être utilisée.


Si l’exception de réciprocité ne peut être mise en œuvre, l’émission des bons Breton doit être autorisée par une AG réunie en période d’offre, la délégation pouvant être utilisée contre tout initiateur.

L’AG doit fixer le montant maximum de l’augmentation de capital pouvant résulter de l’exercice des bons ainsi que le nombre maximum de bons pouvant être émis. L’AG peut encadrer la délégation, en prévoyant la fixation des conditions relatives à l’obligation ou à l’interdiction pour le conseil d’administration de procéder à l’émission des bons, d’y surseoir ou d’y renoncer. Les conditions d’exercice des bons peuvent être fixées directement par l’AG ou faire l’objet d’une délégation au conseil d‘administration. Il est possible de prévoir de désactiver les bons en cas d’une offre supérieure à un certain niveau de prix mais il est impossible de se référer à un initiateur particulier lors de la fixation des conditions d’exercice des bons.


L’exercice des bons


Pratiquement l’intention du conseil d’administration d’émettre des bons doit être annoncée avant la clôture de l’offre. Ils sont alors attribués gratuitement à l’ensemble des actionnaires avant l’expiration de la période d’offre. Le prix d’exercice est défini par le conseil d’administration au moment de l’émission (« à des conditions préférentielles » selon la Loi, le minimum étant la valeur nominale de l’action).


Les bons deviennent automatiquement caducs en cas d’échec ou de retrait de l’offre.


Le respect d’une saine gouvernance


Les bons « Breton » constituent un mécanisme respectueux des principes de bonne gouvernance : les bons sont attribués à l’ensemble des actionnaires, la dilution maximum est fixée par l’assemblée pour une durée limitée (maximum 18 mois). La délégation ne peut être utilisée qu’en cas d’exception de réciprocité, sinon un vote en AG est nécessaire en cours d’offre. Enfin, il y a respect de l’égalité de traitement des initiateurs potentiels puisqu’il est impossible de se référer à un initiateur particulier pour l’exercice des bons.








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