La Lettre n°50 de Septembre 2006

Actualités : Retour sur les premiers comptes publiés en IFRS

Les équipes d’Ernst&Young viennent de publier un ouvrage analysant la première application des normes IFRS par les groupes cotés européens puisque 2005 était la première année pour laquelle ces groupes avaient l’obligation de publier leurs comptes en suivant ces normes. L’ouvrage[1] présente et illustre par des exemples les différentes pratiques des groupes français du CAC 40 et des principaux groupes européens, il tente de dégager une best practice qui puisse servir d’exemple.
Nous ne saurions trop conseiller à notre lecteur intéressé par l’application des IFRS de consulter cet ouvrage à publication annuelle qui est la meilleure façon de rester à jour sur un sujet souvent complexe et mouvant. D’autant que l‘éditeur et les auteurs font diligence en le produisant à temps pour éviter de bronzer idiot sur les plages estivales ! 
Nous ne reviendrons pas sur les points des normes IFRS qui nous apparaissent non pertinents[2], contre-intuitifs ou discutables (comptabilisation des stocks options, hypothèses retenues dans l’application de la méthode d’actualisation des flux pour les impairments, comptabilisation des obligations convertibles…). Synthétisons les éléments qui nous semblent les plus importants dans l’application pratique des IFRS.
Reconnaissons que si les modifications de fonds avaient bien été anticipées[3], les changements de forme, certes moins importants que les précédents, avaient été négligés. La lecture des comptes 2005 montre que les IFRS ont eu un impact important sur la présentation des comptes
Premier constat : le principal avantage que nous voyions à l’adoption des normes IFRS par les groupes européens n’est pas au rendez-vous : contrairement à ce que l’on aurait pu en attendre, les IFRS ne permettent pas (encore ?) une comparabilité des comptes d’une société à l’autre et ce pour plusieurs raisons :
• la rédaction de certaines normes laisse une part importante à l’interprétation,
• les normes IFRS ne proposent pas de modèle de présentation des comptes,
• d’autres normes laissent volontairement ouvertes des options,
• les IFRS ne traitent pas aujourd’hui tous les sujets rencontrés dans l’établissement des comptes,
• enfin, du fait de l’anticipation d’application de normes récentes ou des délais accordés pour la mise en œuvre de certaines autres, les entreprises n’ont pas en pratique appliqué exactement le même jeu de règles.
Il faut avoir en tête que les normes IFRS ne proposent pas de modèle de présentation des comptes : les présentations et les terminologies retenues par les groupes européens ne sont donc pas homogènes. Les groupes européens ont du faire des choix, en particulier pour le compte de résultat. Ces choix ont souvent été influencés par les anciennes normes nationales. Ainsi, les groupes français ont eu largement recours à un concept proche du résultat exceptionnel des normes françaises que les IFRS ne prévoient pas.
La terminologie utilisée a été très variée. Ainsi, le concept de résultat d’exploitation (norme française) est présenté sous 7 terminologies différentes : résultat opérationnel courant, résultat d’exploitation courant, résultat opérationnel, résultat d’exploitation, marge opérationnelle, marge d’exploitation, résultat opérationnel sur activités, ou encore contribution des activités. De plus, l’absence de modèle précis laisse parfois planer un doute sur les éléments qui sont inclus ou non dans cet agrégat. C’est le cas en particulier pour les charges liées à la désactualisation [4], des provisions (en particulier de retraite), à l’attribution de stock-options, aux éléments non récurrents ou au résultat des sociétés mises en équivalence.
Le problème de terminologie et de rémanence des normes française est également perceptible pour les « actifs financiers » (définis par l’IAS 39 et qui inclus aussi bien les créances d’exploitation que la trésorerie). Les groupes français ont boudé la terminologie IFRS pour retenir les termes anciennement utilisés (titres de participations,…).
Il faut reconnaître que les annexes aux comptes sont la plupart du temps très complètes (le volume des rapports annuels a d’ailleurs sensiblement augmenté). L’investisseur averti pourra se plonger dans les notes pour comprendre exactement ce que recouvre la plupart des soldes présentés dans le compte de résultat ou les agrégats du bilan. Cependant, la lecture des comptes devient très complexe pour les étudiants ou les analystes en herbe…
L’option laissée sur la réévaluation ou non des actifs dans le bilan d’ouverture en IFRS a généré des écarts importants dans les comptes des groupes. Il paraît clair qu’un groupe réévaluant par exemple l’intégralité de son immobilier n’aura pas le même bilan qu’un groupe qui laisse son parc immobilier à sa valeur historique amortie.
Dans leur état actuel, les normes IFRS ne traitent pas de l’ensemble des problématiques auxquelles sont confrontées les sociétés. Citons à titre d’exemple les acquisitions d’intérêts minoritaires ou les concessions. Ainsi, contrairement aux normes françaises qui classaient les concessions en immobilisations corporelles, les IFRS tendent (la norme n’ayant pas encore été finalisée) à préconiser une comptabilisation soit en immobilisation incorporelle, soit en immobilisation financière. On comprend donc que les sociétés aient été gênées dans l’établissement de leurs comptes ! Le travail en cours semble encore long avant que les entreprises trouvent dans les IFRS un corps de règles complet…
Pour conclure, citons cette réflexion plein de naïveté sympathique d’un de nos amis qui s’étonnait « ..que beaucoup de groupes aient choisi de communiquer sur le résultat opérationnel courant, alors que celui-ci n’a plus de sens en IFRS ». Le problème est que pour les utilisateurs des comptes, il a toujours beaucoup de sens, n’en déplaise à l’IASB.
Dès lors, il ne faut pas s’étonner que de nombreuses sociétés aient choisi dans la présentation de leurs résultats de retenir des concepts et/ou des chiffres non IFRS. C’est en particulier le cas des groupes anglais qui ont retenu dans les discussions du management (MD&A) quasi systématiquement des agrégats non IFRS. Ce n’est certes pas le plus grand hommage que l’on puisse rendre aux IFRS, mais l’IASB l’a bien cherché… C’est triste, mais c’est ainsi.

