La Lettre n°4 de Octobre 2001

Actualités : Déconsolidation et externalisation

Les entreprises annoncent régulièrement des opérations de titrisation (stocks de Chargeurs, créances d’EDF) ou de cession-location ("sale lease-back") d’actifs immobiliers (Fiat, France Télécom). En réalité, ces opérations ne font que pousser à l'extrême les techniques d’effets escomptés et de crédit-bail de nos parents. De tout temps, les entreprises ont cherché à réduire la taille de leur bilan et à asseoir sur des actifs précis des financements afin de, théoriquement, en réduire le coût. Cette tendance s’accélère, des groupes allant même jusqu’à externaliser totalement leur activité de production (Alcatel/Flextronics).

L’historique des opérations de « sortie de bilan » pourrait prendre la forme suivante :


 

1 Les principes

Les opérations à chaque extrémité du spectre sont relativement simples à analyser, les titrisations et sale-lease back font souvent appel à des montages plus complexes. Le schéma type est le suivant :
 


 

2 Les traitements comptables

Le montage est donc simple dans son principe ; la subtilité provient en fait de contrats ficelés de telle manière que les actifs « sortent » réellement du bilan. En effet, selon la règle bien connue que l’on rattrape plus vite un menteur qu’un boiteux, les règles comptables se sont rapidement adaptées et exigent maintenant un retraitement des opérations réalisées par pur affichage, les actifs devant alors être réintégrés au bilan et une dette comptabilisée en contre-partie. Ainsi les effets escomptés et le crédit-bail sont depuis longtemps retraités dans les comptes consolidés. Un jeu du chat et de la souris s’est donc instauré entre les entreprises, mettant en place des montages déconsolidants, et les normes comptables qui tentent de séparer le bon grain de l’ivraie. Dans l’état actuel de la réglementation, les principes sont les suivants :
 
 

La recommandation n°29 de l’Ordre des experts-comptables prévoit que le retraitement doit être pratiqué pour toutes les locations qualifiées de locations de financement lorsque l’une des conditions suivantes est remplie :
  • le contrat prévoit le transfert obligatoire de la propriété au preneur au terme de la durée du bail ;
  • le contrat prévoit le transfert de la propriété au terme de la durée du bail sur option, et les conditions d’exercice de l’option sont telles que le transfert de propriété parait hautement probable à la date de conclusion du bail ;
  • la durée du bail recouvre l’essentiel de la durée d’utilisation du bien ;
  • la valeur actualisée des paiements minimaux est proche de la juste valeur du bien loué à la date de conclusion du bail.  Le taux d’actualisation est le taux d’intérêt implicite du contrat de location lorsqu’il est connu.  A défaut de connaître celui-ci, le taux d’endettement du preneur est retenu.

L’IASC prévoit les critères  suivants pour classer un contrat de location en « financial lease » (et donc le réintégrer au bilan) :
  • Le preneur a l’option d’acquérir l’actif à un prix significativement plus bas que le prix de marché à la date d’exercice de l’option de telle sorte qu’il est raisonnable d’estimer que l’option d’achat sera exercée ;
  • Les termes du contrat de leasing couvrent une grande partie de la vie économique de l’actif, même s’il n’y a aucun tranfert de propriété ;
  • A la signature du contrat de leasing, la valeur actuelle des paiements minimum de loyer représente au moins toute la valeur de l’actif ;
  • Les actifs sous leasing sont d’une nature spécifique qui fait que seul le preneur peut les utiliser sans modification majeure.

Les normes IASC sont extrêmement strictes et offrent une très faible latitude comptable. Les normes américaines (US GAAP) sont sensiblement plus souples en termes de déconsolidation d’actifs.

