La Lettre n°24 de Décembre 2003

Actualités : La pratique du purchase accounting aux États-Unis

Le premier numéro de la Lettre Vernimmen.net (juin 2001) commentait la suppression aux États-Unis, à partir de décembre 2001, de la faculté de comptabiliser des rapprochements d’entreprises par la technique du pooling of interests ne laissant plus d’autres choix que celui de retenir le purchase accounting.

Deux ans après, cette méthode commence a être appliquée par les groupes américains et analysée par les marchés financiers.

L’IAS ayant assuré qu’elle adopterait sous peu une position similaire à celle des régulateurs comptables américains, le purchase accounting va donc devenir la norme mondiale en matière de comptabilisation de rapprochement d’entreprises.


Dans ses grandes lignes (1), le purchase accounting consiste à entrer dans le bilan de l’acquéreur les actifs et les passifs exigibles de la société acquise, non sur la base de leurs montants comptables, mais sur la base d’une estimation de leur valeur de marché (fair value). Le solde éventuel entre le prix d’acquisition des actions et la valeur des actifs acquis sous déduction de la valeur des passifs exigibles repris est appelé écart d’acquisition ou goodwill. Il est porté à l’actif du bilan consolidé de l’acquéreur parmi les immobilisations incorporelles.

Cet écart d’acquisition est évalué chaque année pour vérifier que sa valeur correspond au moins à son montant net comptable pour lequel il figure à l’actif du bilan du groupe. C’est le test de validité que les anglo-saxons appellent impairment test. Si tel n’est pas le cas, une provision pour dépréciation est alors définitivement passée dans les comptes.

Le purchase accounting s’applique quelque soit le mode de financement du rapprochement (cash ou titres) et quelque soit son apparence juridique (achat, fusion, apport partiel d’actifs, …).

Pour l’instant, parmi les grands groupes américains ayant fait des acquisitions depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle norme, seul Pfizer (acquisition de Pharmacia) a publié des comptes avec une ventilation définitive ; Northrop Grumman (acquisition de TRW) devrait le faire d’ici trois mois.

Pfizer a estimé avoir acquis Pharmacia pour 56 Md$ dont seulement 7 Md$ expliqués par les capitaux propres comptables de Pharmacia. Le solde (49 Md$) a été affecté :

  • à des actifs incorporels identifiés pour 37 Md$ (25 Md$ pour des brevets amortissables sur 3 à 13 ans, 10 Md$ pour des marques sans durée de vie, et 1 Md$ pour des technologies amortissables sur 3 à 20 ans) ;
  • à du goodwill pour 21 Md$ ;
  • à de la recherche & développement en cours pour 5,5 Md$ mais qui sont néanmoins passés ensuite intégralement en charge de l’exercice 2003 conformément aux normes comptables ;
  • à des impôts différés et à des postes divers ;
  • à une réévaluation des stocks à leur valeur de vente pour 1,6 Md$.

On remarquera qu’en vertu de cette réévaluation des stocks à la valeur de marché, c’est à dire au prix de vente ou peu s’en faut, l’écoulement des stocks dans le processus normal d’exploitation ne génèrera pour l’acquéreur aucun profit. Quelle pertinence économique attribuer alors au compte de résultat de la première année après la fusion …. ? Et le jour où quelqu’un acquerra Rémy Cointreau, avec ses stocks de Cognac d’une durée moyenne de sept ans, c’est quelques années de vaches maigres dans son compte de résultat !

En conséquence de quoi, Pfizer a décidé de publier et de communiquer sur un « adjusted income » et un « adjusted diluted EPS » qui neutralisent totalement l’effet sur son compte de résultat du purchase accounting. Tout se passe comme si la totalité de l’écart entre le prix d’acquisition et les capitaux propres était affecté au poste goodwill. Le compte de résultat établi selon les normes est naturellement publié, mais accompagné d’une table de passage à l’adjusted income, table certifiée par les commissaires aux comptes …


Sur les neuf premiers mois de 2003, le résultat net part du groupe publié par Pfizer est de 3,3 Md$ en retrait de 47 % par rapport à la même période de 2002 (6,3 Md$). Ajusté, le résultat net est de 8,8 Md$ en progrès de 26 %. Ce n’est pas la même chose … Les ajustements tiennent compte de l’extourne de l’amortissement à 100 % des frais de recherche & développement acquis, de l’extourne des amortissements des immobilisations de Pharmacia réévaluées lors de l’acquisition, de l’extourne de la réévaluation des stocks de Pharmacia, net des effets fiscaux.

