La Lettre n°3 de Septembre 2001

Actualités : Valeur et liquidité

Dans un modèle classique, deux paramètres influent sur la valeur : le risque et la rentabilité. Mais, un facteur de second ordre a aussi une influence sur la valeur : la liquidité. Ainsi :

  •     Certains investisseurs (fonds importants) n’investiront que dans des sociétés dont la taille de marché est telle qu'ils peuvent acheter ou vendre une participation significative (quelques pour cents) en un temps limité ;
  •     La cession des blocs d'actions de taille importante ne peut se faire sur le marché qu’avec une décote par rapport au cours de bourse.

repérer entre les différents cash flow ?

La liquidité d’un bien est la rapidité avec laquelle la richesse qui lui est incorporée peut être récupérée. Concrètement un titre sera considéré comme liquide si des échanges importants n’entraînent pas de modification de son cours(1).

La liquidité est mesurée par l'écart entre le prix offert et le prix demandé

(bid-ask), par le nombre de titres traités quotidiennement (en montant absolu ou en pourcentage du nombre total de titres ou du flottant), par le flottant (en pourcentage du nombre total de titres), voire par la capitalisation boursière.

On peut constater que les sociétés dont les capitalisations sont les plus importantes, sont également celles dont les titres sont les plus traités. En effet, elles attirent de par leur taille un nombre plus important d’investisseurs, ce qui

« anime » le titre :

Source : Datastream & Fininfo ; cours au 10/09/01.

 

Les investisseurs sont prêts à rémunérer cette liquidité, c’est-à-dire à mieux valoriser les sociétés dont le flottant, la capitalisation boursière et le volume de titres traités quotidiennement sont importants. La liquidité permet donc d’abaisser le coût du capital de l'entreprise.

Différents modèles visent à mesurer ce phénomène et la prime de risque attaché à l’illiquidité :

E. Fama et K. French ont mis au point en 1992 un modèle à 3 facteurs : le taux de rentabilité à exiger d’un actif n’est plus seulement expliqué par le risque relatif de cet actif par rapport au risque du marché (le Bêta), comme dans le MEDAF, mais aussi par le PBR (Price to Book Ratio, capitalisation boursière/ capitaux propres comptables) et par la liquidité mesurée par l’écart de rentabilité entre les grosses capitalisations boursières et les petites.

La notion de prime de liquidité a également été étudiée par J. Hamon et B. Jacquillat qui ont mis en évidence l’existence d’une prime de liquidité, nulle pour les grosses capitalisations, significatives pour les petites qui s’ajoute aux taux

de rentabilité exigés déterminés à partir du MEDAF pour former la rentabilité totale exigée par l’actionnaire. Sur cette base, Associés en Finance a développé un modèle à 3 facteurs proche du MEDAF intitulé Plan de Marché :

  • Chaque titre extériorise ainsi un niveau de risque (le Bêta) et un niveau de liquidité (le Lambda), le coût des capitaux propres (Kcp) d’une société s’exprimant de la façon suivante
    Kcp = Rf + E(Rm – Rf)*Bêta + Prime de liquidité*Lambda<:li>
  • Les paramètres du Plan de Marché du mois d'août 2001 étaient ainsi les suivants :
    •     Rf = 5,09%
    •     Prime de risque = 4,30%
    •     Prime de liquidité = 0,46%

Ces primes proviennent de la régression entre les taux de rentabilité espérés (TRI) et simultanément (i) le risque anticipé et (ii) le logarithme relatif des flottants.

  • Ce modèle « extrait » donc de la prime de risque classiquement calculée, la part qui revient au facteur de liquidité. A titre d’exemple, sont calculés ci-dessous les coûts des capitaux propres de Vivendi Universal et Gaumont qui ont des niveaux de risque similaires par rapport au marché (leur Bêta est proche), mais des liquidités évidemment très différentes :
    • Kcp Vivendi Universal = 5,09% + 4,30% ´ 1,10 + 0,46% ´ 0,65 = 10,1%, pour un flottant de 61Md Euro.
    • Kcp Gaumont = 5,09% + 4,30% ´ 1,20 + 0,46% ´ 1,70 = 11,0%, pour un flottant de 65M Euro.

Une autre approche permet de mesurer la liquidité : la décote observée pour des transactions sur des volumes importants. En effet, la cession d’un bloc minoritaire, représentant une part importante du flottant, est réalisée avec une décote par rapport au cours de bourse. La décote moyenne observée sur le marché français en 2000 et 2001 est de 4,2% mais s’étale suivant les cas entre moins de 1% et plus de 10%, et il y a clairement une corrélation positive entre la taille du bloc et le niveau de la décote :

 

Les banques se sont adaptées à cette nouvelle demande de liquidité en offrant des services de traitement des blocs (block trades, mais également échangeables et dérivés sur actions) permettant ainsi, même si cela a un coût (la décote), de gérer de plus en plus de situations où les investisseurs se

seraient sentis (il y a encore quelques années) « collés » avec certaines de leurs participations.

