La Lettre n°177 de Mars 2020

Actualités : Liquidité et solvabilité dans ce nouveau monde

La demande des commerçants obligés de fermer boutique que leurs loyers soient annulés et non pas seulement reportés par les propriétaires des locaux qu’ils occupent illustre la différence entre la solvabilité et la liquidité, mais aussi nous semble-t-il, la différence entre la crise financière de 2008 et la crise du coronavirus de 2020.

Suspendre temporairement le paiement de certains loyers, c’est bien sûr aider la trésorerie des locataires. Les annuler exceptionnellement, c’est aider la trésorerie ET la solvabilité des locataires qui font ainsi disparaitre une charge, réduisant leurs pertes et atténuant ainsi l’impact négatif de celles-ci sur le montant de leurs capitaux propres, améliorant au total leur solvabilité (ou plutôt évitant de trop la dégrader).

Rappelons que la solvabilité mesure la capacité d’une entreprise à faire face à ses dettes en cas de difficultés et qu’elle se mesure par l’importance des capitaux propres par rapport aux dettes nettes et par la qualité liquidative des actifs.

En 2008, la dégradation de la solvabilité perçues des banques, parce qu’elles étaient soupçonnées de détenir des actifs perdant de leur valeur (les crédits sub-primes[1]), a entrainé une crise de liquidité quand les prêteurs ont de ce fait pris peur et cessé de prêter aux banques, qui à leur tour ont fortement réduit pour les plus atteintes leurs prêts aux entreprises. Mais pour ces dernières, la crise de liquidité ne s’est pas traduite par une crise de solvabilité car, sauf exception, l’activité économique des entreprises ne s’est pas effondrée, et que si les résultats ont pu baisser, ils ne sont pas devenus massivement négatifs.

Et les plus atteintes ont pu procéder à des augmentations de capital massives au printemps 2019 (Lafarge, Saint Gobain, Pernods Ricard, Danone).

Aujourd’hui, il y a à la fois des problèmes de liquidité pour certaines entreprises dont les Pouvoirs Publics, les banques et les banques centrales ont conscience si on en juge par les milliers de milliards d’euros mobilisés pour y faire face, et potentiellement dans quelques temps, si l’activité tarde à redémarrer, à des problèmes de solvabilité.

Une non-activité, avec des coûts fixes en face, va en effet entrainer, soit des pertes qui vont ronger les capitaux propres, soit pour ceux qui n’en n’ont pas assez, des capitaux propres négatifs, nécessitant alors des injections rapides de nouveaux capitaux propres, soit des conversions de dettes en capitaux propres, soit des faillites.

D’où les propos de certains responsables gouvernementaux n’excluant pas de procéder à des nationalisations, qui ne se feront surement pas par rachat des actions des actionnaires actuels, mais par des augmentations de capital destinées à restaurer la solvabilité des entreprises concernées, et donc leur capacité à continuer à opérer le moment venu.

A la reprise de l’activité, on risque d’avoir certaines entreprises qui auront du mal à bénéficier de crédits fournisseurs, car leurs fournisseurs auront des doutes sur leur solvabilité et ne voudront pas prendre le risque de livrer et de ne pas être payées.

Comme il n’y a pas de miracle en finance, le problème de solvabilité est transféré du locataire au propriétaire, des entreprises qui mettent des salariés au chômage partiel pour limiter les atteintes à leur solvabilité à l’État qui les prend à sa charge. Pour l’instant on s’arrête là, car les banques centrales qui rachètent les dettes des États traitent leurs problèmes de liquidité, mais pas de solvabilité.

Comme il y a une perte réelle dans l’économie, puisque des richesses qui devaient être produites ne le sont pas, la perte de valeur au niveau global ne disparaît pas pour autant. Au mieux, elle est mutualisée et supportée par ceux qui le peuvent financièrement, les actionnaires qui apportent, comme chacun le sait, des capitaux à risques : les capitaux propres. D’où la baisse des cours des actions qui, au niveau mondial, est de l’ordre à ce jour (21 mars ) de 30 000 Md$ depuis le 1er janvier.

Quant aux États, nous pensons qu’après un tel choc, les banques centrales annuleront purement et simplement, d’une façon ou d’une autre, une partie des dettes qu’elles détiennent sur eux. Le plus tôt et le plus clairement cela sera dit, le mieux. On n’y est pas encore. Mais on y viendra.