Dans la mesure où Pfizer est l’une des plus grosses capitalisations boursières américaines (la 3ème avec 260 Md$), il est probable que cette pratique fasse tâche d’huile. D’ores et déjà tous les analystes qui suivent Pfizer mentionnent, non pas les données comptables, mais les données ajustées. Pour notre part, nous pensons qu’ils ont bien raison de le faire (2).

La morale de cette histoire est que les régulateurs comptables, par entêtement doctrinaire (la fair value), jettent sans le vouloir, et une nouvelle fois, le discrédit sur les comptes et la comptabilité. Quand les comptes sont justes, quel besoin leurs utilisateurs ont-il de les redresser ?

Pour un redressement justifié, combien y en aura-t-il d’autres à l’avenir qui le seront moins, maintenant que la porte est ouverte ?

(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 48 du Vernimmen.
(2) Pour plus de détails sur notre position constante sur ce point, voir le chapitre 8 du Vernimmen.


Tableau : Les décisions d’Assemblées Générales Extraordinaires en Europe

Le tableau ci-dessous synthétise les principales décisions qui doivent être prises par une assemblée générale extraordinaire des actionnaires. La première colonne précise également la majorité « qualifiée » qu’il convient d’obtenir en AGE pour faire passer la résolution.

On peut noter que le droit des sociétés espagnoles ou italiennes n’impose pas de majorité qualifiée et laisse la liberté aux sociétés d’en prévoir ou non une dans leurs statuts.

En-deçà de la minorité de blocage, les droits des minoritaires sont, dans tous les pays limités. Avec entre 5% (en Autriche, France, Allemagne, Espagne, Portugal) et 20% du capital (en Belgique, Italie) un minoritaire ou un groupe de minoritaires peut néanmoins convoquer une assemblée ou ajouter des éléments à l’ordre du jour de l’assemblée.



Recherche : Les actionnaires des acquéreurs sont-ils gagnants ?

Sur un sujet de préoccupation qui n’est pas nouveau, trois professeurs américains (1), publient une recherche qui distingue la réponse selon la taille de l’acquéreur, la nature de la société acquise (cotée, non cotée, filiale) et le mode de paiement.

L’échantillon est vaste puisqu’il couvre les acquisitions réalisées par des sociétés cotées américaines entre 1980 et 2001, d’un montant supérieur à 1 M$, soit 12 023 observations. Les principales caractéristiques de ces acquisitions sont les suivantes :

Sans surprise, les acquisitions de société non cotées sont de taille plus petites, plus rapides à réaliser, plus souvent payées en liquidités et quasiment jamais hostiles.

La méthodologie mise en œuvre est classique et consiste à regarder les variations du cours de l’acquéreur entre 3 jours avant l’annonce de l’acquisition et 3 jours après, ajustées de l’évolution de l’indice. Autrement dit, il s’agit d’une mesure à très court terme.

Globalement la réponse à la question posée est non puisque sur environ les 3 000 Md$ d’acquisitions recensées par l’étude, les pertes des actionnaires ont été, sur cette période autour de l’annonce, de 218 Md$. Cependant, le résultat est très différent selon la taille de l’acquéreur et la nature de la cible :

  • globalement, les petites entreprises (le premier quart des entreprises cotées dans le classement par capitalisation boursière croissante) font en moyenne des acquisitions profitables alors que les grandes entreprises (les autres) font des acquisitions non profitables. Cette assertion est vérifiée même si l’on exclut la vague d’acquisitions des années 1998 – 2001 ;
     
  • plus particulièrement, les petites entreprises font des acquisitions profitables que la société acquise soit cotée ou non. Les grandes entreprises font des acquisitions non profitables si la société acquise est cotée mais profitables si elle n’est pas cotée ;
     
  • en moyenne, l’acquisition d’une filiale (détenue préalablement à moins de 50 %) est profitable, ainsi que celle d’une société non cotée. En revanche, l’acquisition d’une société cotée est non profitable. Il n’est pas exclu que la cause soit à chercher dans des effets de liquidité : une entreprise non cotée a de bonnes chances de valoir moins cher qu’une entreprise cotée compte tenu de son illiquiditée que la décote d’introduction en bourse peut mesurer (2). Par ailleurs, la recherche par des investisseurs de la liquidité fait qu’ils attribuent le plus souvent des multiples plus élevés à la maison mère qu’aux filiales. Dès lors en achetant ces actifs, même avec une prime, l’acquéreur peut faire une bonne opération financière, au moins à l’annonce.