Au total, qu'est-ce qui explique cette importance croissante de la liquidité ?

  • La concentration des industries des services financiers : les rapprochements des banques s'accompagnent de fusion de leurs instruments de gestion collective (SICAV, FCP) dont la taille accrue a pour corollaire des investissements de taille unitaire plus forte, d'où un désintérêt pour les capitalisations petites et moyennes.
  • L'accroissement de la part de marché de la gestion indicielle (qui duplique l'indice phare du marché) renforce cette tendance à favoriser les grosses capitalisations qui font partie des indices.
  • Enfin, l'avènement de l'euro a favorisé l'accès des investisseurs aux marchés actions étrangers sans risque de change sur lesquels ils préfèrent naturellement les titres les plus connus donc les plus liquides et les plus gros.

L'impact de la liquidité sur la valeur a donc toute chance d'être une donnée structurelle.

(1) Pour approfondir, voir Amihud Y. et Mendelson H., Asset pricing and the bid-ask spread, Journal of Financial Economics, 1986, p. 223-249.



Tableau : Le niveau des marges sur emprunts obligataires

Calculés en points de base (0,01%) par rapport au taux sans risque, les marges que paient les entreprises sur leur endettement financier sont clairement à la hausse reflétant la dégradation de la conjoncture économique et donc l'affaiblissement global de leur solvabilité qui est particulièrement marquée dans certains secteurs comme les télécoms.

L'article de recherche résumé dans la prochaine Lettre Vernimmen.Net expliquera les déterminants des niveaux de ces marges.



Recherche : Mais que sont donc devenus les dividendes ?

Deux tiers des entreprises américaines cotées payaient des dividendes en 1978 (1). Elles ne sont plus que 21% à le faire en 1999. Que sont donc devenus les dividendes ? E. Fama et K. French (2) montrent que deux raisons expliquent cette tendance aux Etats-Unis :

1. L'évolution du profil des sociétés cotées.

Les sociétés qui s'introduisent en bourse ont toujours eu pour caractéristiques d'être de plus petite taille et d'être en croissance plus forte que les entreprises déjà cotées. Toutefois depuis une vingtaine d'années, les nouvelles recrues boursières sont de moins en moins profitables : de 1973 à 1977, la rentabilité de leurs capitaux propres était de 18 % contre 14% pour celles déjà cotées ; de 1993 à 1998 les nouvelles recrues boursières affichant une rentabilité de seulement 2% contre 11% pour celles déjà cotées. Etant moins profitables, car venant à un stade plus précoce de leur vie en bourse, tout en ayant des opportunités de forte croissance, les nouvelles recrues ne versent quasiment pas de dividendes : seules 12 des 322 sociétés nouvellement cotées aux Etats-Unis en 1999 versaient un dividende !

Dès lors la proportion d'entreprises cotées versant un dividende ne peut que baisser.

Mais il y plus surprenant.

2. La baisse de la propension à verser des dividendes

Les auteurs démontrent qu'une entreprise qui aurait versé un dividende il y a 20 ans a peu de chance d'en verser un aujourd'hui. Ainsi Microsoft n'a toujours pas versé de dividendes malgré de plantureux résultats et une trésorerie nette de tout endettement bancaire ou financier de 24 Md$. En 1978, 72% des entreprises profitables versaient un dividende ; en 1998, elles ne sont plus que 30%. Cette évolution est la même quelles que soient la taille, la profitabilité ou les perspectives de croissance des entreprises cotées.
Plusieurs explications sont avancées par E. Fama et K. French pour expliquer cette évolution :

  • le développement généralisé des stock-options parmi les dirigeants : le versement des dividendes réduit la valeur de l'action donc celle des stock options. Les dirigeants n'ont donc aucun intérêt personnel à proposer le versement de dividendes, tout au contraire ! Ce point est d'ailleurs très nettement confirmé par une autre étude (3) qui montre que l'octroi de stock-options conduit à faire baisser les dividendes et à accroître les rachats d'actions. Il est vrai que les premiers font baisser mécaniquement la valeur de l'action alors que les seconds devraient la faire progresser...
  • la montée de la gouvernance d'entreprise (traduire le contrôle plus étroit des dirigeants par les actionnaires !) qui amoindrit l'utilité de l'outil dividende comme moyen de contrôle des dirigeants par l'actionnaire (pour réduire les liquidités à leur disposition) au profit d'autres techniques (comités spécialisés du conseil d'administration, stock options) qui se sont récemment développées et seraient plus efficaces ;
  • il y a quelques années les frais de transactions étaient tels qu'il était moins coûteux pour l'actionnaire à la recherche de liquidités de percevoir des dividendes plutôt que de vendre quelques actions de son portefeuille. Depuis, la baisse des coûts de transactions rend vaine cette préférence pour le dividende ;
  • la prise de conscience par les entreprises que les investisseurs préfèrent fiscalement enregistrer des plus-values plutôt que toucher des dividendes plus lourdement taxés ;
  • Enfin nous ajouterons que la montée des bourses depuis 20 ans a rendu marginaux les gains par dividendes comparés à ceux réalisés sur les plus-values des titres. Dès lors, les dirigeants ne sont plus autant concernés que par le passé puisque leurs actionnaires ont été déjà largement rémunérés(4)...

