La Lettre n°17 de Mars 2003

Actualités : Les pratiques comptables des entreprises en 2002

Comme chaque année, plusieurs cabinets comptables ont uni leurs forces pour produire un ouvrage sur les principes comptables de 57 groupes européens de l’industrie et des services non financiers (1) dont la lecture est probablement la façon la plus efficace de maintenir à jour ses connaissances en ce domaine.

Les thèmes traités cette année reflètent naturellement l’actualité comptable récente :

  • Référentiels comptables :

L’Union Européenne a adopté en juin 2002 le règlement imposant aux entreprises européennes faisant appel public à l’épargne de produire des comptes consolidés conformes aux normes IAS pour les exercices ouverts à partir du 1er janvier 2005. Un délai supplémentaire qui s’achève en 2007 a été accordé aux groupes dont seuls des titres de dettes sont cotés (essentiellement des entreprises publiques) et à ceux dont les actions sont cotées et qui publient leurs comptes dans un référentiel comptable accepté au plan international (essentiellement les groupes allemands dont certains, tel Siemens, ne publient leurs comptes qu’en normes américaines).

Le règlement européen ne crée aucune obligation pour les groupes non cotés et les comptes individuels. Chaque état membre est donc libre d’interdire, de rendre facultatif ou obligatoire l’adoption des normes IAS dans ces cas. En France, on s’orienterait vers une interdiction au niveau des comptes sociaux (essentiellement pour des raisons fiscales) et une autorisation pour les comptes consolidés des groupes non cotés.

La bonne nouvelle de cette année 2002 est la convergence des normes nationales vers l’IAS et la volonté d’aller vers une convergence des normes IAS et américaines, voire à terme la reconnaissance des normes IAS par les Etats-Unis. La loi Sarbannes Oxley de juillet dernier demande ainsi à la SEC d’étudier les conditions d’introduction aux Etats-Unis d’un référentiel comptable fondé sur les principes (comme celui de l’IAS) et non sur les règles (comme celui actuel du FASB).

  • La cotation aux Etats-Unis :

Elle implique, tant que seules les normes américaines (FASB) sont reconnues par la SEC, un travail de réconciliation du compte de résultat et du bilan qui met à jour de grandes différences en matière de comptabilisation des rapprochements d’entreprises, de dépréciation des actifs (aux Etats-Unis la valeur comptable des immobilisations corporelles et incorporelles amortissables est comparée à une valeur résultant de flux de trésorerie non actualisés – sic !), d’évaluation des investissements financiers (juste valeur aux Etats-Unis contre le plus bas du coût ou de la valeur de marché en France) (2).

  • Les immobilisations incorporelles :

A l’occasion de la révision des normes concernant les regroupements d’entreprises (3), les Etats-Unis ont revu leur position sur l’amortissement des immobilisations incorporelles. Soit elles ont une durée de vie finie et sont alors amortissables sur cette durée qui n’est plus limitée à 40 ans, soit elles ont une durée de vie illimitée et sont alors chaque année soumises à un test de dépréciation conduisant le cas échéant à une dépréciation. L’IAS envisage de se rallier à cette position.

  • Les provisions pour risques et charges :

Peu d’entreprises ont anticipé l’application comme elles en avaient la faculté, du nouveau règlement français sur les passifs. Celui-ci devrait se traduire par une limitation des constitutions de provisions ou retarder leur fait générateur.
En effet, une décision interne ne suffit plus pour constituer une provision, il faut qu’un engagement clair soit pris à l’égard d’un tiers et que l’entreprise n’en attende aucune contre-partie. Ainsi, un plan de restructuration devra avoir été annoncé pour pouvoir être provisionné.

  • L ’endettement financier net :

Axe de communication devenu majeur compte tenu de la conjoncture économique et de quelques excès passés, la notion d’endettement net aurait besoin d’être précisé et normalisé au regard de plusieurs incertitudes :

- les actions auto-détenues pour la couverture des options d’achat en font-il partie ? Nous ne le pensons pas.
- les opérations de titrisation en font-elles partie ? Oui car il s’agit pour nous d’un mode de financement comme un autre.
- quid des titres hybrides ? Une étude au cas par cas et selon les caractéristiques du titre en question (4) s’impose à notre avis.