Car sinon la reprise d’activité sera obérée par les craintes des contribuables anticipant des hausses d’impôt pour faire face à une dette massivement accrue des États, et ceux-ci pourraient avoir des difficultés à se financer à des conditions normales dans le nouveau monde dans lequel nous sommes entrés depuis quelques jours.

Dans le contexte des années 1960-1970-1980-1990, on aurait pu craindre une flambée d’inflation. La disparition de l’inflation depuis plus de 20 ans[2], l’expérience de 2008 qui s’est traduite par une injection massive de liquidités pour contrebalancer le désendettement massif des acteurs financiers, et plus encore celle du Japon où la banque centrale finance les banques qui financent le Trésor japonais, montrent que ces craintes sont probablement infondées.

Mais de toute façon, avons-nous le choix ?

 

[2] Il faut remonter à 1991 pour trouver en France une inflation supérieure ou égale à 3 %.

 



Tableau : Plus facile à dire qu'à faire : le vote des grands investisseurs institutionnels en faveur de l'environnement

Majority Action est une ONG qui a compilé les votes des 25 plus grands investisseurs institu-tionnels lors des assemblées des actionnaires des sociétés cotées lors des résolutions portant sur des sujets environnementaux.

Le fruit de ses travaux, mis en forme par le Financial Times dans le graphique suivant, montre la très nette séparation des positions en fonction de l’origine géographique des investisseurs :

 Des 10 investisseurs institutionnels qui ont voté le plus fréquemment en faveur des résolutions environnementales, 7 sont européens, dont les 4 premiers et 3 sont nord-américains.

Des 10 investisseurs institutionnels qui ont voté le plus fréquemment contre des résolutions environnementales, la totalité sont nord-américains, y compris le plus gros en taille au monde, BlackRock, dont le président est pourtant bien connu pour exprimer des idées fortes dans ce domaine.

Ainsi dans sa lettre annuelle aux dirigeants de sociétés dont BlackRock est actionnaire, envoyée en janvier 2020, Larry Finck déclarait, en parlant des changements climatiques et de leurs impacts sur le risque des investissements : « Awareness is rapidly changing and I believe we are on the edge of a fundamental reshaping of finance ».

En étant charitables, nous dirons que tout changement est complexe, surtout au sein des grandes organisations, et que la vision d’un leader parvient plus parfois facilement à ses clients qu’elle n’est rapidement mise en œuvre par ses collaborateurs. . . [1]

[1] Sur le même thème, vous la rubrique Commentaires de La Lettre Vernimmen.net de février 2020, page 11.



Recherche : Le crédit bancaire après Lehman Brothers

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université

 

La faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 reste à ce jour la plus grande faillite de l’histoire (près de 700 Md$ d’actifs). Elle a entraîné une crise mondiale du marché interbancaire, dont la conséquence fut une contraction de l’offre de crédit. La crise bancaire s’est transmise aux emprunteurs. Toutefois, cette contraction de l’offre s’est accompagnée d’une réallocation, si bien que tous les emprunteurs n’en ont pas tous souffert de la même façon. C’est ce que démontre une étude publiée récemment[1], à partir d’une base de données de crédit détaillée sur le marché belge.

Comme dans les autres pays, le marché interbancaire belge a vu un effondrement (en l’occurrence, une division par deux) de ses volumes dans l’année qui a suivi la faillite. Sur ce marché, les auteurs disposent d’un registre de crédit complet des prêts accordés par les banques avant la crise et dans les années qui ont suivi. Au total, cela inclut plus de 160 000 combinaisons banque-entreprise. Les effets de réallocation mesurés sont significatifs, ce qui fait dire aux auteurs que certains emprunteurs sont « plus égaux que les autres » face à la crise.

Premièrement, les banques se sont réorientées vers les secteurs dans lesquelles elles avaient une forte part de marché. Pour les entreprises des secteurs concernés, l’impact négatif de la crise reste significatif mais est réduit de 22 % (pour un écart-type de part de marché). Dans ces secteurs, le pouvoir de négociation de la banque lui permet d’obtenir des taux d’intérêt plus élevés (à risque équivalent). En situation de raréfaction du crédit, les banques ont naturellement coupé en dernier les secteurs les plus rémunérateurs.

