La Lettre n°40 de Juillet 2005

Actualités : La réforme du droit des faillites

La loi sur la sauvegarde des entreprises qui vient d’être votée par le Parlement procède à une refonte complète du Livre VI du code de commerce, consacré aux difficultés des entreprises. L’accent est mis sur la prévention, comme alternative possible au redressement et à la liquidation judiciaire.

Le texte de loi réaffirme les finalités des procédures : même si la protection des intérêts des créanciers demeure l'un des principaux objectifs, la sauvegarde de l'activité et de l'emploi apparaît prioritaire. Il est vrai que la France étant, semble-t-il, la championne d’Europe des faillites, une réforme pouvait apparaître nécessaire, d’autant que 90% des dépôts de bilan se terminent en liquidation et que les statistiques du premier semestre 2005 montrent une progression de 3,5%.

Le texte de loi s’inspire du modèle de la procédure américaine du chapter 11, lequel se caractérise principalement par la possibilité offerte aux entreprises de s'en prévaloir rapidement, par le fait que le débiteur continue à gérer son entreprise, par le rôle accordé aux créanciers dans l'élaboration du plan et enfin, par la faculté octroyée au tribunal d'imposer un plan de redressement à l'ensemble des créanciers.

Les principales innovations sont les suivantes :

Les cinq procédures

- Le mandat ad hoc reste inchangé

- Le règlement amiable, issu de la loi du 1er mars 1984, est désormais dénommé « conciliation ». La conciliation s'adresse aux entreprises qui « éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible » ou à celles qui sont en cessation de paiements depuis moins de quarante-cinq jours, ce qui constitue une innovation puisque le règlement amiable actuel ne vise pas les entreprises qui sont déjà en cessation des paiements.

Un nouveau privilège dit de l' « argent frais » est créé. Ce privilège ne concerne que tout « nouvel apport en trésorerie » ou tout « nouveau bien ou service en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise ». Les concours doivent donc être liquides. Les augmentations de capital ne profitent pas en revanche du nouveau privilège. Le privilège de l’argent frais permettra à ses titulaires de primer tant les créanciers antérieurs que les créanciers postérieurs, le cas échéant, à l'exception du privilège dont bénéficient les salariés. En cas de liquidation judiciaire, le paiement des frais de justice intervient avant.

Dans le même temps, le texte de loi restreint le champ de la responsabilité des créanciers pour soutien abusif, en particulier, la responsabilité bancaire. Bien que rarement mise en oeuvre, la menace d'une condamnation pour soutien abusif est présentée par les établissements de crédit comme un facteur particulièrement dissuasif de l'octroi du crédit (cf. affaire Moulinex). Le texte de loi prévoit donc un principe général d'exonération de responsabilité de tous les créanciers pour les préjudices subis du fait des concours qu'ils consentent, à l'exception de trois cas que sont la fraude, l'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou la prise de garanties disproportionnées en contrepartie des concours.

Le texte de loi renforce l'anticipation des difficultés et responsabilise le chef d'entreprise, en créant la nouvelle procédure de sauvegarde, qui constitue l'une des principales innovations de la loi. La procédure est déclenchée sur demande du débiteur qui « justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter susceptibles de le conduire à la cessation des paiements ». L'ouverture de la procédure de sauvegarde est décidée par le tribunal de commerce qui reçoit auparavant le débiteur, les représentants du personnel et toute autre personne utile d'entendre. Le débiteur continue d'assurer la gestion de l'entreprise, éventuellement secondé par un administrateur judiciaire qui n'a qu'un pouvoir de surveillance et d'assistance. La procédure débouche sur un plan de sauvegarde, « lorsqu'il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée ». Par rapport au redressement judiciaire actuel, la nouveauté réside donc dans l'énoncé d'un objectif de « réorganisation ». Cet objectif de réorganisation est inspiré du droit américain. Du reste, à l’image du modèle américain (chapter 11), l’élaboration du plan peut passer par la constitution puis la consultation de deux comités de créanciers, réunissant d'une part, les établissements de crédit et, d'autre part, les principaux fournisseurs. La constitution de tels comités sera obligatoire pour les entreprises atteignant une certaine taille. Chaque comité se prononce sur le projet de plan présenté par le débiteur.