Les auteurs montrent enfin que les rachats d'actions (qui se sont fortement développés sur la période) n'expliquent que très faiblement la baisse de la proportion des entreprises payant un dividende. En effet, les entreprises procédant à des rachats d'actions sont justement aussi très largement celles qui paient des dividendes.

En Europe, la situation est assez différente puisqu'en 2000 seules 5% des 500 plus grandes entreprises cotées ne versaient pas de dividende(5).

(1) Sur le NYSE, l'AMEX et le NASDAQ, tous secteurs sauf services financiers et services publics.

(2) Disappearing dividends: changing firm characteristics or lower propensity to pay ? Journal of Financial Economics, avril 2001, pages 3 à 43.

(3) Corporate payout policy and managerial stock incentives de George Fenn et Nellie Liang, Journal of Financial Economics avril 2001, pages 45 à 72.

(4) Idée dont nous sommes redevables à Franck Bancel.

(5) Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen, page 678 - Dalloz 2000.



Q&R : Comment se repérer entre les différents cash flow ?

Il y a quasiment autant de définitions du cash flow que de sociétés ! La tendance est cependant à la normalisation des appellations dont les principales sont :

  • Le cash flow from operations ou le flux de trésorerie d’exploitation que l’on trouve dans le tableau des flux de trésorerie publié maintenant par la quasi-totalité des entreprises cotées. Il correspond à :

    résultat net

    + dotations nettes aux amortissements et aux provisions sur actifs immobilisés

    - plus-values de cession d'actifs

    + moins-values de cession d'actifs

    - variation du besoin en fonds de roulement

    = Flux de trésorerie d’exploitation

    C’est effectivement un flux de trésorerie ; il n’est pas tout à fait purement d’exploitation car il inclut les frais financiers, mais à une époque d’endettement et de taux d'intérêt relativement faibles, ce défaut est mineur. Il sert surtout en analyse financière.

  • Le free cash flow ou flux de trésorerie disponible correspond au flux de trésorerie généré par l’actif économique (operating assets), flux qui est ensuite réparti entre ceux qui ont financé cet actif économique, à savoir les actionnaires et les prêteurs (banques et obligataires). Il se calcule ainsi :

    excédent brut d’exploitation (EBITDA)

    - impôt normatif sur le résultat d’exploitation (EBIT)

    - variation du besoin en fonds de roulement

    - investissements nets des désinvestissements

    = Flux de trésorerie disponible

    C’est un flux de trésorerie on ne peut plus pur qui est utilisé en évaluation pour calculer la valeur d’une entreprise à partir d’un discounted cash flow (DCF) ou modèle d’actualisation des flux de trésorerie. On l’appelle aussi parfois cash flow to firm.

  • Le cash flow to equity correspond au précédent sous déduction des flux qui reviennent aux prêteurs, c’est-à-dire des frais financiers nets après impôt normatif et de la variation de l'endettement bancaire et financier net. Il sert aussi en évaluation pour estimer la valeur des capitaux propres. Mais, sauf exception, nous en déconseillons l’utilisation et lui préférons nettement le free cash flow.
  • La capacité d’autofinancement (résultat net + dotations aux amortissements et aux provisions sur actifs immobilisés -/+ les plus/moins-values de cession d'actifs) est parfois considérée comme synonyme de cash flow. C'est ainsi le cas dans le calcul du price cash flow (valeur des capitaux propres / cash flow) qui sert en évaluation par les multiples. Ceci est abusif car n’oublions pas qu’un cash flow est avant tout et littéralement un flux de trésorerie ! La CAF n’en est un que si les clients et les fournisseurs paient et sont payés comptant et si les stocks sont nuls, ou bien si ces trois postes sont constants au cours du temps, ce qui est bien rare !
  • Enfin l’excédent brut d’exploitation (l’EBITDA des anglo-saxons) est parfois qualifié de cash flow. On oublie alors l’impôt et les variations du besoin en fonds de roulement…

 

Pour plus de détails, voir le chapitre 11 de Finance d’entreprise de Pierre Vernimmen, Dalloz 2000.



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