Deuxièmement, elles se sont réorientées vers les secteurs dans lesquelles elles étaient spécialisées. Autrement dit, leur spécialisation sectorielle s’est accrue. L’effet est moins marqué que le premier mais reste significatif : l’impact négatif de la crise est atténué de 8 % pour un écart-type de spécialisation. Si la part de marché est source de pouvoir de négociation, la spécialisation (part d’un secteur dans l’allocation de crédit totale de la banque) permet une meilleure connaissance du secteur, et la possibilité de mieux identifier les entreprises à financer. On retrouve ici un effet comparable aux « prêts de relations » évoqués dans le prochain numéro de cette chronique. La bonne connaissance d’un emprunteur en particulier ou d’un secteur de l’économie en général incite à accorder davantage de crédit car les asymétries d’information sont réduites.

Troisièmement, elles se sont réorientées vers les entreprises moins risquées. La course à la qualité est un phénomène classique en cas de crise, il est observé aussi pour le crédit bancaire. La baisse de l’impact négatif de la crise est d’environ 10 % pour un écart-type de risque de l’emprunteur (différentes mesures du risque aboutissent au même résultat). Une hausse de l’aversion au risque et/ou du coût du risque pour les banques peut expliquer la course à la qualité.

L’étude montre également que ces effets de réallocation ont persisté au moins deux ans après la faillite de Lehman. En termes de timing, le choc de réallocation le plus immédiat fut celui qui orienta le crédit vers les secteurs à forte part de marché. Puisqu’il s’agit aussi de l’effet le plus marqué, la leçon est claire : la priorité pour les banques après la faillite de Lehman a été de couper les crédits aux entreprises des secteurs dans lesquelles elles ne disposaient pas de fort pouvoir de marché.

Selon les auteurs, ces résultats devraient inciter les régulateurs à considérer qu’il existe des aspects positifs à la concentration et à la spécialisation des établissements de crédit durant les crises. En augmentant la capacité des banques à extraire des rentes et à mieux sélectionner les demandes de financement, ces caractéristiques permettent une atténuation des effets de la crise pour les emprunteurs concernés.

 

[1] O. DE JOGHE, H. DEWACHTER, K. MULIER et S. ONGENA (2020), Some borrowers are more equal than others: bank funding shocks and credit reallocation, Review of Finance, vol.24-1, pages 1 à 43.



Autre : Sondage: A propos de la norme IFRS 16 sur les locations opérationnelles

La Société Française des Analystes Financiers (SFAF) a mis en place un suivi de la pratique des utilisateurs des comptes IFRS, relatif à la modification de la comptabilisation des locations opérationnelles, désormais traitées comme des crédits-baux[1].

Si vous souhaitez participer à ce sondage anonyme, cliquez ici.

Nous en publierons les principaux enseignements dans un prochain numéro.



Autre : 8 mars 2020 : Trois portraits de femmes professionnelles de la finance (1/2)

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen le portait de 6 femmes dont la réussite dans une carrière financière est éclatante. En espérant que cela aide nos jeunes lectrices à faire le bon choix !

Voici les trois premiers de ces portraits, les deux autres paraitront dans le numéro d’avril, mais vous pouvez d’ores et déjà les retrouver ici, ainsi que ceux des années précédentes.

 

 

Laila Benchemsi

Directrice de BMCE Capital Markets

 

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

 

Concernant ma formation, j’ai suivi une classe préparatoire scientifique, puis j’ai intégré l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Au terme de la première année de tronc commun, je me suis orientée vers la filière Economie, Gestion et Finance et j’ai suivi en parallèle le Master "Probabilités & Finance" (ex-DEA El Karoui, à l'Université Paris VI) pour compléter ma formation d’ingénieur. J’ai toujours été passionnée par la finance et particulièrement la finance de marché. L’univers des salles des marchés me fascinait … A vrai dire j’ai toujours eu une appétence pour les chiffres et les mathématiques depuis que j’étais petite.  Les stages que j’ai effectués ont confirmé mon intérêt pour la finance de marché et m’ont permis d’intégrer un desk de Trading du Crédit Lyonnais. En 2003 j’ai décidé de rentrer au Maroc, mon pays d’origine. J’ai rejoint le groupe BMCE Bank en tant que Trader. Par la suite, j’ai occupé différents postes avant d’être nommée Directrice de la salle des marchés. Je n’ai pas rencontré de difficultés dans mon évolution professionnelle, au contraire j’ai été soutenue par mes managers qui ont cru en moi, malgré le fait que ce soit un domaine réservé aux hommes. J’ai pu trouver ma place dans cet environnement masculin, les mentalités évoluent et la présence des filles en première ligne des métiers de la finance est de plus en plus acceptée et appréciée.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

