La Lettre n°70 de Novembre 2008

Actualités : Vers une évolution dans la présentation des comptes

Mi-octobre l’IASB et le FASB ont publié dans le cadre de leur projet de convergence (1) un papier de discussions sur la présentation des comptes afin de recueillir d’ici le 14 avril 2009 les commentaires des personnes intéressées.
Nos lecteurs fidèles se rappellent peut être d’un article de la Lettre Vernimmen.net (2) où nous nous élevions avec vigueur contre des avant-projets du seul IASB qui nous paraissaient chimériques et principalement inspirés de l’aphorisme « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! ». Nous avions conclu en souhaitant « que les régulateurs comptables retrouvent vite le chemin de la clarté. La comptabilité le vaut bien ! ».
Ce serait fort présomptueux de notre part que de penser que nous avons été entendus, mais le résultat des travaux communs de l’IAS et du FASB marque un vrai progrès par rapport à ce à quoi nous avons échappé.
Cela dit, au risque de passer pour des passéistes nous ne ressentons pas un violent besoin de changement dans la présentation des comptes, que ce soit dans notre pratique quotidienne de la finance ni dans son enseignement. L’un des grands mérites de la comptabilité est d’être simple et compréhensible par le quidam, ce qui contribue à sa légitimité. Avouons que les évolutions récentes, même avant l’avènement des IFRS (par exemple la généralisation des impôts différés (3)) ont rendu les comptes moins spontanément lisibles.
Ces nouvelles présentations inverseront-elles cette tendance ? Nous en doutons.
On sait que les normes internationales sont finalement peu dissertes sur le mode de présentation des comptes eux-mêmes, ce qui avait conduit en son temps le CNC français à publier une recommandation fort utile et fort suivie sur la présentation du compte de résultat et du tableau de flux (4) .
Les propositions de l’IASB et du FASB se traduiraient principalement par :
• une meilleure séparation entre l’activité opérationnelle de l’entreprise et son activité de financement dans la foulée des raisonnements depuis longtemps adoptés par les financiers en matière d’évaluation (actualisation des flux de trésorerie disponibles, multiple d’agrégat d’exploitation), de choix d’investissement (VAN, TRI), de contrôle des performances (rentabilité économique, profit économique, etc.). Le bilan pourrait ainsi être présenté de manière à faire apparaître directement l’actif économique (BFR + immobilisations) financé par des capitaux propres et l’endettement net et non plus des actifs et des passifs. C’est ce que nous suggérions dans une conférence à l’IMA en 2003 (5) si l’on voulait faire des changements ;
• une meilleure répartition au sein de l’activité financement entre ce qui ressort de la dette et ce qui ressort des capitaux propres ;
•une césure entre les ressources et les emplois à plus ou moins d’un an plutôt qu’entre courant et non courant, forcément plus subjectif puisque lié à la durée du cycle d’exploitation qui varie d’une entreprise à l’autre ;
• une fin élégante au dilemme du choix de la présentation du compte de résultats par nature (frais de personnel, achats de matières premières, etc) ou par fonction (coûts des produits vendus, marketing, recherche et développement, etc) qui n’a pas été tranché dans la pratique (6). Le nouveau format permettrait de lire directement et en même temps le compte de résultat selon ces deux approches.
Parmi les points, plus mineurs, qui nous paraissent perfectibles, sont à ranger :
• le classement des créances ou des dettes d’impôts comme un élément du financement de l’entreprises alors qu’il est pour nous un élément du besoin en fonds de roulement et donc de l’actif économique (7) ;
• la présentation du tableau de flux selon la méthode directe (encaissement des clients, paiements aux fournisseurs) plutôt qu’indirecte comme très largement utilisée aujourd’hui (agrégat comptable sous déduction de correctifs : dotation aux amortissements, variation du BFR). On y gagne de pouvoir facilement faire apparaître le flux de trésorerie disponible, sans qu’il soit besoin, comme aujourd’hui, d’extourner les frais financiers présents dans le résultat net, point de départ de beaucoup de tableaux de flux actuels. On y perd pour le profane une explication claire du passage du niveau des résultats à celui des flux de trésorerie, ce qui est toujours un point compliqué pour celui qui débute en finance ;
• un bouclage du tableau de flux sur la variation du cash, élément beaucoup plus instable et moins structurant que celle de la variation de l’endettement net que nous recommandons ;
• l’inclusion des éléments du comprehensive income (principalement des variations de valeurs d’actifs ou de passifs inscrits directement en capitaux propres) dans le compte de résultat (qui devient en statement of comprehensive income) en dessous de résultat net qui, heureusement, ne disparaît pas et reste bien là !
• le classement en élément du besoin en fonds de roulement des provisions de retraites alors qu’il s’agit d’une dette de nature financière (8).
Au total, on pourrait ainsi avoir les tableaux suivants :