  • Délai de publication des comptes et comptes trimestriels :

Le délai de publication des comptes annuels a une nouvelle fois été raccourci en 2001 avec une moyenne de 60 jours pour l’échantillon français et de 56 jours pour l’échantillon européen. Saluons STMicroelectonics qui ne fait attendre ses actionnaires que 22 jours !
La Commission Européenne devrait imposer la publication du rapport financier annuel en moins de 90 jours et des comptes trimestriels qu’elle rendrait obligatoire à compter de 2005 à moins de 60 jours. Aux Etats-Unis, la SEC vient d’approuver des délais de respectivement 60 jours et 35 jours à l’horizon 2004.

(1) L’information financière 2002 – Groupes industriels et commerciaux européens –CPC décembre 2002, par les cabinet Deloitte & Touche Tohmatsu, Ernst & Young, KPMG et Mazars & Guérard.
(2) Pour plus de détails sur les principales différences entre les normes américaines, les normes IAS et les normes françaises, voir l’annexe du chapitre 9 du Vernimmen 2002.
(3) Pages 103 à 107 du Vernimmen 2002.
(4) Pour plus de détails, voir le chapitre 46 du Vernimmen 2002.


Actualités : SEMINAIRE / CONFERENCE :

  • La société EFE organise le mercredi 26 mars une journée de séminaire animé par Pascal Quiry consacrée aux points complexes de l’analyse des comptes des sociétés et au décryptage du rapport annuel. Pour plus de détails voir : www.efe.fr.
  • L’association IMA organise le 23 avril une conférence petit-déjeuner animée par Pascal Quiry et Yann Le Fur consacrée au regard des financiers sur la comptabilité. Les financiers ont des préoccupations de risque, de rentabilité et de valeur qu’ils soient actionnaires, prêteurs ou intermédiaires. Les documents comptables sont normalement l’une des matières premières qu’ils utilisent régulièrement et intensivement pour fonder leurs diagnostics et leurs actions.

Conscients de ne pas être les destinataires uniques des documents comptables, les praticiens de la finance ont pris l’habitude d’adapter ou de redresser les documents comptables afin de mieux les faire coïncider avec leurs besoins.

Pascal Quiry et Yann Le Fur feront part de leur expérience de praticiens et de pédagogues en ce domaine et suggèreront des améliorations dans la présentation des documents comptables (comptes de résultat, tableaux de flux et de trésorerie) et dans le traitement d’opérations particulières (stock-options, impôts différés, goodwill, provisions, périmètre de consolidation …).
Pour s’inscrire, voir www.ima-france.com.



Tableau : Les taux de rentabilité du capital risque (1)

La rentabilité des fonds suit globalement les cycles des marchés boursiers :

La rentabilité supérieure des fonds de private equity comparativement aux indices boursiers s’explique en grande partie par le risque plus important (risque financier pour les LBO, risque industriel pour les fonds de capital risque).

Notons que la performance des gros fonds est plus élevée que celle des fonds plus petits; ceci se justifie notamment par leur capacité à diversifier de manière plus importante leurs investissements, ce qui leur permet de réduire le risque diversifiable qui, comme notre lecteur le sait, n’est pas rémunéré en finance.

(1) Statistiques 2001 publiées par l’EVCA (European Private Equity and Venture Capital Association) www.evca.com.


Recherche : Les rachats d'actions remplacent-ils les dividendes ?

Oui répondent G. Grullon et R. Michaeli (1) en se fondant sur une étude du comportement, entre 1972 et 2000, de 15 843 entreprises cotées américaines. Et le phénomène a pris une ampleur considérable puisqu’en 2000 les firmes de l’échantillon ont consacré 194 Md$ à des rachats d’actions contre 172 Md$ au versement de dividendes, à comparer à des profits après impôts de 465 Md$. Les rachats d’actions représentent donc aux Etats-Unis des montants plus importants que les versements de dividendes depuis 1999 alors qu’ils n’étaient égaux qu’à 3 % des dividendes en 1975, 13 % en 1980 et 41 % en 1990.

De la même façon, seules 20 % des firmes américaines qui versent des fonds à leurs actionnaires le font uniquement par dividendes en 2000 (70 % en 1972), alors qu’elles sont 45 % à le faire par rachat d’actions uniquement (10 % en 1972), 35 % d’entre elles couplant les deux.