3 L’analyse financière

L’impact sur les soldes financiers de tels montages est souvent complexe, les effets évidents sont les suivants :

  • Baisse du montant des actifs ;
  • Baisse du montant de la dette nette ;
  • Généralement baisse de l’EBE et du résultat d’exploitation, les loyers couvrant à la fois le coût de financement et la dépréciation des actifs. Certaines structures (synthetic lease) permettent de réduire très sensiblement cet impact négatif en limitant quasiment le montant des loyers au coût de financement, l’actif doit alors être racheté en fin contrat à un prix proche de celui d'aujourd’hui. C'est conceptuellement du pur portage ;
  • Hausse du point mort en terme de trésorerie, en effet ces opérations substituent à une charge calculée (les dotations aux amortissements)  une charge « cash » (les loyers) ;
  • L’impact sur le résultat net et les capitaux propres dépend fortement du montage mis en place. Les entreprises doivent en effet arbitrer entre le montant de loyers actualisés qu’elles s’engagent à payer à l’avenir et le prix de vente des actifs aujourd’hui. Plus l'un est élevé, plus l'autre l'est aussi.
Ainsi, une entreprise souhaitant dégager aujourd’hui des plus-values et des liquidités importantes devra s’engager à verser des loyers significativement supérieurs à la moyenne du marché sur longue période.

Il convient de noter que les analystes financiers sont de plus en plus familiers avec ce type d’opération, et s’ils ne les retraitent que rarement, ils en tiennent compte dans leur appréciation globale du risque de l’entreprise. Ainsi les agences de rating réintègrent systématiquement les actifs titrisés ou en sales lease back dans le bilan des entreprises. Par ailleurs, elles considèrent que si le financement d’un groupe est assuré par une part significative (20%) de titrisation, sale lease back ou financements en subordination structurelle, il y lieu de mettre le groupe sous surveillance négative (cf programmes de titrisation des stocks de pièces détachées des compagnies aériennes aux Etats-Unis), la qualité des comptes étant affectée.
 

4 Les motivations

Pour mesurer l’intérêt de ces opérations, prenons l’exemple simple de l’affacturage. L’affacturage recouvre en réalité quatre types de services offerts à l’entreprise, vendus seuls ou combinés :

1. Un financement avec un coût compétitif ;

2. L’externalisation de la fonction recouvrement ;

3. Une assurance contre les impayés ;

4. Une déconsolidation (utilisée par certaines entreprises pour « habiller » leur bilan).

Ces services illustrent parfaitement les objectifs liés aux opérations de titrisation, externalisation ou sale lease-back :
 

  • Financement : trouver une source de financement nouvelle ou à un coût inférieur au coût global de financement de l’entreprise. Le but alors est que l’entité propriétaire des actifs déconsolidés obtienne un rating supérieur à celui de la maison mère. En segmentant les risques, l’entreprise est mieux à-même de trouver des investisseurs spécialisés appréhendant parfaitement le type de risque proposé (risque immobilier, risque de défaut...). Mais attention, pour que l’opération soit créatrice de valeur, il ne faut pas que la hausse du risque global perçu sur le reste des actifs viennent compenser un coût de financement bon marché ! La théorie des marchés à l'équilibre ne nous laisse pas beaucoup d'espoir...
  • Transfert d’un risque : l’entreprise peut considérer que le risque de fluctuation du marché immobilier, de la valeur des véhicules d’occasion, etc..., ne fait pas partie de son cœur de métier. Une opération du type sale-lease back pourra lui permettre de s’en séparer. De même, une entreprise peut être fortement pénalisée par un défaut de paiement d’un client alors qu’un factor réduit ce risque en jouant la loi faible des grands nombres. Il développe une compétence particulière d’appréciation du risque que l'entreprise ne maîtrise pas et qu’il met à sa disposition pour l’aider à mieux sélectionner sa clientèle. C’est à cette dernière condition que l’opération peut créer de la valeur car le transfert de risque ne crée pas de valeur, il est un simple arbitrage entre le risque et la rentabilité.
  • Affichage : la réduction du niveau d’endettement au bilan et l’amélioration des ratios financiers est une claire motivation, même si nous en avons énoncé les limites (risque de détérioration des performances opérationnelles futures). Obtenir un montage permettant une déconsolidation se fait généralement au prix d’un coût global de financement plus élevé. Il faut donc souvent choisir entre optimiser son coût de financement et « déshabiller » son bilan. La création de valeur à ce stade est donc illusoire.
  • Réingénierie / Flexibilité opérationnelle : les opérations les plus structurantes donnent lieu à une externalisation plus ou moins poussée de certains services qui peuvent redonner des marges de flexibilité à l’entreprise : le locataire a ainsi moins d’états d'âme pour déménager dans des locaux mieux adaptés à ses besoins que le propriétaire. La limite à cette flexibilité est imposée par la durée parfois longue des contrats signés lors de la mise en place de l’opération surtout lorsqu’elle porte sur un actif très spécifique.