Le bilan ou statement of financial position pourrait ainsi se présenter :

et le tableau de flux (statement of cash flow) aurait la configuration suivante :

L’IASB et le FASB, sur la base des commentaires qui leur seront adressés, estiment pouvoir publier un projet de norme en 2010, sa version finale en 2011 avec probablement une application en 2012 ou 2013.
D’ici là, de l’eau aura coulé sous les ponts.
(1) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 60 d’octobre 2007.
(2) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 26 de février 2003.
(3) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 39 de juin 2005.
(4) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 33 de novembre 2004.
(5) Que vous pouvez consulter sur le site www.vernimmen.net sous la rubrique « les ressources » / « quel regard les financiers portent-ils sur la comptabilité ? ».
(6) Voir le chapitre 4 du Vernimmen 2009.
(7) Voir par exemple La Lettre Vernimmen.net n° 65 de mai 2008 ou la page 38 du Vernimmen 2009.
(8) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 14 de novembre 2002.


Tableau : La courbe des taux d'intérêtSi


Si vous vous demandiez où est passée la liquidité, la réponse est simple  et vous la trouvez sur le graphique : en dollars, sur des échéances à très court terme : le taux overnight (prêt du jour au lendemain) est actuellement de 0,4 % en dollar et il s’agit d’un taux actuariel et non d’un taux sur un jour !
Autrement dit, si vous placez overnight 1 000 $, vous êtes crédité de 0,011 $ de plus le lendemain. C’est le prix de la sécurité.


Recherche : Les spreads des crédits syndiqués

Nous revenons ce mois-ci sur le marché des prêts syndiqués (1). Deux articles portant sur la détermination des taux d’intérêt sur ces prêts montrent que les déterminants classiques des taux d’intérêt (risques, coûts d’agence, maturité…) ne suffisent pas à expliquer les taux observés. Chacun de ces articles propose un critère pertinent supplémentaire pour expliquer les différences de taux.
M. Carey et G. Nini démontrent dans leur article (2) que la différence entre les spreads pratiqués en Europe et aux Etats-Unis depuis 10 ans est trop importante pour être expliquée par une différence de nature entre ces prêts. Ils montrent que les emprunteurs ont une très forte tendance à rester sur leur marché d’origine, et que cette tendance n’a pas diminué avec la mondialisation financière. La segmentation du marché est impressionnante : 98,5% des emprunteurs installés aux Etats-Unis choisissent le marché américain pour leurs prêts syndiqués (le taux est de 98% également pour les européens) ! Ceci ne permet pas une convergence des spreads pratiqués des deux côtés de l’Atlantique.
Hormis pour les prêts concernant les emprunteurs de très bonne qualité (ratings de AAA à A), la différence de spread en faveur du marché européen est très significative, entre 30 et 60 points de base. Un certain nombre de différences structurelles pourrait expliquer ce phénomène (par exemple, la valeur faciale des emprunts est généralement plus élevée en Europe). Pourtant, même après prise en compte d’un très grand nombre de facteurs de prix (taille, maturité, raison de l’emprunt, année de lancement…), le fait d’être un emprunt « européen » diminue significativement le spread. Ce n’est pas la première fois où il est établi que les conditions financières en Europe (commissions d’introduction en bourse, spreads de crédit, etc) sont plus favorables en Europe aux émetteurs qu’elles ne le sont aux Etats-Unis. Certains y verront l’effet d’une concurrence plus forte ou d’une moindre rémunération du risque.
Quelle que soit la raison de cette différence, sa persistance rend nécessaire la prise en compte du marché sur lequel est effectué le prêt syndiqué pour comprendre le taux qui lui est appliqué.
Le second article s’intéresse à la « liquidité » de ces prêts syndiqués (3). Les auteurs montrent qu’un marché secondaire des prêts syndiqués s’est développé depuis 15 ans (atteignant 176 Md$ aux Etats-Unis en 2005), et que la capacité d’un prêt à être échangé sur le marché secondaire augmente son attractivité sur le marché primaire. Ils établissent ainsi une analogie avec le marché obligataire.
Le marché secondaire des prêts syndiqués est un marché de gré-à-gré entre institutions financières. Il consiste le plus souvent en un transfert intégral de la créance d’une banque des banques du syndicat vers une autre institution. Il permet aux banques émettrices de se spécialiser dans le marché primaire de la syndication en multipliant les opérations sans conserver le risque associé.
Les résultats économétriques de l’étude sont impressionnants : lorsque la probabilité de pouvoir échanger le prêt augmente de 1%, le spread (et donc le taux d’intérêt) est réduit de 0,66 point de base. Autrement dit, un prêt dont on est certain qu’il sera revendu sur le marché secondaire se négocie à l’origine 66 points de base moins cher qu’un prêt dont on est sûr qu’il ne sera pas revendu. Il apparaît donc que les banques du syndicat sont capables d’identifier les facteurs de liquidité des prêts à l’origine et qu’elles en tiennent compte dans la détermination des taux d’intérêt pour le plus bénéfice de l’emprunteur. En cela le modèle « Originate and distribute » n’est pas dénué d’intérêt, tout le problème étant l’incitation de la banque à éliminer les mauvais risques quand même bien qu’elle n’en garde aucun pour elle. Une fois que ceci sera résolu, ce modèle connaîtra une seconde jeunesse !
Position géographique du marché et capacité à être revendu sur un marché secondaire sont donc deux critères rarement pris en compte dans les modèles traditionnels de valorisation des prêts syndiqués et qui constituent pourtant un élément tout à fait significatif du prix.
(1) Pour plus de détails sur les crédits syndiqués, voir le chapitre 28 du Vernimmen 2009.
(2) M. Carey et G. Nini (2007), Is the Corporate Loan Market Globally Integrated ? A Pricing Puzzle, Journal of Finance, vol. 62, pages 2 969 à 3 008.
(3) A. Gupta, A.K. Singh et A.A. Zebedee (2008), Liquidity in the Pricing of Syndicated Loans, Journal of Financial Markets, vol. 11, pages 339 à 376.


