La Lettre n°46 de Mars 2006

Actualités : La gestion des risques climatiques

Entre 20 et 30 % des activités économiques sont sensibles à la météorologie (1) et supportent à ce titre essentiellement non, un risque de prix, mais un risque de volume d'activité. Aussi, les brasseurs savent que si la température maximum baisse de 30°C à 20°C, les volumes de vente de bière baissent de moitié.

La plupart du temps ce risque n'est pas couvert car il n'existe pas de produits de couverture. Certes, l'industrie de l'assurance propose des produits, mais ils sont plutôt destinés à couvrir de forts risques (de pertes) qui arrivent avec une faible probabilité (inondations, tornades, …). A l'inverse, ici, il s'agit de couvrir des risques faibles mais avec une probabilité élevée. De la même façon, les cat bonds (2) ne couvrent que les risque extrêmes comme leur nom développé l'indique (catastroph bonds).

L'objectif des dérivés climatiques est d'apporter une réponse à cette problématique. Le premier fut mis au point par Enron pour Koch Energy en 1997. Puis le marché à terme de Chicago lança en 1999 des contrats à terme et des options sur contrat à terme climatologique pour les principales villes des États-Unis, 9 villes en Europe (dont Paris) et 2 au Japon. Le décollage des volumes a été très lent. Dans l'intervalle, le LIFFE de Londres lança ses propres contrats, vite arrêtés. L'an passé, le volume annuel des contrats négociés au CME atteint 30 Md$, soit 14 fois plus qu'en 2004, mais ce type de contrat ne représente que 0,0064 % des échanges à Chicago. La marge de progression est donc forte !

Dans le principe, un indice est établi qui correspond pour chaque mois d'été à la somme des écarts moyens journaliers entre 65°F (18°C pour les contrats des villes européennes) et la température observée. Pour les mois d'hiver, le principe est le même sauf que seuls les jours où la température est inférieure à 65°F sont pris en compte.

Ainsi une station de ski qui craindrait un hiver sans beaucoup de neige vendra à terme des contrats dont la valeur est directement fonction de l'indice. Si effectivement, il y a peu de neige à cause de températures clémentes, l'indice climatique, lorsqu'il sera calculé à l'aide des observations de températures, sera faible. La station le rachètera à un prix inférieur à celui auquel elle l'a initialement vendu, réalisant ainsi un profit compensant tout ou partie des résultats moindres dûs à une activité plus faible. Si à l'inverse la neige est abondante et le froid de rigueur, l'indice climatique sera élevé et l'entreprise pourra être en perte sur sa couverture. Mais comme par ailleurs l'enneigement exceptionnel aura dopé son activité, il y aura une certaine compensation.

Bref, on retrouve là les caractéristiques classiques des contrats à terme qui permettent de fixer un niveau (3). Mais comme il existe des options sur ces contrats, celui qui voudra payer une prime pour être protégé contre une évolution du climat défavorable à ses affaires et profiter d'une météo favorable pour lui pourra, lui aussi, trouver son bonheur.

Naturellement, ces marchés bénéficient des caractéristiques des marchés à terme : sécurité des transactions (grâce à la chambre de compensation), transparence des prix (affichés sur écran), liquidité au moins en théorie.

En Europe, il n'existe pas de marchés organisés, mais on enregistre quelques transactions de gré à gré. Powernext et Météo France ont lancé des indices de températures qui pourraient servir, à l'avenir, de support à des contrats à terme. Il est vrai qu'en Europe, les variations climatiques sont plus faibles qu'aux États-Unis.

Le développement de ce type de produit par rapport aux couvertures de taux ou de change est freiné par la plus grande complexité de définir l'impact d'une variation de température sur l'activité de l'entreprise alors que l'impact d'une variation des taux d'intérêt sur un endettement à taux variable est trivial à calculer. Enfin, on peut aussi considérer que l'entreprise n'a pas vocation à couvrir tous les risques, en tout cas pas tous ceux de nature non financière, sinon elle deviendrait assimilable pour l'investisseur à une obligation d'État !

Le vrai développement de ce marché viendra peut être des investisseurs attirés par une classe d'actifs qui montre une corrélation nulle, voire légèrement négative avec les marchés actions, permettant ainsi d'améliorer la diversification d'un portefeuille et d'en réduire le risque. Ce type de comportement est particulièrement le bienvenu en gestion de portefeuilles à un moment où la corrélation entre les différentes places financières est devenue très élevée : 0,92 entre la France et les États-Unis, par exemple (4) rendant ainsi peu opérante la diversification internationale qui, dans un passé pas si éloigné, a été très efficace pour réduire le risque à niveau de rentabilité donné. Cela dit, contrairement à l'investissement en actions, l'investissement sur contrats à terme sur indices climatiques est un jeu à somme nulle sans création de valeur qui ne peut intéresser qu'une frange des investisseurs.