 

C’est difficile en effet. Car l’organisation domestique incombe surtout aux femmes qui doivent concilier entre leur vie de famille et leurs obligations professionnelles. Personnellement c’était difficile pour moi au début mais avec le temps j’ai appris à m’organiser et à déléguer.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Pour travailler dans une salle des marchés, il faut de la rigueur, pouvoir assimiler des données et prendre des décisions rapidement. C’est aussi un secteur qui bouge beaucoup, donc il faut savoir s’adapter et être réactif aux changements.

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

A vrai dire je n’ai pas été inspirée dans mon parcours par un modèle féminin en particulier, car c’est un milieu très masculin, mais si je dois citer une femme dans la finance, je citerai Christine Lagarde.

 

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d’une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? 

 

En général, les femmes ont beaucoup de difficultés à accéder aux fonctions clés, en particulier dans le domaine de la finance, à cause des préjugés qui laissent penser que ces métiers sont typiquement masculins. Heureusement, les mentalités sont en train d’évoluer et les femmes sont de plus en plus acceptées et même recherchées pour des postes historiquement attribués aux hommes. Cependant, il existe toujours des embuches sur le chemin des femmes dans le domaine de la finance, et s’imposer en tant que fille reste encore un obstacle à surmonter...

Pour corriger cette sous-représentation des femmes aux postes clés de la finance, il faudrait à mon avis imposer des quotas, seules des contraintes légales fermes peuvent réduire ces inégalités.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

Pour les jeunes femmes, je dirais que l’essentiel est d’écouter ses passions, d'être attentif à ce qui nous épanouit et de persévérer, quoi qu'il arrive. Il est vrai que le milieu de la finance est réputé être un environnement machiste et difficile d’accès, mais au final ce sont les compétences qui comptent et le travail consciencieux finit toujours par payer.

 

 

Stéphanie Billet

Directrice Financière et membre du Comité Exécutif du Groupe Tereos

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

 

J’aurais du mal à vous parler de vocation : plus jeune, je rêvais d’archéologie… Et puis finalement, mon parcours a été fait d’opportunités prudentes (ou de peur de l’échec, allez savoir…) et de belles rencontres. Après une école de commerce et une première expérience en audit, me voilà partie dans la consolidation chez Lafarge. S’ensuit un voyage de 18 ans avec chaque année de nouveaux horizons, de nouveaux challenges, des changements de postes tous les trois/quatre ans et des terrains de jeu idéalement larges : des normes comptables, du M&A, de la communication financière et des projets, des projets et encore des projets. Et toujours des rencontres avec des gens passionnés, fiers de leur savoir-faire et de ce qu’ils accomplissent au quotidien. La marque d’une industrie proche de la terre. Une marque que je retrouve chez Tereos : la terre et les femmes et les hommes qui font le groupe. Là aussi, de la passion, des racines, des savoir-faire chevillés au corps et une belle diversité de cultures. J’y occupe aujourd’hui la direction financière.

Des difficultés dans mon parcours liées au genre ? Je ne crois pas en avoir vu beaucoup et certains vous diront donc que je n’en ai pas eues. C’est vrai que j’ai eu la chance de travailler dans des groupes très internationaux dans lesquels l’acceptation de la différence est une condition pour opérer et chez qui le genre est une forme de diversité parmi d’autres. Je crois aussi que j’ai choisi d’ignorer les difficultés « mineures », de ne pas me laisser intimider et de rendre en opiniâtreté ce que certains cherchaient en agressivité.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?