- Le redressement judiciaire continue de ne s'appliquer que s'il y a cessation des paiements. A la différence de la procédure de sauvegarde, la procédure de redressement judiciaire peut être orientée vers la préparation d'un plan de cession de l'entreprise. La procédure de redressement judiciaire perd son caractère central dans l'agencement des procédures collectives françaises. Elle a de fait vocation à devenir moins fréquente, puisque, si la réforme est un succès, les entreprises feront davantage appel aux procédures préventives.

- La liquidation judiciaire est ouverte pour tout débiteur en état de cessation des paiements dont le redressement est manifestement impossible. La principale innovation réside dans la création d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée.

Autres mesures importantes

Une innovation importante du présent projet de loi consiste à étendre l'application des procédures collectives aux professionnels libéraux, n'exerçant pas en société.

Des précisions sont apportées sur l’ordre de paiement des créances. Si le « super privilège » des salariés continue de primer l'ensemble des créances, un nouveau privilège de paiement sur les créances postérieures est en revanche prévu au profit des créances constitutives de la « new money », nées dans le cadre d'une procédure de conciliation.

En outre, le texte de loi prévoit une plus grande sélectivité des créances postérieures. Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture doivent alors répondre à deux conditions alternatives pour être payées par priorité à l’échéance : être nées pour les besoins de la procédure collective ou de la période d'observation, ou constituer une contrepartie d'une prestation fournie pendant cette période au débiteur pour son activité. L'ordre de paiement des créances postérieures au jugement d'ouverture n'est pas modifié : les salaires postérieurs au jugement sont payés en premier lieu ; puis les frais de justice ; puis les prêts consentis par les établissements de crédit et les créances résultant de l'exécution des contrats en cours lorsque le cocontractant a accepté un paiement différé.

Le texte de loi supprime le principe de l'ouverture d'une procédure collective à titre de sanction, et le remplace par une « obligation aux dettes sociales », limitée aux procédures de liquidation judiciaire, lorsque certaines fautes graves, énumérées par la loi, auront contribué à la cessation des paiements.


Le chapitre Faillites et restructurations de la nouvelle édition du Vernimmen, qui paraît le 8 septembre prochain, a naturellement été revu totalement pour intégrer ces nouvelles dispositions.

(1) Terme qu’il faut entendre dans son acceptation courante et dans celle juridique de faillite personnelle.


Tableau : L’efficience des marchés

A la question posée sur le site www.vernimmen.net «Pensez-vous que les marchés sont efficients ?», 1 266 internautes ont ainsi répondu :

Autrement dit, l’opinion des internautes marque un partage qui n’est pas sans rappeler celui des enseignants et chercheurs entre les pro-Fama (inventeur du concept d’efficience du marché) et les pro-finance comportementale qui la remettent en cause (1).

Le nouveau sondage du site Vernimmen.net est consacré aux critères de choix d’investissements.

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 21 du Vernimmen.


Recherche : Les déterminants transnationaux des fusions – acquisitions

La théorie financière considère que les fusions et acquisitions (M&A) constituent l’un des principaux mécanismes de ré-allocation d’actifs d’entreprises non performantes vers les dirigeants et les entités qui en feront le meilleur usage. Toutefois, la fluidité de ce marché n’est pas parfaite. Le recours aux opérations de M&A peut être limité par des coûts de transaction élevés, des asymétries d’information importantes entre cible et acquéreur, des conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants, ou encore entre actionnaires majoritaires et minoritaires des cibles de ces opérations.

Dans la mesure où l’environnement juridique et de gouvernement d’entreprise d’un pays va plus ou moins limiter ces frictions, il est probable que son impact soit important sur l’activité de M&A de ce pays. Deux chercheurs de la London Business School (1) étudient la validité de cette hypothèse sur un échantillon de 45 700 opérations de M&A effectuées entre 1990 et 2002 dans 49 pays.