Bref, on retrouverait alors une loi de base de la finance et de l'activité humaine : ce qui fait la richesse d'un marché, c'est la diversité de ses intervenants.

(1) A notre connaissance, l'écriture de la Lettre Vernimmen.net ne l'est pas.
(2) Pour plus de détails, voir la page 1 050 du Vernimmen 2005.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 53 du Vernimmen 2005.
(4) Pour plus détails, voir le chapitre 24 du Vernimmen 2005.


Tableau : Les décotes d'introduction en bourse en 2005

En 2005, le nombre d'introduction sur la bourse de Paris est proche de celui de l'an dernier : 17 introductions sur un marché réglementé contre 18 l'an dernier (30 opérations au total contre 37 en 2004).

L'activité reste sensiblement inférieure à celle observée en 2000 (136 opérations au total) et même 2001 (65 opérations) mais qui était un haut de cycle.

La procédure par Offre à Prix Ouvert (pour les particuliers) combinée à un Placement (pour les institutionnels) est maintenant généralisée, une seule société ayant choisi de réaliser son introduction par Offre à Prix Minimum sur Alternext et deux par Offre à Prix Fixe sur le marché libre (1). L'offre au public est généralement réduite au minimum réglementaire, soit 10% (voire moins a posteriori si la demande s'est avérée trop faible). Mais les actionnaires de contrôle affichent parfois une volonté de favoriser le public et de diffuser une part plus importante pour les particulier, c'est le cas des ouverture de capital de sociétés publiques (Sanef, GdF, EdF).

On peut noter que la part d'augmentation de capital dans la mise sur le marché est élevée, environ 60%.

Le flottant post introduction est en moyenne de 22%. Mais ce chiffre peut recouvrir des réalités très différentes suivant la capitalisation des sociétés (entre quelques millions d'euros et plusieurs milliards!).

La décote moyenne du prix d'offre par rapport au cours de clôture du premier jour de cotation est faible : 7%. Cette moyenne est plus faible si l'on se restreint aux introduction sur Eurolist : 4%. Le chiffre au niveau européen pour les introductions en bourse de plus de 500 M€ est du même ordre de grandeur : 6,5 % (2). Nous sommes loin des niveaux observés en 1999-2001, mais les sociétés s'introduisant sont certainement plus faciles à valoriser (secteurs plus matures, historique de profitabilité). La technique de constitution d'un livre d'ordre (3) avant fixation du prix permet certainement d'avoir une bonne idée de la valorisation du titre par le marché.

Remarquons qu'une des décotes les plus importantes a été observée sur l'introduction en bourse de GdF alors que la moins bonne performance est à mettre au compte d'EdF (le titre sous-performant de près de 6% par rapport au prix institutionnel). Ceci est certainement dû en partie à la forte part de titres placés auprès des particuliers (respectivement 50% et 69%). D'une part cela peut créer une réduction forte des demandes des institutionnels tirant le cours à la hausse, mais cela peut également faire chuter le cours si les particuliers cherchent à faire une plus-value rapide en cédant immédiatement leurs titres. Force est de constater que le comportement des particuliers est plus difficilement prévisible que celui des institutionnels.

(1) Pour plus de détails sur cette technique, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2005.
(2) Pour plus de détails, voir la Vernimmen.com Newsletter de février 2006.
(3) Pour plus de détails sur cette technique, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2005.


Recherche : Les pilules empoisonnées sont-elles nocives ?

Une fois n'est pas coutume, nous ne présenterons pas les résultats d'une recherche récente mais un travail qui date du milieu des années 1990, non remis en cause par des travaux plus récents. Il correspond à une préoccupation de l'actualité française : quel est l'impact de l'adoption de poison pills (1) sur la valeur de l'action, sur la probabilité de faire l'objet d'une offre, de la repousser ou d'y succomber ? Autrement dit, quelle est leur efficacité ?

En effet, le parlement devrait adopter un texte autorisant, sous conditions, les sociétés à attribuer gratuitement, lorsqu'elles sont visées par une offre publique, des bons de souscription d'actions permettant à leurs actionnaires de souscrire à de nouvelles actions à un prix (largement) inférieur au cours de bourse. La presse les a qualifiés de « Bons Breton ».

L'assaillant non agréé prendrait ainsi le risque d'acquérir 97 % du capital, par exemple à 100 € l'action, pour se voir immédiatement dilué à 19,4 %, si, toujours par exemple, 4 bons ont été attribués à chaque action permettant de souscrire à 1 € une action nouvelle. Par ailleurs, l'action ne devrait plus valoir que 20,80 €. Voici donc une invitation forte à réfléchir avant de partir à l'abordage et une superbe pilule empoisonnée !