[1] Première Application des IFRS, les pratiques des groupes européens, Ernst & Young, CPC, 2006
[2] Voir  La Lettre Vernimmen.net de février 2004, n°26
[3] Voir  La Lettre Vernimmen.net de février 2005, n°36
[4] Voir  la page 164 du Vernimmen 2005


Tableau : L'évolution du classement des grandes capitalisation boursières européennes et américaines depuis 1975

Il y a 30 ans le plus grand groupe américain par sa capitalisation boursière était IBM. Aujourd’hui c’est Exxon Mobil, 12 fois plus gros avec une capitalisation boursière de 405 Md$. En Europe, c’est un groupe russe, Gazprom, qui avec une capitalisation boursière de 214 Md€ a pris la place de Siemens qui valait 18 Md€ il y a 30 ans. C’est la vraie surprise de ce classement !

Ceci montre l’évolution de nos économies : la pharmacie occupe désormais 6 places dans le top 20 contre 1 en 1975. L’industrie lourde et les biens d’équipement ont parcouru le chemin exactement opposé : de 6 à 1. Ceci s’explique pourquoi l’Allemagne, qui plaçait 7 de ses groupes dans les 10 premiers européens en 1975 n’en a plus aucun aujourd’hui.

Un dernier mot : le pétrole reste toujours le pétrole, surtout renforcé par le gaz : 5 groupes sur 20 sont dans ce secteur (3 en 1975) et 3 d’entre eux ont toujours été dans les 20 premiers (Exxon, BP et Shell).