 

La difficulté, nous la créons quand nous cherchons à être parfaites en tout et à équilibrer des mondes que nous mettons trop en opposition. J’ai essayé de sortir de cette « Guerre des Mondes ». La chose la plus importante pour moi a toujours été d’être libre dans mes choix. Je me suis laissé guider par la curiosité et le plaisir de la découverte : découverte d’un métier, découverte d’une culture, découverte de personnes, découverte (ô sublime !) d’un petit être qui n’est jamais à vous mais est déjà plein et entier à la seconde où il vient au monde. Pour pouvoir profiter de toutes ces découvertes, j’ai eu la chance d’avoir un solide partenaire de vie qui a toujours considéré que ce qui était important pour moi était important pour l’équilibre familial et non pas l’inverse. Je me suis aussi reposée sur une solide organisation avec des gens de confiance : j’ai opéré avec une véritable PME pour gérer nos présences intermittentes quand nos filles étaient petites. Et j’aime sans doute viscéralement les surprises - y compris le coup de fil de l’école qui annonce qu’il faut foncer aux urgences...

Sur ce chemin, j’ai rencontré les mêmes frustrations que dans mes voyages : on n’arrive jamais à tout voir. Pourtant, si on a réussi à voir l’essentiel, je crois qu’on a gagné. Je ne suis pas sûre qu’il y ait de secret et chacune et chacun doit trouver son propre équilibre. J’ai appris en tous cas à ne pas écouter les conseils en la matière. Votre équilibre est toujours une abomination pour d’autres. En vérité, personne ne peut le comprendre car il n’est qu’à vous.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

D’abord et avant tout la curiosité : les chiffres ne parlent que quand on sait comprendre ce qu’il y a derrière. Comprendre le métier, les hommes, comment telle décision peut influencer tel indicateur technique ou telle organisation. Le bon financier est celui qui sait poser les bonnes questions et faire parler les chiffres. Cette curiosité doit permettre d’apporter les outils et solutions techniques en soutien des métiers que nous accompagnons. Et bien sûr, beaucoup d’intégrité, d’indépendance et de courage.

 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

 

Je n’ai pas vraiment suivi de modèle féminin en particulier. Beaucoup de figures féminines qui m’ont inspirée ou poussée sur mon parcours, à commencer par ma mère dont j’ai essayé d’approcher l’indépendance d’esprit et la résilience.

Une personne m’a aussi bousculée dans mes convictions : Catherine Blondel, coach de grand talent qui invente et anime avec passion des programmes formidables de développement au féminin. C’est elle qui m’a ouvert les yeux sur le fait que ne jamais avoir eu de problème personnel avec le genre ne signifiait pas qu’il n’y en avait pas. Il en existe encore beaucoup trop et ils vont généralement de pair avec des relations violentes et irrespectueuses. C’est là qu’est le combat : pas le genre en soi mais la promotion de relations qui ne marginalisent pas et ne brutalisent pas. Je suis convaincue que la richesse vient de la différence et que la seule véritable intelligence est ouverte et tolérante. C’est pour cela que se battre pour promouvoir la diversité dans les entreprises est clé pour moi. J’aimerais laisser à mes deux filles – les deux autres figures féminines qui mènent ma vie – un monde professionnel qui valorise un style de leadership un peu moins brutal, un peu plus respectueux et un peu plus inclusif qu’hier. Elles ont, comme toutes les jeunes femmes de leur âge, un potentiel incroyable et la vie devant elles. Je voudrais qu’elles puissent se développer sereinement, quelle que soit la voie qu’elles vont choisir. C’est au cœur de mon engagement et je crois fermement que c’est en occupant le terrain que la question de leadership au féminin ne se posera bientôt plus.

 

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d’une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?

 

C’est trop peu. On sait que pour que les barrières tombent, il faut atteindre un seuil d’un tiers. C’est à ce moment-là qu’une « minorité » n’en est plus une et que donc les chances sont libérées pour tous. Savoir comment on arrive à ce niveau est toujours une question délicate : on aimerait que les choses se fassent intelligemment, c’est-à-dire volontairement, mais cela prend trop de temps.

Comme toujours, c’est sans doute d’une combinaison de facteurs que viendra la solution. Il faut tout d’abord encourager les femmes à prendre des responsabilités, car il y a encore trop de femmes qui se disent « je n’y arriverai pas » et s’auto-censurent. Il faut donc occuper le terrain et multiplier les exemples. Il faut enfin une dose d’incitation pour accélérer le mouvement : cela peut venir des politiques, des investisseurs, des organismes de régulation de la gouvernance. Je crois qu’il ne faut pas renverser le problème et penser que les quotas soient honteux. Ce qui est honteux, c’est l’immobilisme des comportements qui ne laisse pas d’autre alternative… Vu le nombre de femmes diplômées dans notre pays aujourd’hui, il n’y a aucune raison de ne pas avoir au moins un tiers des directions financières françaises occupées par des femmes !