Tableau : Les fusions acquisitions depuis 1970

Les fusions acquisitions évoluent par vagues : après les creux du début des années 1970, 1980 et 1990 sont venus les hauts de la fin des années 1970, 1980 et 1990. Les arbres ne montant pas au ciel, 2001 s'annonce nettement moins bon que les trois années précédentes : 

Sans surprise, la part des opérations payées en titre s'accroît avec le niveau des valorisations :

L'article de recherche résumé dans la prochaine Lettre Vernimmen.Net expliquera les déterminants des niveaux de ces marges.



Recherche : Quels sont les déterminants des marges des emprunts obligataires des entreprises ?

Quatre professeurs américains de finance se sont intéressés à l'écart entre la rentabilité d'un emprunt obligataire d'une entreprise et la rentabilité d'une obligation d'Etat de même échéance (1). C’est ce que l'on appelle la marge d'intérêt (le spread en franglais) dont l'évolution statistique au cours du temps faisait l'objet du graphique de la précédente Lettre Vernimmen.net. Ils montrent que l'essentiel de cette marge pour une maturité donnée s'explique par trois facteurs :
 

  • La rémunération du risque de faillite de l'émetteur. Celle-ci est bien sûr d'autant plus faible que l'émetteur a une notation de bonne qualité. Une entreprise notée AA par Standard & Poors (chaque agence ayant son propre système de rating) paie, selon les auteurs, 5 points de base (0,05%) à ce titre contre 41 points de base pour une autre notée BBB. Cette rémunération évolue naturellement avec l'échéance de l'obligation : la rémunération du risque de faillite coûte 11 points de base à l'émetteur BBB pour une dette à un an, mais 41 points de base si la dette a 10 ans de maturité. Ceci est logique puisque la probabilité de faire faillite pendant la durée de vie de l'emprunt croît avec la durée de cet emprunt ;
  • La fiscalité différente aux Etats Unis des intérêts des obligations d'Etat et des obligations des entreprises. Aux Etats Unis, les intérêts des obligations des entreprises sont imposés plus lourdement que les intérêts des emprunts d'Etat. Dès lors, l'investisseur demande à l'entreprise emprunteuse une rémunération supérieure pour couvrir ce surcoût fiscal. Ce dernier est estimé à 40 points de base pour un emprunt à 10 ans noté AA et à 74 points de base pour un emprunt noté BBB. C'est donc tout à fait significatif mais dû uniquement aux particularités de la fiscalité américaine que l'on ne retrouve pas, par exemple, en France.
  • La rémunération du risque de marché. Les obligations d'Etat ne courent pas le risque de marché : la corrélation entre les fluctuations de leurs valeurs et celles du marché est en effet nulle, ce qui en fait l'actif sans risque par excellence. En revanche, les auteurs montrent que les mêmes facteurs qui influencent le cours des actions influencent aussi le cours des obligations des entreprises, bien que de façon plus modérée. Dès lors, la marge d'intérêt couvre aussi ce risque. Ainsi de la même façon que l'on calcule un coefficient bêta pour une action, on peut l'établir pour une dette (2). Une obligation de durée 10 ans et notée A a un bêta de 0,09 qui passe à 0,72 si elle est notée BBB.


Au total, le tableau suivant montre l'importance de l'explication fiscale de la marge d'intérêt :
 
 

 
Marge d'intérêt en points de base
Pourcentage de la marge d'intérêt expliqué par :
le risque de faillite
la fiscalité différentielle
le risque de marché
Solde
Emprunt note AAA
  • à 2 ans
  • à 5 ans
  • à 10 ans
41
49
60
1%
3%
8%
86%
73%
58%
11%
20%
29%
2%
4%
5%
Emprunt note BBB
  • à 2 ans
  • à 5 ans
  • à 10 ans
121
121
118
12%
21%
34%
30%
29%
28%
49%
43%
32%
9%
7%
6%
Données 1987 à 1996, secteur industriel aux Etats Unis.
Autrement dit, un investisseur européen exigera une marge plus faible de 0,35% (3) qu'un investisseur américain sur une obligation de même échéance et de même qualité.