Recherche : La maturité et la négociabilité des dettes

Si la recherche sur le financement des entreprises bénéficie d’une abondante littérature, les études empiriques sur la dette bancaire sont peu nombreuses. L’une des raisons en est que les données exploitables sur ce thème sont plus rares et plus difficiles à collecter que sur les marchés obligataires.
Voici deux récents articles traitant de la dette bancaire des entreprises américaines.
Le premier, écrit par A.B. Güner (1) concerne le rôle du marché secondaire de la dette bancaire (loan sales) dans la détermination de son coût pour les entreprises. On a vu (2) qu’en Europe 40 % des crédits bancaires après avoir été accordés sont ensuite vendus et détenus par des investisseurs financiers. Cette proportion était l’an passé de plus de 50 % aux Etats-Unis. Le second est un article du FMI (3) sur le rôle du risque et des asymétries d’information dans la détermination de la maturité de la dette bancaire.
L’article de A.B. Güner tente d’évaluer l’impact de la possibilité de revendre des prêts bancaires (loan sales) sur le coût du crédit pour l’entreprise. L’intuition est que les entreprises qui, au moment de la mise en place du prêt, autorisent les banques à diviser ce prêt et à en revendre tout ou partie sur le marché secondaire, doivent bénéficier d’une diminution du taux. La raison est double :
• du point de vue de la banque, la possibilité de revente du prêt peut comporter une série d’avantages : diversification du risque, gestion des ratios de solvabilité, éventuels avantages fiscaux…
• du point de vue de l’entreprise, à l’inverse, la division et la répartition du prêt présente des inconvénients, le principal étant de rendre plus difficile une éventuelle renégociation de la dette qui pourrait à l’avenir être détenue par de nombreuses parties aux intérêts divergents au lieu d’une seule. Eurotunnel peut témoigner que c’est un grand inconvénient ...
L’auteur ne disposant pas de données sur la signature ou non d’accord de revente pour chaque prêt, évalue en fait le coût du crédit dans les banques très actives sur le marché secondaire par rapport à celui de l’ensemble des banques. Le test confirme que le spread appliqué pour les banques les plus actives aux crédits qu’elles accordent est plus faible, de 20 à 30 points de base selon les spécifications.
L’article du FMI part de deux modèles théoriques reliant la maturité de la dette bancaire au rating des entreprises : le modèle de Flannery et le modèle de Diamond.
Flannery a expliqué que la maturité de la dette devait être une fonction croissante du risque de l’entreprise. Une entreprise risquée préférera emprunter sur une durée comparable à celle de son projet (c’est-à-dire généralement à long terme). En cas d’emprunt à court terme, la banque pourrait en effet se rendre compte rapidement du caractère risqué du projet, et faire payer à l’entreprise un taux d’intérêt très élevé pour le renouvellement du crédit (en plus des coûts de transaction). De surcroît, l’entreprise ne voudra pas ajouter au risque de son projet le risque financier de devoir périodiquement renouveler son endettement. En empruntant à long terme, l’entreprise révèle son caractère risqué mais évite les coûts renouvellement de l’endettement. Inversement, une entreprise peu risquée serait prête à supporter ces coûts en empruntant à court terme pour signaler sa qualité.
Selon Diamond, cette relation ne serait pas valable pour les entreprises extrêmement risquées : les banques peuvent dans ce cas refuser de prêter à long terme mais accepter de prêter à court terme afin d’obtenir de l’information sur le projet. Dans ces deux modèles, ce sont les asymétries d’information qui expliquent la relation entre risque et maturité.
Le test effectué par les auteurs tend à confirmer le modèle de Flannery : en présence d’asymétries d’information, la maturité de la dette des entreprises augmente avec le risque. La relation reste croissante pour les entreprises très risquées, contrairement aux prédictions de Diamond. Elle est observée pour les crédits de faible montant comme pour ceux de montant important. Par ailleurs, cette étude montre que ce sont bien les asymétries d’information qui expliquent cette relation. L’impact du risque sur la maturité disparaît quand on se restreint aux banques utilisant des techniques de réduction des asymétries d’information (notamment le small business credit scoring) (4).
(1) A.B. Güner, 2006, Loan Sales and the Cost of Corporate Borrowing, Review of Financial Studies, Vol. 19, n° 2.
(2) Pour plus de détails, voir la Lettre Vernimmen.net d’octobre 2005, n°42.
(3) A.N. Berger, M.A., Espinosa-Vega, W.S. Frame et N.H. Miller, 2005, Debt Maturity, Risk and Asymetric Information, IMF Working Paper WP/05/201.
(4) Pour plus de détails, voir le chapitre 10 du Vernimmen 2005.


Q&R : Qu'est-ce qu'une offre mix & match ?