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

Foncez ! Pas besoin de se poser beaucoup de questions car le seul choix pour la vie que l’on fait en se lançant dans la finance, c’est celui de la découverte permanente. Choisir la finance, c’est comme prendre un pass qui ouvre n’importe quelle porte. Vous pourrez changer aussi souvent que vous voulez de sujet, à l’intérieur d’une même entreprise ou dans plein d’entreprises différentes. Les options et combinaisons sont infinies et vous n’avez jamais fini d’apprendre.

 

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

 

Il faut s’amuser pour avancer et le plaisir de la réussite est meilleur quand le défi paraît impossible ! Et ne jamais regarder en arrière !

 

 

Emmanuelle Brun-Neckebrock

Directrice Financière et Directeur Général Délégué de SAP France

 

 

En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ?

 

Je suis diplômée d’HEC et j’ai démarré ma carrière dans l’audit au sein du Cabinet Arthur Andersen où j’ai passé pratiquement 10 ans. J’ai rejoint le groupe SAP comme contrôleur de gestion de la région Europe du Sud et je suis assez rapidement devenue Directeur Financier de la filiale française. J’ai par la suite pris des fonctions régionales sur la région EMEA et ai finalement décidé de revenir sur la France à la naissance de mon deuxième enfant, il y a un peu plus de 10 ans. 

Je suis aujourd’hui Directeur Financier et Directeur Général Délégué des filiales du groupe SAP en France, également responsable de nos activités en matière de développement durable.

Mon métier d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celui que j’exerçais à mes débuts chez SAP, la taille de la société a plus que doublé, en France nous sommes passés de 500 à un peu plus de 2000 personnes, enfin l’organisation des fonctions régaliennes dont la Finance a été significativement modifiée et fortement globalisée. Aujourd’hui dans mon quotidien la part des techniques financières a été beaucoup réduite au profit du pilotage général de l’entreprise.

 

Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ? 

 

Oui, bien sûr c´est difficile de mener tout de front, mais je pense que le fait d’être dans la finance ou dans les ressources humaines ne change rien au sujet !

Je finis d’ailleurs par penser que le fait d’être un homme ou une femme n’est pas non plus le vrai facteur de différence.

Ce qui change pour moi, c’est plutôt qui l’on est et quels rapports on veut avoir avec les personnes que l’on aime ! En ce qui me concerne, je sais que j’ai besoin de partager le petit-déjeuner de mes enfants, d’être là pour leur faire réciter leurs poésies - au pire au téléphone depuis mon bureau ou ma chambre d’hôtel si je suis vraiment coincée… La clef est de bien se connaître et de définir ses valeurs et ses priorités, ses besoins et ses envies. Cela permet de mieux gérer l’organisation quotidienne mais aussi de faire des choix de carrière cohérents.

 

Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?

 

Être bonne en Maths ! Plus sérieusement, je pense qu’il faut avant tout une bonne dose d’optimisme et de détermination pour pouvoir affronter les problèmes du quotidien – la gestion des difficultés faisant partie intégrante du métier de Directeur Financier - de l’ambition pour viser haut et emmener l’entreprise sur les business modèles de demain, et puis de l’empathie, un bon sens de la communication inclusive pour emmener nos équipes avec nous, car seuls on ne fait pas grand-chose de bien !
 

Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?

 

Je n’ai pas vraiment de modèle féminin, mon parcours professionnel a certes été déterminé par les rencontres, mais dans mon cas ceux qui m’ont épaulée ce sont des hommes, et j’en ai au moins deux en tête qui sont aujourd’hui au grade de bonne étoile me concernant ! 

 

Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France (sur la base d’une étude Vernimmen 2017 sur le genre des directeurs financiers des sociétés du SBF 120). Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? 

 

La Finance n’a malheureusement pas le monopole du manque de diversité puisque la part des femmes dans le numérique se limite à 15% également tous métiers confondus ! Il faut probablement s’interroger à la fois sur l’attractivité de la filière pour les jeunes femmes, mais également sur la rétention et le développement des talents féminins, ainsi que l’accès à des postes de responsabilité. La première étape est certainement d’asseoir et de partager la conviction que la diversité est source d’innovations durables, et que pour mieux répondre aux challenges du monde de demain, il faut intégrer toutes les parties prenantes. Il ne s’agit cependant que de la première étape, certes indispensable, mais qui doit être accompagnée d’une série d’actions portées par l’ensemble des acteurs, dont les entreprises, le monde politique et académique, visant à encourager les vocations des lycéennes et étudiantes, à développer le recrutement des femmes au sein des fonctions Finance et à les accompagner dans leur évolution de carrière.