R. Comment et W. Schwert (2) ont montré que les poison pills, parmi lesquels se rangent les bons de souscription mentionnés plus haut, sont apparues aux États-Unis au milieu des années 1980 et se sont très vite répandues puisqu'au début des années 1990, un tiers des sociétés américaines cotées en était doté. Contrairement à une idée répandue alors, leur apparition, puis leur large adoption, n'a pas causé la fin du boom des fusions-acquisitions de la fin des années 1980. Celle-ci est plutôt à mettre sur le compte de la crise économique qui débuta en 1990 et de la disparition des grands conglomérats sous évalués, cibles privilégiées des opérations de restructuration de l'époque (3).

Rappelant les travaux d'autres chercheurs, R. Comment et W. Schwert montrèrent que l'adoption de pilules empoisonnées ne fait baisser le cours des entreprises qui y recourent que de moins de 2 %, ce qui est négligeable.

Sans surprise, ils montrèrent aussi que la probabilité qu'une entreprise qui met en place une pilule empoisonnée soit la victime d'une offre est plus forte que pour une entreprise qui n'adopte pas une pilule empoisonnée. Le raisonnement est naturellement endogène : si une entreprise craint une offre, elle l'a craint non sans raison (cours bas, mauvaises performances opérationnelles, actionnariat éclaté, …) ; elle a donc de bonnes chances d'être la cible d'une offre, et donc a de bonnes chances d'adopter une pilule empoisonnée.

Les auteurs montrent surtout que les primes d'offre sont plus élevées pour les entreprises qui ont adapté des poison pills que pour les autres. Elles se trouvent ainsi, en effet, en meilleure position de négociation, non pour protéger un management, mais pour obtenir de meilleures conditions financières de la part de l'acheteur en contrepartie de la désactivation des bons, ceci pour le plus grand bien de leurs actionnaires.

On peut alors se demander pourquoi les cours baissent un peu à l'annonce de l'adoption d'une pilule empoisonnée qui permet d'obtenir une prime de contrôle plus élevée en cas d'offre ? Nos auteurs répondent en estimant que le marché avait surestimé les aspects nocifs des pilules empoisonnées et sous-évalué le meilleur rapport de force qu'elles donnent à la cible.
Comme notre lecteur l'aura compris, la poison pill n'est pas non plus la protection absolue même si, aux États-Unis, aucun acquéreur n'a acquis une entreprise ayant émis des bons de souscription d'actions dilutif sans parvenir préalablement à un accord avec la cible pour leur désactivation.

(1) Pour plus de détails sur les poison pills voir le chapitre 45 du Vernimmen 2005.
(2) Poison ou placebo ? Evidence on the deterrance and wealth effects of modern anti take over measures. Journal of Financial Economics, 1995.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 47 du Vernimmen 2005.


Q&R : Qu'est-ce que le Reverse factoring ?

On connaît l'affacturage ou factoring qui est une technique de gestion financière par laquelle, dans le cadre d'un contrat, une société d'affacturage gère les comptes clients d'entreprises en acquérant leurs créances, en en assurant le recouvrement pour son propre compte et en supportant les pertes éventuelles sur des débiteurs insolvables (1).

On connaît moins le reverse factoring, ou affacturage à l'envers.

Une entreprise convainc une société d'affacturage de proposer ses services à ses propres fournisseurs qui, à ce titre, détiennent des créances sur elle. La société d'affacturage va les acquérir, avec ou sans recours, apportant ainsi des liquidités immédiates aux fournisseurs de notre entreprise qui sont souvent des entreprises de petite taille. A ce titre, elles ont donc un accès au crédit bancaire difficile et souvent coûteux (et pour elles le marché de la titrisation est fermé...!). La société d'affacturage prend naturellement un risque sur l'entreprise et non pas sur ses fournisseurs à qui elle n'a fait qu'acheter leurs créances sur l'entreprise.

Dans ces conditions, l'entreprise est souvent capable, soit d'obtenir en contrepartie de ses fournisseurs des délais de paiement plus longs et / ou des prix d'achat pour elle plus faibles. Ceci a pour effet de réduire le BFR de l'entreprise en allongeant le crédit fournisseur, de réduire l'endettement net au bilan, et / ou d'améliorer la marge d'exploitation. Dans tous les cas, sa rentabilité économique est améliorée d'autant.

(1) Pour plus de détails, voir la Lettre Vernimmen.net n° 38 de mai 2005.


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