L’étude ne répond pas de façon très convaincante à la question du long terme en raison de problèmes méthodologiques. Or c’est probablement la plus intéressante. En effet à l’aune de la réaction à très court terme (+ 3 jours), l’acquisition d’Equitable par Axa, celle de Square D par Schneider ou celle de Paribas par BNP auraient été des échecs. Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que les investisseurs peuvent changer d’avis, même si cela peut leur prendre plus de 3 jours ! De surcroît, le développement des opérations d’arbitrage lors d’offres publiques d’échange impliquant la vente à découvert d’actions (3) peut fausser l’interprétation de la réaction du marché dont une partie est alors purement mécanique et sans appréciation sur les fondements économiques de la transaction annoncée.

(1) S. Moeller, F. Schlingemann et R. Stulz, Do shareholders of acquiring firms gain from acquisitions ? Working paper n° 9523 du NBER.
(2) Pour plus d’éléments sur ce point voir le chapitre 49 du Vernimmen.
(3) Voir les lettres Vernimmen.net de juin et juillet 2003.


Q&R : Les acheteurs et les vendeurs utilisent-ils les mêmes méthodes de valorisation ?

Conceptuellement, il n’y a pas de raison qu’un investisseur préfère telle ou telle méthode de valorisation (1) selon qu’il soit acheteur ou vendeur.

On peut cependant observer dans la pratique une certaine hiérarchie des méthodes de valorisation.

Un vendeur préfère généralement la méthode d’actualisation des flux de trésorerie (discounted cash-flow, DCF) car cette méthode est fondée sur un plan d’affaires qui est rarement pessimiste ... (et qui peut donc être sujet à caution). Le plan d’affaires a été établi par le management de la cible mais, le plus souvent sur instruction de l’actionnaire vendeur dans l’unique but de « bien vendre » l’entreprise. Bien que le DCF soit mis en avant, le vendeur a en réalité toujours en tête la méthode des comparables (boursiers ou de transaction) car:
il ne voudra pas vendre moins cher que son concurrent et collègue de toujours !
une introduction en bourse représentera parfois une alternative à la cession pure et simple et les boursiers tombent rarement amoureux d’un DCF.

L’acheteur fonde sa négociation sur les comparables pour justifier un prix plus bas que celui qui ressort du DCF. L’argument souvent avancé est que les autres acheteurs ont payé ce type de prix et non de 130 ou 140 % de ce prix. Cependant il réfléchit à son DCF car c’est de son plan de bataille post acquisition (synergies, nouveaux développements,...) que dépend la rentabilisation future de son acquisition. Ainsi la valeur issue d’un DCF appliqué à un business plan qu’il jugera « réaliste » est effectivement la valeur qu’il pourra payer sans détruire de la valeur pour ses actionnaires.

L’application de multiples engendrera généralement des discussions méthodologiques à n’en plus finir entre acquéreur et vendeur. Le choix de l’échantillon est en particulier délicat (2). Ces discussions ne sont en général pas très productives sur le fond ...

En revanche, l’application de la méthode DCF impliquera nécessairement une discussion sur le business plan de la cible. Cette négociation de fond sera beaucoup plus intéressante que les « joutes » techniques sur le coût du capital ou sur la valeur terminale.

(1) Pour plus de détails sur les méthodes dévaluation, voir le chapitre 48 du Vernimmen.
(2) Pour l’anecdote, nous avons déjà entendu le conseil financier d’un vendeur refuser d’inclure une société dans un échantillon sous le seul prétexte qu’elle était danoise! A croire, comme l’avait remarqué Hamlet, qu’il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark ...


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