Par ailleurs, on ne manquera pas de noter l'importance croissante du risque de marché dans l'explication de la marge pour des obligations de moindre qualité. Au fur et à mesure que la qualité de l'obligation se dégrade, la part de la marge expliquée par le risque de marché s'accroît, l'obligation courant potentiellement de plus en plus le risque de l'entreprise, son comportement se rapprochant alors de celui d'une action.

(1) Explaining the rate spread on corporate bonds, par E. Elton, M. Gruber, D. Agrawal et C. Mann, Journal of Finance, février 2001, pages 247 à 277.
(2) Pour plus de détails voir page 637 de Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen - Dalloz 2000.
(3) 0,35%=41 points de base * 86%, ou 49 * 73%, ou 60 * 58%, ...



Q&R : Offre publique d'achat (OPA) ou offre publique d'échange (OPE) ?

Pour les actionnaires de la cible, l’OPA est une sortie pure et simple alors que l’OPE représente la participation à une aventure industrielle plus large.
Pour l’acquéreur, le choix entre OPA et OPE est largement guidé par des considérations de choix de financement. L’OPA impose (au moins à court terme) de financer l’acquisition par endettement, l’OPE est de manière évidente un financement par capitaux propres. 
Mais en pratique, le choix n’est pas toujours aussi manichéen et l’initiateur peut envisager une offre mixte ou une alternative en cash à une OPE ou encore un Certificat de Valeur Garantie (CVG). 
Par ailleurs, une acquisition réalisée par OPA peut être refinancée ultérieurement pour tout ou partie par une augmentation de capital. On peut donc noter que contrairement à l’OPE, l’OPA offre une flexibilité sur le financement de l’acquisition. L’acquéreur pourra ainsi choisir après l’opération le niveau de capitaux propres, ou titres hybrides, qu’il souhaite lever pour refinancer son acquisition. Ainsi l’OPA sur Blue Circle par Lafarge a été refinancée pour partie par une augmentation de capital (1,2 Md€) et pour partie par une émission d’obligations convertibles (1,5 Md€).

Le tableau ci-dessous synthétise les principaux critères de choix entre OPA et OPE (1) :
 

 
OPA
OPE
Remarques
Signal du point de vue de l’acheteur Signal positif : Action de l'acheteur sous-évaluée

Endettement : signal positif

Signal négatif : Action de l'acheteur surévaluée De plus en plus d’OPE sont hostiles et crédibles…
Signal du point de vue du vendeur Aucun Signal positif : le vendeur participe au risque  
Partage des synergies Les actionnaires de la cible ne perçoivent les synergies qu’au travers de la prime qui leur est payée Participation entière des actionnaires de la cible aux synergies futures Dans une OPE amicale la prime peut être limitée si les synergies anticipées sont élevées
Effets psychologiques Le cash crédibilise l’offre et accroît sa valeur psychologique Caractère " amical " du paiement en titres  
Structure financière de l’initiateur Accroît le levier financier Abaisse le levier financier La taille des opérations impose parfois le paiement en titres
Effet sur le cours de l’initiateur Après impact de l’annonce, pas de lien direct entre le cours de l’initiateur et celui de la cible Lien immédiat et permanent pendant toute la durée de l’offre entre le cours de l’initiateur et celui de la cible Une OPE est d’autant plus crédible que les cours des deux sociétés s’ajustent après l’annonce sur la parité d’échange proposée
Comptabilisation de la survaleur Oui Possibilité d’opter pour la mise en commun d’intérêts si les critères sont remplis Les analystes peuvent retraiter le calcul des survaleurs selon les secteurs
Autres effets comptables Accroît le BPA et son taux de croissance si l'inverse du PER de la cible, prime comprise, est supérieure au coût après impôt de la dette Accroît le BPA si le PER de l’initiateur est supérieur au PER de la société cible, prime comprise Le BPA n’est pas un véritable témoin de la création de valeur
Fiscalité de l’acquéreur Déductibilité des frais financiers Pas d’impact, sauf plus- value si utilisation de titres auto-détenus La fiscalité n’est pas en soi un critère dirimant
Fiscalité du vendeur Plus-value imposable Possibilité de reporter la plus-value de cession  
Poids dans les indices Pas de changement Poids plus important dans les indices (plus grande capitalisation boursière) Possibilité de re-rating lié à un effet taille en cas d’OPE

 (1) Pour plus de détails voir le chapitre 47 de Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen.



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