Q&R : Quel est le nouveau régime des fusions transfrontalières en Europe ?


Grâce à la transposition en droit français de la directive européenne sur les fusions transfrontalières en juillet dernier, les principaux obstacles qui les rendaient difficiles techniquement ont disparu :
• la nécessité que le droit français et le droit étranger soient compatibles dans leurs procédures de fusion car il fallait appliquer cumulativement les deux droits qui devaient aussi prévoir la possibilité même de fusions transfrontalières ;
• la nécessité de faire approuver à l’unanimité des actionnaires l’absorption d’une société française par une société étrangère puisque celle-là changeait de ce fait de nationalité.
Certes il existait des moyens de contournement comme l’apport partiel de titres ou d’actifs ou la société européenne (1).
La loi s’applique depuis le 4 juillet 2008 et concerne les sociétés de capitaux (SA, Sarl, Société Européenne, SAS, SCA) à l’exclusion des sociétés de personnes (société en nom collectif et société en commandite simple) lorsqu’elles fusionnent avec des sociétés d’un autre Etat membre de l’Union Européenne.
La loi ne régit pas l’ensemble de la procédure transfrontalières et renvoie pour une large part au droit local. Ainsi en pratique pour l’absorption d’une société française, le droit français s’applique pour la consultation et le recours des actionnaires minoritaires, le droit d’opposition des créanciers non obligataires et le droit des créanciers obligataires. Les règles harmonisées au niveau européen s’appliquent pour la procédure de fusion transfrontalière en elle-même qui prévoit un contrôle préalable de la conformité de la fusion par le greffier du tribunal dont dépend chaque entreprise et un contrôle de sa légalité par un notaire ou le greffier du tribunal.
Un volet social a été prévu, condition sine qua none d’un accord européen, qui prévoit que :
• si l’une des sociétés parties à la fusion emploie au moins 500 personnes,
ou
• si la société issue de la fusion n’offre pas la même proportion de représentants des salariés au conseil d’administration (ou de surveillance) que celle qui s’applique aux sociétés concernées,
alors un groupe spécial de négociation est mis en place pour déterminer avec les dirigeants des sociétés concernées les modalités de participation des salariés.
(1) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 32 d’octobre 2004.


Facebook Google + Twitter LinkedIn