S’inspirant des travaux de La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny (2) sur la comparaison internationale des systèmes de gouvernance financière, les auteurs étudient l’influence du niveau de la protection des actionnaires et de la qualité de l’information comptable et financière sur l’activité de fusions-acquisitions dans les 49 pays étudiés. Pour cela, les auteurs étudient cinq déterminants de l’activité de M&A dans chaque pays : le volume total, le volume des opérations hostiles, la proportion d’opérations transfrontalières, le niveau de prime d’acquisition et les moyens de paiement utilisés. Les résultats obtenus sont les suivants :

  • Le volume des acquisitions réussies dans un pays, mesuré en pourcentage des entreprises cotées, est fortement corrélé à la qualité de l’information comptable et financière, à la qualité de la protection des actionnaires et au niveau de concentration de l’actionnariat dans le pays considéré.
  • En étudiant les acquisitions spécifiquement considérées comme hostiles, les auteurs constatent que les principaux résultats obtenus précédemment sont à nouveau vérifiés. Une meilleure qualité d’information financière et de protection des actionnaires sont associées à une plus forte activité d’acquisitions hostiles dans le pays. A l’inverse de résultats précédents, la concentration de l’actionnariat ne joue plus un rôle significatif pour favoriser les acquisitions hostiles.
  • La proportion des acquisitions transfrontalières relativement à l’ensemble des acquisitions est plus forte dans des pays ayant une plus faible qualité de l’information comptable et financière et une plus faible protection des investisseurs. Par ailleurs, si l’on observe le pays d’origine de l’acquéreur et le pays de la cible de l’acquisition dans une transaction transfrontalière, on constate que la différence de qualité d’information financière et la différence de protection des actionnaires sont des moteurs importants de la réalisation de ces opérations. Ce sont en effet, le plus souvent, les entreprises des pays ayant la meilleure qualité de gouvernement d’entreprises qui acquièrent des entreprises dans les pays les moins bien lotis de ce point de vue.
  • La prime d’acquisition est plus élevée dans les pays ayant une meilleure protection des actionnaires. Ce résultat s’explique par la plus grande concurrence entre acquéreurs dans ces pays, mais aussi par un actionnariat plus diffus exigeant une rémunération plus importante.
  • La méthode de paiement préférée dans le cadre d’une acquisition dans un pays protégeant faiblement les actionnaires est le paiement en cash. Les paiements en actions sont utilisés plus fréquemment dans les pays protégeant le mieux les actionnaires, le risque d’expropriation des actionnaires minoritaires étant plus faible. Dans le cas d’acquisitions transfrontalières, l’utilisation d’actions comme moyen de paiement est associé à une bonne qualité de la protection des actionnaires dans le pays de l’acquéreur.

L’ensemble de ces résultats est cohérent avec la théorie de l’agence (3), qui prédit que dans les pays disposant de niveaux de protection élevés des actionnaires, les bénéfices privés liés au contrôle d’une entreprise (possibilités d’expropriation, dépenses somptuaires etc..) sont en général réduits par rapport aux pays dont les actionnaires sont peu protégés. Dans le cadre d’une acquisition, le dirigeant de la cible doit généralement abandonner le contrôle de son entreprise au profit des nouveaux acquéreurs. Ainsi, dans les pays bénéficiant d’une forte protection des actionnaires, les dirigeants des entreprises cibles vont être moins réticents à la perte de contrôle de leur entreprise, ou vont exiger une compensation financière plus faible, puisqu’ils renoncent à des bénéfices privés moins importants. Il est donc normal d’observer un marché du M&A plus fluide dans les pays offrant une meilleure protection des actionnaires.

De la même manière, les règles de communication financière sont particulièrement importantes dans le cadre de la formulation d’offres d’acquisitions, notamment lorsqu’elles ne sont pas sollicitées ou hostiles, l’information dévoilée dans les rapports comptables étant alors la seule source d’information permettant l’identification des cibles et la formulation d’une offre.