 

Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?

 

J’ai le sentiment que les métiers de la Finance restent insuffisamment valorisés auprès des jeunes talents féminins et qu’il faut certainement continuer à expliquer que notre rôle ne se limite pas à placer de l’argent et faire fructifier la trésorerie de nos entreprises, mais bien à participer à la définition d’une stratégie de développement responsable et durable où le capital humain revient au centre de nos préoccupations, dans une économie qui devient basée sur l’expérience, où les collaborateurs et les consommateurs souhaitent être en relation avec des entreprises dont ils partagent les valeurs et les actions.

 

Avez-vous une autre conviction forte à partager ?

Je pense qu’il faut avant tout faire ce que l’on aime et rester en ligne avec ses valeurs, si l’on veut le faire bien ! pas besoin non plus de sillonner le monde pour s´épanouir professionnellement, nous n’avons pas tous les mêmes envies ...Ce qui m’apporte aujourd’hui beaucoup de satisfaction, c’est de voir à quel point certains de mes collaborateurs se sont développés, là je me dis que j’ai apporté ma pierre à l’édifice.

 



Autre : Formations

Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :

 



Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen

Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière.

Nous nous sommes limités à ceux publiés depuis le 13 mars et vous renvoyons aux pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen pour ceux publiés en février et début mars, à l’exception de celui consacré au pont construit par Danone entre le financier et l’extra financier qui rend visible le coût de l’empreinte carbone dans la performance financière, le coronavirus ne faisant pas disparaître la problématique de la transition énergétique.


Danone construit un premier pont entre le financier et l’extra financier 

Danone annonce dans la publication de ses résultats 2019 une « Première étape pour rendre visible le coût de l’empreinte carbone dans la performance financière ». Danone publie ainsi maintenant un bénéfice net par action (BNPA) courant ajusté du coût des émissions de carbone causées par Danone et ce dernier chiffre est sur la base d’un coût de la tonne de carbone à 35 € la tonne. C’est à notre connaissance une première.

Au-delà de la communication extra-financière au travers de laquelle Danone annonce notamment cette année avoir atteint son pic d’émission de CO2 (en avance de 5 ans sur ses objectifs), l’intégration directe de critères environnementaux dans les outils financiers classiques de mesure de la création de valeur nous paraît une excellente initiative, qui permet de relier enfin les deux mondes du financier et de l’extra financier.

Peut-être que le BNPA courant ajusté du coût du carbone ne sera in fine pas le critère retenu par le marché ou le plus pertinent, mais il faut bien commencer quelque part… et surtout que quelqu’un commence. Alors bravo à Danone !

 

La prime de risque du marché action

La prime de risque du marché action qui restait élevée post 2008 aux environs de 7 % contre une moyenne pré 2008 de 4 % n’a d’autres justifications qu’une perception par les investisseurs d'un environnement devenu structurellement plus risqué, sans que l’on puisse identifier clairement d’où viendra le risque. Ainsi, qui aurait pu penser qu’un des américains connaissant le mieux le fonctionnement des marchés financiers du fait de ses fonctions de direction de Goldman Sachs, devenu ministre des finances, prenne le risque de ne pas venir au secours d’une banque secondaire en difficulté (Lehman Brothers) ?

 

Les lignes de crédit

Les entreprises tirent sur leurs lignes de trésorerie. Ainsi Boeing qui vient de tirer l’intégralité de sa ligne de 13,8 Md$, afin de se prémunir et de faire face à une chute certaine des recettes. Nous ne doutons pas que les banques, compte tenu des liquidités qu’elles ont accumulées du fait des contraintes prudentielles post 2008 et du soutien des banques centrales, honoreront leurs signatures, permettant aux grands groupes de survivre et d’aider leurs fournisseurs qui en auraient besoin en étendant les délais de paiement. Les lecteurs du Vernimmen qui connaissent le chapitre 41 n’auront pas été pris à dépourvu.

 

[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et  pour LinkedIn.



Facebook Google + Twitter LinkedIn