L’acquéreur doit le plus souvent lancer une offre publique. Il a alors traditionnellement le choix entre offrir du cash (offre publique d’achat, OPA) ou des titres (offre publique d’échange, OPE) (1). S’il souhaite offrir un mélange de numéraire et de titres il devra combiner OPA et OPE, il aura alors les options suivantes :
• une offre mixte : pour chaque action de la cible apportée il est remis une somme en numéraire et un nombre fixe de titres de l’initiateur ;
• une offre alternative cash ou titre : l’actionnaire qui apporte ses titres à l’offre choisit librement de les apporter à la branche cash ou la branche titre ;
• une offre principale cash (respectivement en titres) avec une branche alternative plafonnée en titres (respectivement en cash) : l’actionnaire peut librement choisir entre les deux options mais peut être partiellement reporté sur l’offre principale si le plafond de l’offre alternative est dépassé ;
• une offre mix & match.
Les offres mix & match sont des offres avec une branche principale mixte (cash et titres) et deux branches alternatives, l’une en cash uniquement, l’autre en titres uniquement. Un mécanisme de report de l’une ou l’autre des branches alternatives sur la branche principale mixte permet de figer la proportion de cash et de titres payée in fine par l’initiateur.
Avant la fin de l’offre et le décompte des titres apportés aux différentes branches, il est impossible de savoir quelle branche alternative sera réduite. L’actionnaire en apportant ses titres à l’une des branches alternative sait qu’ « au pire » il obtiendra la proportion cash / titres de l’offre mixte. L’actionnaire qui apporte ses titres à la branche principale mixte est lui certain de la proportion cash / titres qu’il va obtenir.
A titre d’exemple, l’offre finale de Mittal Steel sur Arcelor s’articulait de la façon suivante :
• une offre publique mixte à titre principal, 150,60 € en numéraire et 13 actions Mittal Steel pour 12 actions Arcelor apportées ;
une offre publique d’achat à titre subsidiaire, 40,40 € pour chaque action Arcelor apportée ;
• une  offre publique d’échange à titre subsidiaire, 11 actions Mittal Steel pour 7 actions Arcelor apportées.
Sur le fondement du cours de référence de Mittal Steel au moment du dépôt de l’opération, la proportion de titres et de numéraire offert dans le cadre de l’offre publique mixte à titre principal s’établissait respectivement à 68,9% et 31.1%.
Les deux offres publiques d’achat et d’échange à titre subsidiaire font l’objet d’une procédure de réduction destinée à assurer que la part de titres et de numéraire payée au total par Mittal Steel dans le cadre l’offre respecte le ratio de 68,9% titres et 31,1% numéraire.
Imaginons que vous apportiez 600 actions Arcelor à la branche cash. Si tous les actionnaires apportant à l’offre font comme vous, l’ensemble de la branche achat sera reportée sur la branche mixte et vous recevrez 650 (600 × 13 / 12) actions Mittal Steel, soit l’équivalent de 16 710,9 €, et 7530 € (150,6 × 600 / 12), c'est-à-dire l’équivalent au total de 40,40 € par action Arcelor (2).
En revanche si par chance 31,1% des actions apportées à l’une des branches alternatives l’ont été à la branche cash (68,9% étant apportées à la branche titres), vous serez intégralement servi en cash (soit 600 × 40,4 € = 24 240 €). Entre ces deux extrêmes, vous obtiendrez une proportion de cash comprise entre 31,1% et 100% (mais toujours avec approximativement la même contre-valeur si l’on retient comme cours de référence pour Mittal le cours avant annonce de l’offre).
Ce type d’offres permet de mieux satisfaire les actionnaires de la cible qui peuvent ne pas avoir tous les mêmes objectifs (monétiser leur participation ou rester dans la nouvelle entité). Par ailleurs, il garantit à l’avance à l’acquéreur une proportion donnée entre les titres émis et le cash payé.
L’offre mix & match peut également présenter également un avantage fiscal pour l’actionnaire. En particulier, les titres servis sur la branche titres bénéficie du report d’imposition sur les plus-values alors que dans le cas d’une offre mixte tous les titres apportés génère un impôt sur la plus value (et ce bien qu’une partie de la contrepartie soit en titres).
Les mix & match ont fortement gagné en popularité en France depuis la première offre de ce type initiée par Gécina sur Simco en septembre 2002. On peut en particulier citer Crédit Agricole / Crédit Lyonnais, Sanofi / Aventis, Mittal / Arcelor, voire certainement NYSE sur Euronext dans les semaines qui viennent.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 47 du Vernimmen 2005.
(2) Sur le fondement d’un cours de référence de Mittal Steel de 25,71 €.


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