Il est également possible de comprendre les flux d’acquisitions transfrontalières en suivant l’argumentation liée à la théorie de l’agence. Les entreprises des pays protégeant le mieux leurs actionnaires disposent de capacités de financement à moindre coût, ce qui facilite leurs acquisitions et leur permet de faire accepter aux actionnaires de la cible un paiement qui ne soit pas en cash, mais en actions de l’acquéreur. Les actionnaires de la cible gagnent donc au change, alors que les acquéreurs semblent exporter les pratiques de bonne gouvernance d’entreprise de leur pays vers leur cible.

Au vu de ces résultats, les auteurs montrent qu’il existe une tendance à la convergence des systèmes de gouvernance d’entreprise à travers le monde via les opérations de fusions-acquisitions. En effet, ils observent que les entreprises des pays disposant des meilleures dispositifs de protection des actionnaires rachètent progressivement les entreprises des pays relativement moins protecteurs des intérêts des actionnaires.

(1) Stefano Rossi et Paolo Volpin, « Cross Country Determinants of Mergers and Acquisitions », Journal of Financial Economics, n° 74, pages 277 à 304, 2004.
(2) La Porta R., Lopez-de-Silanes F., Shleifer A. et R Vishny, « Law and Finance », Journal of Political Economy, décembre 1998.
(3) Voir chapitre 35 du Vernimmen pour plus de détails.


Q&R : Les particularités financières de l’acquisition de Gillette par Procter & Gamble

Le 28 janvier 2005 Procter & Gamble a annoncé un rapprochement amical avec Gillette prenant la forme d’une fusion à raison de 0,975 action Procter & Gamble pour 1 action Gillette. L’opération n’attend plus que le feu vert des autorités américaines de la concurrence pour être réalisée.

Parallèlement, Procter & Gamble a annoncé son intention de procéder à des rachats en bourse d’actions Procter & Gamble pour environ 20 Md$ sur les 12 à 18 mois à venir de sorte que l’acquisition soit, au final, payée 60 % en actions et 40 % en numéraire.

Pourquoi Procter & Gamble a-t-il choisi cette structure plutôt que celle, à priori plus simple, d’une offre publique avec une branche titre à 60% et une branche cash à 40% ? Cinq raisons peuvent expliquer cette structure :

1. Dès lors que la fusion est votée par les deux assemblées d’actionnaires, il n’y a plus qu’une seule entité et non deux comme suite à une offre qui doit éventuellement être suivie d’une nouvelle offre et / ou d’un squeeze out (1) pour éliminer totalement les actionnaires minoritaires de la cible.

2. La négociation et la mise en place de l’endettement nécessaire au rachat d’actions intervient après l’annonce de l’opération. Les risques de fuite avant annonce sont donc réduits et l’entreprise a probablement plus de pouvoir de négociation pour discuter avec les banques des conditions du crédit.

3. Les actionnaires de la cible peuvent préférer être réglés en actions pour des raisons fiscales plutôt qu’en cash, ce qu’il n’est pas possible de leur garantir à 100 % dans le cadre d’une offre avec une double composante titres et numéraire.

4. Le cash dans l’opération n’est plus réservé dans l’opération aux seuls actionnaires de la cible, mais bénéficie à la totalité des actionnaires du nouveau groupe qui le souhaitent.

5. Le rachat d’actions donne toujours l’impression de soutenir les cours et peut être mis en place de façon relativement flexible (montant, durée) dans la limite, bien sûr, des contraintes réglementaires qui pèsent sur les émetteurs qui font du rachat d’actions.

En France, cette structure se heurte à la limitation à 10 % du capital des programmes de rachat d’actions par période de 12 mois et à l’annulation maximum de 10% du capital par périodes de 24 mois. Elle peut être évitée en ayant recours à la technique de l’OPRA (et non du programme de rachat) qui n’a pas de limite en pourcentage de capital, mais qui est moins souple à mettre en place (2).

(1) Voir chapitre 49 du Vernimmen pour plus de détails.
(2) Voir chapitre 44 du Vernimmen pour plus de détails.


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