En utilisant le modèle de J. Lintner (2), les auteurs montrent que le montant de trésorerie qui aurait dû être versé sous forme de dividendes et qui ne l’a pas été, a été affecté à des rachats d’actions. D’où la constance au cours du temps du taux de distribution pris au sens large : dividendes et rachats d’actions. L’hypothèse de substitution de l’un par l’autre est donc bien validée.

Le marché ne s’y trompe d’ailleurs pas, puisque la baisse d’un dividende, habituellement perçu comme un signal négatif (3) et qui s’accompagne d’une baisse du cours de bourse pour les entreprises qui ne font pas de rachats d’actions, ne s’accompagne pas d’un tel mouvement négatif pour celles qui procèdent à des rachats d’actions.

G. Grullon et R. Michaeli expliquent cette évolution par un seul paramètre : la fiscalité différente qui pèse aux Etats-Unis sur les plus-values, imposées en 2000 à un taux maximum de 20 % contre 39,6 % au maximum pour les dividendes. Par ailleurs, les rachats d’actions ont fortement augmenté après l’assouplissement par la SEC en 1983 des règles régissant les interventions des émetteurs sur le marché de leurs actions.

Dans un autre travail de recherche, R. Green et B. Hollified (4) estiment que la substitution du rachat d’actions au dividendes réduit le coût du capital des entreprises américaines de 80 points de base (0,8 %).

Toutefois, cet effacement des dividendes au profit des rachat d’actions devrait normalement s’inverser si les projets de réforme fiscale américaine prévoyant l’exonération d’impôt sur les revenus des dividendes touchés par les personnes physiques américaines étaient votés en l’état (5). L’actionnaire américain devrait alors en effet préférer toucher un dividende exonéré qu’enregistrer une plus value imposée à 20 %.

(1) Dividends, share purchases and the substitution hypothesis, Journal of Finance, août 2002, pages 1649 à 1684.
(2) Voir page 783 du Vernimmen 2002.
(3) Voir Chapitre 44 du Vernimmen 2002.
(4) The personnal tax avantage of equity, Journal of Financial Economics, février 2003, pages 175 à 216.
(5) Voir La Lettre Vernimmen.net du mois dernier.


Q&R : Quels sont les spécificités pour estimer le bêta d'une société du secteur TMT (Technologie-Media-Télécom) ?

Tout d’abord, rappelons que le MEDAF se fonde théoriquement sur des risques (et donc des bêtas) anticipés et non historiques. Cependant force est de constater qu’en pratique les bêtas anticipés sont très rarement disponibles, l’analyste est donc contraint de se rabattre sur les bêtas historique comme première (et souvent dernière…) approximation. Se pose alors la question de la fréquence des données et surtout de la période d’observation pour asseoir le calcul.

La bulle spéculative sur les TMT fausse les estimations du bêta sur une base historique En effet, une partie du marche a monté (les valeurs dites TMT) alors que le reste est resté beaucoup plus stable. Les valeurs TMT étaient devenues la première composante des indices avec une pondération de l’ordre de 45% contre un poids habituel de l’ordre de 20%.

On imagine que si l’on recalculait l’évolution des principaux indices en prenant une pondération des actions comme elle ressort aujourd’hui, leur fluctuation serait moins importante, le bêta des actions TMT calculé par rapport à ces indices en ressortirait naturellement accru. Les bêta des actions des autres secteurs ne seraient plus aussi faibles et feraient apparaître des coefficients de corrélation significatifs.

Aussi convient-il de retenir une durée courte, deux ans au maximum, qui n’intègre plus la grande époque des valeurs TMT et en utilisant un indice large comme le SBF 250.

De façon plus générale, le calcul des bêtas historique doit prendre en compte deux paramètres qu’il faut savoir manier avec habileté :

- la durée d’observation : trop courte elle ne permet pas d’avoir des résultats statistiquement significatifs, trop longue elle prend en compte un environnement qui a changé et donc est potentiellement très éloigné des bêtas anticipés ;

- le caractère pertinent du bêta : le calcul des bêtas des actions peu liquides fera apparaître des résultats faibles non pas parce que le risque est faible mais simplement parce que la liquidité ne permet pas au titre d’évoluer de façon homothétique avec le marché.

(1) Associés en Finance est un des rares cabinet à calculer des betas anticipés.


Facebook Google + Twitter LinkedIn